Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
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1C_698/2017
Arrêt du 23 avril 2018
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Merkli, Président,
Fonjallaz et Chaix.
Greffier : M. Kurz.
Participants à la procédure
A.________ Sàrl, représentée par Me Nicolas Capt, avocat,
recourante,
contre
Tribunal pénal fédéral, Secrétariat général, Viale Stefano Franscini 7, 6500 Bellinzone,
Objet
droit de consulter les prononcés non anonymisés du Tribunal pénal fédéral,
recours contre la décision du Tribunal pénal fédéral, Secrétariat général, du 16 novembre 2017 (GS.2017.2).
Faits :
A.
Le 7 septembre 2017, A.________ Sàrl, active dans le domaine de la production et la diffusion de contenus éditoriaux, a demandé au Secrétariat général du Tribunal pénal fédéral (ci-après, respectivement: le Secrétariat général et le TPF) la consultation de plusieurs arrêts rendus par la Cour des plaintes du TPF. Il lui fut répondu le lendemain que pour certains arrêts, l'embargo était fixé au 12 septembre 2017, et que les autres n'étaient pas accessibles sous forme non anonymisée. Le 11 septembre 2017, A.________ fit savoir qu'elle désirait consulter les premières pages non anonymisées de tous les arrêts transmis aux journalistes accrédités, avant la date de l'embargo, s'engageant à respecter celui-ci. Le même jour, le Secrétariat général répondit qu'en vertu de l'art. 69 CPP, les décisions concernées ne pouvaient pas être consultées sous forme non anonymisées, et cela pas avant la fin de l'embargo.
Le 20 octobre 2017, A.________ présenta une requête formelle au Secrétariat général demandant principalement à être autorisée à consulter les jugements et ordonnances pénales (prononcés) rendus par le TPF en tant qu'autorité judiciaire de première instance, sans anonymisation, y compris lorsqu'il ne s'agissait pas de "causes célèbres".
B.
Par décision du 16 novembre 2017, le Secrétariat général du TPF a admis la requête en ce qui concerne les jugements de la Cour des affaires pénales. L'art. 69 al. 1 CPP prévoyait, pour la première instance, la publicité des débats dans la mesure où il s'agissait de statuer sur l'accusation. En revanche, les autres prononcés du TPF, notamment les décisions et ordonnances de la Cour des plaintes, étaient disponibles sous forme anonymisée, la procédure n'étant pas publique (art. 69 al. 3 let. c CPP), à l'exception des décisions mettant fin à la procédure pénale, telles les décisions de classement.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ Sàrl demande au Tribunal fédéral d'annuler la décision du Secrétariat du TPF et de dire qu'elle a le droit de consulter les décisions et ordonnances de la Cour des plaintes sans anonymisation préalable, y compris lorsqu'il ne s'agit pas d'une "cause célèbre". Subsidiairement, elle demande le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants.
Le Secrétariat général du TPF persiste dans les termes de sa décision et renonce à présenter des observations.
Considérant en droit :
1.
La décision attaquée n'a pas été rendue dans le cadre d'une procédure pénale particulière. Elle se rapporte au droit général de la recourante d'accéder aux décisions prises par le TPF. La cause relève donc du droit public au sens de l'art. 82 let. a LTF et c'est à juste titre que la décision attaquée mentionne, comme voie de droit, le recours en matière de droit public, le TPF faisant partie des instances précédentes au sens de l'art. 86 LTF. Aucune des exceptions visées à l'art. 83 LTF n'est applicable.
Comme le relève la recourante, l'instance précédente a statué ultra petita en ce qui concerne l'accès aux prononcés de la Cour des plaintes, puisque la requête initiale ne concernait que les jugements et ordonnances pénales rendues par l'autorité judiciaire de première instance, ce qui ne concernait que la Cour des affaires pénales. Cela étant, le Secrétariat du TPF a expressément refusé l'accès aux prononcés de la Cour des plaintes et la recourante pourrait se voir opposer cette décision au cas où celle-ci entrerait en force. Elle dispose d'un intérêt digne de protection à l'annulation ou à la modification de cette décision et possède la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 LTF.
Il y a lieu dès lors d'entrer en matière.
2.
Invoquant les art. 6 par. 1 CEDH, 14 al. 1 du Pacte ONU II et 30 al. 3 Cst., la recourante relève l'importance de la transparence dans le domaine de l'administration de la justice, concrétisé par le principe de publicité. Elle se prévaut aussi des directives du Tribunal fédéral concernant la chronique judiciaire (RS 173.110.133, ci-après: les directives). Elle estime que l'art. 3 al. 3 du règlement du TPF sur les principes de l'information (RS 173.711.33, ci-après: le règlement) ne constitue pas une base légale formelle et n'exclut pas l'accessibilité des prononcés non anonymisés de la Cour des plaintes. Certaines décisions de cette juridiction, ne mettant pas un terme à la procédure, présenteraient un intérêt public important justifiant une information. Il y aurait donc lieu de préciser dans un règlement - à la manière des directives du Tribunal fédéral sur ce sujet - les modalités de consultation des ordonnances et décisions de la Cour des plaintes.
2.1. A l'instar des art. 6 par. 1 CEDH et 14 Pacte ONU II, l'art. 30 al. 3 Cst. consacre le principe de la publicité de la justice. Il s'agit d'un principe fondamental de l'Etat de droit permettant à quiconque de s'assurer que la justice est rendue correctement en préservant la transparence et la confiance dans les tribunaux et en évitant l'impression que des personnes puissent être avantagées ou au contraire désavantagées par les autorités judiciaires (ATF 143 I 194 consid. 3.1 p. 197 et les arrêts cités; 143 IV 151 consid. 2.4 p. 152).
Le principe de publicité se trouve précisé, en matière de procédure pénale, à l'art. 69 al. 1 CPP. Les débats devant le tribunal de première instance et la juridiction d'appel de même que la notification orale des prononcés de ces tribunaux sont publics, à l'exception des délibérations (ATF 143 I 194 consid. 3.1 p. 198). Il s'agit en effet de décisions qui statuent sur le sort de l'accusation en matière pénale au sens de l'art. 6 par. 1 CEDH, et doivent par conséquent être accessibles au public (arrêt 1B_68/2012 du 3 juillet 2012 consid. 3.4 et les références de doctrine citées). Pour les mêmes motifs, l'art. 69 al. 2 CPP prévoit que lorsque dans les cas de l'alinéa 1 les parties ont renoncé à un prononcé en audience publique ou lorsqu'une ordonnance pénale a été rendue, les personnes intéressées peuvent consulter les jugements et les ordonnances pénales. Selon l'art. 69 al. 3 CPP, ne sont en revanche pas publiques la procédure préliminaire, la procédure devant le tribunal des mesures de contrainte, devant l'autorité de recours et devant la juridiction d'appel en tant qu'elle est menée par écrit (cf. ATF 143 IV 151 consid. 2.4 p. 152), le législateur ayant estimé que dans ces cas, l'autorité ne statuait pas sur un acte d'accusation au sens de l'art. 6 par. 1 CEDH (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 p. 1130). S'agissant de la procédure de l'ordonnance pénale, elle est également soustraite au principe de publicité (art. 69 al. 3 CPP), le législateur ayant considéré que la personne concernée avait la possibilité de saisir ultérieurement un tribunal (idem).
La liberté d'information (art. 16 al. 1 Cst.) garantit quant à elle le libre accès aux sources généralement accessibles que sont notamment les débats et les décisions judiciaires (idem). La jurisprudence reconnaît ainsi le droit de prendre connaissance des jugements mettant fin à l'action pénale, ainsi que des décisions de non-lieu ou de classement afin de connaître les raisons pour lesquelles il a été mis un terme à la procédure pénale sans qu'un tribunal ne statue (ATF 134 I 286 consid. 6 p. 289); s'agissant de décisions archivées, le requérant doit disposer d'un intérêt légitime et il ne doit pas exister d'intérêt prépondérant opposé à la mise à disposition de la décision (ATF 134 I 286 consid. 6.6 p. 291).
2.2. Une fois les jugements rendus, la question de l'accès aux décisions, par des journalistes accrédités ou par le public en général, ne dépend pas du seul principe de publicité. En effet, à ce stade, la personnalité de ceux dont l'identité figure dans les décisions doit être protégée en vertu de l'art. 13 Cst. La loi fédérale sur la transparence (LTrans, RS 152.3), qui poursuit un but d'information du public, ne s'applique d'ailleurs pas aux procédures civiles, pénales et administrative (art. 3 al. 1 LTrans, sous réserve de l'exécution des tâches internes de l'administration des tribunaux au sens de l'art. 64 al. 1 de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération - LOAP, RS 173.1), les règles relatives à la consultation du dossier étant dans ce cas fixées par les différentes lois de procédure.
L'art. 63 LOAP régit l'information par le Tribunal pénal fédéral. Il prévoit que ce dernier informe le public sur sa jurisprudence (al. 1). Il pose ensuite la règle selon laquelle les prononcés sont "en principe" publiés sous une forme anonyme (al. 2). Le Tribunal pénal fédéral règle les principes de l'information dans un règlement (al. 3). Il peut prévoir l'accréditation des chroniqueurs judiciaires (al. 4).
2.3. Ainsi, contrairement à ce que soutient la recourante, la mise à disposition des prononcés du Tribunal pénal fédéral, sous une forme en principe anonymisée, est expressément prévue dans une loi au sens formel. Tenant compte de cette exigence et du principe de publicité découlant de l' art. 69 al. 1 et 2 CPP , le TPF rappelle dans son règlement que les prononcés sont publiés "en principe" sous une forme anonyme. Il précise par ailleurs que les jugements peuvent être consultés sous forme non anonymisée à la chancellerie du Tribunal pendant 30 jours à compter de leur notification et de la levée de l'embargo (art. 3 al. 1 du règlement). L'autorité intimée estime que cette disposition ne s'appliquerait qu'aux jugements proprement dits, rendus par la Cour des affaires pénales, par lesquels celle-ci se prononce sur l'accusation au sens de l'art. 6 CEDH. S'agissant des prononcés de la Cour des plaintes, l'autorité intimée considère à juste titre que l'art. 69 al. 3 CPP devait s'appliquer puisque ces décisions, telles que définies à l'art. 37 LOAP, ne portent pas sur le sort de l'accusation en matière pénale, mais sur des causes sur recours au sens du CPP (al. 1) ainsi que sur des affaires en matière d'entraide judiciaire internationale, des plaintes en matière de droit pénal administratif, des recours en matière de rapports de travail ainsi que d'autres différends et des conflits de compétence et de for. Dans ce contexte, rien ne s'oppose à ce que le principe général de l'anonymisation des décisions prévu à l'art. 63 al. 2 LOAP trouve à s'appliquer, l'instance précédente faisant à raison une nouvelle exception à ce principe pour les décisions mettant fin à la procédure pénale, comme les décisions de classement. Le fait que dans certains cas, le TPF décide de communiquer de manière plus détaillée dans des cas particulièrement importants ("causes célèbres") lorsque les noms des parties sont de toute façon déjà connus du public (art. 6 al. 2 du règlement) n'impose pas d'en faire de même pour l'ensemble des prononcés de la Cour des plaintes. La recourante ne saurait enfin se prévaloir des dispositions réglementaires relatives à la chronique judiciaire (ainsi que les directives du Tribunal fédéral à ce sujet, RS 173.110.133), dès lors qu'elle ne dispose pas d'une accréditation auprès de la juridiction concernée.
Sur le vu de ce qui précède, la pratique du TPF relative à la mise à dispositions du public de ses décisions est conforme aux principes définis par le droit fédéral, soit la LOAP et le CPP.
3.
Le recours doit pas conséquent être rejeté, aux frais de son auteur (art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante et au Tribunal pénal fédéral, Secrétariat général.
Lausanne, le 23 avril 2018
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Merkli
Le Greffier : Kurz