Zurück zur Einstiegsseite Drucken
Original
 
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
[img]
5A_926/2017
Arrêt du 6 juin 2018
IIe Cour de droit civil
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux von Werdt, Président, Escher et Herrmann.
Greffier : M. Braconi.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Georges Schmid-Favre, avocat,
recourante,
contre
Banque B.________,
intimée,
Office des poursuites et faillites du district de Sierre,
avenue du Rothorn 2, 3960 Sierre,
Objet
saisie (insaisissabilité d'une rente AVS),
recours contre la décision de l'Autorité supérieure en matière de plainte LP du Tribunal cantonal du canton
du Valais du 8 novembre 2017 (LP 17 45).
Faits :
A.
A.________ (1947) est la femme de B.________ (1943); les conjoints sont séparés de biens. L'épouse perçoit une rente AVS de 1'727 fr. par mois; son mari bénéficie mensuellement d'une rente AVS de 1'638 fr., ainsi que d'une rente LPP de 6'406 fr. 85.
B.
En janvier 2017, la Banque B.________ a requis une poursuite à l'encontre de A.________, en paiement de la somme de 57'609 fr. 20. Cette poursuite a abouti à la délivrance d'un acte de défaut de biens pour la somme de 58'324 fr. 95 ( n° xxx'xxx de l'Office des poursuites du district de Sierre); cet acte - procès-verbal de saisie au sens de l'art. 115 al. 1 LP - mentionne que la poursuivie n'a pour unique revenu que sa rente AVS, qui est insaisissable, et ne possède pas d'autres biens saisissables.
Le 10 juillet 2017, la poursuivante a porté plainte contre l'acte de défaut de biens précité, concluant à ce que la rente AVS de la poursuivie soit saisie (au minimum) à concurrence de 950 fr. 05 par mois. Statuant le 12 septembre 2017, le Tribunal du district de Sierre a admis la plainte et invité l'Office des poursuites à déclarer saisissable la rente AVS de l'intéressée. Par décision du 8 novembre 2017, l'Autorité supérieure en matière de plainte LP du Tribunal cantonal valaisan a rejeté le recours de la poursuivie.
C.
Par mémoire expédié le 17 novembre 2017, la poursuivie exerce une " Beschwerde (Art. 19 SchKG) "; sur le fond, elle demande au Tribunal fédéral de confirmer la décision de l'Office des poursuites déclarant sa rente AVS insaisissable.
L'autorité cantonale et l'Office renoncent à formuler des observations, alors que l'intimée conclut au rejet du recours.
D.
Par ordonnance du 12 décembre 2017, le Président de la IIe Cour de droit civil a attribué l'effet suspensif au recours.
Considérant en droit :
1.
Le recours a été déposé dans le délai légal (art. 100 al. 2 let. a LTF) à l'encontre d'une décision prise en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 72 al. 2 let. a LTF) par une autorité cantonale supérieure de surveillance statuant sur recours (art. 75 al. 1 et 2 LTF). Il est ouvert sans égard à la valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. c LTF). La débitrice a qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF).
Le juge précédent a confirmé une décision qui invite l'Office à déclarer saisissable la rente AVS de la recourante, mais ne fixe pas elle-même la quotité saisissable, ni ne confirme expressément le montant retenu à ce titre par l'Office ( i.e. 950 fr. 05; cf. art. 105 al. 2 LTF). Il n'y a pas lieu de qualifier la décision entreprise sous l'angle des art. 90 ss LTF; la jurisprudence admet en effet la recevabilité du recours dirigé contre une décision comportant des " injonctions très précises " à l'endroit des organes d'exécution (parmi plusieurs: arrêt 5A_736/2015 du 14 janvier 2016 consid. 1.3, avec les arrêts cités).
2.
2.1. En réponse à une interpellation de la poursuivie, le juge précédent a produit une attestation, du 2 novembre 2017, qui mentionne que ce magistrat est débiteur d'un crédit hypothécaire octroyé par la banque poursuivante, que cette dette est couverte par le bien hypothéqué, que la solvabilité de l'emprunteur est assurée et que ses relations avec la banque poursuivante se sont toujours déroulées à l'entière satisfaction de cette dernière. Le juge précédent a considéré que cette relation, qui n'est pas différente de celle d'un client ordinaire de l'établissement en question, ne le plaçait pas dans un " lien de dépendance " à l'endroit de celui-ci, ni ne fournissait un quelconque motif l'empêchant de traiter la cause avec toute l'impartialité requise.
2.2. Comme l'a retenu le juge précédent, la simple qualité de débiteur hypothécaire d'une banque partie à une procédure d'exécution forcée ne constitue pas une cause de récusation (CHAIX, Récusation et actes interdits [art. 10 et 11 LP], in : JdT 2016 II p. 63, avec les références en n. 46). Le moyen pris d'une violation de l'art. 30 Cst. apparaît dès lors mal fondé. La recourante n'invoque aucune autre circonstance propre à remettre en discussion l'impartialité du magistrat visé, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner ce point plus avant (art. 106 al. 2 LTF).
2.3. Sous réserve de normes qui n'entrent pas en considération ici, la procédure devant les autorités cantonales de surveillance est régie par le droit cantonal (art. 20a al. 3 LP); celui-ci règle, entre autres points, la composition de ces autorités (parmi d'autres: DIETH/WOHL, in : SchKG Kurzkommentar, 2e éd., 2014, n° 18 ad art. 20a LP). Abstraction faite d'exceptions non réalisées en l'occurrence, la violation de la législation cantonale n'est pas un motif de recours; toutefois, la partie recourante est admise à faire valoir que l'application de ce droit est arbitraire ou enfreint un autre droit constitutionnel (ATF 140 I 172 consid. 4.3 et les arrêts cités), pour autant qu'un tel grief soit motivé conformément aux exigences de l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 134 II 244 consid. 2.2).
En l'occurrence, le juge précédent a fondé sa compétence sur l'art. 19 al. 1, 3ème phrase, LALP/VS, aux termes duquel un juge unique peut connaître du recours contre une décision sur plainte. La recourante ne conteste nullement ce fondement (art. 106 al. 2 LTF), mais se prévaut de l'art. 9 al. 3 du Règlement d'organisation des tribunaux valaisans, du 21 décembre 2010, qui prévoit que le tribunal collégial doit être au complet pour statuer, alors que la décision attaquée ne mentionne pas les autres juges de l'Autorité supérieure en matière de plainte LP. Le grief tombe à faux, car cette disposition n'est applicable que lorsque la cause relève de la compétence d'un " tribunal collégial " (art. 9 al. 1), ce qui n'est précisément pas le cas en l'espèce. Les considérations sur la nécessité de prévoir, dans les cantons bilingues, la participation d'un juge capable de comprendre les écritures et pièces rédigées en langue allemande n'ont ainsi plus d'objet, étant souligné que la recourante ne soutient pas que le juge précédent, quoique romand, se serait mépris sur le sens et la portée de ses griefs.
3.
Vu l'issue du recours sur le fond ( cf. infra, consid. 4), il n'y a pas lieu d'examiner le moyen de la recourante pris de l'établissement inexact des faits (art. 97 al. 1 in fine LTF).
4.
4.1. Après avoir admis que l'insaisissabilité absolue des prestations du premier pilier (art. 92 al. 1 ch. 9a LP) peut se heurter à l'interdiction de l'abus de droit, le magistrat cantonal a constaté que la débitrice et son époux réalisent des revenus mensuels totaux de 9'771 fr. 85, à savoir 117'262 fr. 20par année. Ils jouissent d'un usufruit gratuit et viager sur une unité d'étage leur permettant de disposer d'un " triplex " (avec cave et place de parc dans un garage); le mari est encore propriétaire d'une voiture. Ces éléments sont des indices d'un " train de vie élevé ", notion qui ne doit pas recevoir une interprétation trop stricte compte tenu du but de l'insaisissabilité de la rente AVS, à savoir de permettre à son bénéficiaire de " couvrir ses besoins vitaux ", et non de lui " permettre de vivre dans l'aisance ". Les charges du couple s'élèvent à 7'656 fr. 75par mois, de sorte qu'il subsiste un disponible mensuel de 2'115 fr. 10; dès le mois de mars 2019, lorsque le mari aura réglé ses arriérés d'impôts, ce disponible sera même de 3'365 fr. 10. Comme les époux disposent d'un solde " très confortable ", après paiement de leurs charges, il faut admettre que le " train de vie est élevé ", la débitrice profitant des hauts revenus de son époux, lesquels représentent la plus grande partie des ressources du couple. C'est dès lors à juste titre que le premier juge a estimé que l'invocation de l'insaisissabilité absolue relevait de l'abus de droit et que, par conséquent, l'Office devait déclarer saisissable la rente litigieuse.
4.2.
4.2.1. Conformément à l'art. 92 al. 1 ch. 9a LP, sont insaisissables, en particulier, les rentes au sens de l'art. 20 LAVS. Cette norme déroge au principe selon lequel des prestations destinées à remplacer un revenu sont relativement insaisissables en vertu de l'art. 93 LP; le législateur a en effet estimé que, aussi longtemps que les prestations du premier pilier n'atteindraient pas leur but, c'est-à-dire couvrir les besoins vitaux dans une mesure appropriée, elles devaient être déclarées absolument insaisissables (ATF 135 III 20 consid. 4.1 et les citations). En principe, cette solution est aussi valable en cas de dépassement du minimum vital par suite du cumul de plusieurs prestations différentes absolument insaisissables, voire d'une seule prestation de cette nature; de telles prestations échappent ainsi à la mainmise des créanciers, quand bien même elles excéderaient le minimum vital du débiteur et de sa famille (ATF 143 III 385 consid. 4.2; 135 III 20 consid. 5.1; 78 III 113 [pour les allocations familiales; art. 92 al. 1 ch. 9a in fine LP]).
4.2.2. Dans son Message, du 8 mai 1991, relatif à la révision de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, le Conseil fédéral a évoqué la situation où le débiteur invoque l'insaisissabilité absolue du premier pilier qui représente son unique source de revenu " accessible " (" du fait, par exemple, (...) que l'ayant droit n'est associé qu'en fait au niveau de vie élevé de son conjoint "); en pareil cas, le créancier peut se prévaloir de l'interdiction de l'abus de droit au sens de l'art. 2 al. 2 CC, car " les règles de l'insaisissabilité absolue sont également soumises au principe de la bonne foi " (FF 1991 III 89). La jurisprudence s'est ralliée expressément à cet avis (ATF 135 III 20 consid. 5.1; arrêts 5A_14/2007 du 14 mai 2007 consid. 3.1; 7B.208/2005 du 5 janvier 2006 consid. 3; dans ce sens: OCHSNER, in : Commentaire romand, Poursuite et faillite, 2005, n° 161 ad art. 92 LP). On ne peut dès lors suivre la recourante lorsqu'elle conteste - en se référant à une opinion minoritaire (VONDER MÜHLL, in : Basler Kommentar, SchKG I [Art. 1-158], 2e éd., 2010, n° 37 ad art. 92 LP) - le principe même d'un abus de droit dans la présente configuration.
4.2.3. Le moyen pris de l'abus de droit ne vise pas à écarter de façon générale l'application de normes juridiques à certaines situations, mais invite le juge à tenir compte des particularités de l'espèce lorsque, en raison des circonstances, l'application ordinaire de la loi ne se concilie pas avec les règles de la bonne foi (ATF 134 III 52 consid. 2.1 et 390 consid. 4.3.3, avec les références citées dans ces arrêts). De surcroît, l'abus de droit n'est réprouvé que s'il est " manifeste ", de sorte qu'il doit être admis restrictivement (ATF 143 III 666 consid. 4.2, avec les arrêts cités). Le Tribunal fédéral ne dit pas autre chose lorsqu'il conclut à un comportement abusif du débiteur qui mène un " grand train de vie " grâce aux revenus ou à la fortune de son conjoint, alors qu'il n'est lui-même au bénéfice que de ressources totalement insaisissables sous l'angle de l'art. 92 al. 1 ch. 9a LP (arrêt 5A_14/2007 précité).
4.3. Il ressort de la décision attaquée que les revenus de l'époux de la recourante consistent en une rente AVS de 1'638 fr.et une rente LPP de 6'406 fr. 85, lesquelles sont servies mensuellement; la première est absolument insaisissable (art. 92 al. 1 ch. 9a LP), la seconde ne l'est que partiellement (art. 93 al. 1 LP; ATF 120 III 75 consid. 1a et l'arrêt cité; VONDER MÜHLL, op. cit., n° 39, et WINKLER, in : Kommentar SchKG, 4e éd., 2017, n° 67 ad art. 92 LP).
Le cumul des prestations absolument insaisissables, en application de l'art. 92 al. 1 ch. 9a LP, perçues par les deux époux n'aboutit pas à un détournement " abusif " du bénéfice de l'insaisissabilité; ces allocations totalisent en effet la somme de 3'365 fr. par mois, répartie de manière à peu près équivalente entre eux ( 1'727 fr. /épouse - 1'638 fr. /mari). S'il profitait à un même débiteur, un tel cumul ne serait pas prohibé - ce que reconnaît, par ailleurs, la jurisprudence ( cf. supra, consid. 4.2.1) -, " même s'il aboutit à laisser au débiteur bien plus que le minimum vital " (MARVILLE, Exécution forcée, responsabilité patrimoniale et protection de la personnalité, 1992, p. 214, avec les références en n. 125); il n'en va pas autrement lorsqu'il s'applique au débiteur et à son conjoint, car ces deux rentes poursuivent le même but, à savoir couvrir les besoins essentiels de chacun des bénéficiaires ( cf. supra, consid. 4.2.1).
En plus de comprendre des prestations insaisissables - totalement et partiellement -, le disponible de 2'115 fr. 10par mois dont bénéficie le couple n'apparaît nullement " très confortable ", au point de permettre à celui-ci de mener un " train de vie élevé ". Certes, lors de la fixation du minimum vital du droit des poursuites - contrairement à ce qui est le cas pour l'aide sociale -, " c'est l'intérêt du créancier à recouvrer son dû qui prime l'intérêt du débiteur " (OCHSNER, Le minimum vital, in : SJ 2012 II 122, qui se réfère à un avis du Conseil fédéral du 20 mai 2009), de sorte qu'on peut souscrire à l'avis du magistrat précédent selon lequel la notion d'" aisance " ne doit pas être interprétée extensivement et ne correspond pas, en particulier, à l'acception qu'elle recouvre à l'art. 328 al. 1 CC ( cf. KOLLER, in : Basler Kommentar, ZGB I [Art.1-456], 5e éd., 2014, nos 15 ss ad art. 328/329 CC, avec les citations). Néanmoins, la décision attaquée consacre une vision exagérément large de l'abus de droit. Il ressort des faits constatés par la juridiction cantonale (art. 105 al. 1 LTF) que la recourante ne possède aucun bien saisissable et que son époux ne dispose, en plus des rentes énumérées précédemment, que d'une " voiture ", dont on ne saurait sérieusement prétendre qu'elle participerait du " train de vie élevé " de la recourante. Si les intéressés occupent un " triplex ", dont les caractéristiques ne ressortent d'ailleurs pas de l'arrêt attaqué, ils s'acquittent d'un montant de 1'448 fr. 20pour leurs " frais de logement " (charges hypothécaires, charges de la PPE et frais de chauffage), ce qui correspond au loyer qui leur eût incombé en tant que locataires et qui n'apparaît pas excessif.
En définitive, à la lumière de la jurisprudence ( cf. supra, consid. 4.2.3), on ne peut dire que la recourante, grâce aux revenus de son conjoint, mène un " grand train de vie ", au point que l'insaisissabilité absolue de sa rente AVS contrevient manifestement aux règles de la bonne foi au sens de l'art. 2 al. 2 CC.
5.
En conclusion, le recours est admis dans la mesure de sa recevabilité et la décision entreprise réformée en ce sens que la rente AVS de la recourante est déclarée insaisissable. Les frais et dépens incombent à l'intimée (art. 66 al. 1 et art. 68 al. 1 et 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis dans la mesure où il est recevable et la décision attaquée est réformée en ce sens que la rente AVS de la recourante est déclarée insaisissable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de l'intimée.
3.
Une indemnité de 1'500 fr., à verser à la recourante à titre de dépens, est mise à la charge de l'intimée.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à l'Office des poursuites et faillites du district de Sierre et à l'Autorité supérieure en matière de plainte LP du Tribunal cantonal du canton du Valais.
Lausanne, le 6 juin 2018
Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : von Werdt
Le Greffier : Braconi