BGer 1B_152/2018
 
BGer 1B_152/2018 vom 09.04.2018
 
1B_152/2018
 
Arrêt du 9 avril 2018
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Merkli, Président,
Fonjallaz et Chaix.
Greffier : M. Parmelin.
Participants à la procédure
recourante,
contre
Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens.
Objet
Détention provisoire,
recours contre l'arrêt de la Chambre des recours
pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 12 mars 2018 (184 PE18.000541-GRV).
 
Faits :
Le Ministère public de l'arrondissement de l'Est vaudois instruit une procédure pénale contre A.________, prévenue de tentative de meurtre pour avoir donné plusieurs coups de couteau à son mari lors d'une dispute survenue le 11 janvier 2018 au domicile conjugal.
Le 13 janvier 2018, le Tribunal des mesures de contrainte du canton de Vaud a ordonné la détention provisoire de A.________ pour une durée de trois mois en raison des risques de fuite et de collusion.
Le 17 janvier 2018, A.________ a requis sa relaxation moyennant le dépôt de son passeport camerounais et celui de son fils de cinq ans en mains du Ministère public, son placement pendant un mois, le cas échéant jusqu'au jour du jugement, chez sa soeur à Lausanne et le placement de son fils sous la garde exclusive de son mari durant la même période. Le Tribunal des mesures de contrainte a rejeté cette requête en date du 30 janvier 2018 en raison des risques de fuite et de réitération.
Le 26 février 2018, A.________ a déposé une nouvelle demande de mise en liberté immédiate, appuyée par son mari et à laquelle s'est opposé le Ministère public en invoquant un risque de fuite et un danger de récidive.
Par ordonnance du 6 mars 2018, le Tribunal des mesures de contrainte a rejeté cette demande au motif que la détention provisoire était justifiée par un risque concret de réitération, estimant superflu d'examiner si elle l'était également par un risque de fuite.
La Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud a confirmé cette décision au terme d'un arrêt rendu le 12 mars 2018 sur recours de la prévenue.
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ conclut à la réforme de cet arrêt en ce sens que son recours contre l'ordonnance rendue le 6 mars 2018 par le Tribunal des mesures de contrainte est admis et que cette décision est réformée en ce sens que la demande de libération provisoire est admise et sa libération est ordonnée. Elle requiert l'assistance judiciaire.
Le Ministère public de l'arrondissement de l'Est vaudois et la Chambre des recours pénale ont renoncé à se déterminer et se réfèrent à la décision attaquée.
 
Considérant en droit :
1. Le recours en matière pénale est ouvert contre une décision prise en dernière instance cantonale relative à la détention provisoire au sens des art. 212 ss CPP. Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF, la recourante, prévenue et détenue, a qualité pour recourir et les conclusions en réforme prises dans le recours sont recevables au sens de l'art. 107 al. 2 LTF.
2. Une mesure de détention préventive n'est compatible avec la liberté personnelle garantie aux art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH que si elle repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et art. 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce l'art. 221 CPP. Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.). Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par un risque de fuite ou par un danger de collusion ou de réitération (art. 221 al. 1 let. a, b et c CPP).
3. Les autorités cantonales ont justifié le rejet de la demande de mise en liberté provisoire de la recourante et son maintien en détention par la présence d'un risque concret de récidive.
3.1. A teneur de l'art. 221 al. 1 let. c CPP, la détention provisoire ne peut être ordonnée que lorsque le prévenu est fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit et qu'il y a sérieusement lieu de craindre qu'il compromette sérieusement la sécurité d'autrui par des crimes ou des délits graves après avoir déjà commis des infractions du même genre.
Pour établir le pronostic de récidive, les critères déterminants sont la fréquence et l'intensité des infractions poursuivies. Cette évaluation doit prendre en compte une éventuelle tendance à l'aggravation telle qu'une intensification de l'activité délictuelle, une escalade de la violence ou une augmentation de la fréquence des agissements. Les caractéristiques personnelles du prévenu doivent en outre être évaluées. Lorsqu'on dispose d'une expertise psychiatrique ou d'un pré-rapport, il y a lieu d'en tenir compte (ATF 143 IV 9 consid. 2.8 p. 16). En général, la mise en danger de la sécurité d'autrui est d'autant plus grande que les actes redoutés sont graves. En revanche, le rapport entre gravité et danger de récidive est inversement proportionnel. Cela signifie que plus l'infraction et la mise en danger sont graves, moins les exigences seront élevées quant au risque de réitération. Lorsque la gravité des faits et leurs incidences sur la sécurité sont particulièrement élevées, on peut ainsi admettre un risque de réitération à un niveau inférieur. Il demeure qu'en principe, le risque de récidive ne doit être admis qu'avec retenue comme motif de détention. Dès lors, un pronostic défavorable est nécessaire (et en principe également suffisant) pour admettre l'existence d'un tel risque (ATF 143 IV 9 consid. 2.9 p. 17).
Bien qu'une application littérale de l'art. 221 al. 1 let. c CPP suppose l'existence de deux antécédents au moins, le risque de réitération peut être également admis dans des cas particuliers alors qu'il n'existe qu'un antécédent, voire aucun dans les cas les plus graves. La prévention du risque de récidive doit en effet permettre de faire prévaloir l'intérêt à la sécurité publique sur la liberté personnelle du prévenu (ATF 137 IV 13 consid. 3-4 p. 18 ss). Le risque de récidive peut également se fonder sur les infractions faisant l'objet de la procédure pénale en cours, si le prévenu est fortement soupçonné - avec une probabilité confinant à la certitude - de les avoir commises (ATF 143 IV 9 consid. 2.3.1 p. 12).
3.2. En l'occurrence, la Chambre des recours pénale a constaté que la relation conjugale entretenue par les époux A.________ paraissait être empreinte d'une violence certaine, sur fond de jalousie, propre à favoriser la réitération d'actes potentiellement graves, la prévenue ayant confirmé à l'audience du Tribunal des mesures de contrainte que son mari était violent et qu'elle préférait, malgré cela, réintégrer le domicile conjugal et se replacer ainsi dans une situation propre à provoquer à nouveau de la jalousie, de la frustration et de la violence. La garantie donnée par la recourante que l'incarcération subie aurait servi et servirait de leçon salutaire aux deux protagonistes et qu'ils sauront reprendre la vie commune sous des auspices favorables est manifestement insuffisante et la détention provisoire continuait d'être justifiée par un risque de récidive concret qu'aucune mesure de substitution n'apparaissait propre à prévenir dès lors que les époux souhaitaient reprendre une vie commune.
Les époux ont tous deux concédé avoir des disputes régulières depuis leur rencontre. Seul le mari de la recourante s'est toutefois montré violent avant les faits incriminés et est connu pour des violences domestiques envers son ex-compagne. La recourante n'a en revanche pas d'antécédents de violence. Le recours à un couteau de cuisine qu'elle a justifié afin de se défendre représente un épisode unique à ce jour dans leur parcours conjugal et ne suffit pas au regard de la jurisprudence précitée pour considérer que la recourante présenterait une dangerosité particulière et une potentialité de récidive d'actes du même genre en cas de nouvelle dispute en l'absence d'une expertise psychiatrique qui irait en ce sens. Le mari de la recourante a par ailleurs refusé de porter plainte à la suite de cet incident qu'ils disent tous deux profondément regretter et a appuyé la demande de mise en liberté de son épouse et sa réintégration au domicile conjugal pour le bien de leur fils, quitte à porter un bracelet électronique.
Dans ces circonstances particulières, le risque de récidive ne saurait être retenu pour rejeter la demande de libération provisoire présentée par le recourante. Le recours est donc bien fondé sur ce point. Le Tribunal des mesures de contrainte n'a cependant pas examiné si le maintien de la détention provisoire s'imposait également en raison d'un danger de fuite, s'estimant dispensée de statuer sur ce point vu l'existence d'un risque de réitération justifiant cette mesure. La Chambre des recours pénale ne s'est pas davantage prononcée à ce propos. Il n'appartient pas au Tribunal fédéral de vérifier en première instance ce qu'il en est. Cela étant, il ne saurait être fait droit à la conclusion de la recourante en réforme de l'ordonnance du Tribunal des mesures du contrainte du 6 mars 2018 en ce sens que sa libération immédiate est ordonnée.
4. Il s'ensuit que le recours est admis au sens des considérants. L'arrêt attaqué et l'ordonnance du Tribunal des mesures du contrainte du 6 mars 2018 sont annulés et la cause renvoyée à cette autorité pour qu'elle statue à nouveau à bref délai sur la requête de mise en liberté provisoire déposée par la recourante. Il n'y a pas lieu de percevoir de frais judiciaires pour la présente procédure (art. 66 al. 4 LTF). Les frais et dépens de la procédure cantonale peuvent également être fixés dans le présent arrêt (art. 67 et 68 al. 5 LTF). Les dépens sont ainsi arrêtés de manière globale pour les procédures cantonale et fédérale, et les frais judiciaires de l'instance cantonale sont laissés à la charge du canton de Vaud. Vu l'issue du recours, la demande d'assistance judiciaire est sans objet.
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est admis. L'arrêt attaqué et l'ordonnance du Tribunal des mesures de contrainte du canton de Vaud sont annulés et la cause est renvoyée à cette autorité pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
2. Il n'est pas perçu de frais judiciaires pour la procédure fédérale et les frais judiciaires de la procédure cantonale sont laissés à la charge du canton de Vaud.
3. Le canton de Vaud versera une indemnité de 1'500 fr. au mandataire de la recourante à titre de dépens pour les procédures cantonale et fédérale.
4. Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante ainsi qu'au Ministère public central, à la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal et au Tribunal des mesures de contrainte du canton de Vaud.
Lausanne, le 9 avril 2018
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Merkli
Le Greffier : Parmelin