BGer 1B_170/2015
 
BGer 1B_170/2015 vom 29.06.2015
{T 0/2}
1B_170/2015
 
Arrêt du 29 juin 2015
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président,
Merkli et Chaix.
Greffière : Mme Kropf.
Participants à la procédure
recourant,
contre
Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens.
Objet
Procédure pénale, séquestre,
recours contre l'arrêt de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 27 mars 2015.
 
Faits :
A. A la suite de la plainte pénale déposée le 11 décembre 2014 par B.________ contre A.________, le Ministère public de l'arrondissement de Lausanne a ouvert une enquête à l'encontre de ce dernier pour abus de confiance et escroquerie. En substance, il était reproché au prévenu, avocat-stagiaire, de n'avoir restitué à la plaignante que la somme de 250'000 fr. sur les 385'627 fr. 50 reçus dans le cadre de la défense des intérêts de celle-ci s'agissant de ses droits à une prestation de libre-passage à la suite du décès de son époux.
Ce même jour, le Procureur a ordonné la saisie conservatoire des avoirs de A.________ déposés sur ses comptes bancaire et postal.
Par courriers des 2 et 6 février 2015, la plaignante, puis le prévenu ont demandé la levée des séquestres, faisant état d'une convention établie à l'amiable le 1er février 2015; la première y est notamment présentée comme l'épouse du prévenu. Le 9 suivant, B.________ a retiré sa plainte. Par ordonnance du 16 février 2015, le Ministère public a rejeté les requêtes de levée des séquestres. Il a notamment considéré qu'aucun élément au dossier ne permettait de déduire que les parties seraient des proches ou des familiers; l'instruction se poursuivait donc d'office au vu des faits dénoncés.
B. Le 27 mars 2015, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours intenté par A.________ contre cette décision. Elle n'a certes pas exclu que les parties aient vécu ensemble durant une certaine période "antérieure au départ du recourant à l'étranger en décembre 2014". Elle a également constaté que "les faits incriminés se [seraient], du moins en partie, déroulés à ce moment". L'autorité précédente a encore relevé que les parties s'étaient ensuite réconciliées. Cela étant, elle a considéré que la stabilité et la pérennité de la communauté domestique alléguée n'étaient ainsi pas établies avec la vraisemblance requise, notamment dès lors que la plainte pénale ne faisait pas état d'une cohabitation, que le couple n'était pas marié et que le prévenu avait conservé son domicile à C.________. Elle en a conclu qu'il n'existait pas suffisamment d'éléments pour retenir l'existence d'un ménage commun avec l'ex-plaignante, notamment entre le 28 novembre et le 10 décembre 2014.
C. Par acte posté le 8 mai 2015, A.________ forme un recours en matière pénale contre ce jugement, concluant à la levée des séquestres sur ses comptes. A titre subsidiaire, il requiert, en substance, l'annulation de l'arrêt attaqué et le renvoi de la cause à l'autorité précédente. Il sollicite l'octroi de l'assistance judiciaire.
Invitée à se déterminer, la cour cantonale s'est référée à ses considérants. Quant au Ministère public, il a conclu au rejet du recours. Le recourant n'a pas déposé d'autre détermination.
 
Considérant en droit :
1. Le recours en matière pénale, au sens de l'art. 78 al. 1 LTF, est ouvert contre une décision de séquestre, prise au cours de la procédure pénale et confirmée en dernière instance cantonale (art. 80 LTF).
La décision ordonnant un séquestre pénal constitue une décision incidente (ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131; 126 I 97 consid. 1b p. 100 et les références). Selon la jurisprudence, le séquestre de valeurs patrimoniales cause en principe un dommage irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, car le détenteur se trouve privé temporairement de la libre disposition des valeurs saisies (ATF 126 I 97 consid. 1b p. 101; voir également ATF 133 IV 139 consid. 4 p. 141; 128 I 129 consid. 1 p. 131). Le recourant, détenteur des comptes postal, ainsi que bancaire mis sous séquestre et prévenu dans la présente cause, a un intérêt juridique à la modification ou à l'annulation de l'arrêt attaqué (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF).
Le recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et les conclusions qui y sont prises sont recevables (art. 107 al. 2 LTF). Il y a donc lieu d'entrer en matière.
2. Le recourant se plaint de constatation manifestement inexacte des faits, ainsi que d'arbitraire. Les griefs y relatifs se recoupant avec ceux soulevés au fond, ils seront traités ensemble, dans la limite où ils ne tendent pas uniquement à substituer l'appréciation du recourant à celle effectuée par la cour cantonale (cf. à cet égard les trois témoignages invoqués par le recourant).
En particulier, il ne peut être reproché à la Chambre pénale des recours de n'avoir pas fait état du contenu du jugement rendu dans la procédure parallèle concernant l'ex-plaignante, dès lors que la question traitée était le mandat de comparution émis à l'encontre de celle-ci et non son éventuel droit de refuser de témoigner.
3. Invoquant notamment les art. 110 al. 2, 138 ch. 1 al. 4 et 146 al. 3 CP, le recourant soutient en substance qu'au vu de sa relation avec la plaignante, le retrait de la plainte par celle-ci mettrait un terme à la procédure pénale ouverte à son encontre, avec comme conséquence la levée des séquestres ordonnés sur ses comptes. Il ne remet en revanche pas en cause les conditions d'application de l'art. 263 CPP.
3.1. Le séquestre pénal au sens de l'art. 263 CPP est une mesure conservatoire fondée sur la vraisemblance et se rapporte à des prétentions encore incertaines (ATF 140 IV 57 consid. 4.1.1 p. 61 s.). Ce n'est que dans le cadre du jugement au fond que seront éventuellement prononcées une confiscation, une créance compensatrice ou une allocation au lésé. Tant que l'instruction n'est pas achevée et que subsiste l'une de ces possibilités, la mesure conservatoire doit donc être maintenue. L'autorité doit pouvoir statuer rapidement (cf. art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 140 IV 57 consid. 4.1.2 p. 64 et les arrêts cités).
3.2. Les familiers d'une personne sont ceux qui font ménage commun avec elle (art. 110 al. 2 CP).
La notion de membres de la communauté domestique, comme celle de "proches" (art. 110 al. 1 CP), doit être interprétée restrictivement, compte tenu de l'intérêt de la société et de la justice à poursuivre l'auteur d'une infraction. Forment une communauté domestique deux ou plusieurs personnes qui mangent, vivent et dorment sous le même toit. La cohabitation doit s'inscrire dans la durée et s'entend a priori comme le désir de vivre ensemble de manière stable pour une durée indéterminée. La nature quasi familiale de la communauté domestique présuppose, en outre, que ses membres soient unis par une relation personnelle d'une certaine proximité, analogue à celle unissant un couple et/ou ses enfants. L'aspect psychologique ou émotionnel n'est cependant pas déterminant, faute pour les sentiments de pouvoir être appréciés avec la précision nécessaire à la sécurité du droit. Pour déterminer si l'auteur et le lésé forment une communauté domestique, seuls les critères objectifs sont déterminants. Enfin, le ménage commun doit exister au moment de la commission de l'infraction (ATF 140 IV 97 consid. 1.2 p. 99 s. et les références citées).
La forme privilégiée de l'infraction commise au préjudice de familiers (cf. notamment l'art. 138 ch. 1 al. 4 et 146 al. 3 CP) est liée au souci de préserver le lien qui unit l'auteur au lésé. Elle vise à préserver l'unité familiale et la paix au sein du foyer en évitant une intervention d'office des autorités de poursuite pénale contre la volonté du titulaire du bien protégé (ATF 140 IV 97 consid. 1.2 p. 100. et les arrêts cités).
3.3. En l'occurrence, le raisonnement de la Chambre des recours pénale peut être suivi même s'il n'est pas pleinement convaincant dans tous ses aspects; en particulier, il ne peut être reproché au recourant d'avoir gardé une adresse à C.________.
Cela étant, le recourant ne soulève aucune argumentation propre à démontrer qu'entre le 28 novembre et le 10 décembre 2014 - période retenue dans le jugement entrepris -, il aurait formé un couple avec l'ex-plaignante. Cela ne ressort notamment pas de la plainte pénale déposée le 11 décembre 2014. Certes, l'ex-plaignante y mentionne la cohabitation depuis 2012 avec le recourant. Mais elle indique également l'avoir prié de quitter les lieux (cf. ad 1 de cette écriture), élément tendant à démontrer que, s'ils ont formé un couple à une époque, tel n'était alors plus le cas. Le recourant ne peut également tirer aucun argument des photographies et des billets d'avion produits; les premières ne sont pas datées et les seconds concernent des voyages effectués en 2015.
Le recourant ne prétend pas non plus que les faits potentiellement constitutifs des infractions examinées se sont déroulés durant la période susmentionnée (versement des 385'627 fr. 50 le 28 novembre 2014 sur le compte du recourant, restitution le 2 décembre 2014 à l'ex-plaignante d'un montant uniquement de 250'000 fr., puis virements du recourant les 4 et 10 décembre 2014 de 120'000 fr. vers l'étranger).
Au vu des éléments ci-dessus et du stade précoce de l'enquête - ce qui permet d'ailleurs d'exclure toute violation du principe de proportionnalité -, la cour cantonale pouvait sans violer le droit fédéral, a fortiori faire preuve d'arbitraire, retenir qu'il ne pouvait être exclu que le possible couple formé par le recourant et l'ex-plaignante n'existait plus à cette période. Il ne lui appartient en revanche pas d'examiner avec précision quand les infractions dénoncées ont été réalisées, moment déterminant pour retenir, cas échéant, l'hypothèse d'une vie commune permettant l'application des art. 138 ch. 1 al. 4 et 146 al. 3 CP. L'autorité d'enquête ne manquera d'ailleurs pas d'instruire cette question essentielle pour la poursuite de la procédure.
4. Il s'ensuit que le recours est rejeté.
Le recourant, qui succombe, a demandé à être dispensé des frais de procédure (art. 64 al. 1 LTF). Au vu des considérations précédentes et des pièces produites, son recours n'était pas dénué de toute chance de succès et son indigence paraît avérée. Cette requête doit donc être admise et il ne sera pas perçu de frais judiciaires.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté.
2. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3. Le présent arrêt est communiqué au recourant, au Ministère public central du canton de Vaud et à la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 29 juin 2015
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Fonjallaz
La Greffière : Kropf