BGer 1B_112/2015 |
BGer 1B_112/2015 vom 14.07.2015 |
{T 0/2}
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1B_112/2015
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Arrêt du 14 juillet 2015 |
Ire Cour de droit public |
Composition
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MM. les Juges fédéraux Merkli, Juge présidant,
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Chaix et Kneubühler.
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Greffière : Mme Kropf.
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Participants à la procédure
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1. A.________,
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2. B.________ S A,
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tous les deux représentés par Me Robert Fox, avocat,
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recourants,
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contre
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1. Fondation X.________,
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2. Y.________,
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3. Z.________,
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tous les trois représentés par Me Philippe Reymond,
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avocat,
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intimés,
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Ministère public central du canton de Vaud,
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Division criminalité économique et entraide judiciaire.
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Objet
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Refus de lever un séquestre,
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recours contre l'arrêt de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 2 février 2015.
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Faits : |
A. A la suite de la plainte déposée par la Fondation X.________, le Ministère public du canton de Vaud a ouvert une instruction pénale contre A.________ - représentant des sociétés B.________ SA et W.________ -, pour abus de confiance, escroquerie, gestion déloyale et infraction à la loi fédérale du 19 décembre 1986 sur la concurrence déloyale (LCD; RS 241). Le Procureur a procédé à différents séquestres, dont, par ordonnance du 15 novembre 2013, à celui des parts de propriété appartenant au prévenu et aux deux sociétés susmentionnées; l'inscription de restrictions du droit d'aliéner a été requise auprès des registres fonciers concernés.
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Sur requête de B.________ SA, la mesure de blocage relative au bien-fond n° xxx sis à U.________ a été levée par ordonnance du 11 juillet 2014 afin que la société puisse procéder à la vente de cet immeuble; le Ministère public a cependant ordonné le séquestre du montant net de la vente (6'484'478 fr. 55).
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Le 10 décembre 2014, Y.________ et Z.________ se sont constitués parties plaignantes au civil et au pénal dans la cause concernant A.________, estimant avoir subi un préjudice de 591'202 fr. 10 pour le premier, respectivement de 707'423 fr. 80 pour la seconde.
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Par ordonnance du 23 décembre 2014, le Ministère public a levé les séquestres portant sur le montant de la vente du bien-fond n° xxx à hauteur de 1'882'480.55 fr. et sur les immeubles propriétés de A.________, de B.________ SA, ainsi que de W.________; en revanche, la mesure a été maintenue pour le montant correspondant aux préjudices allégués par les trois plaignants (4'601'998 fr.).
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B. Le 2 février 2015, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois a admis le recours formé par la Fondation X.________, par Y.________, ainsi que par Z.________ (ci-après : les plaignants ou les intimés) contre la levée partielle des séquestres. Elle a en substance considéré que l'état de l'instruction ne permettait pas de déterminer avec exactitude la part des fonds qui pourraient provenir d'une activité délictueuse, relevant en particulier qu'il ne lui semblait pas qu'il y ait correspondance entre le dommage subi par les plaignants et l'enrichissement éventuel du prévenu.
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C. Par acte reçu le 7 avril 2015, A.________ et la société B.________ SA (ci-après : les recourants) forment un recours en matière pénale contre ce jugement, concluant à son annulation et au renvoi de la cause à l'autorité précédente. A titre subsidiaire, ils requièrent la levée du séquestre ordonné à l'encontre de B.________ SA à concurrence de 1'882'480 fr. Encore plus subsidiairement, ils demandent la levée partielle des séquestres ordonnés contre A.________, W.________ et B.________ SA, s'en remettant en substance à justice s'agissant des modalités de calcul.
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Invitée à se déterminer, la cour cantonale s'est référée à ses considérants. Quant au Ministère public, il a renvoyé à son ordonnance du 23 décembre 2014. Les intimés ont conclu en substance au rejet du recours. Le 16 juin 2015, respectivement le 29 suivant, les recourants et les intimés ont persisté dans leurs conclusions.
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Considérant en droit : |
1. Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement les conditions de recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 140 IV 57 consid. 2 p. 59).
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1.1. Le recours en matière pénale (art. 78 al. 1 LTF), déposé en temps utile (art. 46 al. 1 let. a et 100 al. 1 LTF), est ouvert contre une décision de séquestre, prise au cours de la procédure pénale, et confirmée en dernière instance cantonale (art. 80 LTF).
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1.2. Le séquestre pénal étant une décision à caractère incident, le recours n'est recevable que si l'acte attaqué est susceptible de causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF; ATF 140 IV 57 consid. 2.3 p. 60 et les références citées). Tel est le cas lorsque le détenteur se trouve privé temporairement de la libre disposition des biens et/ou valeurs saisies (ATF 126 I 97 consid. 1b p. 101; voir également ATF 133 IV 139 consid. 4 p. 141; 128 I 129 consid. 1 p. 131).
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Si la qualité de propriétaire des bien-fonds, ainsi que, pour la société recourante, du montant de la vente de l'un d'eux, ouvre la qualité pour recourir (art. 81 al. 1 LTF), il y a lieu de préciser que celle-ci ne peut concerner que les biens et immeubles appartenant aux recourants, à l'exclusion de celui propriété de la société W.________; il est d'ailleurs relevé que les conclusions prises par les intimés devant l'autorité précédente ne tendaient au maintien de la mesure de contrainte que sur "les objets séquestrés au préjudice du prévenu et de la société B.________ SA".
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1.3. La partie recourante ne peut se borner à demander l'annulation de la décision attaquée et le renvoi de la cause; elle doit en principe prendre des conclusions sur le fond du litige (art. 42 al. 2 et 107 al. 2 LTF; ATF 137 II 313 consid. 1.3 p. 317 et les références citées). Cependant, au vu du grief relatif à une possible violation du droit d'être entendu et des conclusions subsidiaires prises par les recourants, il y a lieu d'entrer en matière.
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2. Dans un premier grief d'ordre formel, les recourants se plaignent d'une violation de leur droit d'être entendus. Ils prétendent à cet égard ne pas avoir reçu une copie des écritures spontanées déposées par les intimés en date du 29 janvier 2015; les recourants affirment n'en avoir eu connaissance qu'à la lecture de l'arrêt entrepris. Ils soutiennent de plus que la cour cantonale aurait fondé son raisonnement en y faisant référence.
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2.1. En vertu de l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu garantit notamment au justiciable le droit de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos, que celle-ci contienne ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit, et qu'elle soit ou non concrètement susceptible d'influer sur le jugement à rendre. Il appartient en effet aux parties, et non au juge, de décider si une prise de position ou une pièce nouvellement versée au dossier contient des éléments déterminants qui appellent des observations de leur part. Toute prise de position ou pièce nouvelle versée au dossier doit dès lors être communiquée aux parties pour leur permettre de décider si elles veulent ou non faire usage de leur faculté de se déterminer (ATF 139 I 189 consid. 3.2 p. 192 et les références citées).
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Le droit d'être entendu est un grief d'ordre formel, dont la violation entraîne l'annulation de la décision attaquée indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 137 I 195 consid. 2.2 p. 197; 135 I 279 consid. 2.6.1 p. 285 et les références citées). La jurisprudence admet toutefois qu'une violation du droit d'être entendu peut être considérée comme réparée lorsque l'intéressé jouit de la possibilité de s'exprimer librement devant une autorité de recours disposant du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure et pouvant ainsi contrôler librement l'état de fait et les considérations juridiques de la décision attaquée (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 p. 197 s. et les arrêts cités). Une telle réparation dépend de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 135 I 276 consid. 2.6.1 p. 285; 126 I 68 consid. 2 p. 72). Elle peut également se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 136 V 117 consid. 4.2.2.2 p. 126 s. et les arrêts cités).
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2.2. En l'occurrence, aucune pièce au dossier cantonal ne permet d'attester que les écritures spontanées des intimés du 29 janvier 2015 auraient été transmises aux recourants; tant la juridiction précédente que les intimés ne le prétendent d'ailleurs pas.
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Une possible référence par la cour cantonale à ces déterminations pour fonder son raisonnement n'est pas d'emblée évidente à la lecture du jugement attaqué; cela ne ressort pas non plus de manière manifeste du paragraphe cité par les recourants à titre d'exemple ("On ne peut [...] 10'000 d'euros convertis en francs suisses", p. 12 de l'arrêt entrepris). Cependant, ces observations sont mentionnées dans les faits du jugement attaqué et leur contenu tend à démontrer que le maintien des séquestres sur l'entier des biens des recourants serait conforme au principe de proportionnalité, en particulier au vu de l'ampleur du dommage subi par les plaignants, certes pas encore chiffré. Dès lors que la juridiction précédente a ordonné le maintien de l'ensemble des séquestres, tel que demandé par les intimés, il ne peut être exclu qu'elle ait tenu compte de ces écritures au moment de statuer.
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Partant, le grief de violation du droit d'être entendu doit être admis.
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2.3. Au regard de l'importance du principe de proportionnalité en matière de séquestre, la violation du droit d'être entendu qui a été constatée ne peut pas être considérée comme guérie au cours de l'instance fédérale, même si cette problématique a été soulevée par les recourants.
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Cela étant, en vertu du principe de la proportionnalité qui s'applique à tous les stades de la procédure, les probabilités d'une confiscation, respectivement du prononcé d'une créance compensatrice, doivent se renforcer au cours de l'instruction (arrêt 1B_416/2012 du 30 octobre 2012 consid. 2.2). L'étendue du séquestre doit également rester en rapport avec le produit de l'infraction poursuivie (ATF 130 II 329 consid. 6). Il en résulte que, cas échéant, le Ministère public adapte les valeurs placées sous séquestre. Les plaignants sont certes légitimés à requérir la garantie de leurs prétentions au prononcé d'une créance compensatrice en leur faveur (art. 73 al. 1 let. c CP). En revanche, il ne leur appartient pas de défendre les intérêts de l'Etat au prononcé d'une créance d'un montant supérieur à celui de leur préjudice, ce rôle étant dévolu au Ministère public (ATF 140 IV 57 consid. 2.4 p. 61 et 4.2 p. 64 ss).
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3. Il s'ensuit que le recours est admis. L'arrêt du 2 février 2015 est annulé et la cause est renvoyée à l'autorité précédente afin qu'elle octroie aux recourants la possibilité de présenter des observations à la suite des écritures du 29 janvier 2015 avant de statuer à nouveau.
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Les recourants, qui obtiennent gain de cause avec l'assistance d'un avocat, ont droit à l'octroi de dépens à la charge du canton de Vaud (art. 68 al. 1 LTF). Les intimés s'en sont remis à justice s'agissant du grief de violation du droit d'être entendu, il ne leur est dès lors pas alloué de dépens. Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce : |
1. Le recours est admis. L'arrêt du 2 février 2015 de la Chambre des recours pénale du canton de Vaud est annulé et la cause lui est renvoyée pour nouvelle décision au sens des considérants.
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2. Une indemnité de dépens arrêtée à 2'000 fr. est allouée aux recourants à la charge du canton de Vaud.
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3. Il n'est pas alloué de dépens aux intimés.
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4. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
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5. Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Ministère public central du canton de Vaud, Division criminalité économique et entraide judiciaire, et à la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
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Lausanne, le 14 juillet 2015
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Au nom de la Ire Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Juge présidant: Merkli
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La Greffière : Kropf
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