BGer 1B_51/2014
 
BGer 1B_51/2014 vom 27.02.2014
{T 0/2}
1B_51/2014
 
Arrêt du 27 février 2014
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président,
Eusebio et Chaix.
Greffière: Mme Kropf.
Participants à la procédure
A.________, représenté par Me Mathias Burnand, avocat,
recourant,
contre
Procureur général du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens.
Objet
Détention pour des motifs de sûreté,
recours contre l'arrêt de la Présidente de la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 3 février 2014.
 
Faits:
A. Par jugement du 19 décembre 2013, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de Lausanne a reconnu A.________ coupable de remise à des enfants de substances pouvant mettre en danger leur santé, d'actes d'ordre sexuel avec des enfants, d'actes d'ordre sexuel avec des personnes dépendantes et de contrainte sexuelle; il l'a condamné à une peine privative de liberté de cinq ans, sous déduction des 370 jours de détention avant jugement subie, et a ordonné un traitement psychiatrique ambulatoire en détention. A l'issue de l'audience et en se référant notamment à la pathologie grave du recourant attestée par expertise, le tribunal de première instance a ordonné l'arrestation immédiate du prévenu afin de garantir l'exécution de la peine et de la mesure prononcées.
Le 20 décembre 2013, A.________ a déposé une annonce d'appel contre le jugement au fond, ainsi qu'une requête de libération immédiate; cette dernière a été rejetée par la Présidente de la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois le 23 décembre suivant, autorité qui a constaté l'existence de risques de fuite et de récidive.
B. A la suite de la notification de l'arrêt rédigé du Tribunal correctionnel, A.________ a motivé son appel par mémoire du 30 janvier 2014, concluant notamment au prononcé d'une peine privative de liberté compatible avec le sursis partiel, celui-ci devant être accordé au moins pour deux ans. Il a en outre requis sa mise en liberté immédiate. Le 3 février 2014, le Ministère public vaudois, agissant par son Procureur général, a demandé l'admission de cette seconde demande; il a cependant requis le prononcé de mesures de substitution similaires à celles qui, pendant l'instruction pénale, avaient été ordonnées le 27 septembre 2011 au moment de la remise en liberté du prévenu - détenu alors depuis le 23 septembre 2010 -, soit la poursuite du traitement de type psychothérapeutique auprès du Service de médecine et psychiatrie pénitentiaires (SMPP), l'interdiction d'entretenir toute relation avec les personnes victimes et/ou lésées par les actes retenus à sa charge et l'interdiction de participer à quel titre que ce soit, à titre professionnel ou non, à des activités, scolaires ou associatives notamment, comportant un contact avec des personnes de sexe féminin âgées de moins de dix-huit ans.
Le 3 février 2014, la Présidente de la Cour d'appel pénale a rejeté cette requête, retenant l'existence d'un risque de récidive, le défaut de mesure de substitution suffisante pour pallier ce danger et le respect du principe de proportionnalité s'agissant de la durée de la détention.
C. Par acte du 6 février 2014, A.________ forme un recours en matière pénale contre ce jugement, concluant à sa mise en liberté et à l'annulation du traitement psychiatrique ambulatoire en détention ordonné par jugement du 19 décembre 2013 (ch. II). A titre subsidiaire, il requiert sa mise en liberté et le prononcé des mesures de substitution suivantes: poursuite d'un traitement de type psychothérapeutique auprès du SMPP, interdiction d'entretenir toute relation avec les personnes victimes et/ou lésées par les actes retenus à sa charge dans le prononcé susmentionné, ainsi que de participer, à quelque titre que ce soit, à des activités, professionnelles ou non, scolaires ou associatives notamment, comportant un contact avec des personnes de sexe féminin âgées de moins de dix-huit ans (ch. III).
Invités à se déterminer, la Présidente de la Cour d'appel pénale s'est référée aux considérants de sa décision, tandis que le Procureur général vaudois a demandé l'admission du recours, renvoyant essentiellement aux déterminations qu'il avait déposées devant l'instance précédente.
 
Considérant en droit:
1. Le recours en matière pénale (art. 78 al. 1 LTF) est en principe ouvert contre les décisions relatives à la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté au sens des art. 212 ss CPP. Formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision prise en dernière instance cantonale (art. 80 LTF) et qui touche le recourant - actuellement détenu - dans ses intérêts juridiquement protégés (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF), le recours en matière pénale est donc recevable.
2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). La partie recourante peut cependant critiquer les constatations de faits si ceux-ci ont été établis de manière manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF, en particulier en violation de l'interdiction de l'arbitraire consacrée à l'art. 9 Cst. (art. 105 al. 2 LTF; ATF 139 II 404 consid. 10.1 p. 445; 138 I 49 consid. 7.1 p. 51). La correction du vice doit en outre être susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
En l'occurrence, le recourant soutient que la juridiction précédente aurait retenu à tort qu'il n'aurait pas contesté les décisions relatives à la détention du 19 et du 23 décembre 2013, dès lors qu'il aurait déposé le 20 décembre 2013 une requête de mise en liberté. Si une telle demande a effectivement été formée par le recourant - avec comme conséquence le second prononcé susmentionné -, il n'a en revanche pas déposé de recours formel contre l'une ou l'autre de ces décisions, une telle constatation n'étant dès lors pas arbitraire. Quant à l'argument tendant à soutenir qu'il devait attendre la motivation du jugement au fond pour les contester, il est dénué de pertinence, puisque dans les deux cas, il disposait des motifs relatifs à la mise en détention; il ne se prévaut d'ailleurs d'aucune violation du droit d'être entendu à ce propos.
Partant, ce grief doit être écarté.
3. Une mesure de détention préventive n'est compatible avec la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH) que si elle repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce l'art. 221 CPP. Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst., 212 al. 3 CPP). Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par les besoins de l'instruction, un risque de fuite ou un danger de collusion ou de réitération (art. 221 al. 1 let. a, b et c CPP).
Préalablement à l'examen de ces hypothèses, il doit exister à l'égard de l'intéressé des charges suffisantes, soit de sérieux soupçons de culpabilité (art. 221 al. 1 CPP et 5 § 1 let. c CEDH; arrêt 1B_63/2007 du 11 mai 2007 consid. 3 non publié in ATF 133 I 168). Cette condition n'est pas remise en cause en l'espèce, étant en particulier relevé que le recourant ne forme appel que contre la quotité de la peine à laquelle le tribunal de première instance l'a condamné, ne semblant pas critiquer en revanche les faits et/ou la qualification juridique retenus par cette autorité.
4. Le recourant conteste l'existence d'un risque de récidive, dès lors que depuis deux ans et trois mois, il se serait conformé aux injonctions qui lui avaient été fixées dans le cadre de sa relaxe en septembre 2011. En particulier, il prétend qu'il ne représenterait pas un danger concret pour la collectivité, alléguant n'avoir dans toutes ses activités aucune relation avec des jeunes filles. Enfin, selon le recourant, l'audience d'appel ne pourrait pas se tenir le 31 mars 2014, respectivement que durant les seules trois heures planifiées, au vu des mesures d'instruction qu'il avait requises, dont un complément d'expertise.
4.1. Aux termes de l'art. 221 al. 1 let. c CPP, la détention provisoire peut être ordonnée lorsqu'il y a lieu de craindre que le prévenu compromette sérieusement la sécurité d'autrui par des crimes ou des délits graves après avoir déjà commis des infractions du même genre. Selon la jurisprudence, il convient de faire preuve de retenue dans l'appréciation du risque de récidive: le maintien en détention ne peut se justifier pour ce motif que si le pronostic est très défavorable et si les délits dont l'autorité redoute la réitération sont graves (ATF 137 IV 13 consid. 4.5 p. 21; 135 I 71 consid. 2.3 p. 73 et les arrêts cités). La jurisprudence se montre moins sévère dans l'exigence de vraisemblance lorsqu'il s'agit de délits de violence graves, car le risque à faire courir aux victimes potentielles est alors considéré comme trop important; en pareil cas, il convient de tenir compte de l'état psychique du prévenu, de son imprévisibilité ou de son agressivité (ATF 123 I 268 consid. 2e p. 271).
Bien qu'une application littérale de l'art. 221 al. 1 let. c CPP suppose l'existence d'antécédents, le risque de réitération peut être également admis dans des cas particuliers alors qu'il n'existe qu'un antécédent, voire aucun dans les cas les plus graves. La prévention du risque de récidive doit en effet permettre de faire prévaloir l'intérêt à la sécurité publique sur la liberté personnelle du prévenu (ATF 137 IV 13 consid. 3 à 4 p. 18 ss; arrêt 1B_133/2011 du 12 avril 2011 consid. 4.7 in SJ 2011 I p. 484). Le risque de réitération peut également se fonder sur les infractions faisant l'objet de la procédure pénale en cours, si le prévenu est fortement soupçonné - avec une probabilité confinant à la certitude - de les avoir commises (ATF 137 IV 84 consid. 3.2 p. 86 et les références citées).
4.2. En l'occurrence, contrairement à ce que voudrait croire le recourant, le danger de réitération existe, ainsi que cela ressort expressément de l'expertise psychiatrique figurant au dossier. Les experts ont d'ailleurs qualifié celui-ci d'élevé en raison de la banalisation de ses actes par le recourant et indiqué que "la nature des nouvelles infractions dépendr[ait] en partie du nouveau contexte social dans lequel l'expertisé évoluer[ait] et ser[ait] certainement lié aux infractions commises à ce jour". Certes, dans l'intervalle, le recourant a débuté un traitement dans le sens préconisé par l'expertise. Cependant, le rapport qu'il produit a été établi par sa psychologue traitante à l'attention de son mandataire. Cette thérapeute, qui certes n'avait pas à se prononcer sur le risque de récidive, mentionne uniquement qu'il lui "paraît que le patient évolue positivement" sans indiquer sur quel plan et/ou dans quelle mesure. Elle se limite ensuite à rapporter les impressions - subjectives - constatées par le recourant (sentiment d'un changement personnel et commentaires de proches qui auraient constaté cette évolution). Ce rapport ne permet donc pas de s'écarter du pronostic défavorable retenu par les psychiatres en avril 2011.
En outre, les infractions reprochées au recourant sont d'une extrême gravité, non seulement par leur nombre, mais aussi en raison de la durée pendant laquelle il les a commises (entre le 1er août 2000 et le 31 août 2010), appréciation par ailleurs partagée par le Ministère public (cf. p. 2 de ses observations). Abusant ainsi pendant près de dix ans de la position dominante que lui offrait sa qualité d'enseignant pour manipuler de jeunes adolescentes, il les soumettait à son emprise, s'assurant de plus avec les nouvelles élèves de la continuité de ce mécanisme. Certes, après une première période de détention d'un an, il semble n'avoir pas commis de nouvelle infraction pendant les deux années suivantes; cependant, cette période correspond aussi au temps nécessaire pour clôturer l'instruction et renvoyer le recourant en jugement. Au vu de l'effet que peut avoir le prononcé de première instance - s'écartant de loin des trente mois de peine privative de liberté, dont douze mois fermes, requis par le Ministère public - et du fait que sa propre thérapeute a reconnu que "les thérapies relatives à des auteurs d'infractions à caractère sexuel sont des traitements à "très long terme", la durée du traitement suivi ne paraît pas permettre à ce jour d'assurer que les mécanismes pervers développés pour mettre en place et assurer sur une si longue période ce mode de vie délictueux puissent avoir disparu ou pour le moins être réduits dans une mesure qui garantirait de manière suffisante que le recourant ne reproduise pas ces mêmes schémas.
Par conséquent, la Présidente de la Cour d'appel pénale pouvait retenir l'existence d'un risque concret de récidive sans violer le droit fédéral.
4.3. Conformément au principe de proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.), il convient encore d'examiner les possibilités de mettre en oeuvre d'autres solutions moins dommageables que la détention. Cette exigence est concrétisée par l'art. 237 al. 1 CPP, qui prévoit que le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention si celles-ci permettent d'atteindre le même but.
4.3.1. Les mesures de substitution proposées ne paraissent pas suffisantes pour parer tout danger de réitération.
Tout d'abord, il y a lieu de constater que, pendant dix ans, le recourant a érigé son comportement gravement délinquant en mode de vie social, sexuel, voire "conjugal". Dans de telles circonstances, l'adoption d'un fonctionnement différent apparaît particulièrement difficile à mettre en place.
Au demeurant, si les experts ont indiqué qu'un suivi psychiatrique et psychothérapeutique pourrait avoir un effet favorable en vue d'une diminution du risque de récidive, ils ont aussi ajouté qu'un tel effet était lié à la prise de conscience de l'expertisé. Or, tel ne semble pas le cas en l'espèce, constatation également relevée par le Procureur général (cf. p. 2 de ses observations). En effet, après pourtant près de trois ans d'instruction, une année de détention et plus de deux ans de thérapie, le recourant n'a consenti à indemniser ses victimes qu'à l'approche des audiences de jugement (cf. la convention signée par une victime le 16 décembre 2013) ou lors de la séance (cf. le procès-verbal de ladite audience, p. 11). Ce comportement est un indice supplémentaire permettant de douter que le traitement suivi à ce jour ait diminué d'une manière significative le danger de réitération; il est encore rappelé qu'en octobre 2013, sa propre thérapeute ne fait que rapporter les impressions du recourant s'agissant d'un possible changement. Quant aux deux autres mesures proposées, en particulier celle interdisant des activités en contact avec des mineures, la Présidente de la Cour d'appel pénale a relevé avec raison qu'il n'est pas possible d'en assurer le contrôle; cela vaut d'autant plus que, si le recourant n'a plus à ce jour de fonction d'enseignant, il continue d'exercer dans le même domaine que celui où il a commis les infractions reprochées.
Il apparaît ainsi qu'au regard des conséquences graves découlant des infractions commises - notamment les traumatismes qu'ont subis et que ressentent encore aujourd'hui ses nombreuses victimes (cf. en particulier les déclarations de celles-ci, ainsi que de la mère d'une d'entre elles figurant au procès-verbal des audiences des 16 et 17 décembre 2013 [p. 4, 5, 8, 9, 14 et 16 ss], ainsi que les attestations médicales présentées par l'une d'elles [pièces du dossier pénal 200/2 annexes 3a et 3b, ainsi que 202/2]) -, il s'impose de privilégier la sécurité publique sur la liberté personnelle du recourant. Au demeurant, il ressort du rapport psychiatrique que le genre de traitement préconisé peut être suivi en détention; cela semble d'ailleurs avoir été le cas lors de la détention avant jugement (cf. p. 2 de son mémoire d'appel). Cette mesure ne paraît pas non plus propre à empêcher le recourant de poursuivre son activité de dramaturge, puisqu'il ne prétend pas que celle-ci devrait être exercée dans un lieu déterminé (cf. p. 8 du mémoire susmentionné).
Partant, l'autorité précédente a retenu à juste titre qu'aucune mesure de substitution ne permettait d'exclure le risque de récidive, notamment d'actes de même nature dont les conséquences sont d'une extrême gravité.
4.3.2. Le recourant ne prétend enfin pas que la durée de la détention violerait le principe de proportionnalité. En effet, selon la jurisprudence, lorsque le détenu a déjà été jugé en première instance, ce prononcé constitue un indice important quant à la peine susceptible de devoir être finalement exécutée, étant aussi rappelé que le juge de la détention n'a pas à prendre en considération la possibilité que le prévenu se voit accorder un sursis partiel (ATF 139 IV 270 consid. 3.1 p. 275). En l'espèce, il semble également qu'une audience d'appel est d'ores et déjà planifiée à fin mars 2014. Il appartiendra à la juridiction d'appel, et non au Tribunal de céans, d'examiner si la durée de la séance prévue est suffisante et, cas échéant, d'envisager la tenue d'une seconde audience à bref délai.
5. Il en découle que le recours doit être rejeté.
Le recourant qui succombe supporte les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 1 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1. Le recours est rejeté.
2. Il n'est pas alloué de dépens.
3. Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant qui succombe.
4. Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Procureur général du canton de Vaud et à la Présidente de la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 27 février 2014
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Fonjallaz
La Greffière: Kropf