BGer 1B_161/2017 |
BGer 1B_161/2017 vom 22.06.2017 |
1B_161/2017
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Arrêt du 22 juin 2017 |
Ire Cour de droit public |
Composition
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MM. les Juges fédéraux Merkli, Président,
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Chaix et Kneubühler.
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Greffière : Mme Kropf.
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Participants à la procédure
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A.________,
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représenté par Me Jeton Kryeziu, avocat,
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recourant,
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contre
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Ministère public de l'Etat de Fribourg,
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B.________,
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Objet
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Procédure pénale; changement de défenseur d'office,
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recours contre l'ordonnance du Président de la Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal du canton de Fribourg du 27 mars 2017.
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Faits : |
A. Par ordonnance du 15 juin 2016, le Ministère public du canton de Fribourg a désigné en tant que défenseur d'office du prévenu A.________, premièrement, l'avocat Jeton Kryeziu pour la période du 27 avril au 15 juin 2016 et, deuxièmement, l'avocat B.________ à partir du 15 juin 2016. Le 7 juillet 2016, le Procureur n'est pas entré en matière sur la demande déposée le 1er juillet 2016 par le prévenu afin d'obtenir le changement de son défenseur d'office, faute de circonstances justifiant une telle requête.
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Le 25 janvier 2017, le Tribunal pénal de la Veveyse a reconnu A.________ coupable de crime et contravention à la loi fédérale du 3 octobre 1951 sur les stupéfiants et les substances psychotropes (LStup; RS 812.121) et l'a condamné à une peine privative de liberté de 42 mois, sans sursis, sous déduction de la détention avant jugement subie, ainsi qu'au paiement d'une amende de 300 francs. Le prévenu, par l'intermédiaire de son avocat d'office, a annoncé faire appel le 26 janvier 2017.
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A.________ a demandé, le 31 janvier 2017, à être à nouveau représenté par l'avocat Jeton Kryeziu, soutenant n'avoir plus confiance en son défenseur d'office, B.________, et en sa stratégie; le prévenu lui reprochait également de ne pas lui expliquer les points fondamentaux, ainsi que de ne pas répondre à ses interrogations. Cette requête a été rejetée le 6 février 2017 par le Président du Tribunal pénal qui a constaté que les démarches effectuées par l'avocat démontraient sa volonté de défendre au mieux les intérêts de son client. Le recours intenté par A.________ contre cette décision a été déclaré irrecevable par la Chambre pénale du Tribunal cantonal de Fribourg le 13 février 2017.
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Le 27 février 2017, le Tribunal pénal a notifié le jugement motivé du 25 janvier 2017 au prévenu et, le 1er mars suivant, le dossier a été transmis à la Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal de Fribourg.
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B. A.________ a demandé, par lettre postée le 9 mars 2017, au Président de la Cour d'appel pénal la prolongation du délai pour déposer la déclaration d'appel, afin de trouver un nouvel avocat pour assurer sa défense. Le jour suivant, cette autorité l'a informé que ce délai légal n'était pas prolongeable et que le changement de défenseur d'office était soumis aux conditions restrictives posées à l'art. 134 al. 2 CPP. Par courrier envoyé le 18 mars 2017, le prévenu a déclaré n'avoir plus confiance en son défenseur d'office et a demandé la nomination des avocats X.________ ou Y.________ pour assurer sa défense.
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Le 27 mars 2017, le Président de la Cour d'appel pénal a rejeté la demande de changement d'avocat. Il a considéré que le requérant n'étayait pas ses propos, notamment quant aux faits relatifs aux déclarations contradictoires prétendument tenues par B.________. Le Président a également relevé que le défenseur d'office avait été abordé par le Président du Tribunal pénal; dans le courrier du 3 février 2017 alors déposé, B.________ avait déclaré avoir informé, à l'aide d'un traducteur hispanophone, son client sur la procédure, notamment quant à ses suites, et avoir prévu une rencontre après la notification du jugement rédigé. Selon le Président de la Cour d'appel pénal, aucun élément objectif au dossier ne permettait donc de retenir que l'avocat n'aurait pas assuré la défense de son client avec diligence; l'issue du jugement du 25 janvier 2017 ne saurait en particulier le démontrer.
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C. Par courrier du 24 avril 2017, A.________ forme un recours auprès du Tribunal fédéral contre cette ordonnance. Il demande également en substance l'octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure fédérale. Cette seconde requête a été admise le 26 avril 2017 par le Président de la Ire Cour de droit public qui a désigné Jeton Kryeziu comme avocat d'office du recourant, à sa charge de déposer, le cas échéant, un recours en matière pénale contre le prononcé susmentionné dans le délai légal pour ce faire.
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Le 11 mai 2017, le mandataire du recourant a déposé un mémoire complémentaire, concluant à l'admission de la demande de changement d'avocat d'office et à sa nomination en tant que tel. A titre subsidiaire, il demande le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision. Au nom de son mandant, il sollicite également la confirmation de l'ordonnance du 26 avril 2017.
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Invités à se déterminer, le Ministère public et l'autorité précédente ont renoncé à déposer des déterminations. Quant à B.________, il n'a pas pris position sur les conclusions du recours, mentionnant cependant sa visite, avec un traducteur, le 6 mars 2017 au recourant. Le 19 juin 2017, le recourant a persisté dans ses conclusions.
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Considérant en droit : |
1. Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 142 V 551 consid. 1 p. 555; 140 IV 57 consid. 2 p. 59).
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1.1. Conformément à l'art. 78 LTF, une décision relative à la défense d'office dans une cause pénale rendue par une autorité statuant en tant qu'instance cantonale unique (art. 80 al. 2 in fine LTF) peut faire l'objet d'un recours en matière pénale. Le recourant, prévenu et auteur de la demande de changement de défenseur d'office, a qualité pour recourir (art. 81 al. 1 LTF). Le recours et son complément ont été déposés en temps utile (art. 46 al. 1 let. a et 100 al. 1 LTF) et les conclusions qui y sont prises sont recevables (art. 107 al. 2 LTF).
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1.2. La décision attaquée - qui refuse un changement d'avocat d'office - a un caractère incident. Elle ne cause en principe aucun préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, dès lors que le prévenu continue d'être assisté par le défenseur désigné; l'atteinte à la relation de confiance n'empêche en règle générale pas dans une telle situation une défense efficace. L'existence d'un tel dommage ne peut être admise que dans des circonstances particulières faisant craindre que l'avocat d'office désigné ne puisse pas défendre efficacement les intérêts du prévenu, par exemple en cas de conflit d'intérêts ou de carences manifestes de l'avocat désigné ou encore lorsque l'autorité refuse arbitrairement de tenir compte des voeux émis par la partie assistée (ATF 139 IV 113 consid. 1.1 p. 115 s. et les arrêts cités). Le simple fait que la partie assistée n'a pas confiance dans son conseil d'office ne lui donne pas le droit d'en demander le remplacement lorsque cette perte de confiance repose sur des motifs purement subjectifs et qu'il n'apparaît pas de manière patente que l'attitude de l'avocat d'office est gravement préjudiciable aux intérêts de la partie (ATF 138 IV 161 consid. 2.4 p. 164 s.).
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Selon les écrits du recourant figurant au dossier, celui-ci n'a eu cesse de manifester sa volonté de contester le jugement de première instance rendu à son encontre (cf. en particulier les courriers du 31 janvier et 8 mars 2017). Une annonce d'appel a d'ailleurs été déposée le 26 janvier 2017. Dans la décision entreprise, l'autorité précédente a constaté que le jugement motivé du 25 janvier 2017 avait été notifié au recourant le 27 février 2017. Le délai pour déposer la déclaration d'appel est dès lors arrivé à échéance le 20 mars 2017 (cf. art. 399 al. 3 CPP). Or, il ne ressort pas du dossier de la Cour d'appel pénal qu'un tel acte ait été déposé par l'avocat d'office du recourant.
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Au contraire, dans son courrier du 20 mars 2017, cet avocat a confirmé sa volonté de ne pas procéder devant la juridiction d'appel. Ce courrier constitue certes une pièce nouvelle au sens de l'art. 99 al. 1 LTF : cette pièce est toutefois exceptionnellement recevable dans le cadre de l'examen de la recevabilité du recours, en vertu de l'art. 99 al. 1 LTF in fine. Or, ce courrier de l'avocat d'office contient notamment le passage suivant : " Le jugement rendu le 25 janvier 2017 par le Tribunal pénal de l'arrondissement de la Veveyse est correct. Dans ces conditions, il n'y a aucune raison de porter cette affaire en appel. Cela ne serait en tout cas pas admissible dans le cadre d'un dossier soumis à l'assistance judiciaire, où l'avocat doit se limiter aux opérations strictement nécessaires "). Ce courrier a eu pour conséquence que, le 27 mars 2017, la procédure d'appel a été rayée du rôle (cf. la pièce 19 du dossier de la Cour d'appel pénal; art. 105 al. 2 LTF), décision contestée par le biais d'un recours en matière pénale devant la Cour pénale du Tribunal fédéral.
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1.3. Vu cette configuration particulière et le stade de la procédure pénale, il ne peut pas être retenu, au stade de l'examen de la recevabilité, que le recourant serait toujours au bénéfice d'une défense - notamment efficace - assurée par son avocat d'office. Partant, un préjudice irréparable doit être admis et il y a lieu d'entrer en matière.
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2. Le recourant reproche à l'autorité précédente une violation de l'art. 134 al. 2 CPP. Selon le recourant, la perte de confiance dans son mandataire d'office résulterait des circonstances suivantes : méfiance réciproque, mauvaises conditions dans lesquelles le mandat se serait déroulé, changement de point de vue de l'avocat à la suite de la réception du jugement rédigé quant à la quantité de stupéfiants sur laquelle porterait son trafic, erreur qui serait contenue dans le jugement de première instance quant au taux de pureté retenu et refus de déposer une déclaration d'appel. Le recourant n'aurait de plus pas eu la visite annoncée par son avocat une fois le jugement rédigé notifié et n'aurait eu connaissance de l'intention de ce dernier de ne pas déposer la déclaration d'appel que le dernier jour du délai pour ce faire, par courrier déjà mentionné du 20 mars 2017.
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2.1. Selon l'art. 134 al. 2 CPP, la direction de la procédure confie la défense d'office à une autre personne si la relation entre le prévenu et son défenseur est gravement perturbée ou si une défense efficace n'est plus assurée pour d'autres raisons. Cette disposition permet donc de tenir compte d'une détérioration objective du rapport de confiance entre le prévenu et son défenseur (ATF 138 IV 161 consid. 2.4 p. 165 s.). Il y a lieu cependant de rappeler que, d'une manière générale, le fait de se trouver dans un cas de défense obligatoire ne permet pas d'utiliser les droits conférés à la défense d'une façon constitutive d'un abus de droit (ATF 131 I 185 consid. 3.2.3 p. 192).
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2.2. En l'occurrence, le raisonnement de l'autorité précédente se fonde sur les écritures du 3 février 2017 de l'avocat d'office. Or, si celles-ci ont été déposées dans le cadre d'une procédure relative à une même problématique (requête de changement d'avocat du 31 janvier 2017), les circonstances étaient alors différentes de celles qui prévalaient au moment où l'autorité précédente a statué. Au 3 février 2017, le jugement du 25 janvier 2017 n'avait pas encore été rédigé, respectivement dès lors notifié aux parties. L'avocat pouvait ainsi à juste titre déclarer qu'il attendait cet acte pour prendre contact avec son mandant et décider des suites à donner à l'annonce d'appel déposée le 26 janvier 2017. En revanche, au jour de la décision attaquée - le 27 mars 2017 -, la situation n'est manifestement plus la même : le jugement de première instance motivé a été notifié le 27 février 2017 aux parties et le délai pour déposer la déclaration d'appel est arrivé à échéance le 20 mars 2017. Le Président de la Cour d'appel pénal ne pouvait donc pas se limiter à se référer au seul courrier du 3 février 2017 du défenseur d'office pour considérer que la perte de confiance alléguée par le recourant ne reposait sur aucun élément objectif. Il lui appartenait de prendre en compte les nouvelles circonstances susmentionnées, ainsi que, le cas échéant, d'instruire la cause, notamment en interpellant l'avocat d'office (cf. art. 6 al. 1 et 13 let. d CPP; Jeanneret/Kuhn, Précis de procédure pénale, 2013, n. 4089).
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Cela étant, eu égard au principe d'économie de procédure, il n'y a pas lieu de renvoyer la cause à l'autorité précédente, le Tribunal fédéral disposant des éléments pour statuer. Ainsi, l'avocat d'office du recourant lui aurait rendu visite le 6 mars 2017 pour faire le point sur les suites à donner à l'annonce d'appel. Le 9 mars 2017 - soit dans l'hypothèse de la visite susmentionnée, trois jours après -, le recourant a posté la requête de changement d'avocat d'office à l'origine de la présente cause. Il y a également confirmé sa volonté de "faire recours" contre le jugement du 25 janvier 2017, mais avec l'assistance d'un autre avocat. Cependant aucune déclaration d'appel déposée en temps utile ne figure au dossier; on ne trouve pas non plus de demande de l'avocat de se faire relever de son mandat d'office dans un délai permettant un changement de conseil; enfin, la procédure d'appel a été rayée du rôle le 27 mars 2017. Au regard de ces circonstances - notamment chronologiques -, il ne peut plus être retenu que le recourant continue à bénéficier d'une défense efficace de la part de son mandataire d'office dont la volonté semble de ne pas poursuivre son mandat (cf. au demeurant la teneur du courrier du 20 mars 2017). Il n'y a pas non plus lieu de considérer que la nomination de Jeton Kryeziu en tant qu'avocat d'office violerait le principe de la bonne foi, dès lors qu'on ignore les raisons du changement intervenu en début de procédure.
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Partant, en refusant le changement d'avocat d'office, le Président de la Cour d'appel pénal a violé le droit fédéral et ce grief doit être admis.
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2.3. Au regard du recours en matière pénale déposé contre le prononcé rayant la procédure d'appel du rôle, il y a lieu de préciser que la présente décision ne préjuge pas de l'octroi de l'assistance judiciaire devant la Cour pénale du Tribunal fédéral. Contrairement à la présente problématique, soumise aux art. 132 ss CPP, l'octroi de l'assistance judiciaire devant le Tribunal fédéral est en effet entièrement régi par l'art. 64 LTF.
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3. Il s'ensuit que le recours est admis. L'ordonnance du 27 mars 2017 du Président de la Cour d'appel pénal est annulée. La demande de changement d'avocat d'office déposée par le recourant par lettre datée du 8 mars 2017 est admise et Jeton Kryeziu, avocat à Lausanne, est désigné en tant que défenseur d'office en lieu et place de B.________, avocat à Fribourg, avec effet au jour de la requête.
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Devant le Tribunal fédéral, le recourant obtient gain de cause avec l'assistance d'un mandataire professionnel. Il a droit à des dépens à la charge du canton de Fribourg (art. 68 al. 1 LTF). Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). Il s'ensuit que la requête d'assistance judiciaire est sans objet (art. 64 LTF).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce : |
1. Le recours est admis. L'ordonnance du 27 mars 2017 du Président de la Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal de Fribourg est annulée. La demande de changement d'avocat d'office déposée par le recourant par lettre datée du 8 mars 2017 est admise et Jeton Kryeziu, avocat à Lausanne, est désigné en tant que défenseur d'office en lieu et place de B.________, avocat à Fribourg, avec effet au jour de la requête.
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2. Une indemnité de dépens, fixées à 2'000 fr., est allouée au mandataire du recourant à la charge du canton de Fribourg.
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3. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
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4. La requête d'assistance judiciaire est sans objet.
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5. Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public de l'Etat de Fribourg, à B.________ et au Président de la Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal du canton de Fribourg.
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Lausanne, le 22 juin 2017
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Au nom de la Ire Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Président : Merkli
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La Greffière : Kropf
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