BGer 1B_34/2014 |
BGer 1B_34/2014 vom 15.04.2014 |
{T 0/2}
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1B_34/2014
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Arrêt du 15 avril 2014 |
Ire Cour de droit public |
Composition
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MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président,
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Merkli et Chaix.
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Greffière: Mme Tornay Schaller.
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Participants à la procédure
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A.________, représentée par Maîtres Paul Gully-Hart et Benoît Mauron, avocats,
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recourante,
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contre
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Ministère public du canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy.
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Objet
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Procédure pénale, refus de séquestrer à l'étranger,
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recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 19 décembre 2013.
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Faits: |
A. Dans le cadre d'une procédure pénale ouverte en mai 2010 à l'encontre de B.________ pour délits financiers, C.________ a été prévenu, le 3 septembre 2012, de gestion déloyale, d'abus de confiance et d'escroquerie pour avoir reçu plus de 22 millions USD destinés à des investissements immobiliers, notamment au Costa Rica, et pour avoir utilisé cet argent à d'autres fins. Le 1 er novembre 2012, D.________ a aussi été mis en prévention pour gestion déloyale notamment pour avoir reçu plus de 10 millions d'euros destinés à des investissements au Montenegro, "investissements dont la réalité s'agissant de la valeur est plus que douteuse". La société A.________ est une des nombreuses parties plaignantes dans cette procédure.
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Par ordonnances des 16, 24 et 25 avril 2013, le Ministère public du canton de Genève a ordonné le séquestre en vue de garantir la créance compensatrice des parts de copropriété de C.________ sur des immeubles sis à Collonges-Bellerive et à Genève ainsi que l'inscription au registre foncier de la restriction du droit d'aliéner. Par ordonnance du 16 avril 2013, le Ministère public a rejeté la demande d'autres saisies pénales à but conservatoire que la société A.________ avait formulée, avec d'autres parties plaignantes. Il a fondé son refus sur le fait que le recouvrement des séquestres demandés était pour le moins aléatoire, les biens à séquestrer étant pour l'essentiel sis à l'étranger, notamment dans des pays avec lesquels l'entraide internationale demeure incertaine. Il a encore précisé que rien n'empêchait les parties plaignantes d'intenter une action civile dans les Etats en question.
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B. La société A.________ a recouru contre cette ordonnance auprès de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la cour cantonale). Par arrêt du 19 décembre 2013, celle-ci a déclaré le recours irrecevable. Elle a considéré en substance qu'une voie de droit n'était pas ouverte contre les décisions de rejet de réquisition de preuve prises en application de l'art. 313 al. 1 CPP.
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C. Agissant par la voie du recours en matière pénale, la société A.________ demande principalement au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal et d'ordonner au Ministère public "de procéder par toute voie utile afin d'obtenir le séquestre conservatoire des biens appartenant à D.________ et à C.________, au nom de ceux-ci, ou qui appartiennent en réalité à ceux-ci même s'ils semblent détenus par des tiers". S'ensuit une liste d'immeubles, d'actions et d'avoirs bancaires localisés notamment en Italie, en Belgique, au Monténégro et au Costa Rica. La société A.________ conclut subsidiairement au renvoi de la cause à l'instance précédente pour complément d'instruction et nouvelle décision au sens des considérants.
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Le Ministère public conclut au rejet du recours et fait siens les motifs retenus par la cour cantonale. La Cour de justice se réfère à sa décision et renonce à présenter des observations. La recourante a répliqué par courrier du 18 février 2014.
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Considérant en droit: |
1. Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (art. 29 al. 1 LTF).
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1.1. Dirigé contre une décision rendue en matière pénale (art. 78 al. 1 LTF) par une autorité de dernière instance cantonale (art. 80 al. 2 LTF), le recours en matière pénale a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF), par la destinataire de la décision attaquée qui a succombé devant l'autorité précédente.
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1.2. La décision par laquelle le Ministère public refuse de mettre sous séquestre pénal des objets déterminés constitue une décision incidente puisqu'elle ne met pas fin à la procédure pénale (cf. ATF 128 I 129 consid. 1 p.131; 126 I 97 consid. 1b p. 100 et les références). Le recours n'est dès lors recevable, selon l'art. 93 al. 1 let. a LTF, que si l'acte attaqué est susceptible de causer un préjudice irréparable. Il appartient à la recourante d'indiquer en quoi la décision incidente est susceptible de lui causer un tel préjudice, à tout le moins lorsque cela n'est pas évident (ATF 136 IV 92 consid. 4 p. 95). Selon la jurisprudence (ATF 126 I 97 consid. 1b p. 101 et les arrêts cités), l'ordonnance qui refuse de procéder au séquestre pénal d'objets déterminés pour garantir d'éventuelles prétentions en restitution est susceptible de causer un préjudice irréparable. Tel est le cas en l'occurrence.
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1.3. Aux termes de l'art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à recourir au Tribunal fédéral si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles. Constituent de telles prétentions celles qui sont fondées sur le droit civil et doivent en conséquence être déduites ordinairement devant les tribunaux civils (ATF 137 IV 246 consid. 1.3.1 p. 248). Le recours est également recevable de ce point de vue, puisque la recourante, qui a pris part à la procédure devant la Cour de justice, a formulé des prétentions civiles dans sa plainte pénale du 11 octobre 2011 et a demandé la réparation de son dommage. Pouvant, cas échéant, se voir allouer le montant d'une créance compensatrice (art. 73 al. 1 let. c CP), elle a un intérêt juridique à l'annulation de la décision entreprise qui, en levant les séquestres, la prive de garantie de paiement au cas où un tel prononcé devrait être rendu en sa faveur. Il y a lieu, dès lors, d'entrer en matière.
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1.4. La cour cantonale ayant refusé d'entrer en matière sur le recours, seule la question de la recevabilité du recours cantonal peut être portée devant le Tribunal fédéral qui n'a, à ce stade, pas à examiner le fond de la contestation, soit les conditions pour prononcer un séquestre conservatoire. Les conclusions de la recourante tendant au séquestre des objets qu'elle énumère sont donc irrecevables. Il en va de même des griefs relatifs à l'établissement manifestement inexact des faits, à l'appréciation arbitraire des preuves, à la violation du droit d'être entendu et à l'application erronée des art. 263 ss CPP, 70 ss CP et 18 de la loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale du 20 mars 1981 (EIMP; RS 351.1). En cas d'admission du recours, la cause devrait être renvoyée à la Cour de justice pour qu'elle entre en matière sur le recours et statue au fond.
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2. La recourante reproche à l'instance précédente d'avoir qualifié son recours de contestation formée contre un rejet de réquisition de preuve, à savoir de mesure probatoire, alors que les demandes de mise sous séquestre litigieuses visaient des fins exclusivement conservatoires.
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Après avoir précisé que le séquestre recherché ne revêtait pas de valeur probatoire, l'instance précédente a considéré que la cause devait s'examiner à la lumière de l'art. 313 al. 1 CPP, disposition selon laquelle "le ministère public administre les preuves nécessaires pour statuer sur les conclusions civiles dans la mesure où cela n'étend ou ne retarde pas notablement la procédure". La cour cantonale a ensuite estimé que le recours n'était pas ouvert contre le rejet de réquisitions de preuve tombant sous le coup de l'art. 313 al. 1 CPP et a déclaré le recours irrecevable.
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Ce raisonnement ne peut être suivi. Il n'y a en effet pas lieu d'appliquer l'art. 313 al. 1 CPP en l'occurrence. Cet article, qui se situe dans le chapitre du CPP relatif aux mesures d'instruction (art. 311 ss CPP), vise les mesures probatoires; son intitulé "Administration de preuves en relation avec des conclusions civiles" est d'ailleurs explicite. Or en l'espèce, la décision qui refuse d'ordonner des séquestres conservatoires n'appartient pas à la catégorie des mesures probatoires, mais à celle des mesures conservatoires. Il ne s'agit aucunement d'utiliser les objets dont le séquestre est demandé comme moyens de preuve. C'est donc à tort que la Cour de justice a qualifié le recours qui lui était soumis de rejet de réquisition de preuve, ce d'autant plus qu'elle a relevé de façon paradoxale à plusieurs reprises que les requêtes de la recourante ne revêtaient pas de valeur probatoire. Il s'ensuit que le recours contre le refus d'ordonner un séquestre conservatoire est ouvert devant l'autorité de recours cantonale en vertu de l'art. 393 al. 1 let. a CPP.
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3. Par conséquent, le recours est admis et l'arrêt cantonal annulé. La cause est renvoyée à la Cour de justice afin qu'elle entre en matière et statue sur les arguments de fond. Il n'y a pas lieu de percevoir de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). La recourante, assistée d'un avocat, a droit à des dépens, à la charge de l'Etat de Genève (art. 68 al. 1 LTF). Il appartiendra à la cour cantonale de statuer également sur le sort des frais et des dépens cantonaux.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: |
1. Le recours est admis; l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la Cour de justice pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
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2. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
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3. Une indemnité de 2'000 francs est allouée à la recourante à titre de dépens, à la charge de l'Etat de Genève.
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4. Le présent arrêt est communiqué aux mandataires de la recourante, au Ministère public et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale de recours.
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Lausanne, le 15 avril 2014
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Au nom de la Ire Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Président: Fonjallaz
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La Greffière: Tornay Schaller
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