BGer 8C_411/2013
 
BGer 8C_411/2013 vom 26.03.2014
{T 0/2}
8C_411/2013
 
Arrêt du 26 mars 2014
 
Ire Cour de droit social
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Ursprung, Juge présidant, Frésard et Heine.
Greffière: Mme Fretz Perrin.
Participants à la procédure
D.________,
représentée par Me Raphaël Tatti, avocat,
recourante,
contre
Centre social régional X.________,
intimé.
Objet
Aide sociale (formalisme excessif),
recours contre le jugement du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public,
du 29 avril 2013.
 
Faits:
 
A.
A.a. D.________, née en 1977, a bénéficié de l'aide sociale vaudoise entre avril 2001 et mai 2002. Le 10 septembre 1999, elle avait signé un document donnant ordre au Bureau de recouvrement et d'avances de pensions alimentaires (ci-après: BRAPA) de verser au Centre social régional X.________ (ci-après: CSR) toutes les avances sur pensions alimentaires qu'elle recevrait pour sa fille. Dès le mois d'avril 2001, à la suite d'une erreur du BRAPA, les avances sur pensions alimentaires ont été versées directement en mains de D.________. Selon le décompte établi par le BRAPA, ces avances se sont élevées à 7'174 fr. 30 entre avril 2001 et mai 2002.
Pour avoir omis de déclarer qu'elle avait reçu entre avril 2001 et mai 2002 des avances sur pensions alimentaires du BRAPA en dépit de l'ordre de paiement du 10 septembre 1999, D.________ a été condamnée, sur dénonciation du CSR, à une amende de 300 fr. selon prononcé du Préfet du 5 février 2003. Citée à l'audience du 4 février 2003, l'intéressée a admis les faits.
Par courrier du 23 octobre 2003, le Service de prévoyance et d'aide sociales (ci-après: SPAS), qui était l'autorité compétente pour rendre des décisions de remboursement fondées sur l'ancienne loi du 25 mars 1977 sur la prévoyance et l'aide sociale (LPAS), a informé D.________ qu'il acceptait sa proposition de rembourser par acomptes mensuels de 100 fr. le montant de 7'174 fr. 30.
A.b. Après avoir constaté qu'elle n'avait remboursé que 5'600 fr. entre novembre 2003 et septembre 2008 sur les 7'174 fr. 30, le CSR a rendu une décision le 3 août 2011 par laquelle il a demandé à D.________ de rembourser le restant dû de 1'574 fr. 30.
Par décision du 19 juin 2012, le SPAS a rejeté le recours interjeté le 7 septembre 2011 par l'intéressée et confirmé la décision du CSR du 3 août 2011. Il a également rejeté la demande de D.________ de bénéficier d'une remise de dette, celle-ci n'en remplissant pas les conditions.
A.c. Par lettre du 20 juillet 2012, le CSR a imparti à D.________ un délai jusqu'au 20 août 2012 pour rembourser le montant de 1'574 fr. 30.
Le 14 août 2012 (date du timbre postal), D.________ a interjeté un recours contre " la décision du Centre social régional X.________ du 20 juillet 2012 ", concluant à la suppression de l'obligation de rembourser les prestations reçues entre 2001 et 2002, notamment pour des raisons de prescription.
Par décision du 28 août 2012, le SPAS a déclaré irrecevable le recours interjeté par D.________ le 14 août 2012, dès lors que la lettre du 20 juillet 2012 ne constituait pas une décision mais une simple confirmation de la décision du SPAS du 19 juin 2012.
Le 30 août 2012, le CSR a adressé à l'intéressée un ultime délai au 30 septembre 2012 pour rembourser le montant de 1'574 fr. 30, faute de quoi il entamerait une procédure de recouvrement.
B. Par lettre du 25 septembre 2012 (date du timbre postal) adressée au SPAS, D.________ a contesté l'irrecevabilité de son recours du 14 août 2012. Elle a notamment fait valoir que la lettre du 20 juillet 2012 avait soit un caractère décisionnel et son recours du 14 août 2012 était dès lors recevable, soit elle était une confirmation de la décision du 19 juin 2012, auquel cas son recours du 14 août 2012 devait être considéré comme ayant été interjeté en temps utile contre la décision du 19 juin 2012. Le SPAS a transmis cette lettre à la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud comme objet de sa compétence.
Par arrêt du 29 avril 2013, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté le recours de D.________ en tant qu'il était dirigé contre la décision du SPAS du 28 août 2012 et l'a déclaré irrecevable en tant qu'il était dirigé contre la décision du SPAS du 19 juin 2012.
C. Agissant par la voie du recours en matière de droit public et du recours constitutionnel subsidiaire, D.________ demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler l'arrêt du Tribunal cantonal du 29 avril 2013 et de renvoyer la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Le CSR conclut au rejet du recours.
 
Considérant en droit:
1. Le jugement attaqué a été rendu par une autorité cantonale de dernière instance dans une cause de droit public (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF), sans qu'aucune des exceptions prévues par l'art. 83 LTF ne soit réalisée. Il peut donc faire l'objet d'un recours en matière de droit public au sens des art. 82 ss LTF, de sorte que le recours constitutionnel subsidiaire est exclu (art. 113 LTF). Cela étant, l'intitulé erroné d'un recours ne nuit pas à son auteur, pour autant que les conditions de recevabilité du recours qui aurait dû être interjeté soient réunies (ATF 134 III 379 consid. 1.2 p. 382). Dans ces conditions, les griefs soulevés dans la partie du recours intitulée " recours constitutionnel subsidiaire " peuvent être traités dans le cadre du recours en matière de droit public (cf. arrêts 5A_677/2013 du 6 décembre 2013 consid. 1.2; 5A_916/2012 du 12 février 2013 consid. 1.3; 1C_36/2010 du 18 février 2011 consid. 2).
 
2.
2.1. Dans un recours au Tribunal fédéral, aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF). L'exclusion des faits et moyens de preuve nouveaux est la règle. Aussi bien, le Tribunal fédéral est juge du droit, et non du fait. Cette règle connaît une exception lorsque c'est la décision de l'autorité précédente qui, pour la première fois, a rendu pertinents ces faits ou moyens de preuve. Il peut s'agir, notamment, de faits et moyens de preuve qui se rapportent à la procédure conduite devant l'instance précédente, telle une prétendue irrégularité affectant la composition de l'autorité ayant rendu la décision querellée (arrêt 4A_425/2012 du 26 février 2013 consid. 3.1.2).
2.2. La recourante soutient qu'elle n'a appris qu'à la lecture de l'arrêt du 29 avril 2013 que la juge P.________ faisait partie de la composition de la Cour ayant statué sur son recours alors que dans un courrier du 15 avril 2013, la Cour de droit administratif et public lui avait expressément signalé qu'elle statuerait dans une composition constituée du président R.________ ainsi que des juges assesseurs T.________ et G.________, ce dernier en remplacement de P.________.
2.3. Invoquant une violation des art. 6 § 1 CEDH et 28 Cst-VD, la recourante soutient que, du fait de la présence de la juge assesseur P.________, laquelle était " une ancienne collègue " de travail, l'autorité précédente ne constituait pas un tribunal indépendant et impartial.
2.4. La garantie d'un tribunal indépendant et impartial résultant des art. 28 Cst-VD (RSV 101.01) et 6 § 1 CEDH - qui ont, de ce point de vue, la même portée - permet, indépendamment du droit de procédure cantonal, de demander la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. Elle vise à éviter que des circonstances extérieures à l'affaire puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective est établie, parce qu'une disposition relevant du for intérieur ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence d'une prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Cependant, seules des circonstances objectivement constatées doivent être prises en compte, les impressions purement subjectives de la partie qui demande la récusation n'étant pas décisives (ATF 137 I 227 consid. 2.1 p. 229; 136 III 605 consid. 3.2.1 p. 608 s.; 136 I 207 consid. 3.1 p. 210; 134 I 20 consid. 4.2 p. 21, 238 consid. 2.1 p. 240).
Il a déjà été jugé qu'une relation d'amitié ou d'inimitié entre un juge et une personne intéressée à l'issue de la procédure, telle qu'une partie ou son mandataire, ne pouvait constituer un motif de récusation que dans des circonstances spéciales, qui ne peuvent être admises qu'avec retenue; il faudrait qu'il y ait un lien qui, par son intensité et sa qualité, soit de nature à faire craindre objectivement qu'il influence le juge dans la conduite de la procédure et dans sa décision (ATF 138 I 1 consid. 2.4 p. 5).
2.5. En l'espèce, la recourante ne prétend pas qu'il existerait une inimitié particulière entre elle et la juge concernée. Le seul fait que la juge en question aurait été une collègue de travail de la recourante (on ne sait cependant ni à quel moment, ni dans quelles circonstances), ne suffit pas, en l'absence de lien particulier au sens de la jurisprudence, à fonder une apparence de partialité de ladite magistrate. En l'absence d'indice permettant objectivement de retenir une quelconque apparence de prévention, en particulier une inimitié entre la juge et la recourante, le grief de violation des art. 6 § 1 CEDH et 28 Cst-VD n'est pas fondé.
 
3.
3.1. Sur le fond, les premiers juges ont confirmé la décision du SPAS du 28 août 2012, par laquelle ce dernier a déclaré irrecevable le recours interjeté par D.________ le 14 août 2012, au motif que la lettre du 20 juillet 2012 ne constituait pas une décision.
La recourante soutient que la juridiction cantonale a fait preuve de formalisme excessif en considérant son recours du 14 août 2012 irrecevable en tant qu'il était dirigé contre la lettre du 20 juillet 2012 et en n'admettant pas qu'il puisse être dirigé - en temps utile compte tenu des féries - contre la décision du 19 juin 2012.
3.2. Le formalisme excessif est un aspect particulier du déni de justice prohibé par l'art. 29 al. 1 Cst. Il est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la mise en oeuvre du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux (cf. ATF 135 I 6 consid. 2.1 p. 9). En tant qu'elle sanctionne un comportement répréhensible de l'autorité dans ses relations avec le justiciable, l'interdiction du formalisme excessif vise le même but que le principe de la bonne foi consacré aux art. 5 al. 3 et 9 Cst. Ce principe commande à l'autorité d'éviter de sanctionner par l'irrecevabilité les vices de procédure aisément reconnaissables qui auraient pu être redressés à temps, lorsqu'elle pouvait s'en rendre compte suffisamment tôt et les signaler utilement au plaideur (cf. ATF 125 I 166 consid. 3a p. 170; arrêt 1C_39/2013 du 11 mars 2013 consid. 2.1).
3.3. La décision de restitution du 3 août 2011 a été confirmée le 19 juin 2012. Le délai de recours contre cette nouvelle décision a expiré le 22 août 2012, compte tenu des féries judiciaires prévues par le droit cantonal (cf. jugement cantonal consid. 2 p. 9). Si l'écriture de la recourante du 14 août 2012 devait être considérée comme un recours contre la décision du 19 juin 2012, le délai aurait donc été respecté.
Dans son courrier du 14 août 2012, la recourante a contesté clairement son obligation de restituer le montant de 1'574 fr. 30. En présence d'une telle contestation et du moment que le délai de recours contre la décision du 19 juin 2012 n'était pas encore expiré, le SPAS devait considérer ce courrier comme un recours contre ladite décision et le transmettre à la juridiction cantonale comme le prévoit l'art. 7 al. 1 de la loi vaudoise du 28 octobre 2008 sur la procédure administrative (LPA-VD; RSV 173.36) - cité dans le jugement attaqué et selon lequel l'autorité qui s'estime incompétente transmet la cause sans délai à l'autorité qu'elle juge compétente -. Peu importe que la recourante soit partie de l'idée erronée que le délai était expiré et qu'elle ait cru pouvoir recourir seulement contre la communication du 20 juillet 2012, laquelle n'ouvrait pas un nouveau délai de recours. L'intention de la recourante était quoi qu'il en soit de contester l'ordre de restitution qui lui avait été signifié. Selon les constatations du jugement attaqué, le délai de recours venait à échéance le mercredi 22 août 2012. La lettre du 14 août est parvenue à l'autorité le 15 août 2012 (selon le timbre apposé sur cette lettre). Le SPAS ne pouvait se contenter de refuser d'entrer en matière. A tout le moins aurait-il dû inviter la recourante à lui faire savoir si elle entendait que son mémoire du 14 août 2012 soit traité comme un recours dirigé contre la décision du 19 juin 2012 et, le cas échéant, le transmettre à l'autorité judiciaire. En déclarant irrecevable son recours du 14 août 2012 au motif que celui-ci était dirigé contre la lettre du 20 juillet 2012, il a fait preuve de formalisme excessif, tout comme la juridiction cantonale qui a confirmé cette manière de procéder. Il y a dès lors lieu d'annuler le jugement entrepris et de renvoyer la cause à la Cour de droit administratif et public du tribunal cantonal pour qu'elle se saisisse du recours interjeté le 14 août 2012 contre la décision du 19 juin 2012.
4. Le recours est bien fondé. Les frais de la cause et les dépens seront supportés par l'intimé (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1. Le recours constitutionnel subsidiaire est irrecevable.
2. Le recours en matière de droit public est admis. Le jugement du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, du 29 avril 2013 est annulé.
3. La cause est renvoyée à l'autorité précédente pour nouveau jugement au sens des motifs.
4. Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de l'intimé.
5. L'intimé versera à la recourante la somme de 2'800 fr. à titre de dépens pour la procédure fédérale.
6. Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public.
Lucerne, le 26 mars 2014
Au nom de la Ire Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant: Ursprung
La Greffière: Fretz Perrin