BGer 6B_821/2015
 
BGer 6B_821/2015 vom 05.04.2016
{T 0/2}
6B_821/2015
 
Arrêt du 5 avril 2016
 
Cour de droit pénal
Composition
M. et Mmes les Juges fédéraux Denys, Président,
Jacquemoud-Rossari et Jametti.
Greffier : M. Thélin.
Participants à la procédure
P.X.________,
représenté par Me Alain Brogli, avocat,
recourant,
contre
Ministère public central du canton de Vaud,
A.________,
B.________,
C.________,
D.________, 
toutes à Lausanne, représentées par
Me Jean-Pierre Gross, avocat,
Association E.________,
représentée par Me François Besse, avocat,
intimés.
Objet
infractions contre le patrimoine
recours contre le jugement rendu le 16 février 2015
par la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal
du canton de Vaud.
 
Faits :
A. Par jugement du 25 juin 2014, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de La Côte a reconnu P.X.________ coupable d'abus de confiance, escroquerie, gestion déloyale qualifiée et gestion fautive, et il l'a condamné à quarante-deux mois de privation de liberté.
La Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud a statué le 16 février 2015 sur l'appel du prévenu. Elle a rejeté l'appel et confirmé le jugement.
En substance, les faits sont constatés comme suit:
Dès 1999, P.X.________ est devenu actionnaire unique et administrateur de la Société U.________ SA, à..., société qui prenait à bail et exploitait un complexe immobilier affecté à un établissement médico-social. L'administrateur a prélevé sur les liquidités de la société de nombreuses sommes au total de plusieurs millions de francs pour financer des dépenses personnelles, y compris des achats de biens immobiliers en Suisse et au Portugal, pour lui-même ou pour diverses personnes qui lui étaient proches, financer d'autres sociétés dont il était l'ayant droit et dont l'activité n'avait aucun rapport avec celle de U.________ SA, ou couvrir des frais professionnels disproportionnés. L'administrateur a négligé de tenir la comptabilité, omis de procéder aux assainissements qui s'imposaient, et omis de donner avis au juge du surendettement de la société. Cet avis a été donné par l'organe de révision le 18 décembre 2002; il a entraîné la faillite de U.________ SA, prononcée le 3 mars 2003. L'avis se rapportait à l'état de la société au 31 décembre 2001; il faisait notamment état de dettes de l'actionnaire ou de ses proches au total de plus de 8'760'000 francs.
Au mois de mai 2004, par l'intermédiaire d'une société néerlandaise qu'il dominait, P.X.________ est devenu l'actionnaire unique de V.________ SA, à Genève, active dans le domaine de la publicité. Il en a effectivement géré les affaires alors que son fils F.X.________ était inscrit sur le registre du commerce en qualité d'administrateur. D'une association de producteurs de pommes de terre, la société recevait des fonds qui étaient principalement destinés à payer les prestations de deux autres entreprises de publicité. De juillet à décembre 2004, P.X.________ et F.X.________ ont omis de reverser 291'341 fr.85 à ces entreprises; sur ce total, ils ont prélevé près de 100'000 fr. à des fins privées. La faillite de V.________ SA est survenue le 31 janvier 2006.
Du 25 avril au 15 mai 2004, P.X.________ s'est fait héberger dans un hôtel de Vevey alors que sa situation était obérée et qu'il savait ne pas pouvoir payer les prestations reçues. Il a quitté l'établissement en laissant impayée une note au montant de 15'106 fr.75.
B. Agissant par la voie du recours en matière pénale, P.X.________ requiert le Tribunal fédéral de l'acquitter de toute prévention. Des conclusions subsidiaires tendent à l'annulation du jugement attaqué et au renvoi de la cause à la Cour d'appel pour complément d'instruction et nouvelle décision.
 
Considérant en droit :
1. Les conditions de recevabilité du recours en matière pénale sont en principe satisfaites, notamment à raison de la qualité pour recourir.
2. Le recours est recevable pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF). Le Tribunal fédéral applique ce droit d'office, hormis les droits fondamentaux (art. 106 LTF). Il n'est pas lié par l'argumentation des parties et il apprécie librement la portée juridique des faits; il s'en tient cependant, d'ordinaire, aux questions juridiques que la partie recourante soulève dans la motivation du recours (art. 42 al. 2 LTF; ATF 140 III 86 consid. 2 p. 88; 135 III 397 consid. 1.4 p. 400; 133 II 249 consid. 1.4.1 p. 254), et il ne se prononce sur la violation de droits fondamentaux que s'il est saisi d'un grief invoqué et motivé de façon détaillée (art. 106 al. 2 LTF; ATF 138 I 171 consid. 1.4 p. 176; 134 I 83 consid. 3.2 p. 88; 134 II 244 consid. 2.2 p. 246). Il doit conduire son raisonnement juridique sur la base des faits constatés dans la décision attaquée (art. 105 al. 1 LTF); il peut toutefois compléter ou rectifier même d'office les constatations de fait qui se révèlent manifestement inexactes, c'est-à-dire arbitraires aux termes de l'art. 9 Cst. (art. 105 al. 2 LTF; ATF 141 IV 249 consid. 1.3.1 p. 253; 140 III 264 consid. 2.3 p. 266; 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62).
Des constatations de fait sont arbitraires lorsque, sans aucune raison sérieuse, l'autorité a omis de prendre en considération un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle en a manifestement méconnu le sens et la portée, ou encore lorsque, sur la base des éléments recueillis, elle est parvenue à des constatations insoutenables (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266; 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62; 136 III 552 consid. 4.2 p. 560).
La partie recourante est autorisée à attaquer des constatations de fait ainsi irrégulières si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). Il lui incombe alors d'indiquer de façon précise en quoi les constatations critiquées sont entachées d'une erreur ou d'une lacune indiscutable; les critiques dites appellatoires, tendant simplement à une nouvelle appréciation des preuves, sont irrecevables (ATF 133 II 249 consid. 1.4.3 p. 254; voir aussi ATF 141 IV 249 consid. 1.3.1 p. 253; 140 III 264 consid. 2.3 p. 266). En tant qu'elle régit l'appréciation des preuves, la présomption d'innocence consacrée notamment par les art. 32 al. 1 Cst. et 10 CPP n'a pas de portée plus étendue que la protection contre l'arbitraire (ATF 127 I 38 consid. 2 p. 40; voir aussi ATF 138 V 74 consid. 7 p. 82; 124 IV 86 consid. 2a p. 87/88).
3. Le recourant ne conteste pas avoir opéré d'importants prélèvements sur les liquidités de U.________ SA en violation de ses devoirs de gestion. Il prétend cependant avoir « compensé » ces prélèvements avant la fin de 2002 en faisant céder à U.________ SA des « participations majeures » appartenant à une société N.________ qu'il dominait. A son avis, la preuve de ces cessions aurait « assurément permis de faire tomber la majorité des charges les plus lourdes » de la cause pénale. Il se dit incapable de produire les contrats de cession parce qu'il n'était pas administrateur de la société cédante. Il se prétend condamné en violation de la présomption d'innocence et de son droit d'être entendu parce qu'il n'a pas été autorisé à apporter autrement la preuve des cessions.
Une expertise comptable a été ordonnée en cours d'instruction mais elle n'a pas pu être exécutée parce que les livres, procès-verbaux et autres documents d'affaires de U.________ SA n'ont pas été retrouvés dans les locaux de l'établissement médico-social où ces archives étaient censément déposées. Le Tribunal correctionnel a en principe accepté de recueillir un témoignage offert par le recourant, soit celui de « l'expert-comptable du groupe pendant l'année 2002 » qui avait prétendument recommandé les cessions de participations; parce que le témoin résidait au Canada, le tribunal a toutefois subordonné cette mesure probatoire à une avance de frais que le recourant n'a pas fournie. Par la suite, le Tribunal correctionnel et la Cour d'appel ont rejeté de nouvelles requêtes tendant à l'audition du même témoin.
La Cour d'appel retient que le recourant est personnellement responsable de la perte de la documentation de U.________ SA et, par conséquent, de l'échec de la mission d'expertise, pour n'avoir pas produit cette documentation alors qu'il en était requis et que la société occupait encore les locaux de l'établissement médico-social. Cela n'est pas sérieusement contesté devant le Tribunal fédéral. Or, au stade de l'appréciation des preuves, le juge de la cause pénale peut légitimement prendre en considération, à titre d'indice défavorable, le comportement du prévenu qui a entravé les mesures probatoires nécessaires à établir ses propres allégations.
De toute manière, les cessions de participations prétendument consenties à U.________ SA par la société N.________ sont hautement invraisemblables. Le recourant était toujours administrateur au moment de la faillite le 3 mars 2003; si réellement il avait fait «compenser » ses dettes et celles de ses proches par des apports d'importance correspondante - soit plus de 8'760'000 fr. selon l'avis de surendettement - avant la fin de 2002, conformément à ses allégations, il n'aurait pas manqué de s'opposer à la déclaration de faillite. Or, il n'a pas réagi. A vrai dire, il n'existe aucun indice de ces importantes cessions de participations. Dans ces conditions, la Cour d'appel n'a pas constaté les faits de manière manifestement inexacte en refusant de tenir les cessions pour établies, et elle n'a pas pas non plus violé le droit d'être entendu garanti par les art. 29 al. 2 Cst. (cf. ATF 141 I 60 consid. 3.3 p. 64; 136 I 229 consid. 5.3 p. 236/237) et 107 al. 1 CPP en refusant d'ordonner des mesures probatoires supplémentaires. Le verdict de culpabilité n'est pas davantage vicié parce que sur d'autres points encore, le recourant a allégué des faits à décharge dont seule l'expertise comptable lui aurait permis d'apporter la preuve.
4. Le recourant fait état de l'important chiffre d'affaires que l'exploitation de l'établissement médico-social apportait à U.________ SA, d'une part, et de la cession de cette exploitation à une autre société peu avant la faillite, sans contrepartie pour U.________ SA, d'autre part. Il affirme que l'enquête pénale aurait dû porter aussi sur ces circonstances et, en particulier, sur la valeur de cette exploitation au moment de la cession. Les faits auxquels il est ainsi fait allusion n'ont apparemment aucun rapport avec les prélèvements reprochés au recourant. En tant que celui-ci dénonce une sous-estimation de l'actif social et conteste le surendettement de U.________ SA, on observe là également qu'il ne s'est pas opposé à la déclaration de faillite. Le Tribunal fédéral ne trouve donc pas non plus, sur ces éléments, de lacune manifeste dans les constatations déterminantes.
5. Le recourant conteste que U.________ SA ait subi un dommage par suite des prélèvements qu'il a opérés; il conteste ainsi s'être rendu coupable de gestion déloyale selon l'art. 158 ch. 1 CP. Il fait valoir que les prélèvements ont été « compensés » par les cessions de participations de la société N.________. Cette argumentation est irrecevable dans la mesure où elle diverge des constatations de fait déterminantes selon l'art. 105 al. 1 LTF. Elle est de toute manière mal fondée: selon les allégations censées l'appuyer, les cessions de participations ne sont intervenues qu'après les prélèvements; par conséquent, même selon sa propre version des faits, le recourant a causé un préjudice au moins temporaire à U.________ SA. Comme il le reconnaît explicitement, un préjudice temporaire suffit à porter atteinte, aux termes de l'art. 158 ch. 1 CP, aux intérêts pécuniaires de l'ayant droit (ATF 122 IV 279 consid. 2a p. 281). Par ailleurs, il n'est pas sérieusement contestable que les prélèvements aient au minimum aggravé, aux termes de l'art. 165 ch. 1 CP, le surendettement de U.________ SA; le recourant s'est donc aussi rendu punissable de gestion fautive selon cette disposition.
Le recourant ne met pas en doute que les prélèvements soient un abus de confiance punissable selon l'art. 138 ch. 1 al. 2 CP. Faute d'une motivation conforme aux exigences de l'art. 42 al. 2 LTF, les conclusions présentées sont donc irrecevables dans la mesure où elles mettent en cause cette qualification aussi.
6. Le recourant conteste avoir effectivement et personnellement géré les affaires de V.________ SA; à l'appui de ce moyen, il se borne à une simple allusion aux déclarations de trois témoins rapportées dans le jugement du Tribunal correctionnel. Il ne tente aucune réfutation de l'analyse détaillée que la Cour d'appel a fondée sur les dépositions des mêmes témoins recueillies dans l'enquête, et aussi sur d'autres déclarations. L'argumentation présentée ne satisfait donc pas aux exigences de motivation relatives à l'art. 97 al. 1 LTF. Pour le surplus, le recourant ne met pas en doute que le comportement à lui reproché dans la gestion de V.________ SA soit punissable à titre d'abus de confiance et de gestion fautive.
7. Le recourant conteste s'être comporté astucieusement au préjudice de l'hôtel veveysan où il a séjourné sans payer; il conteste ainsi s'être rendu coupable d'escroquerie selon l'art. 146 ch. 1 CP. Parce qu'il avait consacré sa vie à gérer des affaires nombreuses et importantes, notamment pour lui-même, la Cour d'appel peut présumer sans arbitraire, alors même qu'elle ne se réfère à aucune preuve topique, qu'il connaissait sa propre situation financière déjà au début du séjour. Le recourant a pour le surplus agi astucieusement, aux termes de cette disposition légale, en taisant au personnel de l'établissement que sa situation était obérée et qu'elle ne lui permettrait pas de payer son nouveau séjour, et en laissant ce personnel croire qu'il réglerait son dû comme il l'avait toujours fait lors de précédents séjours.
8. Le jugement d'appel n'est par ailleurs pas contesté, de sorte que, dans la mesure où les conclusions et les griefs présentés sont recevables, le recours en matière pénale se révèle privé de fondement. A titre de partie qui succombe, son auteur doit acquitter l'émolument à percevoir par le Tribunal fédéral.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
2. Le recourant acquittera un émolument judiciaire de 4'000 francs.
3. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 5 avril 2016
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le président : Denys
Le greffier : Thélin