BGer 4A_421/2018 |
BGer 4A_421/2018 vom 08.11.2018 |
4A_421/2018 |
Arrêt du 8novembre 2018 |
Ire Cour de droit civil |
Composition
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Mmes les juges Kiss, présidente, Niquille et May Canellas.
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Greffier : M. Thélin.
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Participants à la procédure
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X.________ SA,
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représentée par Me Bernard Katz,
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recourante,
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contre
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A.________,
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et
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C.________,
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représentés par Me Luc Pittet,
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intimés.
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Objet
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procédure civile; preuve à futur
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recours contre l'arrêt rendu le 13 juin 2018 par la Chambre des recours civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud
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(JE17040741180481 185).
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Considérant en fait et en droit : |
1. En 2005, la société X.________ SA a acquis de la société U.________ SA un complexe de sept bâtiments d'habitation alors récemment érigés sur un bien-fonds de la commune de.... Cette vente a été suivie d'un procès opposant les cocontractants devant la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud, relatif à des défauts de ces constructions.
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Le bien-fonds et les bâtiments sont soumis au régime de la propriété par étages.
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En 2006, X.________ SA a vendu à A.________ et B.________ la part de copropriété correspondant au lot n° 8. Depuis le décès de B.________, cette part de copropriété appartient à A.________ et C.________.
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2. Le 20 septembre 2017, A.________ et C.________ ont introduit une requête de preuve à futur devant le Président du Tribunal civil de l'arrondissement de Lausanne. Ils dirigeaient cette requête contre X.________ SA et ils alléguaient des défauts du bien immobilier vendu par elle. Selon leurs conclusions, la partie citée devait être astreinte à produire la transaction finale ou le jugement final qui avait terminé le procès devant la Cour civile, ainsi qu'une liste étendue de documents concernant ce procès.
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La partie citée s'est opposée à la requête.
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La Présidente du Tribunal civil s'est prononcée le 19 mars 2018; elle a accueilli la requête.
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La partie citée a saisi la Chambre des recours du Tribunal cantonal; cette autorité a statué le 13 juin 2018. Accueillant partiellement le recours, elle a réduit la liste des documents dont la production est ordonnée. Il s'agit désormais, exclusivement, de la transaction ou du jugement qui a terminé le procès, des écritures des parties, et des procès-verbaux d'audience.
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3. Agissant par la voie du recours en matière civile, X.________ SA saisit le Tribunal fédéral de conclusions complexes, tendant en substance au rejet de la requête de preuve à futur.
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Les intimés A.________ et C.________ concluent principalement à l'irrecevabilité du recours et subsidiairement à son rejet.
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La recourante a spontanément déposé une réplique; les intimés ont renoncé à une prise de position supplémentaire.
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Par ordonnance du 5 septembre 2018, sur requête de la recourante, la Présidente de la Ire Cour de droit civil a donné effet suspensif au recours.
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4. Intitulé « preuve à futur », l'art. 158 CPC autorise un plaideur à requérir l'administration de preuves destinées à un procès civil qui sera éventuellement entrepris plus tard, à condition que les preuves concernées soient menacées de dépérissement ou que le plaideur rende vraisemblable un intérêt digne de protection à ce qu'elles soient administrées sans délai (art. 158 al. 1 let. b CPC). Les dispositions sur les mesures provisionnelles sont alors applicables (art. 158 al. 2 CPC).
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Les décisions en matière de mesures provisionnelles sont incidentes, aux termes de l'art. 93 al. 1 LTF, lorsque l'effet des mesures en cause est limité à la durée d'un procès en cours ou à entreprendre, dans un délai qui lui est imparti, par la partie requérante; dans cette éventualité, en conséquence, la recevabilité d'un recours en matière civile suppose que les conditions spécialement posées par cette disposition soient satisfaites (ATF 137 III 324 consid. 1.1 p. 323/324; 134 I 83 consid. 3.1 p. 86/87). Ces décisions sont au contraire finales, aux termes de l'art. 90 LTF, lorsqu'elles terminent une procédure indépendante (ATF 138 III 46 consid. 1.1 p. 46; 138 III 76 consid. 1.2 p. 79).
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Il n'existe pas de lien juridique, tel qu'un délai à observer sous menace de caducité, entre la procédure de la preuve à futur et le procès civil où celle-ci sera éventuellement mise en oeuvre (arrêt 4A_9/2013 du 18 juin 2013, consid. 5). Cette procédure-là est donc indépendante. Une décision qui refuse la preuve à futur, par exemple au motif que les conditions posées par l'art. 158 al. 1 CPC ne sont pas satisfaites, est une décision finale (ATF 138 III 76 consid. 1.2 p. 79); une décision qui au contraire ordonne cette preuve et ouvre la procédure correspondante, telle une procédure d'expertise selon les art. 183 et ss CPC, est incidente (ATF 138 III 46 consid. 1.1 p. 46). Parce que ladite procédure est indépendante du futur et hypothétique procès civil, la décision qui y met fin doit être jugée elle aussi, à l'instar de la décision de refus, finale selon l'art. 90 LTF.
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Le prononcé du 19 mars 2018 a ordonné la production de documents par la recourante, selon les conclusions des intimés, et statué sur les frais. La preuve requise ne nécessitait aucun autre acte du juge saisi et le prononcé a donc terminé la procédure de preuve à futur. Il est certes possible que la recourante ne se soumette pas, ou seulement imparfaitement à l'injonction du juge, telle qu'actuellement délimitée par l'arrêt de la Chambre des recours. L'exécution forcée nécessitera alors une procédure nouvelle, distincte, à entreprendre par les intimés sur la base de l'art. 267 et des art. 335 et ss CPC. Il s'ensuit que contrairement à leur opinion, ledit prononcé était final selon l'art. 90 LTF, plutôt qu'incident, et que par suite, l'arrêt de la Chambre des recours est lui aussi final.
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5. Pour le surplus, les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont en principe satisfaites, notamment à raison de la valeur litigieuse. Celle-ci correspond à l'intérêt des intimés à obtenir l'élimination des défauts qu'ils allèguent; elle excède présumablement 30'000 francs.
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6. La preuve à futur est une mesure provisionnelle aux termes de l'art. 98 LTF (ATF 133 III 638 consid. 2 p. 639; 138 III 46 consid. 1.1), d'où il résulte que le recours en matière civile n'est recevable que pour violation des droits constitutionnels. Le Tribunal fédéral ne se saisit que des griefs soulevés et motivés de façon détaillée par la partie recourante (art. 106 al. 2 LTF; ATF 141 I 36 consid. 1.3 p. 41; 138 I 171 consid. 1.4 p. 176; 134 I 83 consid. 3.2 p. 88). En tant que cette partie invoque la protection contre l'arbitraire conférée par l'art. 9 Cst., elle n'est pas autorisée à simplement contredire la décision attaquée par l'exposé de ses propres allégations et opinions. Elle doit plutôt indiquer de façon précise en quoi la décision est entachée d'un vice grave et indiscutable; à défaut, le grief d'arbitraire est irrecevable (ATF 133 II 249 consid. 1.4.1 p. 254; 133 III 393 consid. 6 p. 397; voir aussi ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266).
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7. Invoquant l'art. 29 al. 2 Cst., la recourante se plaint d'une motivation prétendument insuffisante de l'arrêt attaqué.
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Le droit d'être entendu consacré par cette disposition constitutionnelle confère à toute personne, parmi d'autres prétentions, le droit d'exiger qu'une décision de l'autorité prise à son détriment soit motivée. Cette garantie tend à donner à la personne touchée les moyens d'apprécier la portée du prononcé et de le contester efficacement, s'il y a lieu, devant une autorité supérieure. Elle tend aussi à éviter que l'autorité ne se laisse guider par des considérations subjectives ou étrangères à la cause; elle contribue, par là, à prévenir une décision arbitraire. L'objet et la précision des indications que l'autorité doit fournir dépend de la nature de l'affaire et des circonstances particulières du cas. En principe, plus la personne concernée subit une atteinte grave, plus la motivation doit être complète et détaillée. Néanmoins, en règle générale, il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs qui l'ont guidée, sans qu'elle soit tenue de répondre à tous les arguments présentés (ATF 112 Ia 107 consid. 2b p. 109; voir aussi ATF 143 III 65 consid. 5.2 p. 70; 142 II 54 consid. 4.2 p. 157).
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Devant la Chambre des recours, la recourante a fait valoir que l'ordre de produire des documents porte atteinte à ses secrets d'affaires. Les juges ont reconnu cette atteinte et admis qu'il en résultait, pour la recourante, un préjudice difficilement réparable aux termes de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC. Cette disposition concerne les conditions de recevabilité du recours qui est éventuellement disponible contre les décisions de première instance insusceptibles d'appel. La recourante reproche à la Chambre des recours de n'avoir pas expliqué pourquoi elle confirme - partiellement - l'ordre de produire des documents, en dépit de cette atteinte aux secrets d'affaires et du préjudice qui en résulte.
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Il convient de relever qu'en raison de son caractère final et d'une valeur litigieuse excédant 10'000 fr., le prononcé du 19 mars 2018 était susceptible d'appel selon l'art. 308 al. 1 let. b CPC (Jürgen Brönnimann, in Commentaire bernois, n° 32 ad art. 158 CPC), sans égard à un éventuel préjudice difficilement réparable. L'arrêt du Tribunal fédéral 4A_248/2014 du 27 juin 2014, auquel la Chambre des recours se réfère, portait sur une décision incidente intervenue au cours d'une procédure de preuve à futur.
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Pour le surplus, il est vrai que cette autorité n'explique pas pourquoi la recourante est condamnée à produire des documents en dépit de l'atteinte à ses secrets d'affaires. L'arrêt attaqué explique seulement pourquoi la liste de documents retenue par le premier juge s'est révélée indûment étendue et devait être réduite. Néanmoins, on comprend que la Chambre des recours confirme de manière implicite l'appréciation que ce premier juge a portée et développée de manière détaillée au regard de l'art. 158 al. 1 let. b CPC, appréciation selon laquelle les intimés ont rendu vraisemblable un intérêt digne de protection à recevoir certains documents du procès civil. La recourante n'invoquait ses secrets d'affaires que brièvement, sous ch. 27 et 29 de son mémoire, et de manière toute générale, sans préciser en quoi la divulgation de quelle information, supposée présente dans les documents, entraînerait pour elle quel inconvénient. Dans ces conditions, une discussion approfondie des intérêts antagonistes des parties n'était pas possible et on ne saurait reprocher à la Chambre des recours de l'avoir omise. La motivation de son arrêt est au contraire suffisante au regard de l'art. 29 al. 2 Cst.
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8. La recourante tient aussi pour arbitraire, au termes de l'art. 9 Cst., de l'astreindre à produire des documents alors qu'il en résulte une atteinte à ses secrets d'affaires. Son argumentation se limite à cette simple affirmation; elle n'explique pas quelle règle est censée lui garantir une protection absolue et inconditionnelle de ses secrets d'affaires. Le grief d'arbitraire est insuffisamment motivé, et par conséquent irrecevable.
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9. Le recours se révèle privé de fondement, dans la mesure où il est recevable. A titre de partie qui succombe, son auteur doit acquitter l'émolument à percevoir par le Tribunal fédéral et les dépens auxquels les adverses parties peuvent prétendre.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce : |
1. Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
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2. La recourante acquittera un émolument judiciaire de 3'000 francs.
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3. La recourante versera une indemnité de 3'500 fr. aux intimés, créanciers solidaires, à titre de dépens.
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4. Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Vaud.
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Lausanne, le 8 novembre 2018
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Au nom de la Ire Cour de droit civil
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du Tribunal fédéral suisse
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La présidente : Kiss
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Le greffier : Thélin
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