BGer 4A_699/2015
 
BGer 4A_699/2015 vom 17.08.2016
{T 0/2}
4A_699/2015
 
Arrêt du 17 août 2016
 
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes les Juges fédérales Klett, Juge présidant, Hohl et Niquille.
Greffier : M. Piaget.
Participants à la procédure
X.________, représenté par Me Douglas Hornung,
recourant,
contre
Masse en faillite de Z.________ SA,
représentée par Me Jean-Yves Schmidhauser et Me Raphaël Quinodoz,
intimée.
Objet
calcul des dépens, valeur litigieuse,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre civile, du 13 novembre 2015.
 
Faits :
 
A.
A.a. Z.________ SA (ci-après: Z.________ ou la société), active dans la distribution de matériel électronique en Suisse, comptait 17 organes de fait ou de droit, dont X.________, A.________ (nommé administrateur entre février 1995 et février 2000), B.________ (administratrice entre février et novembre 1995), et C.________ (administrateur entre novembre 1995 et mars 1997).
La société a été déclarée en faillite par jugement du 22 mai 2000.
Sur plainte de la masse en faillite de la société (ci-après: la masse en faillite), le Ministère public genevois a ouvert, en juin 2000, une instruction pénale contre deux (ex-) organes de fait, puis contre A.________ (gestion fautive et faux dans les titres), B.________ et C.________.
 
B.
B.a. Le 9 septembre 2008, la masse en faillite a formé une action en responsabilité à l'encontre des 17 organes (dont X.________), concluant à leur condamnation solidaire au paiement d'une indemnité de 164'525'547 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 22 mai 2000. La demande comporte 170 pages et 240 pièces.
X.________ ayant fait défaut à l'audience d'introduction de la cause du 13 novembre 2008, le Tribunal de première instance a prononcé un jugement par défaut à son encontre, le condamnant à payer le montant réclamé par la masse en faillite.
X.________ a alors déposé un mémoire d'opposition à défaut et de réponse sur le fond et le Tribunal, par jugement du 19 juin 2009, a rétracté le jugement prononcé par défaut contre lui et compensé les dépens sur opposition. Ce jugement n'a pas fait l'objet d'un appel.
B.b. A compter du mois de janvier 2012, des retraits de demande avec désistement d'action ont successivement été entrepris par la masse en faillite à l'égard de la plupart des parties défenderesses initiales.
Par courrier du 5 février 2014 adressé au Tribunal, la masse en faillite a déclaré retirer avec désistement d'action sa demande en ce qu'elle était dirigée contre X.________.
La question des dépens étant contestée, le Tribunal de première instance, par ordonnance du 12 juin 2014, a continué à instruire cette question, ordonnant en particulier à X.________ de verser à la procédure les notes d'honoraires et les descriptifs d'activité de son conseil.
Selon ces pièces, l'avocat de X.________ lui a adressé, sur la base d'un tarif horaire de 600 fr., des notes d'honoraires pour un total de 94'670 fr., partiellement acquitté par son client. Par convention d'honoraires du 20 juillet 2014, passée avec son mandataire, X.________ se serait néanmoins engagé à lui payer des honoraires totaux de 2'228'485 fr., correspondant, selon leurs calculs, à 0,8% du montant litigieux initial.
Le conseil de X.________ évalue le montant des dépens (dont il a sollicité la distraction en sa faveur) entre 1'000'000 fr. et 1'500'000 fr.
La masse en faillite considère que l'indemnité ne devrait pas dépasser 30'000 fr.
B.c. Par jugement du 6 mars 2015, le Tribunal de première instance a constaté le retrait avec désistement d'action de la demande formée par la masse en faillite contre X.________ (ci-après aussi: le défendeur), condamné celle-là à s'acquitter d'un montant de 40'000 fr. à titre de dépens, ordonné la distraction de l'indemnité en faveur de l'avocat de celui-ci, rayé la cause du rôle en tant qu'elle concernait X.________ et débouté les parties de toutes autres conclusions.
Si le Tribunal a reconnu que l'action présentait une valeur litigieuse importante et une certaine complexité, il a d'emblée ajouté qu'elle a rapidement été vidée de sa substance au fur et à mesure des retraits intervenus et que la procédure n'avait pas dépassé le stade de l'instruction préalable écrite.
B.d. Par arrêt du 13 novembre 2015, la Cour de justice du canton de Genève, sur recours de X.________, a partiellement annulé le jugement entrepris et, statuant à nouveau, elle a condamné la masse en faillite à payer des dépens d'un montant de 60'000 fr. et ordonné la distraction de cette indemnité en faveur de l'avocat de X.________.
C. X.________ exerce un recours en matière civile contre l'arrêt cantonal du 13 novembre 2015. Il conclut à son annulation et à sa réforme en ce sens que la masse en faillite soit condamnée aux dépens cantonaux de la cause, comprenant une indemnité minimum de 1'000'000 fr. valant participation à ses honoraires d'avocat; il sollicite également la distraction de cette indemnité minimum en faveur de son avocat, Me Douglas Hornung. Le recourant invoque une application arbitraire du droit cantonal, en particulier de l'art. 181 aLPC/GE, ainsi qu'une violation du " principe de l'équité " (art. 4 CC).
La masse en faillite (intimée) conclut au déboutement du recourant de l'intégralité de ses conclusions.
 
Considérant en droit :
 
Erwägung 1
1.1. En l'occurrence, le recours est dirigé contre un arrêt cantonal, traitant exclusivement de la question des dépens dus au défendeur, rendu dans le cadre d'une procédure (action en responsabilité de l'administrateur portant sur un montant d'environ 165'000'000 fr.) qui s'est terminée par désistement d'action de la demanderesse.
Il n'est toutefois pas nécessaire d'examiner l'incidence du désistement sur le calcul de la valeur litigieuse (cf. arrêt 5D_106/2010 du 28 février 2011 consid. 1.1) puisque la cour cantonale a condamné la demanderesse au versement d'une indemnité de dépens de 60'000 fr. et que la valeur litigieuse minimale de 30'000 fr. requise par l'art. 74 al. 1 let. b LTF est quoi qu'il en soit atteinte.
Interjeté par la partie qui a partiellement succombé dans ses conclusions tendant à ce que les dépens en sa faveur soient fixés à un chiffre supérieur et qui a donc qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF), dirigé contre une décision rendue en matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par le tribunal cantonal supérieur statuant sur recours (art. 75 LTF), le recours en matière civile est donc en principe recevable, puisqu'il a été déposé dans le délai (art. 45 al. 1, 48 al. 1 et 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi.
1.2. Le recours en matière civile au Tribunal fédéral peut être exercé pour violation du droit suisse tel qu'il est délimité à l'art. 95 LTF, soit le droit fédéral, y compris le droit constitutionnel (let. a), le droit international (let. b) et le droit intercantonal (let. e). En revanche, sous réserve des hypothèses visées à l'art. 95 let. c et d LTF, la violation du droit cantonal n'est pas un motif de recours.
Toutefois, il est toujours possible de faire valoir que la mauvaise application du droit cantonal constitue une violation du droit fédéral, parce qu'elle est arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. ou contraire à d'autres droits constitutionnels (ATF 133 III 462 consid. 2.3).
Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 132 III 209 consid. 2.1; 131 I 57 consid. 2). En ce qui concerne la façon dont le droit cantonal a été appliqué, il ne faut pas confondre arbitraire et violation de la loi; une violation doit être manifeste et reconnue d'emblée pour être considérée comme arbitraire. Le Tribunal fédéral n'a pas à examiner quelle est l'interprétation correcte que l'autorité cantonale aurait dû donner des dispositions applicables; il doit uniquement dire si l'interprétation qui a été faite est défendable (ATF 132 I 13 consid. 5.1; 131 I 217 consid. 2.1). Il appartient au recourant d'établir la réalisation de ces conditions, par une argumentation précise répondant aux exigences de l'art. 106 al. 2 LTF (principe d'allégation). Le Tribunal fédéral n'entre pas en matière sur les critiques de nature appellatoire (cf. ATF 130 I 258 consid. 1.3; 125 I 492 consid. 1b).
 
Erwägung 2
2.1. La cour cantonale a jugé qu'en fonction du résultat obtenu et de la valeur litigieuse d'environ 164'500'000 fr., le tarif horaire de 600 fr. appliqué par l'avocat du défendeur était adéquat. S'agissant de l'activité utilement déployée par celui-là, elle a relevé qu'elle avait consisté à prendre connaissance de la demande, ainsi qu'à assister à quelques audiences de comparution des mandataires, la masse en faillite ayant ensuite retiré " avec désistement d'action " sa demande à l'encontre du défendeur. La cour cantonale n'a pas tenu compte de deux écritures déposées par le recourant en notant que celles-ci ne constituaient pas des démarches utiles à sa défense.
2.2. Sur la base des critères retenus par la cour cantonale, on observera d'emblée que le raisonnement tenu par celle-ci, de même que le résultat auquel elle parvient, ne semblent pas procéder d'une violation manifeste de l'art. 181 aLPC/GE. La cour cantonale a en effet tenu compte de l'ensemble des critères contenus dans cette disposition et elle s'est fondée (sans sombrer dans l'arbitraire) sur les activités du mandataire utiles à la défense du client.
On peut noter en particulier que l'autorité précédente n'a pas ignoré le volume de travail déployé par l'avocat (notamment le temps qu'il devait nécessairement consacrer pour prendre connaissance de la demande) ni fait abstraction de la complexité de la cause puisqu'elle en a tenu compte pour fixer le nombre d'heures (100 heures de travail) consacrées à ce dossier par le mandataire (en corrigeant à la hausse le nombre d'heures retenu par l'autorité précédente).
2.3. Il faut maintenant examiner si les critiques soulevées par le recourant amènent à revenir sur cette conclusion.
Dans son argumentation, qui est pour l'essentiel de nature appellatoire, le recourant met surtout en avant l'importance de la valeur litigieuse, pour insister sur le résultat obtenu et l'ampleur de la responsabilité de son avocat.
2.3.1. En axant sa critique exclusivement sur la valeur litigieuse (cf. notamment acte de recours p. 5 s. ch. 1, p. 8 ss ch. 2.c et ch. 2.d), le recourant ne démontre pas en quoi la cour cantonale aurait sombré dans l'arbitraire en appliquant l'art. 181 aLPC/GE traitant de la fixation de l'indemnité de dépens. Cette disposition ne tient en effet pas exclusivement compte de la valeur litigieuse, mais elle s'appuie également sur d'autres critères indépendants qui ne sont pas discutés par le recourant, comme les difficultés de la cause et l'ampleur de la procédure (art. 181 al. 3 aLPC/GE), ces deux critères permettant notamment de tenir compte de l'ampleur du travail fourni et du temps consacré par le mandataire professionnel (sous l'angle de l'art. 4 aCst., cf. ATF 114 V 83 consid. 4b p. 87). Il n'y a donc pas lieu d'entrer en matière sur une critique qui ne porte pas sur l'application de (l'ensemble de) l'art. 181 al. 3 aLPC/GE, mais sur un seul de ses éléments (cf. supra consid. 1.2).
2.3.2. C'est en vain que le recourant affirme que la cour cantonale n'a pas tenu compte du résultat obtenu par son avocat (ainsi que de la valeur litigieuse importante) (acte de recours p. 13 ss. ch. 2.d) puisque l'autorité précédente a explicitement indiqué qu'"en fonction du résultat obtenu et de la valeur litigieuse d'environ 164'000'000 fr., le tarif horaire d'environ 600 fr. appliqué par le conseil du recourant appar[aissai]t adéquat " (arrêt entrepris consid. 2.2 p. 8).
Quant aux critiques se rapportant plus spécifiquement à ce passage de l'arrêt attaqué, elles se révèlent purement appellatoires et sont donc irrecevables.
2.3.3. Contrairement à ce que pense le recourant (acte de recours p. 6 s. ch. 2.a), l'existence d'un accord sur les honoraires conclu entre le client et l'avocat, soumis au droit privé et relevant du mandat, est sans incidence sur la fixation judiciaire, en application du droit de procédure civile, de l'indemnité de procédure (cf. art. 181 al. 3 aLPC/GE), laquelle ne concerne que les parties au procès (BERTOSSA ET AL., Commentaire aLPC/GE, no 6 ad art. 181 aLPC/GE; cf. arrêt 1P.642/1998 du 26 janvier 1999 consid. 3c).
Cela étant, l'argumentation fournie par le recourant visant la " pratique notoire de l'honoraire sur résultat ( success fees) " (acte de recours p. 7 s. ch. 2.b) tombe à faux.
Quant à l'argumentation fondée sur le Règlement fixant le tarif des frais en matière civile (RTFMC) du 22 décembre 2010, entré en vigueur le 1er janvier 2011, elle est dénuée de toute pertinence, puisque la demande en paiement a été introduite le 9 septembre 2008, soit bien avant l'entrée en vigueur de ce règlement.
2.3.4. S'agissant de la violation du " principe de l'équité " (art. 4 CC), mentionné à l'art. 181 aLPC/GE, le recourant reprend essentiellement les arguments qu'il a soulevés en rapport avec l'application arbitraire de cette disposition cantonale alors applicable. Il n'explique cependant pas en quoi ce moyen se distinguerait de celui examiné sous l'angle de l'art. 9 Cst.
En l'occurrence, le moyen fondé sur l'équité appelle, mutatis mutandis, les mêmes commentaires que ceux déjà effectués en lien avec la violation de l'art. 9 Cst.
3. Il résulte des considérations qui précèdent que le recours en matière civile interjeté par X.________ doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.
Les frais et dépens, fixés en fonction de la valeur litigieuse (conclusions du défendeur portant sur le montant d'un million) sont mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 66 al. 1 LTF, art. 68 al. 1 et 2 LTF).
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 12'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3. Le recourant versera à l'intimée une indemnité de 14'000 fr. à titre de dépens.
4. Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre civile, à D.________, Miami Beach, Floride, à A.________, Dully-Bursinel, à E.________ SA, Wallisellen, et à F.________, Verbier.
Lausanne, le 17 août 2016
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Juge présidant : Klett
Le Greffier : Piaget