Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
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{T 0/2}
1B_363/2013
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Arrêt du 12 mai 2015
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président,
Merkli, Karlen, Eusebio et Chaix.
Greffier: M. Kurz.
Participants à la procédure
Ministère public de l'Etat de Fribourg,
recourant,
contre
A.________, représenté par Me Joachim Lerf, avocat,
intimé,
B.________,
C.________,
D.________,
E.________,
F.________,
tous représentés par Me Peter von Ins, avocat.
Objet
Procédure pénale; admissibilité d'un moyen de preuve,
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg du 17 septembre 2013.
Faits:
A.
Le 25 novembre 2010, la Banque G.________ a signalé au Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS) une possible infraction de la part de l'un de ses clients; à l'appui de ses soupçons, la banque a notamment produit des rapports internes relatifs à la gestion de cette relation d'affaires. Le MROS a dénoncé ce cas le 6 décembre 2010 au Ministère public de l'Etat de Fribourg, lequel a ouvert une enquête pénale contre H.________ pour diverses infractions économiques (procédure F 2010 14456). Dans le cadre de cette procédure, B.________, C.________, D.________, E.________ et la société anonyme belge F.________ (ci-après: les plaignants) ont déposé une plainte pénale le 27 juin 2011. Cette instruction a été suspendue le 27 mars 2012 en raison du lieu de séjour inconnu de H.________, décision confirmée par la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg le 16 août 2012.
Le 22 mars et le 4 avril 2012, l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) a dénoncé au Procureur fribourgeois les cosignataires de la dénonciation du 25 novembre 2010 au MROS, soit A.________, fondé de pouvoir à la Banque G.________ en charge des relations bancaires de H.________, ainsi que I.________, responsable du service "compliance" de la Banque G.________, pour défaut de vigilance en matière d'opérations financières et droit de communication (art. 305ter CP). La FINMA a également déposé le 2 avril 2012 une plainte contre la Banque G.________ pour violation de son devoir d'annonce (art. 37 de la loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme dans le secteur financier - LBA; RS 955.0) auprès du Département fédéral des finances. Le 4 avril 2012, le Ministère public a ouvert une procédure pénale pour ce chef d'infraction contre les deux banquiers (cause F 2012 2326/2327), instruction ensuite étendue à l'infraction de blanchiment d'argent (art. 305bis CP) le 3 octobre suivant. Les procédures F 2010 14456 et F 2012 2326/2327 ont été jointes par la suite.
B.
Le 4 septembre 2012, A.________ a notamment demandé que la dénonciation de la FINMA du 22 mars 2012, ainsi que de toutes ses annexes (soit les pièces 20'000 à 21'380 du dossier), en particulier la dénonciation au MROS qu'il avait lui-même signée, soient retirées du dossier pénal le concernant, sous peine de porter atteinte à son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination. Cette requête a été rejetée par ordonnance du 10 septembre 2012. Le Procureur a estimé qu'il disposait des pièces litigieuses depuis le 6 décembre 2010 dans le cadre de la procédure F 2010 14456; en l'absence de celles-ci, il aurait ordonné leur dépôt et dès lors, ces moyens de preuve devaient être considérés comme des découvertes fortuites exploitables.
Par arrêt du 17 septembre 2013, la Chambre pénale a admis partiellement le recours intenté par A.________ contre l'ordonnance du 10 septembre 2012. La violation alléguée du droit d'être entendu avait été réparée au cours de la procédure de recours. Il était douteux que les pièces transmises par la FINMA puissent être considérées comme des découvertes fortuites, mais l'utilisation à charge de A.________ de certaines pièces produites avec la dénonciation au MROS - laquelle découlait d'une obligation légale de collaboration - violait le droit de ne pas s'auto-incriminer. Les pièces suivantes ont été retirées du dossier: la communication du 25 novembre et ses annexes (soit quatre classeurs de documents), notamment les documents internes rédigés par A.________, ainsi que les extraits de comptes bancaires, à l'exception de ceux mentionnés par les plaignants.
C.
Par acte du 14 octobre 2013, le Ministère public de l'Etat de Fribourg forme un recours en matière pénale contre cet arrêt. Il requiert le maintien au dossier de la communication du 25 novembre 2010 et de ses annexes et, à titre subsidiaire, le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants.
La Chambre pénale a renoncé à formuler des observations. A.________ demande à titre préalable la production du dossier de la procédure F 2010 14456 et conclut à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. Les plaignants n'ont déposé aucune détermination. Le 8 janvier 2014, le Procureur a persisté dans ses conclusions; il a produit le dossier requis le 22 janvier 2014. L'intimé n'a pas formulé de déterminations complémentaires.
Considérant en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement les conditions de recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 140 IV 57 consid. 2 p. 59).
La décision attaquée a été rendue dans une cause pénale par une juridiction cantonale statuant en dernière instance (art. 80 al. 1 LTF). Le recours en matière pénale au sens de l'art. 78 al. 1 LTF est donc en principe ouvert. Le mémoire de recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et les conclusions présentées sont recevables (art. 107 al. 2 LTF). Le Procureur dispose en outre d'un intérêt juridiquement protégé à l'annulation de l'arrêt attaqué, dès lors qu'il conteste le retrait de certaines pièces du dossier pénal (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 3 LTF).
2.
Une décision relative à l'exploitation des moyens de preuve ( art. 140 et 141 CPP ) ne met pas fin à la procédure pénale; elle a donc un caractère incident. Le recours en matière pénale contre une telle décision n'est dès lors recevable qu'aux conditions de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, soit en présence d'un préjudice irréparable, l'art. 93 al. 1 let. b LTF n'étant généralement pas applicable en matière pénale.
2.1. Vu la nécessité d'établir les modalités de prise en compte des art. 140 et 141 CPP dans le cadre d'un recours devant le Tribunal fédéral, la cause 1B_363/2013 a donné lieu à une procédure de coordination de la jurisprudence au sens de l'art. 23 al. 2 LTF à laquelle ont participé la Cour de droit pénal et la Première Cour de droit public. Cet échange de vues a conduit à préciser la jurisprudence.
2.2. En matière pénale, le préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF se rapporte à un dommage de nature juridique qui ne puisse pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision favorable au recourant (ATF 137 IV 172 consid. 2.1 p. 173 s.). Le seul fait qu'un moyen de preuve dont la validité est contestée demeure au dossier ne constitue en principe pas un tel préjudice, dès lors qu'il est possible de renouveler ce grief jusqu'à la clôture définitive de la procédure. En particulier, la question de la légalité des moyens de preuve peut être soumise au juge du fond (art. 339 al. 2 let. d CPP), autorité dont il peut être attendu qu'elle soit en mesure de faire la distinction entre les moyens de preuve licites et ceux qui ne le seraient pas, puis de fonder son appréciation en conséquence. Les motifs retenus par le juge de première instance peuvent ensuite être contestés dans le cadre d'un appel (art. 398 CPP) et, en dernier ressort, le prévenu peut remettre en cause ce jugement devant le Tribunal fédéral (ATF 139 IV 128 consid. 1.6 et 1.7 p. 134 s.; arrêt 6B_883/2013 du 17 février 2014 consid. 2, publié in SJ 2014 I 348).
2.3. Cette règle comporte toutefois des exceptions. Tel est notamment le cas lorsque la loi prévoit expressément la restitution immédiate, respectivement la destruction immédiate, des preuves illicites (cf. par exemple les art. 248, 271 al. 3, 277 et 289 al. 6 CPP). Il en va de même quand, en vertu de la loi ou de circonstances spécifiques liées au cas d'espèce, le caractère illicite des moyens de preuve s'impose d'emblée. De telles circonstances ne peuvent être admises que dans la situation où l'intéressé fait valoir un intérêt juridiquement protégé particulièrement important à un constat immédiat du caractère inexploitable de la preuve.
En vertu de l'art. 42 al. 1 LTF, il incombe au recourant d'alléguer les faits qu'il considère comme propres à fonder sa qualité pour recourir (ATF 141 IV 1 consid. 1.1; 138 IV 86 consid. 3 p. 88 et les arrêts cités) et ceux permettant de démontrer l'existence d'un préjudice irréparable lorsque celui-ci n'est pas d'emblée évident (ATF 138 III 46 consid. 1.2 p. 47 et les arrêts cités).
2.4. La situation procédurale est différente lorsque, pendant la procédure préliminaire et contre l'avis du ministère public, l'autorité cantonale de recours reconnaît le caractère non exploitable des moyens de preuve et ordonne de les retirer du dossier (art. 141 al. 5 CPP). Le ministère public risque de subir un préjudice irréparable lorsque, sans ces moyens de preuve, l'accusation est entravée au point de rendre impossible ou, à tout le moins, particulièrement difficile, la continuation de la procédure pénale. Tel n'est cependant pas le cas si le ministère public dispose d'autres mesures d'instruction pour continuer la procédure et, cas échéant, rendre une ordonnance de mise en accusation (cf. ATF 139 IV 25 consid. 1 p. 27). Il appartient dans tous les cas au ministère public d'alléguer et de démontrer la réalisation des conditions d'application de l'art. 93 al. 1 let. a LTF pour que son recours au Tribunal fédéral soit recevable (ATF 138 III 46 consid. 1.2 p. 47 et les arrêts cités).
2.5. En l'occurrence, le Ministère public affirme que l'arrêt attaqué aurait pour conséquence de "vider entièrement de sa substance la procédure pénale visant l'intimé", dès lors que la majorité des pièces doivent être retirées du dossier. En particulier, les notes internes transmises au MROS exprimeraient les réflexions de l'intimé après que des clients aient fait part de leur inquiétude auprès de la banque, et démontreraient le temps écoulé entre l'intervention des clients et l'annonce au MROS. Faute de pouvoir utiliser ces pièces, les soupçons à l'encontre de l'intimé devraient être relativisés, ce qui pourrait conduire à une décision de classement.
2.5.1. Les procédures menées, d'une part, contre H.________ et, d'autre part, contre l'intimé et le responsable du service "compliance" de la banque ont été jointes formellement par décision du 10 octobre 2012, contre laquelle les parties n'ont pas recouru. Le dossier, tel qu'il a été produit au Tribunal fédéral, contient ainsi l'ensemble des pièces relatives aux deux procédures et il est loisible au Ministère public d'utiliser, à charge de l'intimé, l'ensemble des renseignements recueillis dans le cadre de l'instruction dirigée contre H.________. Comme le relève le Ministère public lui-même, des soupçons à l'égard de l'établissement bancaire étaient déjà évoqués dans la plainte déposée le 27 juin 2011, aux termes de laquelle les plaignants, citant nommément l'intimé, se demandaient si les responsables de la banque avaient rempli leurs obligations découlant de la LBA.
Indépendamment des renseignements ressortant des documents litigieux, le Ministère public pouvait déjà fonder ses soupçons sur la plainte de la FINMA et sur le simple fait qu'en dépit de l'intervention des plaignants, la banque avait attendu une seconde démarche en septembre 2010 pour convoquer son client et mettre un terme à la relation d'affaires, puis pour dénoncer le cas le 2 novembre 2010. L'autorité d'instruction peut également obtenir des renseignements sur ce point auprès des plaignants, ou interroger le cas échéant les prévenus ou d'autres responsables de l'établissement bancaire.
2.5.2. Pour leur plus grande part, les pièces écartées de la procédure (pièces 20'000 à 21286, trois classeurs) sont des documents bancaires (extraits, relevés, avis) que le Ministère public peut obtenir auprès de la banque, ainsi que le relève d'ailleurs la décision attaquée. Le quatrième classeur (pièces 21'287 à 21380) contient la communication proprement dite faite par la banque. La question de savoir si les prévenus ont tardé à agir peut toutefois être instruite sans avoir recours à ces derniers documents, puisqu'il s'agit de rechercher en premier lieu si les inculpés ont fait preuve de l'attention nécessaire et s'ils devaient procéder à des clarifications. Le Ministère public relève qu'il y aurait lieu de déterminer l'intervalle de temps écoulé entre la prise de contact de la part des plaignants et le dépôt de l'annonce MROS; ces renseignements, qui paraissent ressortir de la plainte de la FINMA, peuvent facilement être obtenus sans utilisation des pièces litigieuses.
2.5.3. En définitive, rien ne permet d'affirmer qu'à défaut des pièces écartées du dossier, la procédure contre l'intimé aboutirait nécessairement et immédiatement à un classement. Le Ministère public ne parvient dès lors pas à démontrer, comme l'exige l'art. 42 al. 1 LTF, que la décision attaquée causerait un préjudice irréparable.
3.
Le recours doit par conséquent être déclaré irrecevable. Conformément à l'art. 66 al. 4 LTF, il n'est pas perçu de frais judiciaires. L'Etat de Fribourg versera à l'intimé A.________, qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat, une indemnité de dépens (art. 68 al. 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est irrecevable.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Une indemnité de dépens de 2'000 fr. est allouée à l'intimé, à la charge de l'Etat de Fribourg.
4.
Le présent arrêt est communiqué au Ministère public de l'Etat de Fribourg, aux mandataires de l'intimé et de B.________, C.________, D.________, E.________ et de F.________, ainsi qu'à la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg.
Lausanne, le 12 mai 2015
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Fonjallaz
Le Greffier: Kurz