Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
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{T 0/2}
1C_127/2015
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Arrêt du 7 juillet 2015
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Merkli, Juge présidant,
Eusebio et Chaix.
Greffier : M. Kurz.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Yannis Sakkas, avocat,
recourant,
contre
Eric Cottier,
Procureur général du canton de Vaud,
intimé.
Objet
récusation,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal
du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public,
du 21 janvier 2015.
Faits :
A.
Le 17 novembre 2014, le Procureur Yvan Gillard, du Ministère public central du canton de Vaud, a rendu une ordonnance de classement en faveur de A.________. Cette décision se fonde notamment sur un retrait de plainte; elle considère que le vin vendu par le prévenu était conforme à la législation applicable et que l'enquête pénale n'avait pas permis d'établir l'existence d'opérations d'assemblages illicites. Les frais de procédure, par 6'322 fr. 70, ont été mis à la charge du prévenu dont l'attitude avait inutilement compliqué l'enquête.
Cette décision, entrée en force, a fait l'objet de plusieurs demandes de communication provenant de la Radio Télévision Suisse (ci-après : RTS) (9 décembre 2014), des journaux "Le Temps" et "20 minutes" (16 et 19 décembre 2014). L'avocat du prévenu a été invité à se déterminer jusqu'au 22 décembre 2014. Il s'est opposé aux demandes de consultation et a simultanément requis la récusation du Procureur général Eric Cottier, lui reprochant de s'être saisi de ces demandes, d'avoir accordé des délais extrêmement brefs malgré l'absence d'urgence et d'avoir donné une interview parue dans le journal le "Matin Dimanche" du 14 décembre 2014 en révélant une partie du contenu de l'ordonnance de classement et en laissant penser que A.________ avait été condamné. Ces révélations faisaient apparaître que le magistrat était favorable à une diffusion de l'ordonnance aux médias.
B.
La demande de récusation a été transmise à la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois, qui l'a rejetée par arrêt du 21 janvier 2015. La récusation était régie par la loi cantonale de procédure administrative (LPA/VD) puisque la cause portait uniquement sur la communication aux médias d'une décision entrée en force. Les actes d'instruction requis (recherche de courriers électroniques auprès du Ministère public et audition du Procureur) ont été refusés. Les demandes de consultation avaient été adressées directement au Procureur général, ce qui expliquait que celui-ci les ait traitées personnellement, le précédent procureur s'étant trouvé dessaisi après avoir classé la procédure. La brièveté des délais impartis pour se déterminer se justifiait également par la volonté de traiter rapidement les demandes, même si la réglementation ne prévoyait pas de délai de réponse dans le cas particulier. L'interview avait été donnée au "Matin Dimanche" alors que le Procureur général n'avait pas encore connaissance des demandes de communication. Il avait répondu à quatre questions précises, sans se limiter aux éléments à charge. Ses réponses ne préjugeaient pas du sort des demandes de communication.
C.
Par acte du 26 février 2015, A.________ forme un recours en matière de droit public et un recours constitutionnel subsidiaire par lequel il demande l'annulation de l'arrêt cantonal et l'admission de sa demande de récusation. A titre provisionnel, il demande de suspendre toutes les procédures de consultation de l'ordonnance de classement jusqu'à droit jugé sur la récusation. Cette requête a été rejetée par ordonnance du 25 mars 2015.
La cour cantonale se réfère à son arrêt, sans observations. Le Procureur général conclut au rejet du recours. Le recourant a répliqué, persistant dans ses griefs et conclusions. Le Tribunal cantonal et le Procureur général ont renoncé à de nouvelles observations.
Considérant en droit :
1.
L'arrêt attaqué constitue une décision de dernière instance cantonale relative à une récusation; il peut faire l'objet d'un recours immédiat en application de l'art. 92 al. 1 LTF.
Il n'est pas contesté que le Procureur général, en tant qu'il statue sur une demande de communication aux médias en dehors d'une procédure pénale pendante, agit non comme une instance pénale mais comme autorité administrative. Le recours en matière de droit public est dès lors ouvert conformément à l'art. 82 let. a LTF. Les autres conditions de recevabilité sont réunies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière et de déclarer irrecevable le recours constitutionnel subsidiaire (art. 113 al. 1 Cst.)
Le recourant indique que le Procureur général a déjà statué favorablement sur les demandes de communication de l'ordonnance de classement. Cela ne rend pas pour autant sans objet le recours car une admission de la demande de récusation pourrait remettre en cause la validité des décisions rendues à ce propos.
2.
Le recourant se plaint d'établissement inexact des faits et d'une violation de son droit d'être entendu. Il reprochait au Procureur général d'avoir passé sous silence, lors de son interview, que le recourant avait renoncé à recourir contre l'ordonnance de classement en raison du montant relativement modique des frais mis à sa charge. La société plaignante avait non seulement retiré sa plainte, mais aussi admis que les reproches étaient infondés. Les points favorables au recourant n'avaient pas été relevés, ce que l'arrêt cantonal ignorerait. Celui-ci passerait aussi sous silence que le Procureur Gillard avait précédemment refusé de communiquer son ordonnance aux médias. Il retiendrait par ailleurs différents faits inexacts: le Procureur général connaissait l'existence des demandes de la RTS au moment de l'interview; il était aussi faux de considérer que le Procureur Gillard n'avait pas été saisi d'une demande de communication.
Le recourant reproche par ailleurs à la cour cantonale d'avoir indûment refusé d'ordonner la production des échanges par voie électronique entre le Procureur général et les journalistes; ces éléments étaient faciles à obtenir et pouvaient permettre d'établir que le magistrat aurait orienté les journalistes et qu'il connaissait la demande des médias au moment de donner son interview.
2.1. Le Tribunal fédéral fonde son raisonnement sur les faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266; 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Si le recourant entend s'écarter des constatations de fait de l'autorité précédente, il doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées et la correction du vice susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF; ATF 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62).
2.1.1. L'arrêt attaqué reprend dans sa partie en fait l'ensemble des griefs faits au Procureur général, notamment les précédentes demandes de communication et les décisions du premier magistrat, ainsi que les éléments à charge évoqués lors de l'interview. L'article de presse est d'ailleurs cité in extenso. En réalité, le recourant fait sur ces points grief à la cour cantonale d'avoir retenu d'autres faits pour nier une apparence de prévention, ce qui ne relève pas du droit d'être entendu ou de l'établissement des faits, mais du fond.
2.1.2. L'arrêt attaqué n'exclut pas que des demandes de communication aient été adressées au Ministère public avant l'interview du Procureur général; celles-ci avaient été rejetées par le précédent magistrat, sans que cela n'ait fait l'objet de décisions formelles. L'arrêt attaqué retient que la demande de la RTS a été adressée le 9 décembre 2014, mais qu'il n'en a été pris connaissance que le 15 décembre suivant, celle-ci ayant été adressée sur la boîte "info" du Ministère public. L'existence de requêtes informelles présentées auparavant - et traitées de manière également informelle par le précédent magistrat - ne permet pas de tenir cette considération pour arbitraire. Le recourant considère d'ailleurs avec raison que l'existence d'une précédente demande de consultation est sans pertinence pour juger d'une éventuelle prévention du magistrat. L'arrêt attaqué retient également (consid. 3/b/aa) que le Procureur Gillard avait déjà été sollicité par plusieurs journalistes auxquels il avait opposé un refus; comme le relève le même arrêt, la question de savoir s'il faut y voir des décisions formelles ou non relève de l'appréciation du droit, et non de l'établissement des faits. Il n'y a sur ce point aucun arbitraire.
2.2. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit pour l'intéressé de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 135 II 286 consid. 5.1 p. 293; 135 I 279 consid. 2.3 p. 282). L'autorité peut cependant renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de forger sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 p. 299; 134 I 140 consid. 5.2 p. 147 s.; 130 II 425 consid. 2.1 p. 429).
En l'occurrence, les preuves requises par le recourant sont les courriels que le Procureur général aurait échangés avec les journalistes. Cela permettrait de mettre à jour des conseils ou autres renseignements donnés par le magistrat, et de démontrer qu'une demande de consultation adressée au précédent magistrat le 3 décembre 2014 était également parvenue au Procureur général. L'arrêt attaqué reconnaît que des demandes ont été adressées préalablement au Ministère public, mais considère que celles-ci ont pu être traitées de façon informelle par le magistrat précédent, de sorte que le Procureur général n'avait pas à intervenir. Le magistrat intimé affirme n'avoir eu avec des journalistes aucun échange tel qu'évoqué par le recourant. Le ton et la teneur de la réponse du 15 décembre 2014 de ce magistrat aux journalistes semblent effectivement confirmer qu'aucun contact n'avait été pris auparavant. Dans ces circonstances, il n'y avait pas lieu de mettre en doute les explications du magistrat, de sorte que le moyen de preuve - dont la mise en oeuvre n'était pas évidente puisqu'il s'agissait d'inspecter le contenu de la messagerie électronique du Ministère public - pouvait être refusé à juste titre.
3.
Sur le fond, le recourant persiste dans les termes de sa demande de récusation. Il rappelle que le Procureur général était appelé à statuer sur la demande de consultation de l'ordonnance de classement et à s'interroger sur l'intérêt public pouvant justifier une telle divulgation. Le fait d'avoir accordé une interview portant sur le contenu de cette ordonnance, en donnant dans le détail de nombreux éléments à charge et en omettant les éléments à décharge, constituerait un indice clair de prévention puisque le magistrat se serait ainsi prononcé en faveur d'une divulgation alors qu'il connaissait à tout le moins l'intérêt des médias et savait que le Procureur Gillard s'était déjà prononcé négativement à ce propos. Le dessaisissement de ce dernier et la brièveté des délais impartis au recourant pour se déterminer (alors qu'il n'y avait aucune urgence) constitueraient des indices supplémentaires de prévention.
3.1. L'art. 29 al. 1 Cst. dispose que toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement. Selon la jurisprudence, ce droit permet notamment d'exiger la récusation des membres d'une autorité administrative dont la situation ou le comportement sont de nature à faire naître un doute sur leur indépendance ou leur impartialité; il tend à éviter que des circonstances extérieures à l'affaire ne puissent influencer une décision en faveur ou au détriment de la personne concernée. La récusation peut s'imposer même si une prévention effective du membre de l'autorité visée n'est pas établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale. Cependant, seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération; les impressions purement individuelles d'une des personnes impliquées ne sont pas décisives (ATF 127 I 196 consid. 2b p. 198; 125 I 119 consid. 3b p. 123).
Contrairement à l'art. 30 al. 1 Cst., l'art. 29 al. 1 Cst. n'impose pas l'indépendance et l'impartialité comme maxime d'organisation. En règle générale, les prises de position qui s'inscrivent dans l'exercice normal de fonctions gouvernementales, administratives ou de gestion, ou dans les attributions normales de l'autorité, ne permettent pas de conclure à l'apparence de la partialité et ne justifient pas la récusation (cf. ATF 125 I 119 consid. 3f p. 124 s., 209 consid. 8a p. 218; arrêt 2P.56/2004 du 4 novembre 2004 consid. 3.3). Une autorité a en revanche le devoir de se récuser lorsqu'il apparaît qu'elle s'est forgée une opinion inébranlable avant même d'avoir pris connaissance de tous les faits pertinents de la cause (cf. arrêt 1C_455/2010 du 7 janvier 2011 consid. 2.2 et les arrêts cités). Le droit cantonal (art. 9 ss LPA/VD) reprend les mêmes principes.
3.2. Pour l'essentiel, les griefs du recourant se rapportent à l'interview donnée par le Procureur général. L'affaire ayant connu un grand retentissement médiatique, il était compréhensible que le Procureur accepte de répondre à la presse, ce d'autant que le recourant lui-même avait fait paraître un communiqué au sujet de son acquittement. L'article paru dans le "Matin Dimanche" a pour titre et pour sujet le paiement par le recourant des frais de justice malgré la décision de classement. Le Procureur a ainsi relaté les faits à l'origine de la procédure, le retrait de la plainte et le reproche fait au recourant d'avoir compliqué l'enquête. Il a ensuite confirmé que les 100'000 bouteilles de St-Saphorin étaient conformes à la réglementation et qu'elles ne contenaient pas de fendant, précisant encore que cette conclusion était fondée non sur une analyse chimique, mais sur l'examen des documents à disposition. L'article de presse concernant la mise à la charge du recourant des frais de justice, il était logique que le Procureur s'exprime sur les causes d'une telle décision. Ses réponses confirment clairement qu'aucune infraction pénale n'a été retenue et que les bouteilles avaient un contenu conforme. Les reproches justifiant la mise à charge des frais sont exposés de manière objective.
Le recourant perd en définitive de vue que la pesée des intérêts doit s'effectuer de manière différente selon qu'il s'agit de répondre à quatre questions précises pour expliquer un point de procédure - la mise à la charge des frais - ou de remettre aux médias l'intégralité de l'ordonnance de classement. Dans cette perspective, les réponses du Procureur dans l'article en question ne font ressortir aucune prévention.
3.3. Il en va de même de la procédure suivie jusque-là: il ne saurait être reproché au Procureur général de s'être substitué au magistrat précédent dès lors que celui-ci avait mis fin à la procédure par un classement, que la demande formelle lui avait été adressée personnellement et que les refus opposés par son prédécesseur n'avaient pas fait l'objet de décisions formelles. Dans une affaire très fortement médiatisée, le Procureur général doit pouvoir décider lui-même de la manière de communiquer du Ministère public. Le recourant ne prétend d'ailleurs pas qu'il en résulterait une violation des règles de compétence. Il invoque les art. 12 et 15 du règlement de l'ordre judiciaire sur l'information (ROJI, RS/VD 170.21.2) alors que, selon l'arrêt attaqué, ce règlement ne s'applique pas au Ministère public. L'arrêt attaqué n'a rien d'arbitraire sur ce point également.
3.4. Quant aux délais imposés au recourant pour se prononcer sur la demande de communication (soit quarante-huit heures, puis une prolongation de quelques jours), ils s'expliquent aisément par la nécessité de répondre sans retard aux demandes des médias, l'affaire ayant été déjà largement médiatisée. Cela peut également expliquer le fait que le Procureur général ait statué sur les demandes de communication sans attendre l'issue du présent recours. Il n'en résulte aucun préjudice pour le recourant puisque l'exécution de ces décisions est suspendue jusqu'à droit jugé sur le fond.
Le recourant reproche enfin à la cour cantonale de ne pas avoir statué sur le grief selon lequel, dans ses déterminations du 8 janvier 2014 (recte: 2015), le Procureur général se serait déjà prononcé sur la force de chose jugée des décisions du magistrat précédent. Cette prise de position répond toutefois aux griefs concernant le prétendu dessaisissement du précédent magistrat. Le Procureur général a d'ailleurs pris la peine de préciser que cette question devrait être examinée lors du traitement au fond des demandes de communication. Cela rendait sans objet le grief soulevé par le recours et n'appelait dès lors pas de motivation particulière.
4.
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté, aux frais du recourant (art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public.
Lausanne, le 7 juillet 2015
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant : Merkli
Le Greffier : Kurz