Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
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{T 0/2}
8C_896/2013
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Arrêt du 20 janvier 2015
Ire Cour de droit social
Composition
Mmes et MM. les Juges fédéraux Leuzinger, Présidente, Ursprung, Frésard, Maillard et Heine.
Greffier : M. Beauverd.
Participants à la procédure
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents, Fluhmattstrasse 1, 6004 Lucerne,
recourante,
contre
A.________,
représenté par Me Jean-Michel Duc, avocat,
intimé.
Objet
Assurance-accidents (moyen auxiliaire; prothèse de la jambe),
recours contre le jugement de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Fribourg du 21 octobre 2013.
Faits :
A.
A.________, né en 1963, alors mécanicien-électricien au service de la société B.________ SA, à V.________, a été victime d'un accident le 1
er avril 2001. Alors qu'il circulait à moto, une voiture arrivant trop vite en sens inverse s'est déportée à la sortie d'un virage et l'a violemment percuté au niveau du flanc gauche. Il a subi de multiples lésions. Il a dû être amputé de la jambe gauche à mi-cuisse. Il a perdu l'usage du bras gauche. La Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA) lui a alloué une rente d'invalidité fondée sur une incapacité de gain de 100 % et une indemnité pour atteinte à l'intégrité de 90 %, ainsi qu'une allocation pour impotence de degré faible.
Entre autres moyens auxiliaires, la CNA a pris en charge la pose d'une prothèse mécanique de la jambe gauche de type CAT-CAM. A l'occasion du changement du fût prothétique en 2011, l'assuré a demandé la prise en charge d'une prothèse CAT-CAM avec un genou robotique C-Leg. Selon une lettre de la société C.________ Sàrl du 31 août 2011, le "total Knee" qui équipait la prothèse actuelle ne convenait pas. En effet, du fait que cette articulation repose sur le principe d'un genou totalement libre, elle se révèle être impossible à contrôler par le patient et devient même particulièrement dangereuse à l'usage. Le coût du renouvellement de la prothèse incluant un genou C-Leg était devisé à 41'049 fr. 55.
A la demande du docteur D.________, médecin-chef du service d'orthopédie et de traumatologie de l'Hôpital E.________, l'assuré a été adressé en vue d'une évaluation ("assessement") à la Clinique F.________, établissement agréé pour la réalisation d'une telle évaluation. Celle-ci a eu lieu les 7 décembre 2011 et 13 janvier 2012. L'évaluation a permis de conclure que la prothèse robotisée de type C-Leg proposée était indiquée et que, en conséquence, sa prise en charge par la CNA se justifiait. Le docteur H.________, rattaché à la Division de médecine des assurances de la CNA, a établi une appréciation médicale le 8 mars 2012. Il a souligné que l'indication d'une prothèse robotisée avait été retenue chez l'assuré tant par ses médecins-orthopédistes traitants que par les spécialistes de la Clinique F.________, en raison de chutes à répétition, entraînant une forte insécurité, lors du port de la prothèse mécanique - que l'assuré bloquait le plus souvent en extension - et de l'utilisation toujours plus importante d'un fauteuil roulant. Il a conclu que l'octroi de la prothèse demandée visait avant tout à diminuer le risque de lésions traumatiques sur chute et d'éviter une détérioration de l'état général, en raison d'une sédentarité excessive. Il a toutefois indiqué que, même si la prescription d'une telle prothèse permettrait sans nul doute une amélioration des conditions de mobilité, il ne fallait pas s'attendre à une modification importante de la capacité de travail de l'intéressé, celle-ci apparaissant d'ores et déjà grevée par les autres séquelles accidentelles.
Par décision du 24 mai 2012, la CNA a toutefois considéré que les conditions n'étaient pas remplies pour l'octroi d'un genou C-Leg. Elle a considéré, en effet, que sa remise n'influencerait probablement pas le taux d'invalidité même si, médicalement, une prothèse de jambe, munie d'un C-Leg, pouvait se justifier. Saisie d'une opposition de l'assuré, elle a confirmé son refus par une nouvelle décision du 20 juillet 2012.
B.
A.________ a recouru contre la décision sur opposition. Statuant le 21 octobre 2013, la Ire Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Fribourg a admis le recours. Elle a annulé la décision attaquée et a reconnu le droit de l'assuré à la prise en charge par la CNA d'une prothèse de genou robotisée de type C-Leg.
C.
La CNA exerce un recours en matière de droit public contre ce jugement, dont elle demande l'annulation, assortie du rétablissement de sa décision sur opposition.
A.________ conclut au rejet du recours sous suite de frais et dépens. La cour cantonale et l'Office fédéral de la santé publique ont renoncé à se déterminer.
Considérant en droit :
1.
L'exception prévue à l'art. 105 al. 3 LTF, en liaison avec l'art. 97 al. 2 LTF, ne s'applique pas dès lors que le litige porte sur la prise en charge par l'assureur-accidents d'un moyen auxiliaire, soit une prestation en nature. Par conséquent, le Tribunal fédéral ne peut contrôler les constatations de fait de la juridiction précédente que dans les limites fixées à l' art. 105 al. 1 et 2 LTF , en relation avec l'art. 97 al. 1 LTF. Il statue donc en principe sur la base des faits établis par l'autorité précédente. L'art. 105 al. 2 LTF lui permet cependant de rectifier ou de compléter d'office les constatations de l'autorité précédente si les faits ont été établis de manière manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF. Cette disposition vise en particulier la violation de l'interdiction constitutionnelle de l'arbitraire (ATF 134 V 53 consid. 4.3 p. 62).
2.
Selon l'art. 11 LAA, l'assuré a droit aux moyens auxiliaires destinés à compenser un dommage corporel ou la perte d'une fonction; le Conseil fédéral établit la liste de ces moyens auxiliaires (al. 1). Les moyens auxiliaires sont d'un modèle simple et adéquat; l'assureur les remet en toute propriété ou en prêt (al. 2). A l'art. 19 OLAA (RS 832.202), le Conseil fédéral a délégué au Département fédéral de l'intérieur (DFI) la compétence de dresser la liste des moyens auxiliaires et d'édicter des dispositions sur la remise de ceux-ci. Ce département a édicté l'ordonnance du 18 octobre 1984 sur la remise de moyens auxiliaires par l'assurance-accidents (OMAA [RS 832.205.12]) avec, en annexe, la liste des moyens auxiliaires. Selon l'art. 1
er OMAA, l'assuré a droit aux moyens auxiliaires figurant sur la liste en annexe, dans la mesure où ceux-ci compensent un dommage corporel ou la perte d'une fonction qui résulte d'un accident ou d'une maladie professionnelle (al. 1). Le droit s'étend aux moyens auxiliaires nécessaires et adaptés à l'atteinte à la santé, d'un modèle simple et adéquat, ainsi qu'aux accessoires indispensables et aux adaptations qu'exige l'atteinte à la santé; le nombre et les caractéristiques des moyens auxiliaires doivent répondre tant aux exigences de la vie privée qu'à celles de la vie professionnelle (al. 2). L'annexe à l'OMAA comprend notamment des prothèses fonctionnelles pour les pieds et les jambes (ch. 1.01).
3.
3.1. La CNA ne conteste pas le droit de l'assuré au renouvellement de sa prothèse. Elle conteste le caractère simple et adéquat d'une prothèse de type C-Leg. Elle fait valoir que cette prothèse ne permettra pas à l'assuré de reprendre une activité professionnelle. Son usage serait donc sans influence sur le montant de la rente qu'il perçoit. Quoi qu'il en soit, il n'apparaît pas que dans son domaine d'activité, à savoir l'informatique, l'intéressé devrait nécessairement effectuer des déplacements sur terrains accidentés ou montagneux nécessitant le port d'une prothèse de type C-Leg pour réduire considérablement le risque de chutes. Il n'apparaît donc pas que la prestation en cause soit propre à atteindre le but fixé par la loi ni qu'il existe un rapport raisonnable entre le coût et l'utilité du moyen auxiliaire. S'il est incontestable que la prothèse robotisée est technologiquement meilleure et offre un confort supérieur, il n'en reste pas moins qu'un appareillage mécanique, lorsque le fût est adapté, compense pleinement la perte de fonction dont est victime l'assuré. Enfin, on ne saurait présumer que le surcoût lié à la prothèse C-Leg serait en fin de compte pris en charge par l'assurance de responsabilité civile du conducteur responsable de l'accident dont a été victime l'intéressé. Il n'est pas dit, soutient la recourante, qu'elle puisse en obtenir le remboursement. Toujours est-il, conclut la CNA, que l'assuré a la possibilité de s'adresser à l'assureur en responsabilité civile du tiers responsable afin d'obtenir le paiement de la différence de prix entre la prothèse mécanique et le modèle électronique. En effet, contrairement à l'assureur-accidents, l'assureur en responsabilité civile n'est pas limité dans la réparation du dommage civil liée à l'allocation des prestations légales telles que celles prescrites par l'art. 72 LPGA.
3.2.
3.2.1. Comme tout moyen auxiliaire, une prothèse pour les jambes doit répondre aux critères de simplicité et d'adéquation (art. 11 al. 2 LAA; art. 1
er al. 2 OMAA). Ces critères, qui sont l'expression du principe de proportionnalité, supposent d'une part que la prestation en cause soit propre à atteindre le but fixé par la loi et apparaisse nécessaire et suffisante à cette fin et, d'autre part, qu'il existe un rapport raisonnable entre le coût et l'utilité du moyen auxiliaire, compte tenu de l'ensemble des circonstances de fait et de droit du cas particulier (ATF 135 I 161 consid. 5.1 p. 165 et les références citées; arrêt 9C_265/2012 du 12 octobre 2012 consid. 3.4).
3.2.2. Le système C-Leg est une articulation hydraulique du genou contrôlée par un micro-processeur. Il permet une régulation électronique de la phase d'appui et de la phase pendulaire et s'adapte à la longueur de pas du patient. Un système de capteurs permet de récolter des données à tout moment du cycle de marche et de contrôler l'amortissement hydraulique. La personne portant la prothèse peut se mouvoir avec sécurité en variant la vitesse de marche, en terrains irréguliers et en montant ou descendant des escaliers. L'amortissement hydraulique garantit la sécurité en phase d'appui, puis est désactivé lors de la charge sur l'avant du pied de manière à favoriser la phase pendulaire sans dépense excessive d'énergie. L'indication médicale pour la pose d'une prothèse C-Leg se limite en principe aux personnes amputées d'une jambe au niveau de la cuisse et disposant d'une mobilité illimitée en extérieur. D'un point de vue épidémiologique, entre 30 et 50 patients par an seraient concernés en Suisse (sur ces divers points: ATF 132 V 215 consid. 2.1 et 2.2 p. 218 s.).
3.2.3. La jurisprudence a refusé de nier d'emblée le caractère simple et adéquat d'une prothèse C-Leg, en précisant notamment que l'existence d'une convention tarifaire portant sur un moyen auxiliaire ne constituait pas une condition du droit aux prestations. Elle a jugé qu'il convenait, dans chaque cas concret, d'examiner si les critères de simplicité et d'adéquation étaient remplis eu égard aux perspectives de réadaptation de la personne concernée. Ainsi l'ancien Tribunal fédéral des assurances a jugé, dans le domaine de l'assurance-invalidité, que l'octroi d'une prothèse C-Leg supposait que ce moyen auxiliaire fût nécessaire pour que l'assuré pût exercer son métier dans des conditions satisfaisantes. Par ailleurs, le caractère proportionné du moyen auxiliaire, compte tenu de la durée probable pendant laquelle l'assuré exercerait encore son métier, devait, en règle générale, être évalué en considérant que l'intéressé cesserait son activité professionnelle à l'âge légal de la retraite au plus tard (64 ans révolus pour les femmes, 65 ans révolus pour les hommes, conformément à l'art. 21 al. 1 LAVS; ATF 132 V 215 p. 226 ss consid. 4.3.3 et 4.3.4).
3.2.4. Dans le cas particulier, il ressort des constatations des premiers juges - qui se fondent essentiellement sur le rapport de la Clinique F.________ - que la prothèse mécanique utilisée par l'assuré est à l'origine de chutes à répétition. Aussi bien le patient a-t-il développé une importante appréhension de telle sorte qu'il marche essentiellement le genou bloqué avec l'aide d'une canne. La prothèse est utilisée environ 25 % du temps à l'intérieur et 50 % à l'extérieur. Le reste des déplacements se fait en fauteuil roulant. Depuis l'évaluation qui a été pratiquée le 7 décembre 2011, l'assuré a utilisé le C-Leg environ trois semaines. Il s'est très vite habitué à la nouvelle prothèse et il a rapidement compris son fonctionnement. Il n'y aurait pas eu de chutes dans la période d'essai et, subjectivement, l'intéressé annonce une nette diminution de son appréhension à la marche, une plus grande utilisation de la prothèse et une diminution des lombalgies. L'utilisation de la prothèse serait par exemple passée à l'intérieur de 25 à 75 % du temps et à l'extérieur de 50 à 100 %. Selon les constatations faites à la Clinique F.________, l'index des capacités locomotrices a aussi augmenté de manière significative, passant de 19/42 points à 30/42 points. Ce sont principalement les activités de base qui ont progressé pendant cette période d'évaluation. Objectivement, les spécialistes de la Clinique F.________ mettent également en évidence une amélioration de tous les paramètres de marche, l'amélioration la plus significative étant constatée pour les pentes et la descente d'escaliers. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, chez un assuré qui présente des déficiences somatiques multiples (amputation transfémorale gauche, plexus brachial gauche complet notamment), les spécialistes parviennent à la conclusion que les critères de prise en charge d'un genou électronique sont remplis. Aussi bien le groupe d'évaluation (comprenant notamment deux médecins et un physiothérapeute) recommande-t-il la prise en charge du moyen auxiliaire demandé par l'assuré. Le docteur H.________ a fait siennes les constatations et les conclusions du groupe d'évaluation.
3.2.5. On doit ainsi admettre qu'une prothèse mécanique est inadaptée à l'état de l'assuré et qu'elle est même contre-indiquée. Elle n'est donc pas propre à atteindre - en tout cas pas pleinement - son but de réadaptation fonctionnelle. Sur la base des éléments relevés ci-dessus, il y a lieu d'admettre que les critères d'adéquation et de simplicité sont remplis dans le cas concret pour la remise d'un genou C-Leg. Le fait que celui-ci ne permettra pas à l'assuré, au vu de ses handicaps multiples, de reprendre une activité lucrative d'une certaine importance ne saurait être décisif. Dans l'assurance-accidents, l'assuré a droit, comme on l'a vu, aux moyens auxiliaires destinés à compenser un dommage corporel ou la perte d'une fonction. Ils apparaissent comme un complément du traitement médical selon l'art. 10 LAA; leur remise n'est pas liée à une réadaptation professionnelle et donc pas non plus à une durée probable d'activité (voir RAFFAELLA BIAGGI, UV-Leistungen: Sach- und Geldleistungen, in: Sabine Steiger-Sackmann/ Hans-Jakob Mosimann [éd.], Recht der Sozialen Sicherheit, 2014, n. 17.28 p. 605; ANDRÉ GHÉLEW/OLIVIER RAMELET/JEAN-BAPTISTE RITTER, Commentaire de la loi sur l'assurance-accidents [LAA], 1992 p. 76; cf. aussi ATF 114 V 306 consid. 3 p. 308).
3.2.6. Dans l'assurance-invalidité la remise d'une prothèse pour les jambes n'est certes pas non plus liée à une activité professionnelle (art. 2 de l'ordonnance du 29 novembre 1976 du DFI concernant la remise de moyens auxiliaires par l'assurance-invalidité [OMAI; RS 831.232.51] en corrélation avec le ch. 1.01 de l'annexe à ladite ordonnance). L'ancien Tribunal fédéral des assurances a néanmoins jugé que la remise d'une prothèse C-Leg était limitée aux cas dans lesquels il existe un besoin de réadaptation particulièrement élevé,
in casu des exigences professionnelles spéciales (ATF 132 V 215). Mais cette jurisprudence visait une situation où l'on pouvait
a priori admettre qu'une prothèse mécanique permettait par ailleurs de répondre aux exigences de la vie privée de l'assuré. On l'a vu, ce n'est pas le cas en l'espèce en raison de la double perte fonctionnelle dont est atteint l'assuré (perte de l'usage de la jambe et du bras).
3.2.7. Quant au point de savoir si et dans quelle mesure l'assureur-accidents pourra exercer un recours subrogatoire contre le tiers responsable, respectivement son assureur en responsabilité civile, il n'a aucune incidence sur le droit aux prestations selon la LAA. L'argument de la recourante sur ce point est dépourvu de tout fondement.
3.3. En résumé, une prothèse mécanique étant inadaptée à l'état de santé de l'assuré, la remise d'un genou C-Leg apparaît en l'occurrence comme le moyen le plus simple pour compenser le dommage corporel subi par l'intéressé ensuite de l'accident du 1
er avril 2001.
4.
De ce qui précède, il résulte que le recours est mal fondé.
La recourante, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Elle versera en outre à l'intimé une indemnité de dépens (art. 68 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 2'800 fr. à titre de dépens pour la procédure fédérale.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Fribourg et à l'Office fédéral de la santé publique.
Lucerne, le 20 janvier 2015
Au nom de la Ire Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Leuzinger
Le Greffier : Beauverd