Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
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4A_516/2017
Arrêt du 10 avril 2018
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes les Juges fédérales
Kiss, Présidente, Niquille et May Canellas.
Greffière : Mme Godat Zimmermann.
Participants à la procédure
X.________ SA, représentée par Me Fabio Spirgi,
recourante,
contre
M.________, représenté par Me Simon Ntah,
intimé,
Objet
protection des données; communication transfrontière; motifs justificatifs,
recours contre l'arrêt rendu le 15 août 2017 par la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève (C/20678/2015, ACJC/979/2017).
Faits :
A.
A.a. M.________ a été employé de A.________, laquelle fournissait certaines prestations comptables à B.________ AG (ci-après: B.________). L'activité de cette société d'assurance sur la vie, dont le siège est au Liechtenstein, consiste notamment à déposer auprès de banques les fonds qu'elle reçoit de ses clients; B.________ a conclu des contrats de dépôt avec X.________ SA (ci-après: X.________ ou la banque), établissement bancaire dont le siège est à Genève.
M.________ a été amené à ouvrir des comptes d'assurance-vie dont les avoirs ont été déposés auprès de X.________; il figurait sur la carte de signature de B.________ et bénéficiait d'un droit de signature.
A.b. En 2008, les autorités américaines se sont intéressées aux établissements bancaires suisses, suspectant certains d'entre eux d'avoir aidé des clients américains à éluder l'impôt américain.
En 2010, les autorités américaines (soit le Ministère de la justice des États-Unis,
U.S. Department of Justice [DoJ]) ont ouvert des enquêtes contre onze banques suisses qu'elles soupçonnaient d'avoir aidé des clients américains à se soustraire à leurs obligations fiscales ainsi que d'avoir contrevenu à la réglementation applicable lors des contacts intervenus avec ces clients. Elles ont requis l'entraide administrative de la Suisse en vue d'obtenir des renseignements sur les activités des banques visées aux États-Unis.
Les autorités américaines ont ensuite demandé aux banques concernées de leur transmettre un certain nombre de documents complémentaires (en particulier sur les employés s'étant rendus aux États-Unis pour communiquer avec des clients américains) si elles voulaient éviter une inculpation.
Le 4 avril 2012, le Conseil fédéral a autorisé les banques en cause à transmettre directement aux autorités américaines des données non anonymisées, à l'exception de celles concernant les clients. Cette décision valait autorisation, au sens de l'art. 271 CP, à procéder sur le territoire suisse pour le compte d'un État étranger à des actes relevant des pouvoirs publics. Cependant, il appartenait toujours aux banques d'effectuer une appréciation de leur responsabilité civile.
Le 11 avril 2012, la FINMA a recommandé aux banques concernées de coopérer avec les autorités américaines dans le cadre prévu par le Conseil fédéral, en précisant que la procédure d'entraide administrative était, de ce fait, suspendue.
A.c. Le 14 février 2013, les autorités suisses et américaines ont signé un accord visant à faciliter la mise en oeuvre par les établissements financiers suisses de la loi fiscale américaine (
Foreign Account Tax Compliance Act [FATCA]). Le Conseil fédéral a ensuite soumis au Parlement fédéral un projet de loi fédérale sur les mesures visant à faciliter le règlement du différend fiscal entre les banques suisses et les États-Unis. Le 19 juin 2013, le Parlement fédéral a refusé d'entrer en matière sur ce projet, considérant qu'il appartenait au Conseil fédéral de trouver des solutions dans le cadre du droit en vigueur.
Le 3 juillet 2013, le Conseil fédéral a mis sur pied une nouvelle procédure d'autorisation individuelle au sens de l'art. 271 CP (autorisation modèle).
A.d. Le 29 août 2013, le Conseil fédéral et le DoJ ont trouvé un accord visant à mettre un terme au différend fiscal entre les banques suisses et les États-Unis. Trois documents servent à concrétiser cet accord: la déclaration commune (
Joint Statement) du Conseil fédéral (Département fédéral des finances) et du DoJ, le programme volontaire américain (
Program for Swiss banks), ainsi que l'autorisation modèle du Conseil fédéral du 3 juillet 2013.
En vertu du
Joint Statement, le DoJ entend fournir aux banques suisses non impliquées dans une procédure pénale (autorisée par le DoJ) un moyen adapté pour clarifier leur situation (
status) en lien avec l'ensemble des enquêtes menées par le DoJ. Pour sa part, le Conseil fédéral (dans le texte: "
Switzerland ") manifeste son intention d'attirer l'attention des banques suisses sur les dispositions du programme américain et de les encourager à envisager une participation. Il relève que le droit suisse en vigueur permettra aux banques suisses une participation effective selon les termes fixés dans le programme.
Le programme volontaire (
Program for Swiss banks) classe les banques suisses en quatre catégories: la première catégorie, exclue du programme, s'adresse aux banques faisant l'objet d'une enquête pénale du DoJ; la deuxième catégorie, destinée aux banques qui estiment avoir violé le droit fiscal américain, permet à celles-ci de se mettre à l'abri d'une poursuite pénale en échange de leur participation, en concluant un
Non-Prosecution Agreement (NPA); les catégories 3 et 4 visent les banques qui estiment ne pas avoir violé le droit fiscal américain.
Selon le programme volontaire américain, les banques appartenant à la catégorie 2 doivent communiquer au DoJ le nom et la fonction des personnes ayant "structuré, géré ou supervisé les actions transfrontalières de la banque en lien avec les États-Unis" et le nom et la fonction de "toute personne, dont le gestionnaire de la relation client, le conseiller à la clientèle et gestionnaire d'actifs, ayant été en relation avec un
Closed US Related Account ".
Le 30 août 2013, la FINMA a rappelé aux banques qu'il appartenait à chacune d'elles d'évaluer de manière appropriée les risques juridiques et de réputation qu'entraînerait une non-participation au programme américain et d'en tenir compte dans leur processus de décision qui devra être documenté.
A.e. X.________ a décidé de participer au programme volontaire; le 19 décembre 2013, elle s'est annoncée auprès du DoJ comme banque de catégorie 2.
Par décision du 24 janvier 2014, le Département fédéral des finances (DFF) a autorisé X.________ à coopérer avec les autorités américaines.
Par lettre du 11 mai 2015, la banque a informé M.________ qu'elle envisageait de communiquer aux autorités américaines une liste comportant son nom et sa fonction en lien avec un compte concernant un produit d'assurance sur lequel il avait un pouvoir de signature et qui, selon elle, remplissait les conditions d'un
Closed US Related Account.
Par courriel du 27 mai 2015, M.________ s'est opposé à la communication de son nom au DoJ. Le 23 septembre 2015, la banque a maintenu sa décision de transmettre les données précitées, car le compte lié à M.________ présentait un indice d'américanité en raison de l'adresse aux États-Unis de l'ayant droit économique; par ailleurs, elle informait M.________ qu'il disposait d'un délai de dix jours pour déposer une demande en justice afin d'interdire la transmission des données.
A.f. Le 4 janvier 2016, soit en cours de procédure (cf. infra let. B), X.________ conclura un accord de non-poursuite (NPA) avec le DoJ moyennant le paiement d'une amende de 187'767'000 USD.
Dans cet accord, qui reprend les obligations du programme américain, X.________ s'engage en outre à continuer à collaborer et à fournir des données aux autorités américaines pendant une période de quatre ans, à compter de la date de l'exécution complète de l'accord ("
...from the date this Agreement is fully executed. "). Le DoJ se réserve le droit d'engager des poursuites pénales contre la banque en cas de violation des termes de l'accord. Si une telle violation est constatée, le DoJ s'engage toutefois à le communiquer à X.________, par une notification écrite, avant d'entamer une quelconque procédure. La banque peut alors, dans le délai de trente jours, expliquer par écrit la nature et les circonstances de la violation, ainsi que les actions prises pour y remédier. Ces explications doivent être prises en considération par le DoJ pour déterminer l'opportunité d'engager une procédure contre X.________ (complètement d'office selon l'art. 105 al. 2 LTF).
B.
Par acte déposé le 2 octobre 2015, M.________ a ouvert action devant le Tribunal de première instance du canton de Genève, concluant à ce qu'il soit fait interdiction à X.________, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, de transmettre, de communiquer ou de porter à la connaissance de tiers ou d'États tiers, notamment du DoJ, des données le concernant ou toute autre information pouvant amener un tiers à l'identifier.
X.________ a conclu au déboutement de M.________ de sa demande. La banque a pris une conclusion subsidiaire tendant à ce que l'interdiction ne déploie d'effet qu'en relation avec le programme du DoJ et non en relation avec la transmission de données de manière générale, en particulier si elle était requise par une autorité judiciaire ou administrative suisse, notamment l'Administration fédérale des contributions (AFC).
Par jugement du 5 janvier 2017, le Tribunal de première instance a fait interdiction à X.________ de transmettre, de communiquer ou de porter à la connaissance du DoJ des données concernant M.________ ou toute autre information pouvant amener à l'identifier, sous la menace de la peine prévue par l'art. 292 CP.
Statuant le 15 août 2017 sur appel de la banque, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a confirmé le jugement entrepris.
C.
X.________ interjette un recours en matière civile. Elle demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal, puis de débouter M.________ de toutes ses conclusions; à titre subsidiaire, elle conclut au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants.
M.________ n'a pas été invité à se déterminer.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 143 III 140 consid. 1 p. 143 et les arrêts cités).
1.1. Le litige met en jeu l'application de la loi fédérale sur la protection des données (LPD; RS 235.1). Il s'agit d'une action civile menée, sur la base de l'art. 6 LPD, par une personne physique contre une banque; divisant deux personnes privées, la contestation est de nature civile (art. 72 LTF). En refusant la communication de ses données aux autorités américaines, l'intimé, qui disposait d'un pouvoir de signature sur le compte litigieux, cherche avant tout à éviter un interrogatoire, voire une inculpation pénale aux États-Unis (cf. infra consid. 2.2), de sorte qu'il ne poursuit pas un but économique. Partant, la contestation porte sur un droit de nature non pécuniaire (ATF 142 III 145 consid. 6.1 et 6.2 p. 150 s.) et le recours en matière civile est ouvert sans restriction quant à la valeur litigieuse (cf. art. 74 al. 1 LTF
a contrario).
Pour le reste, l'arrêt attaqué est une décision finale (art. 90 LTF) rendue par un tribunal supérieur statuant sur recours ( art. 75 al. 1 et 2 LTF ). Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions prises devant l'autorité précédente et qui a donc qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF), le recours est en principe recevable puisqu'il a été déposé dans le délai (art. 48 al. 1 et art. 100 LTF ) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi.
1.2. Le recours en matière civile peut être interjeté pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF . Il peut donc également être formé pour violation d'un droit constitutionnel (art. 95 let. a LTF; ATF 136 I 241 consid. 2.1 p. 247; 136 II 304 consid. 2.4 p. 313).
Le Tribunal fédéral n'est pas lié par l'argumentation des parties (ATF 138 II 331 consid. 1.3 p. 336) et apprécie librement la portée juridique des faits; il s'en tient toutefois d'ordinaire aux questions juridiques que la partie recourante soulève dans la motivation de son recours (art. 42 al. 2 LTF; ATF 137 III 580 consid. 1.3 p. 584).
1.3. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter les constatations de l'autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes ou découlent d'une violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). "Manifestement inexactes" signifie ici "arbitraires" (ATF 141 IV 249 consid. 1.3.1 p. 253; 140 III 115 consid. 2 p. 117; 135 III 397 consid. 1.5). Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266 et les références). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 p. 18 et les références). Si elle souhaite obtenir un complètement de l'état de fait, elle doit aussi démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux autorités précédentes, en conformité avec les règles de la procédure, les faits juridiquement pertinents à cet égard et les moyens de preuve adéquats (ATF 140 III 86 consid. 2 p. 90). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s'écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 p. 18).
En l'espèce, la recourante fait valoir que la cour cantonale a établi les faits de manière arbitraire en ne retenant pas que les données concernant l'intimé sont déjà en mains des autorités américaines. Selon la banque, la communication des données s'est effectuée par deux biais: d'une part, le compte bancaire en cause aurait été régularisé dans le cadre d'une procédure d'auto-dénonciation (
Voluntary Disclosure), laquelle implique nécessairement l'identification des personnes intervenant sur le compte; d'autre part, l'employeur de l'intimé aurait transmis les données relatives à ce dernier en application de l'accord FATCA conclu entre les États-Unis et le Liechtenstein.
Selon l'arrêt attaqué, les documents, partiellement caviardés, et le formulaire vierge produits par la banque ne permettent pas de vérifier les coordonnées du compte concerné par la procédure d'auto-dénonciation envisagée par le bénéficiaire économique, ni l'ouverture dudit compte au nom de la compagnie d'assurance liechtensteinoise, ni la transmission effective des informations relatives à l'intimé aux autorités américaines. En se référant simplement à ces pièces dans son recours, la banque ne cherche même pas à démontrer en quoi l'appréciation des preuves par la cour cantonale serait entachée d'arbitraire, si bien que le grief est irrecevable.
En ce qui concerne la seconde manière dont les données litigieuses auraient déjà été communiquées aux autorités américaines, les éléments prétendument non pris en compte arbitrairement tendent tout au plus à démontrer que l'employeur de l'intimé doit, conformément à l'accord FATCA entre les États-Unis et le Liechtenstein, fournir aux autorités fiscales liechtensteinoises des informations sur les
US Accounts, lesquelles seront ensuite remises au fisc américain (
Internal Revenue Service [IRS]) dans le cadre de l'échange automatique. Ces considérations générales n'autorisent aucune conclusion sur la transmission effective des données personnelles de l'intimé en relation avec le compte ici en cause. Le grief d'établissement arbitraire des faits est manifestement mal fondé sur ce point.
Au demeurant, comme on le verra par la suite (consid. 2.3
in fine), l'éventuelle connaissance des données concernant l'intimé par l'administration américaine n'est pas un élément propre à justifier, sur la base de la LPD, leur communication par la recourante, bien au contraire, de sorte que ce fait ne saurait influer sur le sort de la cause (cf. art. 97 al. 1 LTF).
2.
La recourante se plaint d'une violation de l'art. 6 LPD et de l'art. 8 CC. En interdisant la transmission des données relatives à l'employé de la compagnie d'assurance, la cour cantonale aurait fait prévaloir, à tort, l'intérêt privé de l'intimé sur l'intérêt public, lequel se recouperait avec l'intérêt privé de la banque. En effet, l'intimé n'aurait pas démontré quel est concrètement son intérêt à la non-transmission des données, au surplus déjà en mains des autorités américaines, alors qu'il existe un intérêt public prépondérant à ce que les banques suisses assurent la stabilité de la place financière suisse en participant au programme volontaire de règlement fiscal avec les États-Unis; sur ce dernier point, la recourante fait valoir, plus particulièrement, que l'intérêt public et son intérêt privé commandent qu'elle respecte les conditions du NPA qu'elle a conclu, sous peine de se voir attribuée en catégorie 1 avec pour conséquence l'ouverture d'une enquête pénale par le DoJ.
2.1. Selon l'art. 6 al. 1 LPD, aucune donnée personnelle (cf. art. 3 LPD) ne peut être communiquée à l'étranger si la personnalité des personnes concernées devait s'en trouver gravement menacée, notamment du fait de l'absence d'une législation assurant un niveau de protection adéquat.
La recourante ne conteste plus que, dans le cas présent, les États-Unis n'offrent pas une protection adéquate au sens de cette disposition.
L'art. 6 al. 2 LPD contient une liste exhaustive de motifs (alternatifs) permettant la communication à l'étranger des données, malgré l'absence de législation assurant un niveau de protection adéquat (arrêt 4A_83/2016 du 22 septembre 2016 consid. 3.4.3 et les références; arrêt 4A_390/2017 du 23 novembre 2017 consid. 4.1).
En l'occurrence, le seul motif entrant en ligne de compte est celui prévu à l'art. 6 al. 2 let. d première partie LPD, aux termes duquel des données personnelles peuvent être communiquées à l'étranger uniquement si la communication est, en l'espèce, indispensable à la sauvegarde d'un intérêt public prépondérant. Cette disposition pose trois conditions: (1) un intérêt public, (2) un intérêt public qui soit prépondérant et (3) une communication qui soit indispensable à la sauvegarde de celui-ci.
Le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de préciser ces notions dans le cadre de litiges opposant des personnes privées et des banques suisses participant au programme américain, notamment la banque recourante (entre autres: arrêt précité du 23 novembre 2017).
Premièrement, il existe un intérêt public si la préservation de la stabilité juridique et économique de la place financière suisse est en jeu. L'intérêt de la banque à sa survie ne suffit pas en soi, dès lors qu'il s'agit d'un intérêt privé, et non d'un intérêt public (arrêts précités du 22 septembre 2016 consid. 3.4.3 et du 23 novembre 2017 consid. 4.2).
Deuxièmement, l'intérêt public doit être prépondérant par rapport à l'intérêt privé du tiers à ce que ses données personnelles ne soient pas communiquées aux autorités américaines. Le juge doit procéder à une pesée des intérêts (art. 4 CC)
in concreto, en tenant compte de toutes les circonstances du cas particulier à la date du jugement (cf. arrêts précités du 22 septembre 2016 consid. 3.5.1 et du 23 novembre 2017 consid. 4.2.2 et la référence).
Troisièmement, la communication des données doit être indispensable à la sauvegarde de l'intérêt public prépondérant. Elle est indispensable (
unerlässlich) si elle est absolument nécessaire (
unbedingt notwendig) en ce sens que, sans la livraison de ces données, le litige fiscal avec les États-Unis s'intensifierait à nouveau, que la place financière suisse dans son ensemble en serait affectée et que cela porterait préjudice à la réputation de la Suisse en tant que partenaire de négociation fiable (arrêts précités du 22 septembre 2016 consid. 3.3 et du 23 novembre 2017 consid. 4.2.3; arrêt 4A_73/2017 du 26 juillet 2017 consid. 3.1).
En signant le
Joint Statement, le Conseil fédéral a garanti au DoJ que le droit suisse en vigueur permet la participation effective des banques au programme américain. Autrement dit, vu le
Joint Statement conclu par le Conseil fédéral, il doit être admis que, matériellement, le droit suisse autorise la participation effective des banques suisses et donc la communication des données de tiers (employés, gestionnaires) conformément aux conditions posées par le programme américain.
Il ne s'agit toutefois pas d'admettre de manière abstraite que toutes les banques doivent communiquer les données concernant des tiers, même en l'absence de toute menace d'une atteinte à l'intérêt public de la Suisse. Il faut bien plutôt examiner si la modification de la situation de fait doit être prise en considération sous l'angle matériel et si elle conduit à admettre ou nier le caractère indispensable de la communication des données. La LPD vise en effet à protéger la personnalité et les droits fondamentaux des personnes qui font l'objet d'un traitement de données. Au centre de ses préoccupations figure donc la protection de la personnalité de l'intéressé (employé, gestionnaire). Ne pas tenir compte par principe des modifications de la situation et admettre systématiquement la communication des données aurait pour conséquence de laisser la personnalité sans protection, alors même que dans le cas particulier, la communication n'est plus indispensable à la sauvegarde de l'intérêt public (arrêts précités du 22 septembre 2016 consid. 3.3.4 et du 23 novembre 2017 consid. 4.2.3).
Conformément à l'art. 8 CC, la banque doit prouver que la communication est, dans le cas particulier, indispensable à la sauvegarde d'un intérêt public prépondérant; il lui appartient donc de démontrer que, à la date du jugement, la non-communication des données litigieuses aurait pour conséquence nécessaire une nouvelle escalade du litige fiscal avec les États-Unis et, de ce fait, constituerait une menace pour la place financière suisse et la réputation de la Suisse en tant que partenaire de négociation fiable (arrêts précités du 22 septembre 2016 consid. 3.3.4
in fineet du 23 novembre 2017 consid. 4.2.3; cf. également arrêt précité du 26 juillet 2017 consid. 3.2, faisant explicitement référence à l'ampleur des éventuelles répercussions d'une poursuite pénale qui serait menée contre la banque).
2.2. Selon l'arrêt attaqué, il existe, de manière générale, un intérêt public à ce que les banques suisses assurent la stabilité juridique et économique de la place financière suisse en participant au programme volontaire de règlement fiscal mis en place par les autorités américaines. Par ailleurs, l'intimé conserve un intérêt important à ce que les données le concernant ne soient pas transmises aux autorités américaines, car il est reconnu que les individus dont les données personnelles figurent sur les documents remis dans ce cadre courent le risque d'être retenus pour être interrogés, voire inculpés, au cas où ils se rendraient aux États-Unis.
La cour cantonale constate ensuite que la recourante est parvenue à signer un accord de non-poursuite en janvier 2016 sans transmettre les données litigieuses et que, même si les autorités américaines se sont réservé le droit de revenir sur cet accord notamment au cas où les informations fournies s'avéreraient incomplètes, rien ne permet de retenir que lesdites autorités considèrent que ce soit le cas en l'occurrence, la banque n'alléguant d'ailleurs aucune pression ni relance de la part des autorités américaines afin qu'elle transmette tout ou partie de la documentation comprenant des données relatives à l'intimé. La Cour de justice en déduit qu'il est peu probable que la non-communication des données litigieuses puisse avoir pour conséquence une remise en cause du NPA. Au demeurant, il n'est pas établi qu'une annulation de cet accord aurait des répercussions sur l'ensemble de la place financière suisse ou raviverait le conflit fiscal opposant les banques suisses aux autorités américaines; la cour cantonale relève à cet égard que la recourante n'est pas une banque d'importance systémique, vu la nature de ses activités et le nombre restreint de ses succursales.
Les juges genevois arrivent à la conclusion que la banque n'a pas démontré que l'intérêt public imposerait en l'espèce la transmission des données, et ce de manière prépondérante par rapport à l'intérêt de l'intimé à s'opposer à une telle communication.
2.3. En définitive, la cour cantonale a interdit la transmission des données litigieuses parce que la banque n'a pas prouvé qu'une telle communication était indispensable, au moment du jugement, à la sauvegarde d'un intérêt public prépondérant (troisième condition posée à l'application de l'art. 6 al. 2 let. d première partie LPD).
La recourante axe l'essentiel de son argumentation sur une prétendue absence d'intérêt de l'intimé à s'opposer à la transmission; elle aurait prouvé en effet que les données litigieuses sont déjà en mains américaines alors que l'intéressé - qui n'a pas requis de mesures provisionnelles, ni entrepris des démarches au Liechtenstein - n'aurait pas démontré son intérêt privé.
Ce faisant, la recourante méconnaît qu'il lui appartenait, à elle, de prouver le caractère indispensable de la communication des données personnelles de l'intimé pour la sauvegarde de l'intérêt public prépondérant. Or, sur ce point, elle se contente d'alléguer que le non-respect des conditions du programme américain aurait pour conséquence une requalification de la banque en catégorie 1 et, partant, l'ouverture d'une enquête pénale par le DoJ. Cette seule affirmation générale ne suffit manifestement pas pour admettre que la cour cantonale a établi les faits de manière arbitraire en retenant qu'aucun élément du dossier n'indique que, dans le cas particulier, la non-communication des données personnelles de l'intimé entraînerait une remise en cause du NPA par le DoJ et,
in fine, l'ouverture d'une procédure pénale à l'encontre de la banque.
Mais surtout, la recourante n'explique d'aucune manière en quoi la cour cantonale aurait violé le droit fédéral en jugeant que la transmission des données litigieuses n'était pas indispensable pour sauvegarder l'intérêt public prépondérant, dès lors qu'il n'était de toute manière pas établi qu'une éventuelle remise en cause du NPA conclu en janvier 2016 entraînerait une réactivation du litige fiscal avec les États-Unis au point de menacer la place financière suisse et la réputation de la Suisse en tant que partenaire de négociation fiable. C'est le lieu de souligner que l'argument de la recourante, fondé sur une transmission des données litigieuses déjà intervenue dans un autre cadre, ne conforte pas sa thèse, mais confirme bien plutôt l'absence de nécessité de la communication desdites informations aux autorités américaines (cf. arrêt précité du 23 novembre 2017 consid. 4.4 et 4.5).
En conclusion, c'est à bon droit que la cour cantonale a jugé qu'en l'état actuel, la livraison des données relatives à l'intimé par la banque dans le cadre du programme américain ne peut être considérée comme indispensable au sens de l'art. 6 al. 2 let. d LPD. En tant qu'il est recevable, le grief tiré de la violation de l'art. 6 LPD en lien avec l'art. 8 CC est mal fondé.
3.
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.
La recourante, qui succombe, prendra à sa charge les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens à l'intimé, qui n'a pas été invité à se déterminer.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 10 avril 2018
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Kiss
La Greffière : Godat Zimmermann