BGer 1B_428/2015
 
BGer 1B_428/2015 vom 22.12.2015
{T 0/2}
1B_428/2015
 
Arrêt du 22 décembre 2015
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président,
Eusebio et Chaix.
Greffière : Mme Kropf.
Participants à la procédure
recourante,
contre
Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy.
Objet
Détention pour des motifs de sûreté,
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 6 novembre 2015.
 
Faits :
A. Par acte d'accusation du 3 septembre 2015, A.________, ressortissante serbe, a été renvoyée devant le Tribunal correctionnel pour escroquerie ou abus de confiance - en raison de la remise de 740'000 fr. et de EUR 65'000.-, en 2010 et 2011, prétendument pour obtenir la libération d'un prévenu détenu en Suisse -, ainsi que pour faux dans les certificats étrangers ou falsification de marques officielles pour avoir voyagé, en 2013 et en 2014, à l'aide d'un passeport serbe établi à une autre identité que la sienne. La prévenue conteste toute culpabilité.
Le 11 septembre 2015, le Tribunal correctionnel a renvoyé la cause au Ministère public de la République et canton de Genève pour que les pièces de la procédure en langue allemande soient traduites. Le recours formé par le Procureur contre cette décision a été admis le 6 novembre 2015.
B. A la suite de l'avis de recherche émis en 2013, A.________ a été appréhendée le 25 avril 2015 à Zurich. Le 29 suivant, elle a été placée en détention provisoire, puis pour motifs de sûreté jusqu'au 7 décembre 2015. Le 20 octobre 2015, le Tribunal des mesures de contrainte (Tmc) a rejeté la requête de mise en liberté déposée par la prévenue, considérant notamment qu'au vu de la question de la traduction des pièces, l'examen d'une éventuelle violation du principe de célérité était prématuré.
C. Par arrêt du 6 novembre 2015, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève a rejeté le recours intenté contre cette décision par A.________. Cette autorité a retenu l'existence de charges suffisantes, ainsi que d'un risque de fuite qu'aucune mesure de substitution ne permettait de pallier. Elle a estimé que le principe de proportionnalité était respecté au regard de la durée de la détention subie et que celui de célérité n'était pas violé par le déroulement de la procédure.
D. Par acte du 9 décembre 2015, A.________ forme un recours en matière pénale contre ce jugement, concluant à sa libération immédiate et à la constatation de la violation du principe de célérité. A titre subsidiaire, elle demande le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision. Elle sollicite également l'octroi de l'assistance judiciaire.
Invité à se déterminer, le Ministère public a conclu au rejet du recours. Quant à l'autorité précédente, elle s'est référée à ses considérants. Le 22 décembre 2015, la recourante a persisté dans ses conclusions.
 
Considérant en droit :
1. Le recours en matière pénale (art. 78 al. 1 LTF) est ouvert contre une décision relative à la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté au sens des art. 212 ss CPP (ATF 137 IV 22 consid. 1 p. 23).
Si la détention pour motifs de sûreté repose actuellement sur l'ordonnance du 2 décembre 2015 - décision qui n'est pas à l'origine de la présente procédure et que la recourante affirme vouloir contester -, elle dispose toujours d'un intérêt actuel et pratique à la vérification des conditions ayant conduit au rejet de sa requête de mise en liberté (cf. art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF; arrêts 1B_390/2014 du 22 décembre 2014 consid. 1; 1B_98/2014 du 31 mars 2014 consid. 1.2.2).
Dès lors que l'acte de procédure litigieux ne met pas un terme à la procédure pénale (art. 90 s. LTF), il s'agit d'une décision incidente prise séparément au sens de l'art. 93 al. 1 LTF. La décision ordonnant le maintien en détention de la prévenue étant susceptible de lui causer un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (arrêt 1B_144/2015 du 11 mai 2015 consid. 1), elle peut faire l'objet d'un recours au Tribunal fédéral.
Le recours a en outre été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue en dernière instance cantonale (art. 80 LTF) et les conclusions présentées sont recevables au regard de l'art. 107 al. 2 LTF. Il y a donc lieu d'entrer en matière.
2. Contestant l'existence de charges suffisantes, la recourante soutient en substance que les déclarations de la partie plaignante ne seraient pas crédibles; cela vaudrait d'autant plus au regard des contradictions ressortant des déclarations des témoins entendus, dont un en commission rogatoire et la belle-fille du plaignant. La recourante prétend aussi que la seule possible infraction à l'art. 246 en lien avec l'art. 255 CP ne suffirait pas pour justifier son maintien en détention.
2.1. Une mesure de détention préventive n'est compatible avec la liberté personnelle garantie aux art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH que si elle repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et art. 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce l'art. 221 CPP. Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.). Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par les besoins de l'instruction, par un risque de fuite ou par un danger de collusion ou de réitération (art. 221 al. 1 let. a, b et c CPP).
Préalablement à ces conditions, il doit exister des charges suffisantes, soit de sérieux soupçons de culpabilité, à l'égard de l'intéressé (art. 221 al. 1 CPP; art. 5 § 1 let. c CEDH), c'est-à-dire des raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis une infraction. Il n'appartient cependant pas au juge de la détention de procéder à une pesée complète des éléments à charge et à décharge et d'apprécier la crédibilité des personnes qui mettent en cause le prévenu. Il doit uniquement examiner s'il existe des indices sérieux de culpabilité justifiant une telle mesure. L'intensité des charges propres à motiver un maintien en détention préventive n'est pas la même aux divers stades de l'instruction pénale; si des soupçons, même encore peu précis, peuvent être suffisants dans les premiers temps de l'enquête, la perspective d'une condamnation doit apparaître vraisemblable après l'accomplissement des actes d'instruction envisageables (ATF 137 IV 122 consid. 3.2 p. 126 s.).
2.2. La Chambre pénale de recours a retenu qu'il appartenait à l'autorité de jugement d'apprécier la crédibilité des déclarations du plaignant; pour le juge de la détention, il était en revanche suffisant de constater que ces accusations n'avaient jamais varié sur l'essentiel; il s'agissait de demandes d'argent par la recourante au motif d'obtenir l'élargissement du fils du plaignant et peu importait que ce dernier ait pu alors s'imaginer que ces fonds serviraient à payer une caution ou à soudoyer des agents de l'Etat. Selon la cour cantonale, la recourante ne pouvait pas non plus tirer argument des déclarations figurant en allemand dans la plainte pénale relatives à une quittance prétendument signée par elle-même; en effet, l'allemand alors utilisé n'était pas la langue maternelle du plaignant et celui-ci avait de plus rectifié - ou rétracté - cette affirmation. La juridiction précédente a ensuite considéré qu'il en allait de même de la possible connaissance par le plaignant du témoin auditionné lors de la commission rogatoire; le second n'avait en effet que confirmé que le premier n'avait pas été le seul à être escroqué. Selon l'arrêt attaqué, le témoin avait en outre attesté ne connaître la recourante que sous une autre identité et précisé que celle-ci lui avait demandé de contracter en sa faveur, mais sous son nom à lui, un abonnement téléphonique; les juges cantonaux ont alors relevé que ces dissimulations ne représentaient pas un allégement des charges. L'autorité précédente a encore retenu que les variations des uns et des autres n'avaient rien d'inhabituel et ne suffisaient pas dans le cas d'espèce à retenir l'absence de charges suffisantes.
2.3. La recourante ne développe aucune argumentation propre à remettre en cause ce raisonnement. Reprendre les éléments soulevés devant l'autorité cantonale - procédé au demeurant contraire aux obligations en matière de motivation découlant de l'art. 42 al. 2 LTF - et substituer sa propre appréciation des faits ne sont pas suffisants pour ce faire; cela ne permet notamment pas de dénier toute crédibilité aux déclarations tenues par le plaignant et par les témoins entendus. Il appartient de plus au juge du fond d'apprécier lesdits propos, notamment eu égard à la possible relation, respectivement l'influence, existant entre le plaignant et les personnes auditionnées (belle-fille, connaissance alléguée du témoin entendu par commission rogatoire). On ne voit pas non plus en quoi le fait d'"imaginer" que l'argent servirait à soudoyer des agents étatiques prouverait l'absence de crédibilité du plaignant; une telle déclaration tend plutôt à l'auto-incrimination. En outre, dans la mesure où ce dernier a reconnu devant les autorités pénales qu'aucune quittance n'existait, contrairement à ce qui avait été soutenu dans sa plainte, ses connaissances linguistiques en allemand ne sont pas déterminantes sur cette question. Si la recourante entend aussi démontrer le défaut de crédibilité du plaignant par sa prétendue entente avec l'un des témoins, elle ne conteste, ni n'explique en revanche les dissimulations retenues par l'autorité précédente quant à sa propre identité et par rapport à la conclusion d'un abonnement téléphonique par le témoin en sa faveur.
Ces considérations, auxquelles s'ajoute d'ailleurs le renvoi en jugement, suffisent pour retenir que la condition posée à l'art. 221 al. 1 CPP est réalisée; dans ce contexte, il n'est pas nécessaire de l'examiner sous l'angle de l'art. 246 CP en lien avec l'art. 255 CP, chef d'infraction qui viendrait tout au plus renforcer les soupçons existants. Par conséquent, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral en retenant l'existence de soupçons suffisants de la commission d'une infraction (art. 221 al. 1 CPP) et ce grief doit être rejeté.
2.4. Pour le surplus, le risque de fuite retenu par la juridiction précédente pour justifier le maintien en détention n'est pas contesté par la recourante (art. 221 al. 1 let. a CPP). Cette dernière ne soutient pas non plus qu'il existerait des mesures de substitution propres à pallier ce danger (art. 237 CPP) ou que le principe de proportionnalité serait violé en raison de la durée de la détention subie (art. 36 al. 3 Cst. et 197 al. 1 let. c CPP).
2.5. Partant, c'est à juste titre et sans violer le droit fédéral que la Chambre pénale de recours a confirmé le maintien en détention pour des motifs de sûreté.
3. La recourante se plaint encore d'une violation du principe de célérité au vu des six mois séparant l'avis de clôture du 4 août 2015, respectivement des cinq mois depuis l'acte d'accusation du 3 septembre 2015, et les audiences de jugement planifiées les 1eret 2 février 2016.
3.1. Concrétisant le principe de célérité, l'art. 5 CPP impose aux autorités pénales d'engager les procédures pénales sans délai et de les mener à terme sans retard injustifié (al. 1), la procédure devant être conduite en priorité lorsqu'un prévenu est placé en détention (al. 2).
La détention peut aussi être disproportionnée en cas de retard injustifié dans le cours de la procédure pénale (ATF 128 I 149 consid. 2.2 p. 151 s.). Le caractère raisonnable de la durée d'une instruction s'apprécie selon les circonstances particulières de la cause, eu égard à la complexité de l'affaire, au comportement du requérant et des autorités compétentes, ainsi qu'à l'enjeu du litige pour le prévenu (ATF 130 I 269 consid. 3.1 p. 273; 124 I 139 consid. 2c p. 142). N'importe quel retard n'est pas suffisant pour justifier l'élargissement du prévenu. Il doit s'agir d'un manquement particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l'autorité de poursuite n'est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable (ATF 137 IV 118 consid. 2.1 p. 120). En cas de retard de moindre gravité, des injonctions particulières peuvent être données, comme par exemple la fixation d'un délai de détention maximum. C'est au surplus au juge du fond qu'il appartient, cas échéant, par une réduction de peine de tenir compte d'une violation de l'obligation de célérité (ATF 128 I 149 consid. 2.2.2 p. 152).
3.2. En l'occurrence, ce reproche est dénué de pertinence. En effet, les quelques mois de report des audiences de jugement résultent, non pas d'une inaction des autorités pénales, mais d'un incident de procédure. Certes, il en découle une prolongation de celle-ci. Cependant, l'utilisation par une partie (cf. art. 104 al. 1 let. c CPP) des droits conférés par le Code de procédure pénale (cf. art. 393 al. 1 let. b et 329 al. 2 CPP; ATF 138 IV 193 consid. 4.3.1 p. 196 s.) ne constitue pas à elle seule une violation du principe de célérité. Cela vaut d'autant plus en l'espèce puisque le recours intenté par le Ministère public contre la décision de suspension et de renvoi de la cause tend manifestement aussi à défendre les intérêts de la recourante, notamment à se voir citer rapidement devant le tribunal de première instance.
Partant, ce grief doit être rejeté.
4. Il s'ensuit que le recours est rejeté.
La recourante a demandé l'octroi de l'assistance judiciaire et les conditions en paraissent réunies (art. 64 al. 1 LTF). Il y a lieu de désigner Me Ilir Cenko en qualité d'avocat d'office et de fixer ses honoraires, qui seront supportés par la caisse du Tribunal fédéral (art. 64 al. 2 LTF). La recourante est en outre dispensée des frais judiciaires (art. 64 al. 1 LTF).
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté.
2. La demande d'assistance judiciaire est admise; Me Ilir Cenko est désigné comme avocat d'office de la recourante et une indemnité de 1'500 fr. lui est allouée à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3. Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève.
Lausanne, le 22 décembre 2015
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Fonjallaz
La Greffière : Kropf