BGer 4A_316/2015 |
BGer 4A_316/2015 vom 09.10.2015 |
{T 0/2}
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4A_316/2015
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Arrêt du 9 octobre 2015 |
Ire Cour de droit civil |
Composition
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Mmes et M. les Juges fédéraux Kiss, présidente, Kolly et Hohl.
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Greffière: Mme Monti.
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Participants à la procédure
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A.________, représenté par
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Me Tania Nicolini,
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recourant,
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contre
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B.________ SA, représentée par Me Pierre Banna,
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intimée.
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Objet
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contrat de bail à loyer; sous-location,
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recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 11 mai 2015 par la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève.
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Faits : |
A. C.________ était locataire, à Genève, d'une arcade abritant une cordonnerie ainsi que d'un appartement de quatre pièces sis dans le même immeuble. Dès le 1 er juillet 1984, A.________ a repris le bail de l'arcade. Quelques mois plus tard, le précédent locataire a définitivement quitté la Suisse.
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A compter du 1 er juillet 1987, A.________ a aussi repris le bail de l'appartement. Il n'y a jamais emménagé, car il disposait déjà d'un logement. L'appartement a été occupé par sa belle-soeur D.________, par ailleurs soeur du locataire précédent; celle-ci payait le loyer directement à la gérance. A la fin de l'année 2004, A.________ a définitivement quitté la Suisse; sa belle-soeur a continué à occuper l'appartement.
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Le 5 décembre 2008, la gérance a envoyé une lettre à A.________ (ci-après: le locataire), à l'adresse de l'appartement; elle lui demandait des renseignements au sujet de la personne non titulaire du bail qui habitait également l'appartement. D.________ a répondu que le locataire n'entendait pas habiter l'appartement et qu'elle y avait emménagé, ce dont elle avait informé la régie de l'époque; elle disait ne plus se souvenir des détails dès lors que les faits remontaient à plus de vingt ans.
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Par lettre du 20 septembre 2013 adressée au locataire, la gérance a écrit qu'elle avait vainement tenté de le joindre à plusieurs reprises pour obtenir des informations concernant les occupants de son appartement et les conditions de leur occupation; elle avait également essayé de lui laisser des messages par l'intermédiaire de sa "sous-locataire Madame D.________", sans succès. Elle a mis le locataire en demeure de la contacter pour organiser une rencontre et une inspection de l'appartement, faute de quoi son bail serait résilié pour la prochaine échéance.
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Le 14 octobre 2013, l'ASLOCA a déposé au nom de A.________ une "requête en constatation de droit" devant la Commission de conciliation, tendant à faire constater que la bailleresse B.________ SA avait autorisé le locataire à sous-louer l'appartement à D.________ aux mêmes conditions que le bail principal, pour une durée indéterminée. Le locataire étant domicilié en Espagne, l'ASLOCA a été autorisée à le représenter. La cause a été déclarée non conciliée.
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B. |
B.a. La cause a été portée devant le Tribunal des baux et loyers du canton de Genève. Lors de l'audience du 2 juin 2014, le conseil de A.________, soit un avocat au service de l'ASLOCA, a déclaré qu'il n'avait jamais vu le prénommé. Il avait été consulté par D.________ et par E.________, fille du locataire; cette dernière lui avait donné une procuration émanant de son père. De facto, sa cliente était D.________. L'avocat a ajouté qu'à sa connaissance il n'y avait pas de contrat de sous-location écrit entre D.________ et le locataire; ce dernier n'avait pas l'intention de revenir vivre en Suisse dans l'appartement litigieux où il n'avait jamais vécu.
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Par jugement du 1 er septembre 2014, le Tribunal a débouté le locataire de toutes ses conclusions; celui-ci avait certes obtenu, par actes concluants, l'autorisation de sous-louer l'appartement, mais il n'était pas prouvé que cette autorisation avait été donnée pour une durée indéterminée.
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B.b. Statuant par arrêt du 11 mai 2015, la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice a rejeté l'appel déposé par l'ASLOCA au nom de A.________. Comme le juge de première instance, la Chambre cantonale a retenu que le locataire avait reçu l'autorisation de sous-louer. Elle constatait toutefois qu'il n'avait pas apporté d'éléments démontrant que la sous-location avait été autorisée sans conditions, notamment quant à sa durée; il ne pouvait pas non plus se prévaloir de déclarations ou d'un comportement de la bailleresse permettant d'inférer que la sous-location avait été autorisée pour une durée indéterminée. La Chambre n'a toutefois pas définitivement tranché cette dernière question, qu'elle n'a pas considérée comme déterminante. Elle a relevé que le locataire vivait à l'étranger depuis dix ans et n'avait pas l'intention de venir vivre dans l'appartement litigieux, qu'il n'avait jamais habité. Elle en a conclu que la sous-location était abusive, A.________ ayant de fait procédé à une substitution de locataire. En conséquence, sa requête en constatation était elle-même constitutive d'un abus de droit.
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C. L'avocate Tania Nicolini a déposé un recours en matière civile au nom de A.________ (ci-après: le recourant). Elle a joint une procuration sur laquelle le nom du recourant figure en tant que mandant; au bas de la formule se trouve la signature manuscrite "[...] A.________" sans paraphe, alors que diverses pièces figurant au dossier et émanant du recourant - dont la procuration à l'ASLOCA - portent la signature "A.________" accompagnée d'un paraphe. Le recours tend à faire constater que la bailleresse a autorisé le locataire à sous-louer son appartement à D.________, aux mêmes conditions que le bail principal, pour une durée indéterminée.
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La bailleresse B.________ SA (l'intimée) conclut à ce que le recourant soit débouté de toutes ses conclusions. Le recourant a par la suite déposé des observations. Quant à l'autorité précédente, elle s'est référée à son arrêt.
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Considérant en droit : |
1. Le Tribunal fédéral examine d'office la recevabilité des recours (ATF 137 III 417 consid. 1).
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1.1. Devant le Tribunal fédéral, les mandataires doivent justifier de leurs pouvoirs par une procuration (art. 40 al. 2 LTF). Une nouvelle avocate représente le recourant devant la cour de céans (cf. ATF 139 III 249). La procuration qu'elle a produite ne porte, à première vue, pas la signature du recourant. Il n'y a pas lieu d'examiner la question plus avant, le recours étant de toute façon irrecevable pour un autre motif.
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1.2. L'action en constatation peut être intentée pour faire constater l'existence ou l'inexistence d'un droit ou d'un rapport de droit, à condition que le demandeur justifie d'un intérêt digne de protection à la constatation immédiate de la situation de droit. Il n'est pas nécessaire que cet intérêt soit de nature juridique. Il peut s'agir d'un pur intérêt de fait. La condition est remplie notamment lorsque les relations juridiques entre les parties sont incertaines et que cette incertitude peut être levée par la constatation judiciaire. N'importe quelle incertitude ne suffit pas; encore faut-il que l'on ne puisse pas exiger de la partie demanderesse qu'elle tolère plus longtemps le maintien de cette incertitude, parce que celle-ci l'entrave dans sa liberté de décision (art. 88 et art. 59 al. 2 let. a CPC; ATF 141 III 68 consid. 2.2 et 2.3). En outre, un litige doit en principe être soumis au juge dans son ensemble; le demandeur ne peut pas poser une question juridique isolée par la voie d'une action en constatation, comme s'il sollicitait un avis de droit (ATF 135 III 378 consid. 2.2 i.f.).
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Le recourant entend faire constater que l'intimée (respectivement la bailleresse précédente) l'a autorisé à sous-louer l'appartement pour une durée indéterminée. Il ne s'agit là que d'une question préjudicielle du différend qui pourrait le cas échéant opposer les parties, c'est-à-dire la question de savoir si une éventuelle résiliation du bail, au motif que le recourant n'occupe pas et n'entend pas occuper l'appartement, contreviendrait aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1 et art. 271a al. 1 let. a CO). Quoi qu'il en soit, on ne discerne pas en quoi le maintien de l'incertitude sur la durée de l'autorisation de sous-louer entraverait le recourant dans sa liberté de décision et serait intolérable pour lui, ni pour quel motif on ne saurait lui demander d'attendre une éventuelle résiliation pour ensuite seulement la contester devant le juge. En l'espèce, il n'existe aucun intérêt digne de protection à une constatation immédiate. La conclusion prise par le recourant est irrecevable.
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2. A supposer que la question soulevée par le recourant doive être traitée, le recours ne pourrait qu'être rejeté.
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Il a été constaté que la sous-location avait été autorisée implicitement. Il en découle par la force des choses que les parties n'ont pas fixé de durée maximale ou de terme pour la sous-location. Celle-ci est donc de durée indéterminée, dans le sens qu'aucune limite précise n'a été stipulée. Cela ne signifie toutefois pas que l'autorisation vaut sans aucune limite temporelle, en quelque sorte ad aeternam.
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La cour de céans a récemment précisé sa jurisprudence dans le sens que la sous-location de l'entier de l'appartement n'est licite que si le locataire a l'intention de réoccuper lui-même l'objet loué dans un laps de temps prévisible, intention qui doit résulter d'un besoin légitime et clairement perceptible; elle a ajouté qu'il fallait être relativement restrictif en la matière pour éviter que l'institution de la sous-location ne soit dénaturée et serve à éluder les conditions de transfert du bail. Car si l'on tolérait la sous-location simplement dans la perspective d'événements futurs incertains, on peut penser que de nombreux locataires, surtout en période de pénurie de logements, n'abandonneraient plus leur droit et on verrait se multiplier la catégorie des sous-bailleurs; on pourrait même imaginer des sous-locations en cascade, ce qui aboutirait à une possession quasiment féodale des biens immobiliers, l'occupant détenant son droit de son bailleur direct, lequel le détiendrait d'un autre bailleur de rang supérieur et ainsi de suite. Une telle situation ne serait ni dans l'intérêt des propriétaires, ni dans celui des locataires. En permettant la sous-location à l'art. 262 CO, le législateur n'avait certainement pas en vue des locataires qui s'incrustent dans leur droit tout en ayant quitté les lieux (ATF 138 III 59 consid. 2.2.1; arrêt 4A_367/2010 du 4 octobre 2010 consid. 2.1, in CdB 2011 15). Cela signifie que si le locataire ayant quitté l'objet sous-loué ne le regagne pas après l'écoulement de son temps d'absence temporaire légitime, la sous-location autorisée pour une durée indéterminée perd son caractère licite; à noter qu'elle est d'emblée illicite si dès la conclusion du contrat de sous-location, le locataire n'a pas l'intention de retourner plus tard dans l'objet loué.
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En l'espèce, la sous-location totale dure depuis plus d'un quart de siècle et le locataire a quitté la Suisse il y a dix ans, sans aucune intention d'y revenir. Dans ces conditions, une éventuelle résiliation ordinaire du bail ne saurait bien évidemment contrevenir aux règles de la bonne foi en raison d'une autorisation de sous-louer de durée indéterminée.
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3. L'autorité précédente n'a pas déclaré la demande en constatation irrecevable, mais l'a rejetée; il n'y a pas lieu de corriger l'arrêt attaqué dans ce sens, faute d'intérêt. Le recourant supporte les frais et dépens de la présente procédure (art. 66 al. 1 et art. 68 al. 1 et 2 LTF).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce : |
1. Le recours est irrecevable.
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2. Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
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3. Le recourant versera à l'intimée une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens.
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4. Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève.
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Lausanne, le 9 octobre 2015
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Au nom de la Ire Cour de droit civil
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du Tribunal fédéral suisse
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La Présidente: Kiss
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La Greffière: Monti
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