BGer 5A_878/2014
 
BGer 5A_878/2014 vom 17.06.2015
{T 0/2}
5A_878/2014
 
Arrêt du 17 juin 2015
 
IIe Cour de droit civil
Composition
MM. les Juges fédéraux von Werdt, Président,
Marazzi, Herrmann, Schöbi et Bovey.
Greffière : Mme Hildbrand.
Participants à la procédure
1. A.A.________,
2. B.A.________,
tous les deux représentés par Mes Nicolas Gillard et Yvan Henzer, avocats,
recourants,
contre
1. C.B.________,
2. D.B.________,
3. E.________ Ltd,
tous les trois représentés par Me Pierre-Yves Baumann, avocat,
intimés.
Objet
suspension (actions révocatoires, etc.),
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours civile, du 31 juillet 2014.
 
Faits :
 
A.
A.a. Le 18 septembre 2007, le Président du Tribunal d'arrondissement de La Côte a prononcé la faillite de F.________ SA, avec effet au 1
A.A.________ et B.A.________ ont produit diverses créances dans la faillite, admises à l'état de collocation.
Parmi les actifs de la société faillie, l'administration de la masse a inventorié les droits découlant d'une action révocatoire au sens des art. 285 ss LP dirigée contre C.B.________ et D.B.________ et portant sur le remboursement d'un prêt aux actionnaires à hauteur de 380'000 fr., ainsi que sur les droits de l'action en responsabilité selon les art. 752 ss CO à l'encontre de tous les responsables de la société, dont D.B.________.
Le 29 janvier 2010, la masse en faillite de F.________ SA en liquidation a saisi le Juge de paix du district de Morges (ci-après: Juge de paix) d'une requête de conciliation dirigée contre C.B.________ et D.B.________ ainsi que d'une requête de conciliation dirigée contre E.________ Ltd et portant sur l'action révocatoire précitée.
Par avis du 8 juillet 2010, le Juge de paix a pris acte de la cession des droits de la masse en faillite de F.________ SA en liquidation en faveur de A.A._______ et B.A.________.
A.b. Le 30 décembre 2010, A.A.________ et B.A.________ ont déposé devant le Juge de paix une requête de conciliation à l'encontre de C.B.________ et D.B.________. Acte de non-conciliation leur a été délivré le 13 avril 2011.
Le 20 janvier 2011, A.A.________ et B.A.________ ont déposé devant la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois une demande à l'encontre de E.________ Ltd. Le 5 août 2011, ils ont adressé à celle-ci deux demandes à l'encontre de C.B.________ et D.B.________. La jonction de ces trois causes est intervenue par décision du juge instructeur du 10 juin 2013.
A.c. Le 18 octobre 2013, C.B.________, D.B.________ et E.________ Ltd ont déposé une requête en suspension de cause.
Par jugement incident du 5 mars 2014, notifié aux parties le 22 mai 2014, le Juge instructeur de la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois a admis la requête incidente déposée le 18 octobre 2013 par C.B.________, D.B.________ et E.________ Ltd et a suspendu la cause jusqu'à droit connu sur l'instance pénale diligentée par le Procureur de l'arrondissement de La Côte dans la cause X.________.
A.d. Le 19 juin 2014, A.A.________ et B.A.________ ont interjeté recours contre ce jugement devant la Chambre des recours civile du Tribunal cantonal vaudois, concluant à ce qu'il soit modifié en ce sens que la requête incidente déposée le 18 octobre 2013 par C.B.________, D.B.________ et E.________ Ltd est rejetée.
A.e. Par arrêt du 31 juillet 2014, notifié aux parties le 7 octobre 2014, la Chambre des recours civile du Tribunal cantonal vaudois a déclaré le recours irrecevable pour cause de tardiveté.
B. Par acte expédié le 6 novembre 2014, A.A.________ et B.A.________ exercent un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre cet arrêt, concluant à son annulation et à ce que l'autorité précédente soit invitée à entrer en matière sur leur recours du 19 juin 2014 et à rendre un " jugement " sur recours.
Par courrier expédié le 9 février 2015, A.A.________ et B.A.________ ont complété leur argumentation.
Les intimés concluent à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. La cour cantonale s'est référée aux considérants de son arrêt.
 
Considérant en droit :
 
Erwägung 1
1.1. Le jugement du 5 mars 2014 n'a pas terminé l'instance en cours; ce prononcé est au contraire incident aux termes de l'art. 93 al. 1 LTF. L'arrêt d'irrecevabilité du 31 juillet 2014 termine l'instance introduite devant le Tribunal cantonal vaudois; néanmoins, parce que le recours à l'origine de ce prononcé était dirigé contre une décision incidente (ATF 137 III 522 consid. 1.2; 123 III 414 consid. 1), l'arrêt revêt lui aussi le caractère d'une décision incidente selon l'art. 93 al. 1 LTF (ATF 137 III 380 consid. 1.1). En conséquence, la recevabilité du recours en matière civile suppose en principe que dite décision incidente soit de nature à causer un préjudice irréparable aux termes de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (même arrêt, consid. 1.2.2).
Toutefois, l'exigence d'un préjudice irréparable n'est pas opposable à la partie recourante lorsque celle-ci attaque une ordonnance de suspension de la procédure, invoque - comme en l'occurrence - le principe de célérité (" Beschleunigungsgebot ", " principio di celerità ") ancré à l'art. 29 al. 1 Cst. et tente de démontrer que, compte tenu de la nature du procès concerné, la suspension litigieuse risque de différer le jugement final au-delà de ce qui est raisonnable (ATF 138 IV 258 consid. 1.1; 138 III 190 consid. 6; 137 III 261 consid. 1.2.2; 134 IV 43 consid. 2; arrêts 5A_906/2014 du 4 mai 2015 consid. 3.1; 5A_773/2012 du 31 janvier 2013 consid. 1; 5A_88/2013 du 21 mai 2013 consid. 1.1; 4A_542/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.2). Cette exception s'applique essentiellement aux cas où la suspension de procédure est prononcée sine die, pour une durée indéterminée ou lorsque la reprise de la procédure dépend d'un événement incertain sur lequel les parties n'ont aucune prise. Selon la jurisprudence, il incombe à la partie qui critique une décision ordonnant la suspension d'une procédure d'indiquer clairement l'objet de la contestation. Si la suspension critiquée intervient à un stade de la procédure où il est évident que le principe de la célérité n'a pas été violé, et que la partie recourante ne prétend pas être nécessairement exposée au risque, à terme, d'une violation de la garantie du jugement dans un délai raisonnable (art. 29 al. 1 Cst.), il faut considérer que la contestation ne porte pas sur l'application de cette dernière garantie. En pareil cas, le Tribunal fédéral n'est pas saisi d'un recours pour déni de justice formel à cause d'un refus de statuer et le recours est alors soumis aux conditions de recevabilité de l'art. 93 al. 1 LTF (arrêts 9C_426/2010 du 9 août 2010 consid. 2.2; 9C_445/2010 du 9 août 2010 consid. 2.2; 8C_982/2009 du 5 juillet 2010 consid. 1.2 et la référence à l'ATF 134 IV 43).
En l'espèce, contrairement à ce que soutiennent les intimés, la motivation du présent recours apparaît suffisante au regard des principes sus-rappelés pour échapper à l'exigence de l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Il est dès lors en principe recevable sous cet angle.
1.2. La voie du recours en matière civile est par ailleurs ouverte, la décision attaquée ayant été rendue par une autorité cantonale de dernière instance (art. 75 LTF), dans une cause de droit civil (art. 72 al. 1 LTF). La valeur litigieuse est manifestement supérieure au montant minimal fixé par l'art. 74 al. 1 let. b LTF. Le recours a en outre été interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes prescrites (art. 42 LTF), par des parties qui ont succombé dans leurs conclusions devant l'autorité précédente (art. 76 al. 1 LTF).
Il suit de là que le recours est recevable au regard des dispositions qui précèdent. Tel n'est en revanche pas le cas du complément du 9 février 2015, expédié après l'expiration du délai de recours.
 
Erwägung 2
2.1. La décision de suspension de la procédure, au sens de l'art. 126 al. 1 CPC, est une décision de mesures provisionnelles au sens de l'art. 98 LTF, de sorte que seule la violation de droits constitutionnels peut être invoquée (ATF 137 III 261 consid. 1.3; arrêts 5A_773/2012 du 31 janvier 2013 consid. 4.2.1; 5A_276/2010 du 10 août 2010 consid. 1.3). Ce grief doit être invoqué et motivé conformément au principe d'allégation (art. 106 al. 2 LTF), à savoir expressément soulevé et exposé de manière claire et détaillée (ATF 133 IV 286 consid. 1.4). Il s'ensuit que le grief de violation de l'art. 238 let. f CPC, si tant est qu'il se dirige bien contre la décision dont est recours, est irrecevable.
2.2. En vertu des principes de la bonne foi et de l'épuisement des griefs (art. 75 al. 1 LTF), tous les moyens nouveaux sont exclus dans le recours en matière civile au sens de l'art. 98 LTF, que ceux-ci relèvent du fait ou du droit, sauf dans les cas où seule la motivation de la décision attaquée donne l'occasion de les soulever (ATF 135 III 1 consid. 1.2; 134 III 524 consid. 1.3; 133 III 638 consid. 2; arrêts 5F_13/2014 du 14 août 2014 consid. 4.2; 5A_878/2012 du 26 août 2013 consid. 2.2).
3. Les recourants font grief au Tribunal cantonal d'avoir méconnu le principe de la protection de la bonne foi, en ne protégeant pas la confiance qu'ils pouvaient mettre dans l'indication erronée du délai de recours figurant dans le jugement incident du Juge instructeur de la Cour civile. Ils considèrent que, pour se rendre compte de l'erreur du Juge instructeur, il ne suffisait pas de lire la loi. Il fallait, selon eux, " préalablement faire une analyse délicate du droit transitoire, qui ne traite ni spécifiquement de la procédure incidente, ni de la procédure de recours contre de telle[s] décision[s] ", puis " réaliser qu'un jugement de suspension constituait une décision d'instruction au sens du nouveau droit de procédure ", respectivement " qualifier la nature de la décision, incidente ou non, ce qui impliquait la lecture de la doctrine et de la jurisprudence ".
3.1. En vertu du droit à la protection de la bonne foi, consacré aux art. 5 al. 3 et 9 Cst., le justiciable qui se fie à une indication erronée de l'autorité, ne doit en principe subir aucun préjudice (ATF 138 I 49 consid. 8.3.2; 117 Ia 297 consid. 2; arrêt 4A_35/2014 du 28 mai 2014 consid. 3.2 non publié aux ATF 140 III 267; 4A_355/2013 du 22 octobre 2013 consid. 3.3). Une partie ne peut toutefois se prévaloir de cette protection si elle s'est aperçue de l'erreur, ou aurait dû s'en apercevoir en prêtant l'attention commandée par les circonstances. Seule une négligence procédurale grossière peut faire échec à la protection de la bonne foi. Déterminer si la négligence commise est grossière s'apprécie selon les circonstances concrètes et les connaissances juridiques de la personne en cause (arrêt 5A_704/2011 du 23 février 2012 consid. 8.3.2).
3.2. Selon la jurisprudence, ne mérite pas de protection la partie qui eût pu déceler l'erreur affectant l'indication de la voie de droit par la seule lecture du texte légal (arrêts 8C_122/2013 du 7 mai 2013 consid. 4.1; 1C_280/2010 du 16 septembre 2010 consid. 2.3). Les exigences envers les parties représentées par un avocat sont naturellement plus élevées: on attend dans tous les cas des avocats qu'ils procèdent à un contrôle sommaire (" Grobkontrolle ") des indications relatives à la voie de droit (ATF 138 I 49 consid. 8.3.2; 135 III 374 consid. 1.2.2.2; arrêt 8C_122/2013 du 7 mai 2013 consid. 4.1). En revanche, il n'est pas attendu d'eux qu'outre les textes de loi, ils consultent encore la jurisprudence ou la doctrine y relative (ATF 138 I 49 consid. 8.3.2; 135 III 489 consid. 4.4; 134 I 199 consid. 1.3.1). La jurisprudence admet l'existence de la bonne foi lorsque la mauvaise indication des voies de recours ne résulte pas d'une mégarde de la part de l'autorité, mais d'un choix délibéré, basé sur la conviction que la voie indiquée correspond au droit (arrêts 8C_122/2013 du 7 mai 2013 consid. 4.1; 5A_536/2011 du 12 décembre 2011 consid. 4.3.5). Dans ces deux arrêts, l'indication des voies de recours était assortie d'une motivation (erronée) de la part de l'autorité. Toutefois, même dans ce cas, il est attendu de l'avocat qu'il lise la législation applicable (arrêt 8C_122/2013 précité).
3.3. Dans le cas particulier, il convient d'examiner si, conseillés par un avocat, les recourants auraient dû comprendre à la seule lecture de la loi que le délai de recours contre une décision de suspension au sens de l'art. 126 al. 1 CPC était de dix jours en vertu de l'art. 321 al. 2 CPC.
Il sera d'emblée relevé que la question de l'application de l'art. 405 al. 1 CPC au jugement incident du 5 mars 2014 ne saurait être discutée dans le cadre du présent recours faute d'épuisement du grief (cf. supra consid. 2.2). En effet, alors même que le jugement précité permettait de remettre en cause devant la cour cantonale l'application - prétendument erronée - du CPC à la voie de droit, les recourants n'ont nullement soulevé cette question dans leur recours du 19 juin 2014. Au demeurant, la solution adoptée par les instances cantonales ne prête pas le flanc à la critique (cf. ATF 138 III 41 consid. 1.2.2 et les arrêts cités). Il s'ensuit que seule la question du délai applicable au recours est pertinente pour l'issue du litige.
La cour cantonale a, à juste titre, retenu que les décisions de suspension, au sens de l'art. 126 al. 1 CPC, entrent dans la catégorie des ordonnances d'instruction (" prozessleitende Verfügung "; " disposizione ordinatoria processuale ") et sont, partant, soumises au délai de recours de dix jours de l'art. 321 al. 2 CPC. Une telle solution résulte incontestablement de la jurisprudence (cf. ATF 138 III 705 consid. 2.1; dans la jurisprudence cantonale, parmi plusieurs: TC VD: JT 2012 III 132 cité par Jean-Luc Colombini, Condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise relative à l'appel et au recours en matière civile, in: JT 2013 III p. 131 ss, 161; TC NE: ARMC.2014.38 du 7 août 2014 consid. 1a; TC JU: CC 20/2013 du 12 avril 2013; TC GR: ZK2 13 14 du 2 décembre 2012 consid. 3a; cf. ég. avant l'entrée en vigueur du CPC: arrêt 5A_276/2010 du 10 août 2010 consid. 2.2 et le commentaire de cet arrêt par Michel Heinzmann,  in: DC 2010 p. 186). Le critère déterminant est toutefois exclusivement celui du texte légal, contrairement à ce que les juges précédents et les intimés semblent considérer. L'examen de la jurisprudence topique, quand bien même celle-ci serait " abondante " ou " publiée aux ATF, ainsi qu'au Journal des Tribunaux ", n'a en effet aucune portée pour juger de la bonne foi du recourant (cf.  supra consid. 3.2).
L'art. 126 CPC se trouve au Chapitre 1 du Titre 9 du CPC relatif à la " conduite du procès " (" Prozessleitung "; " Direzione del processo ") qui traite des " décisions d'instruction " (" prozessleitende Verfügungen "; " disposizioni ordinatorie ") comme l'art. 124 al. 1 CPC l'indique expressément. Il ne fait donc aucun doute que l'" ordonnance de suspension " (" Sistierung "; " decisione di sospensione ") visée par l'art. 126 al. 2 CPC ne peut être autre chose qu'une " ordonnance d'instruction " au sens de l'art. 321 al. 2 CPC. Il en résulte que la confiance que les recourants ont placée dans l'indication erronée du délai de recours donnée par le Juge instructeur de la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois n'a pas à être protégée, comme la cour cantonale l'a correctement constaté. Une lecture systématique de la loi suffisait en effet à déceler l'erreur commise par le premier juge. Il suit de là que le grief, infondé, doit être rejeté.
4. En définitive, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. Les recourants, qui succombent, devront assumer solidairement entre eux les frais de la procédure fédérale (art. 66 al. 1 et 5 LTF) et verser des dépens à l'intimée (art. 68 al. 1, 2 et 4 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 1'500 fr., sont mis à la charge des recourants, solidairement entre eux.
3. Une indemnité de 2'000 fr., à verser à parts égales aux intimés à titre de dépens, est mise à la charge des recourants, solidairement entre eux.
4. Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours civile.
Lausanne, le 17 juin 2015
Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : von Werdt
La Greffière : Hildbrand