BGer 4A_228/2017
 
BGer 4A_228/2017 vom 23.03.2018
 
4A_228/2017
 
Arrêt du 23 mars 2018
 
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes les Juges fédérales
Kiss, Présidente, Niquille et May Canellas.
Greffière : Mme Godat Zimmermann.
Participants à la procédure
X.________, représenté par
Me Eric Maugué,
recourant,
contre
Z.________ SA,
intimée,
Objet
contrat de travail; droit au salaire en cas d'empêchement de travailler; accord dérogatoire,
recours contre l'arrêt rendu le 15 mars 2017 par la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève (C/13170/2015-1, CAPH/41/2017).
 
Faits :
A. Z.________ SA a pour but l'exploitation d'une entreprise de nettoyage et la commercialisation de tout produit en rapport avec le nettoyage.
Le 7 août 2008, elle a engagé X.________ en qualité de nettoyeur pour un salaire mensuel brut de 5'000 fr., porté ultérieurement à 5'200 fr. La lettre d'engagement stipulait notamment:
" Assurance perte de gain. La perte de gain en cas d'accident est assurée à 80% dès le troisième jour. La perte de gain en cas de maladie est assurée à 80% dès le troisième jour."
Les fiches de salaire mensuelles de X.________ ne mentionnent aucune retenue pour une assurance perte de gain maladie. Z.________ SA n'a pas souscrit une telle assurance en faveur de son personnel. En particulier, elle n'a pas donné suite à une proposition datée du 12 décembre 2012, qui prévoyait une couverture d'indemnité journalière en cas de maladie de 730 jours à 80% avec un délai d'attente de 14 jours; selon l'administrateur de Z.________ SA, cette proposition a été soumise à l'employé, qui a refusé de supporter une part de prime.
Lors de ses absences pour cause de maladie - d'une durée non établie -, X.________ a reçu son salaire à 100%.
A la suite d'une chute dans des escaliers intervenue le 5 mars 2014, l'employé est totalement incapable de travailler. Jusqu'au 31 janvier 2015, Z.________ SA lui a payé le salaire à 100%; elle a perçu les indemnités versées par la SUVA à hauteur de 80% jusqu'au 31 octobre 2014.
Par lettre du 16 février 2015, l'employeuse a fait savoir à l'employé qu'en application de l'échelle bernoise, elle n'assumait désormais plus d'obligation pécuniaire envers lui. Dès février 2015, X.________ a bénéficié de prestations d'aide sociale à hauteur de 3'228 fr.45 par mois.
Par courrier du 27 novembre 2015, Z.________ SA a licencié l'employé pour le 31 janvier 2016.
B. Le 24 juin 2015, X.________ a déposé devant l'autorité de conciliation une requête dirigée contre Z.________ SA. A la suite de l'échec de la conciliation, il a saisi le Tribunal des prud'hommes du canton de Genève d'une demande tendant notamment au paiement d'un montant de 45'760 fr. bruts avec intérêts à 5%, représentant 11 mois d'indemnités équivalant à 80% de son salaire. L'employé faisait valoir que la durée de la couverture de l'assurance perte de gain en cas de maladie visée dans le contrat de travail était au minimum équivalente à 720 jours.
Par jugement du 26 juin 2016, le tribunal a débouté X.________ des fins de sa demande en paiement.
Statuant le 15 mars 1027 (recte: 2017) sur appel de l'employé, la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève a confirmé le jugement de première instance. Selon l'arrêt cantonal, les parties au contrat de travail n'ont pas valablement convenu d'un régime dérogatoire au régime de base institué par l'art. 324a al. 1 et 2 CO, faute d'avoir respecté, en ce qui concerne la durée des prestations remplaçant le salaire en cas de maladie, la forme écrite exigée par l'art. 324a al. 4 CO.
C. X.________ interjette un recours en matière civile. Il demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal et de condamner Z.________ SA à lui verser la somme brute de 45'760 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 31 mai 2015.
Z.________ SA conclut au rejet du recours.
Pour sa part, la cour cantonale se réfère aux considérants de son arrêt.
 
Considérant en droit :
1. L'arrêt attaqué est une décision finale (art. 90 LTF) rendue en matière civile (art. 72 LTF) par le tribunal supérieur institué comme autorité cantonale de dernière instance, lequel a statué sur recours (art. 75 LTF). La cause atteint la valeur litigieuse minimale de 15'000 fr., ouvrant le recours en matière civile dans les affaires relevant du droit du travail (art. 74 al. 1 let. a LTF). Le recours est exercé par la partie qui a succombé dans ses conclusions condamnatoires et qui a donc qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF); il a été déposé en temps utile (art. 45 al. 1, art. 46 al. 1 let. a et art. 100 al. 1 LTF) et dans la forme (art. 42 LTF) prévue par la loi. Le recours est en principe recevable, sous réserve de l'examen des griefs particuliers.
 
Erwägung 2
2.1. Le recourant n'était pas au bénéfice d'une assurance collective perte de gain en cas de maladie. Après le 31 octobre 2014 marquant la fin du versement des prestations en cas d'accident, l'intimée lui a payé son salaire en plein pendant trois mois, en application de l'échelle bernoise valable pour le régime légal de base (cf. art. 324a al. 1 et 2 CO). Selon la thèse défendue par l'employé, l'employeuse s'est engagée conventionnellement à conclure une assurance perte de gain en cas de maladie lui garantissant 80% du salaire pendant au moins 720 jours (régime dérogatoire au sens de l'art. 324a al. 4 CO, voire complémentaire au sens de l'art. 324a al. 2 CO). Le recourant réclame ainsi à l'intimée la réparation du dommage causé par l'inexécution de cette obligation contractuelle, soit un montant correspondant à 80% de son salaire pendant 11 mois.
2.2. Lorsque le travailleur est empêché de travailler sans faute de sa part pour cause de maladie, l'employeur verse le salaire pour un temps limité dans la mesure où les rapports de travail ont duré plus de trois mois ou ont été conclus pour plus de trois mois (art. 324a al. 1 CO). Pendant la première année de service, le salaire est payé pendant trois semaines et, ensuite, pour une période plus longue fixée équitablement en fonction de la durée des rapports de travail et des circonstances particulières (art. 324a al. 2 CO); la pratique a fixé des barèmes dans ce domaine, dont l'échelle bernoise généralement appliquée par les tribunaux dans les cantons romands (WYLER/HEINZER, Droit du travail, 3e éd. 2014, p. 233/234). Le droit au salaire cesse à la fin des rapports de travail (ATF 127 III 318 consid. 4b p. 325).
Il ne peut être dérogé à ce régime légal de base en défaveur du travailleur (cf. art. 362 al. 1 CO; ATF 131 III 623 consid. 2.2 p. 628). Il s'ensuit qu'un régime conventionnel peut se concevoir de deux manières.
Dans le régime complémentaire, les parties conviennent d'améliorer la protection du travailleur sans déroger au régime légal de base, par exemple en prolongeant la période pendant laquelle le salaire reste dû (art. 324a al. 2 in principio CO) ou en assurant la couverture des empêchements de travailler survenant durant les trois premiers mois de travail, lorsque le contrat de travail a été conclu pour moins de trois mois. L'accord des parties, qui peut porter sur la conclusion d'une assurance collective perte de gain, n'est soumis à aucune forme particulière (ATF 131 III 623 consid. 2.5.2 p. 634; arrêt 4A_98/2014 du 10 octobre 2014 consid. 4.2.1).
Dans le régime dérogatoire prévu à l'art. 324a al. 4 CO, un accord écrit, un contrat-type de travail ou une convention collective peut déroger au régime légal, en substituant une couverture d'assurance à l'obligation légale de payer le salaire (ATF 141 III 112 consid. 4.1 p. 113), à condition toutefois que le travailleur bénéficie de prestations au moins équivalentes. L'idée est que la réduction des droits du travailleur pendant la période de protection légale (éventuel délai de carence, indemnité représentant moins de 100% du salaire) soit compensée par des prestations supplémentaires (versement pendant une période plus longue que celle prescrite à l'art. 324a al. 2 CO) (WYLER/HEINZER, op. cit., p. 243; GABRIEL AUBERT, in Commentaire romand, Code des obligations I, 2e éd. 2012, n° 53 ad art. 324a CO). L'équivalence est en tout cas admise lorsque l'employeur contracte une assurance perte de gain qui garantit des indemnités journalières correspondant à 80% du salaire pendant 720 ou 730 jours, après un délai d'attente de 2 à 3 jours, et dont il paie au moins la moitié des primes (ATF 135 III 640 consid. 2.3.2 p. 647; arrêt précité du 10 octobre 2014 consid. 4.2.1 et les références). Outre l'équivalence, un éventuel accord des parties doit respecter la forme écrite (cf. art. 11ss CO), laquelle couvrira les points essentiels du régime dérogatoire, à savoir les risques couverts, le pourcentage du salaire assuré, la durée des prestations, les modalités de financement des primes et, le cas échéant, le délai d'attente; un renvoi aux conditions générales d'assurance ou à un autre document tenu à disposition du travailleur est suffisant (ATF 131 III 623 consid. 2.5.1 p. 633 s.); l'accord doit être signé par les deux parties (art. 13 al. 1 CO; arrêt précité du 10 octobre 2014 consid. 4.2.1).
Lorsque l'employeur ne satisfait pas à ses obligations contractuelles, par exemple s'il omet de conclure l'assurance avec les prestations prévues, il doit réparer le préjudice subi par le travailleur sur la base de l'art. 97 al. 1 CO, que l'inexécution soit totale ou partielle, et verser des dommages-intérêts correspondant aux prestations que le travailleur aurait reçues de l'assurance en question pour le risque considéré (ATF 141 III 112 consid. 4.5 p. 115; 127 III 318 consid. 5 p. 326; 124 III 126 consid 4 p. 133; 115 II 251 consid. 4a et 4b p. 253 ss).
 
Erwägung 3
3.1. Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 18 CO en lien avec l'art. 324a al. 4 CO, voire avec l'art. 324a al. 2
A son sens, les juges cantonaux auraient dû interpréter la volonté des parties en ce sens qu'elles entendaient convenir d'un régime dérogatoire qui assurait à l'employé, en cas de maladie, des indemnités journalières couvrant le 80% du salaire pendant une durée d'au moins 720 jours. Le recourant invoque à cet égard la proposition d'assurance du 12 décembre 2012, demandée par l'intimée, laquelle indiquait une durée de 730 jours, ainsi que les conventions collectives dans le secteur du nettoyage, qui sont connues de l'intimée même si elle n'y est pas soumise et qui prévoient une durée d'indemnisation de 720 ou 730 jours.
A titre subsidiaire, le recourant fait valoir que si les parties n'ont pas valablement convenu de régime dérogatoire faute de respect de la forme écrite, comme la cour cantonale l'a admis, il faudrait alors reconnaître que, par la clause contractuelle litigieuse, l'employeuse s'est engagée envers l'employé à conclure une assurance perte de gain en cas de maladie répondant à un régime complémentaire au sens de l'art. 324a al. 2 CO.
3.2. La question est de savoir si, pour le cas où le travailleur serait incapable de travailler pour cause de maladie, les parties au contrat de travail ont adopté un régime conventionnel qui déroge valablement au régime légal de base, voire qui le complète, de sorte que le recourant disposerait d'une prétention correspondant à 80% de son salaire pendant 11 mois dès le 1er février 2015.
3.2.1. La lettre d'engagement du 7 août 2008 comporte une clause stipulant que "la perte de gain en cas de maladie est assurée à 80% dès le troisième jour". Il convient d'observer d'emblée qu'en prévoyant le paiement d'un pourcentage du salaire ainsi qu'un délai de carence, cette disposition contractuelle déroge, au détriment du travailleur, à l'art. 324a al. 1 CO. Faute d'améliorer la protection du travailleur, la clause litigieuse ne saurait être interprétée comme une convention complétant le régime légal de base. Seul un accord dérogatoire au sens de l'art. 324a al. 4 CO peut entrer en considération en l'espèce.
3.2.2. Il y a lieu de préciser au préalable que les rapports entre les parties ne sont pas régis par une convention collective de travail, comme le Tribunal des prud'hommes l'a jugé sans être critiqué par la suite et comme l'employé l'admet lui-même dans son recours. Une éventuelle obligation de l'employeuse de conclure une assurance perte de gain ne peut dès lors résulter que d'un accord écrit au sens de l'art. 324a al. 4 CO.
A cet égard, force est de constater que le contrat de travail écrit du 7 août 2008, certes signé par les deux parties (art. 13 al. 1 CO), ne mentionne pas deux éléments essentiels d'un régime dérogatoire, soit la durée des prestations et les modalités de financement des primes; il ne comporte pas non plus de renvoi à des conditions générales d'assurance ni à un autre document. Comme la forme prescrite n'est pas respectée, les parties n'ont pas convenu valablement d'un régime dérogatoire (cf. art. 11 al. 2 CO).
Cela étant, dans l'arrêt 4A_517/2010 du 11 novembre 2010, le Tribunal fédéral a relevé que la forme écrite est destinée à protéger le travailleur; il a jugé ainsi inappropriée la sanction de l'inefficacité lorsque les parties ont convenu par actes concluants d'un régime dérogatoire globalement plus favorable au travailleur que le régime de base, de sorte que l'accord doit être considéré comme valable malgré le vice de forme (consid. 4.3; beaucoup plus circonspect sur ce point, arrêt précité du 10 octobre 2014 consid. 4.3, dans lequel, au demeurant, l'existence d'un accord même informel est mise en doute; cf. WYLER/HEINZER, op. cit., p. 240; GUY LONGCHAMP, in Commentaire du contrat de travail, Dunand/Mahon éd., 2013, p. 218). En l'espèce, contrairement au cas ayant donné lieu à l'arrêt précité du 11 novembre 2010 (consid. 4.3), l'employeuse n'a déduit du salaire aucune participation de l'employé au financement de l'assurance perte de gain, ce qui aurait constitué un indice d'un régime dérogatoire (arrêt précité du 10 octobre 2014 consid. 4.3). En tout état de cause, l'existence d'un accord dérogatoire par actes concluants, portant sur toutes les conditions d'équivalence, doit être niée dans le cas présent. En particulier, la proposition d'assurance, établie quatre ans après la signature du contrat de travail, ne saurait être considérée comme révélatrice, sur les points essentiels - singulièrement sur la durée des prestations et la part de la prime à payer par le travailleur - d'une convention dérogatoire préalablement conclue entre les parties.
C'est le lieu d'observer que le grief d'établissement arbitraire des faits (art. 9 Cst.) soulevé par le recourant porte sur un fait dénué de pertinence (cf. art. 97 al. 1 LTF). A lire le recours, la cour cantonale aurait retenu manifestement à tort que l'employé avait refusé en 2012 de payer une partie des primes, ce qui aurait conduit l'employeuse à ne pas donner suite à la proposition d'assurance; si elle avait apprécié les preuves de manière non arbitraire, l'autorité précédente aurait dû constater que l'intimée n'avait pas été en mesure de prouver pourquoi elle n'avait pas conclu l'assurance convenue contractuellement.
La raison pour laquelle l'employeuse n'a pas conclu l'assurance perte de gain en 2012 ne peut pas influer sur le sort du litige. En effet, si l'on fait abstraction de la forme écrite, comme dans l'arrêt précité du 11 novembre 2010, la question est de savoir si les parties au contrat de travail ont convenu par actes concluants d'un régime dérogatoire plus favorable au travailleur que le régime de base; il ne s'agit pas de rechercher pourquoi l'intimée n'a pas conclu le contrat d'assurance proposé alors, mais bien de déterminer si, auparavant, elle s'était engagée envers le recourant par actes concluants à conclure une assurance collective perte de gain garantissant le paiement de 80% du salaire pendant au moins 720 jours, comme il le prétend. Or, à ce propos, l'absence de tout prélèvement sur le salaire à titre de participation à une prime d'assurance perte de gain interdisait déjà au recourant, comme on l'a vu plus haut, de déduire de bonne foi que son salaire était couvert à concurrence de 80% pour une longue durée en cas d'incapacité pour cause de maladie.
En conclusion, les parties n'ont pas convenu d'un régime dérogatoire au sens de l'art. 324a al. 4 CO de sorte que l'employeuse ne s'est pas engagée contractuellement envers l'employé à conclure une assurance perte de gain en cas de maladie garantissant des indemnités journalières pour une durée d'au moins 720 jours. La cour cantonale n'a dès lors pas violé le droit fédéral en niant toute responsabilité de l'intimée pour inexécution d'une obligation contractuelle.
4. Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté.
Le recourant, qui succombe, prendra à sa charge les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF), dont le montant ne sera pas fixé selon le tarif réduit dès lors que les conclusions de la demande dépassent 30'000 fr. (cf. art. 65 al. 4 let. c LTF).
Il n'est pas alloué de dépens à l'intimée, qui n'est pas représentée par un avocat (art. 68 al. 2 LTF; art. 1 et 2 du règlement sur les dépens alloués à la partie adverse et sur l'indemnité pour la représentation d'office dans les causes portées devant le Tribunal fédéral [RS 173.110.210.3]).
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1. Le recours est rejeté.
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 23 mars 2018
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Kiss
La Greffière : Godat Zimmermann