Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
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8C_199/2017
Arrêt du 6 février 2018
Ire Cour de droit social
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Maillard, Président, Frésard et Heine.
Greffière : Mme von Zwehl.
Participants à la procédure
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), Fluhmattstrasse 1, 6004 Lucerne,
recourante,
contre
A.________,
représenté par Me Katarzyna Kedzia Renquin,
intimé.
Objet
Assurance-accidents (évaluation de l'invalidité; rente d'invalidité),
recours contre le jugement de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 7 février 2017 (A/816/2016 ATAS/83/2017).
Faits :
A.
Le 30 juin 2011, A.________, né en 1975, a été victime d'un accident de la circulation. Alors qu'il roulait en scooter, il a été heurté par une voiture qui n'a pas respecté la priorité, et a chuté sur le côté droit après un freinage d'urgence. Il en est résulté une contusion au genou droit avec une rupture du ligament croisé antérieur et du ménisque interne, un arrachement osseux au niveau de 3ème cunéiforme du pied droit, une entorse à l'arrière-pied et des cervico-brachialgies. A l'époque de l'accident, A.________ travaillait comme chauffeur de poids lourds au service de l'entreprise B.________ SA et était, à ce titre, assuré obligatoirement contre le risque d'accident auprès de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), qui a pris en charge les suites de l'événement.
L'assuré a subi plusieurs interventions au genou droit. Il a également accompli un séjour à la Clinique D.________. Le 4 décembre 2014, le docteur C.________, spécialiste en chirurgie orthopédique et médecin d'arrondissement de la CNA, a procédé à un bilan médical final. Ce médecin a retenu que l'assuré ne pouvait plus reprendre son ancien emploi mais était en mesure d'exercer une activité assise ou debout, avec un port de charges limité à 5 kg et sans déplacements dans des escaliers ou sur des échelles.
Par décision du 20 octobre 2015, la CNA a alloué à A.________, avec effet au 1er mai 2015, une rente LAA fondée sur un degré d'invalidité de 12 %. Pour déterminer le revenu d'invalide de l'assuré, qu'elle a fixé à 62'131 fr., elle s'est basée sur cinq descriptions de postes de travail (DPT), soit les n
os 9803 (employé au contrôle qualité), 490466 (boîtier-polisseur dans l'horlogerie), 11553 (rectifieur), 2260 (collaborateur de production), 5127 (employé d'horlogerie). Saisie d'une opposition, la CNA l'a écartée dans une nouvelle décision du 8 février 2016.
B.
L'assuré a déféré cette dernière décision devant la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève, qui a partiellement admis son recours. Elle a annulé la décision litigieuse, dit que A.________ a droit à une rente d'invalidité de 15 % dès le 1er mai 2015, et renvoyé la cause à la CNA pour calcul des prestations dues ainsi que pour instruction complémentaire au sens des considérants, puis nouvelle décision (jugement du 7 février 2017).
C.
La CNA forme un recours en matière de droit public contre ce jugement, dont elle demande l'annulation en tant qu'il reconnaît le droit de l'assuré à une rente d'invalidité de 15 %, et conclut à la confirmation de sa décision sur opposition du 8 février 2016.
A.________ conclut au rejet du recours. L'Office fédéral de la santé publique et la cour cantonale ont renoncé à se déterminer sur le recours.
Considérant en droit :
1.
1.1. Le jugement attaqué s'analyse, d'un point de vue purement formel, comme une décision de renvoi car il ne met pas un terme à la procédure. En principe, les décisions de renvoi sont des décisions incidentes qui ne peuvent faire l'objet d'un recours au Tribunal fédéral qu'aux conditions de l'art. 93 LTF. Elles sont toutefois tenues pour finales lorsque le renvoi a lieu uniquement en vue de son exécution par l'autorité inférieure sans que celle-ci ne dispose encore d'une liberté d'appréciation notable (ATF 140 V 282 consid. 4.2 p. 285 s.).
En l'espèce, les juges cantonaux ont renvoyé la cause à la CNA pour deux motifs: d'une part, calculer la rente d'invalidité de 15 % due à l'assuré; d'autre part, instruire et rendre une nouvelle décision sur la question d'une éventuelle rechute de l'accident à partir du 1er février 2016. La recourante ne conteste que l'aspect relatif à la rente d'invalidité. Cette partie du jugement, qui ne laisse aucune marge de manoeuvre à la CNA, équivaut par conséquent à une décision finale contre laquelle un recours au Tribunal fédéral est recevable.
1.2. Pour le surplus, le recours est dirigé contre un arrêt rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il convient donc d'entrer en matière.
2.
La procédure ayant pour objet une prestation en espèces de l'assurance-accidents, le Tribunal fédéral n'est pas lié par les faits établis par la juridiction précédente (art. 105 al. 3 LTF).
3.
Le jugement entrepris expose correctement les dispositions légales (art. 6 al. 1 et art. 18 al. 1 LAA , ce dernier dans sa version, déterminante en l'espèce, en vigueur jusqu'au 31 décembre 2016) et les principes applicables au cas (évaluation de l'invalidité). Il suffit d'y renvoyer.
4.
4.1. Dans un premier grief de nature formelle, la recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue (art. 29 al. 2 Cst.) par les premiers juges. Elle leur reproche, après avoir écarté ses DPT, d'avoir déterminé le revenu d'invalide de l'intimé sur la base des statistiques salariales de l'Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) sans lui avoir donné l'occasion de prendre position à ce sujet. Elle prétend qu'elle ne pouvait compter avec l'application des données statistiques dès lors que l'intimé n'avait émis aucune réserve, dans son recours cantonal, sur la compatibilité avec ses limitations fonctionnelles des postes de travail qu'elle avait sélectionnés.
4.2. Le droit d'être entendu implique, lorsqu'une autorité envisage de fonder sa décision sur une norme ou un motif juridique non évoqué dans la procédure antérieure et dont aucune des parties en présence ne s'est prévalue et ne pouvait supputer la pertinence in casu, de donner au justiciable la possibilité de se déterminer à ce sujet (ATF 130 III 35 consid. 5 p. 39; 128 V 272 consid. 5b/bb p. 278; arrêt 8C_520/2016 consid. 2.2).
4.3. De jurisprudence constante, en l'absence d'un revenu effectivement réalisé - soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l'atteinte à la santé, n'a pas repris d'activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible -, le revenu d'invalide peut être évalué sur la base des données salariales résultant des DPT ou sur les données statistiques issues de l'ESS (ATF 139 V 592 consid. 2.3 p. 593; 135 V 297 consid. 5.2 p. 301; 129 V 472 consid. 4.2.1 p. 475 et les références). En l'espèce, si, devant les premiers juges, l'intimé n'a pas spécifiquement critiqué le caractère exigible des activités décrites dans les DPT produites par la CNA, il n'en a pas moins contesté pouvoir réaliser le salaire moyen correspondant à ces postes de travail. La détermination du revenu d'invalide faisait donc partie de l'objet du litige soumis aux juges cantonaux. Dans ces conditions, la recourante pouvait s'attendre à qu'ils recourent aux données salariales statistiques s'ils n'étaient pas convaincus par le revenu d'invalide établi au moyen des DPT. Au demeurant, la recourante semble oublier qu'elle a elle-même invoqué, dans une argumentation subsidiaire, qu'une application des valeurs statistiques ne changerait pas le résultat auquel elle était parvenue dans sa décision sur opposition (voir sa réponse du 6 avril 2016). Elle est ainsi mal venue de se prévaloir d'une argumentation imprévisible ou surprenante de l'instance précédente. Le grief d'une violation de son droit d'être entendue doit par conséquent être rejeté.
5.
Sur le fond, la recourante reproche aux juges cantonaux d'avoir méconnu les règles en matière d'évaluation du revenu d'invalide.
5.1. Dans un premier moyen, elle soutient que les juges cantonaux auraient dû, avant d'écarter la méthode fondée sur les DPT, lui accorder la possibilité d'effectuer une nouvelle recherche dans sa base de données. D'une part, en effet, la jurisprudence ne lui laissait pas le choix de la méthode, lui imposant de faire recours aux DPT, à moins que les circonstances du cas d'espèce y fassent obstacle et qu'il ne lui soit pas possible de trouver, parmi la documentation disponible, le nombre requis de postes de travail pouvant entrer en ligne de compte pour l'assuré concerné. La recourante cite à cet égard l'arrêt 8C_443/2016 du 11 août 2016 et produit, pour démontrer que le cas de l'intimé ne justifie pas de faire application des salaires statistiques, cinq autres DPT répondant aux exigences jurisprudentielles dont il résulterait un revenu d'invalide même supérieur à celui qu'elle avait retenu initialement dans ses décisions. D'autre part, elle est d'avis que la seule constatation par les juges cantonaux de l'incompatibilité de trois postes de travail sur les cinq produits n'est pas un motif suffisant pour écarter son enquête économique. Ainsi, le jugement attaqué devrait être annulé puisque le revenu d'invalide de l'intimé pouvait être fixé selon les DPT et que le montant obtenu de cette façon ne conduisait pas à un résultat plus favorable que celui qu'elle avait retenu.
5.2. Contrairement à ce que voudrait la recourante, on ne saurait déduire de l'arrêt qu'elle cite ni de la jurisprudence publiée, une obligation pour les juges cantonaux d'interpeller la CNA pour qu'elle produise d'autres DPT lorsqu'ils considèrent ne pas pouvoir se rallier à ceux initialement sélectionnés par elle et envisagent de faire usage des salaires statistiques pour déterminer le revenu d'invalide. Encore récemment, le Tribunal fédéral a rappelé que c'est à la juridiction cantonale qu'il revient d'examiner si les DPT produites par la CNA satisfont aux conditions posées par jurisprudence ou, sinon, soit de renvoyer la cause à celle-ci pour compléter son enquête économique, soit de procéder elle-même à la détermination du revenu d'invalide sur la base des données statistiques issues de l'ESS (voir l'arrêt 8C_898/2015 du 13 juin 2016 consid. 3.3). Il s'agit là d'une faculté laissée à l'appréciation du juge. Par ailleurs, il est également de jurisprudence constante que les activités décrites dans les DPT ayant servi de référence dans la décision initiale doivent être compatibles avec l'état de santé de l'assuré pour qu'il soit admissible de s'y référer (voir l'arrêt 8C_430/2014 in SVR 2016 UV n° 14 p. 43 consid. 4.4. et les références). Cet arrêt, dont se prévaut la recourante, ne dit pas autre chose. Pour le surplus, on n'examinera pas si les juges cantonaux étaient fondés à retenir l'incompatibilité des DPT nos 9803, 5127 et 490466 avec les limitations fonctionnelles de l'intimé, la CNA ne formulant aucune critique spécifique à ce sujet dans son recours. Enfin, il n'y a pas lieu de prendre considération les cinq nouvelles DPT produites par la CNA à l'appui de son recours. Dans la mesure où le jugement attaqué ne repose pas sur une argumentation juridique imprévisible, comme on l'a vu ci-dessus (consid. 4), les conditions d'une exception à l'interdiction de présenter des moyens de preuve nouveaux ne sont pas remplies (cf. art. 99 al. 1 LTF; BERNARD CORBOZ, Commentaire de la LTF, 2e éd. 2014, n° 25b ad art. 99 LTF).
5.3. Dans un deuxième moyen, pour le cas où l'application des salaires statistiques ESS devrait être confirmée, la recourante reproche aux juges cantonaux d'avoir retenu un abattement de 10 % au lieu de 5 % comme elle l'avait proposé dans sa réponse au recours cantonal de l'intimé. Elle fait valoir que l'assuré est encore jeune, vit en Suisse depuis plusieurs années et bénéficie de différentes expériences professionnelles; en outre, ses limitations fonctionnelles ne présentaient pas de spécificités telles qu'elles étaient de nature à le défavoriser de façon significative sur le marché du travail.
5.4. L'étendue de l'abattement du salaire statistique dans un cas concret constitue une question typique relevant du pouvoir d'appréciation, qui est soumise à l'examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d'appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif ou négatif de son pouvoir d'appréciation ou a abusé de celui-ci, notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n'usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72 s.; 132 V 393 consid. 3.3 p. 399).
5.5. La juridiction cantonale a opéré un abattement de 10 % eu égard à la nature des limitations fonctionnelles de l'intimé (port de charges limité à 5 kg, pas de longues marches ou de déplacements dans des escaliers ou sur des échelles, alternance des positions assis/debout), citant à l'appui l'arrêt 8C_800/2015 du 7 juillet 2016 pour un cas comparable (voir le consid. 3.4). Or la recourante ne prétend pas que ce critère serait non pertinent mais se contente d'affirmer qu'un abattement de 5 % serait plus approprié à la situation qu'un abattement de 10 %. Ce faisant, elle ne démontre toutefois pas en quoi les juges cantonaux auraient commis un excès positif ou négatif de leur pouvoir d'appréciation ou abusé de celui-ci en considérant que les limitations en cause justifient un taux d'abattement à 10 %. Elle ne s'en prend qu'à l'opportunité de la décision, ce qui ne lui est d'aucun secours.
5.6. Pour le surplus, si la recourante fait valoir à juste titre que l'évolution des salaires en 2015 s'est élevé à 0,4 % (tableau T1.10, Indice des salaires nominaux 2011-2016, de l'Office fédéral de la statistique) au lieu de 0,3 % comme l'ont retenu les premiers juges, cela ne change toutefois pas le résultat final du degré d'invalidité qui reste à 15 % en application des salaires statistiques avec un abattement de 10 %.
6.
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté.
La recourante, qui succombe supportera les frais de justice (art. 66 al. 1 LTF). L'intimé a droit à une indemnité de dépens.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de la CNA.
3.
Une indemnité de dépens de 2'800 fr. (y compris la taxe à la valeur ajoutée) est allouée à l'intimé à la charge de la recourante.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève et à l'Office fédéral de la santé publique.
Lucerne, le 6 février 2018
Au nom de la Ire Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Maillard
La Greffière : von Zwehl