BGer 4A_226/2016
 
BGer 4A_226/2016 vom 20.10.2016
{T 0/2}
4A_226/2016
 
Arrêt du 20 octobre 2016
 
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes les juges Kiss, présidente, Klett et Hohl.
Greffier : M. Thélin.
Participants à la procédure
U.________ SRL,
représentée par Me Laurent Schuler,
défenderesse et recourante,
contre
A.________ et
B.________,
représentés par Me Bernard Katz,
demandeurs et intimés.
Objet
procédure civile; action négatoire
recours contre l'arrêt rendu le 15 février 2016 par la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
 
Faits :
A. U.________ SRL est une société à responsabilité limitée enregistrée en Italie. Au mois d'août 2004, A.________ et B.________ lui ont passé commande de fournitures destinées à un bâtiment alors en construction à Denens.
Le 19 juin 2008, U.________ SRL a ouvert action contre eux devant le Président du Tribunal civil de l'arrondissement de La Côte; elle leur réclamait paiement de 12'641,60 euros avec intérêts au taux de 5% par an dès le 24 septembre 2004.
Le juge saisi s'est prononcé le 17 mai 2010; il a rejeté l'action. Ce jugement a été communiqué par notification de son dispositif écrit; une requête de motivation a été introduite puis retirée. Le jugement n'a pas été contesté.
B. Le 15 juin 2011, sur réquisitions de U.________ SRL, l'office des poursuites du district de Morges a notifié deux commandements de payer la somme de 20'312 fr.70 avec intérêts au taux de 5% par an dès le 24 septembre 2004, l'un dans la poursuite n°...7 entreprise contre A.________, l'autre dans la poursuite n°...8 entreprise contre B.________. Sous la rubrique « titre de la créance ou cause de l'obligation », ces commandements de payer mentionnaient une prétention en restitution de l'enrichissement illégitime au montant de 12'641,60 euros, convertie en francs suisses.
Les débiteurs poursuivis ont tous deux formé opposition.
Le 23 septembre 2011, ils ont conjointement ouvert action contre U.________ SRL devant le Tribunal civil de l'arrondissement. En substance, d'après les conclusions présentées, ce tribunal était requis de prononcer que les sommes réclamées n'étaient pas dues, d'une part, et d'ordonner la radiation des poursuites, d'autre part.
La défenderesse a conclu au rejet de l'action et elle a présenté des conclusions reconventionnelles: les défendeurs devaient être condamnés à payer les sommes réclamées par voie de poursuite et leurs oppositions aux commandements de payer devaient être définitivement levées.
Par un jugement du 8 mai 2012, le Président du Tribunal civil a prononcé que les conclusions reconventionnelles étaient irrecevables parce qu'incompatibles avec l'autorité du jugement intervenu le 17 mai 2010.
C. La défenderesse a retiré les deux poursuites nos...7 et...8; le même jour, soit le 8 mars 2013, elle a requis le Président d'annuler l'audience fixée au 12 du même mois et de rayer la cause de son rôle. Les demandeurs ont déclaré s'opposer à cette requête et persister dans leurs conclusions tendant à faire prononcer que les sommes en cause n'étaient pas dues.
Par un prononcé du 14 mai 2013, le Président a refusé de rayer la cause de son rôle; il a considéré que les demandeurs conservaient un intérêt à faire constater en justice, le cas échéant, que les sommes en cause n'étaient pas dues.
Après divers autres incidents, le Tribunal civil a rendu un jugement final le 24 avril 2015. Il a prononcé que les demandeurs n'étaient pas débiteurs des montants réclamés dans les poursuites nos...7 et...8, ni d'aucun autre montant. La défenderesse est condamnée aux frais de l'instance, arrêtés à 9'533 fr.35, et aux dépens des demandeurs, arrêtés à 15'340 fr., y compris les frais et dépens des procédures incidentes.
La Cour d'appel civile du Tribunal cantonal a statué le 15 février 2016 sur l'appel de la défenderesse; elle a rejeté l'appel et confirmé le jugement.
D. Agissant par la voie du recours en matière civile, la défenderesse requiert le Tribunal fédéral de réformer l'arrêt de la Cour d'appel en ce sens que la demande introduite devant le Tribunal civil le 23 septembre 2011 soit déclarée irrecevable. A titre subsidiaire, le Tribunal fédéral est requis de réformer l'arrêt attaqué en ce sens que les frais de première instance soient réduits de 9'533 fr.35 à 2'100 francs.
Les demandeurs concluent au rejet du recours.
La défenderesse a spontanément déposé une réplique qui a été transmise aux demandeurs; ceux-ci n'ont pas déposé d'écriture supplémentaire.
 
Considérant en droit :
1. Selon la jurisprudence relative à l'art. 88 CPC concernant les actions en constatation de droit, toute personne qui reçoit notification d'un commandement de payer est réputée avoir un intérêt digne de protection à faire constater par le juge, s'il y a lieu, que la somme à elle réclamée n'est pas due, et d'obtenir par là qu'à l'avenir, conformément à l'art. 8a al. 3 let. a LP, l'office compétent ne portera pas la poursuite à la connaissance des tiers qui consultent le registre des poursuites ou s'en font remettre des extraits. La justification de cette action négatoire gît dans les inconvénients que la publicité de la poursuite, prévue et circonscrite par l'art. 8a LP, entraîne pour le débiteur poursuivi (ATF 141 III 68). Si le créancier poursuivant ne veut pas résister à cette action négatoire et qu'il préfère établir le bien-fondé de sa prétention plus tard seulement, dans une action en paiement qu'il entreprendra lui-même, il lui est loisible de retirer la poursuite; celle-ci cesse alors d'être accessible aux tiers par l'effet de l'art. 8a al. 3 let. c LP, et le débiteur poursuivi n'a dès ce moment plus d'intérêt digne de protection à l'exercice d'une action négatoire (ATF 141 III 68 consid. 2.7 p. 79).
Dans sa séance du 21 septembre 2015, donnant suite à une initiative parlementaire intitulée « annulation des commandements de payer injustifiés » (n° 09.530), le Conseil National a adopté un projet de révision de l'art. 85a al. 1 LP (texte adopté: FF 2015 2958; décision du Conseil: BO 2015 N 1697, 1699). Le Conseil des Etats a lui aussi adopté ce projet le 22 septembre 2016 (BO 2016 E 763). Le texte révisé est ainsi libellé: « Que la poursuite ait été frappée d'opposition ou non, le débiteur poursuivi peut agir en tout temps au for de la poursuite pour faire constater que la dette n'existe pas ou plus, ou qu'un sursis a été accordé. » Dès son entrée en vigueur, ce texte rendra caduque la jurisprudence selon laquelle l'action actuellement prévue par l'art. 85a al. 1 LP est réservée au débiteur poursuivi qui n'a pas formé opposition au commandement de payer (ATF 125 III 149 consid. 2 p. 150).
La défenderesse a retiré les poursuites nos...7 et...8 alors que l'action négatoire introduite par les demandeurs était pendante. Le juge saisi et, ensuite, la Cour d'appel ont retenu que ces plaideurs conservaient néanmoins un intérêt digne de protection à l'action négatoire; c'est notamment ce que la défenderesse conteste devant le Tribunal fédéral. Elle soutient aussi que l'autorité d'un jugement antérieur, soit celui du 17 mai 2010 demeuré incontesté, a été méconnue.
2. En règle générale, dans les affaires pécuniaires civiles, le recours ordinaire au Tribunal fédéral n'est recevable que si la valeur litigieuse s'élève à 30'000 fr. au moins (art. 74 al. 1 let. b LTF). Cette valeur est déterminée d'après les conclusions restées litigieuses devant l'autorité précédente (art. 51 al. 1 let. a LTF).
2.1. Pour le calcul de la valeur litigieuse, les divers chefs de conclusions formés par ou contre des consorts sont additionnés, à moins qu'ils ne s'excluent (art. 52 LTF). Selon la jurisprudence, les conclusions doivent avoir été effectivement réunies en instance cantonale et être l'objet d'une décision unique intervenue dans la même procédure. Il faut en outre que les demandeurs ou les défendeurs aient qualité de consorts aux termes de l'art. 24 al. 2 let. b PCF (ATF 128 IV 53 consid. 6a p. 70). Selon cette dernière disposition, plusieurs personnes peuvent agir en qualité de demanderesses ou être recherchées en qualité de défenderesses dans la même demande si le litige porte sur des prétentions de même nature, reposant sur une cause matérielle et juridique essentiellement de même nature.
Il n'y a pas lieu à addition de conclusions lorsque plusieurs personnes sont recherchées en qualité de défenderesses dans la même demande et qu'elles doivent être condamnées, selon cette demande, à payer solidairement une somme unique; la valeur litigieuse est alors égale à cette somme (ATF 139 III 24 consid. 4. p. 30, relatif à l'art. 93 al. 1 CPC; Jean-Maurice Frésard, in Commentaire de la LTF, 2e éd., n° 13 ad art. 52 LTF).
2.2. L'action négatoire consécutive à la notification d'un commandement de payer, telle qu'admise par la jurisprudence du Tribunal fédéral, a sa justification dans les inconvénients que la publicité de la poursuite entraîne pour le débiteur poursuivi. L'action se rattache donc étroitement à la poursuite concernée.
En l'espèce, l'action porte sur deux poursuites entreprises contre deux personnes différentes. Si la créancière poursuivante tenait ces deux personnes pour solidairement débitrices, elle aurait eu la possibilité - mais pas l'obligation - de le faire mentionner sur les commandements de payer (arrêt P.1034/1986 du 11 septembre 1986, consid. 2, SJ 1987 p. 11). Elle ne l'a pas fait. Les deux poursuites portent sur des montants égaux - deux fois 20'312 fr.70 - et les commandements de payer contiennent des énonciations identiques, mais on n'y trouve aucune allusion ni à une obligation solidaire de plusieurs débiteurs, ni à l'autre poursuite simultanément entreprise. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de présumer une obligation solidaire. Au stade de la discussion d'une condition de recevabilité du recours en matière civile, le Tribunal fédéral ne saurait analyser la nature et les modalités de l'obligation désignée sur les commandements de payer. Pour le calcul de la valeur litigieuse, les montants en cause doivent être additionnés, d'où il résulte que cette valeur excède le minimum légal de 30'000 francs.
Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont par ailleurs satisfaites.
3. Le jugement du 17 mai 2010 dont la défenderesse invoque l'autorité ne se rapportait pas aux deux poursuites nos...7 et...8 car celles-ci n'ont été entreprises que plus tard, au mois de juin 2011. L'autorité de ce jugement ne pouvait donc pas faire obstacle à l'action négatoire relative auxdites poursuites que les demandeurs ont introduite le 23 septembre 2011. La défenderesse soutient ainsi à tort que leur demande devait être jugée irrecevable au regard de l'art. 59 al. 2 let. e CPC.
4. Devant la Cour d'appel, les demandeurs n'ont pas soutenu que le prononcé du 14 mai 2013, par lequel le Président a refusé de rayer la cause du rôle du Tribunal civil au motif que les demandeurs conservaient un intérêt à l'action négatoire, fût une décision incidente aux termes de l'art. 237 al. 1 CPC. Dans cette hypothèse, selon l'art. 237 al. 2 CPC, la défenderesse eût dû appeler séparément de ce prononcé et elle n'eût plus été recevable à le faire au stade du jugement final. La Cour d'appel ne s'est pas prononcée sur ce point et celui-ci n'est pas non plus soumis au Tribunal fédéral.
5. Le Président du Tribunal civil et, ensuite, la Cour d'appel ont jugé que l'intérêt des demandeurs à l'action négatoire subsistait en dépit du retrait des deux poursuites en cause. Le Président a retenu que « [la défenderesse] pourrait à nouveau introduire une poursuite à l'encontre [des demandeurs], ce qui leur est insupportable ». La Cour d'appel adopte une motivation différente, fondée sur l'attitude de la défenderesse dans la suite de l'instance: cette partie n'a pas renouvelé ses conclusions tendant à la radiation de la cause, mais articulé de nouvelles conclusions contre les demandeurs et, enfin, soulevé une exception d'incompétence.
A réception d'une réquisition de poursuite, l'office des poursuites est tenu de rédiger et de notifier sans délai un commandement de payer (art. 69 al. 1 et 71 al. 1 LP). L'office n'est en aucune manière habilité à rechercher si la prétention élevée par le créancier poursuivant est déjà, le cas échéant, l'objet d'un jugement entre ce créancier et le débiteur poursuivi. Par conséquent, le jugement final du 24 avril 2015 relatif aux poursuites nos...7 et...8 est absolument inapte à protéger les demandeurs de poursuites futures que la défenderesse voudrait éventuellement entreprendre contre eux, cela parce que ce jugement n'empêchera pas l'introduction de nouvelles réquisitions de poursuite auxquelles l'office sera tenu de donner suite. Après le retrait de ces deux poursuites nos...7 et...8 qui étaient seules en cause, les demandeurs n'avaient plus d'intérêt à obtenir ce jugement. L'attitude de la défenderesse dans le procès n'est pas davantage pertinente car elle n'a aucun lien avec l'intérêt des demandeurs à éviter, le cas échéant, que des tiers puissent s'informer d'une poursuite entreprise contre eux. La Cour d'appel aurait plutôt dû se conformer à la jurisprudence déjà mentionnée du Tribunal fédéral, selon laquelle le retrait de la poursuite fait disparaître l'intérêt du débiteur poursuivi à l'exercice d'une action négatoire.
Lorsqu'une demande en justice ne répond pas à un intérêt digne de protection de son auteur, cette demande est irrecevable en vertu de l'art. 59 al. 2 let. a CPC. Lorsque cet intérêt digne de protection existe lors de la litispendance mais disparaît plus tard, la cause doit être rayée du rôle en application de l'art. 242 CPC (Laurent Killias, in Commentaire bernois, n° 10 ad art. 242 CPC; voir aussi l'art. 72 PCF). En l'espèce, la requête de radiation que la défenderesse a présentée le 8 mars 2013, en même temps qu'elle retirait les deux poursuites nos...7 et...8, aurait dû être accueillie. Le recours en matière civile doit être admis sur ce point; l'arrêt de la Cour d'appel sera réformé en conséquence.
6. Parce que la Cour d'appel devra de toute manière statuer à nouveau sur les frais et dépens des instances cantonales, il n'est pas nécessaire d'examiner les critiques que la défenderesse dirige contre la taxation des frais de première instance.
7. A titre de parties qui succombent, les demandeurs doivent acquitter l'émolument à percevoir par le Tribunal fédéral et les dépens auxquels leur adverse partie peut prétendre.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est admis et l'arrêt de la Cour d'appel est réformé en ce sens que la cause introduite devant le Tribunal civil par demande du 23 septembre 2011 est rayée du rôle de ce tribunal.
2. Les demandeurs acquitteront un émolument judiciaire de 2'000 fr., solidairement entre eux.
3. Les demandeurs verseront une indemnité de 2'500 fr. à la défenderesse, à titre de dépens et solidairement entre eux.
4. La cause est renvoyée à la Cour d'appel pour statuer à nouveau sur les frais et dépens des instances cantonales.
5. Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 20 octobre 2016
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La présidente : Kiss
Le greffier : Thélin