BGer 1C_242/2018
 
BGer 1C_242/2018 vom 27.11.2018
 
1C_242/2018
 
Arrêt du 27 novembre 2018
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Merkli, Président,
Chaix et Kneubühler.
Greffière : Mme Tornay Schaller.
Participants à la procédure
A.________ SA,
représentée par Me Patrick Malek-Asghar, avocat,
recourante,
contre
Ville de Genève,
représentée par le Département des constructions et de l'aménagement de la ville de Genève,
intimée,
Conseil d'Etat du canton de Genève.
Objet
Droit de préemption,
recours contre l'arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève du 10 avril 2018 (ATA/326/2018).
 
Faits :
A. Le bâtiment à l'adresse 2-4, rue Saint-Laurent, construit sur la parcelle n° 727 du registre foncier de Genève-Eaux-Vives, communément nommé l'immeuble ou la maison Clarté, est une réalisation de l'architecte Le Corbusier, datant de 1931-1932. Par arrêté du Conseil d'Etat du canton de Genève du 12 novembre 1986, le bâtiment, soumis au régime de la propriété par étages, a été mis au bénéfice d'une mesure de classement.
En 2015, "B.________ en liquidation", déclarée en faillite par jugement du 22 mars 2004, était propriétaire des parts de copropriété pour 40 o/oo de l'immeuble, conférant le droit exclusif d'utilisation et d'aménagement sur les feuillets 727-37 et 727-65, correspondant aux lots 6.01 et 7.01, soit à un appartement duplex de neuf pièces aux 4èmeet 5ème étages ainsi qu'à un local de 17 m2 (lot 2.19) sis au rez-de-chaussée. Le 11 mars 2015, une promesse de vente et d'achat a été conclue entre B.________ en liquidation et C.________ SA, portant sur les feuillets 727-37 et 727-65 pour le prix de 3'445'722.89 francs. L'acte prévoyait également, pour garantir vis-à-vis des tiers sa bonne exécution, un droit d'emption cessible distinct et indépendant concédé jusqu'au 30 octobre 2015, aux mêmes conditions que la promesse de vente et d'achat. La signature de l'acte de vente définitif devait intervenir au plus tard le 30 septembre 2015.
Le 15 avril 2015, l'Office cantonal du logement et de la planification foncière, agissant par délégation du Conseil d'Etat, informé de la promesse de vente, a répondu renoncer à exercer son droit de préemption. Le 20 avril 2015, le Conseil administratif de la Ville de Genève (ci-après : la Ville) a informé qu'il renonçait à exercer le droit de préemption communal.
B. Depuis le 16 juillet 2016, l'oeuvre architecturale de Le Corbusier est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO et la maison Clarté figure parmi les dix-sept objets référencés.
C. La promesse de vente et d'achat du 11 mars 2015 a fait l'objet de trois avenants de prolongations tant du délai pour la signature de l'acte définitif que du droit d'emption. Le délai a été finalement reporté au 31 décembre 2016 pour la signature de l'acte de vente et au 31 janvier 2017 pour les effets du droit d'emption. La promesse et les trois avenants renvoient aux feuillets 727-37 et 727-65 et ont été signés par D.________, administrateur unique de C.________ SA et par le Préposé de l'Office des faillites, en qualité d'administrateur de la masse en faillite.
Le 19 octobre 2016, la société "E.________ SA" a été inscrite au registre du commerce. Le 4 janvier 2017, son nom a été modifié en "A.________ SA". D.________ en est l'administrateur unique.
Le 22 décembre 2016, B.________ en liquidation et E.________ SA ont signé un acte de vente portant sur les feuillets 727-37 et 727-65. L'acte précise, en page 14, que C.________ SA "déclare par les présentes renoncer au bénéfice de la promesse de vente et d'achat dont elle est bénéficiaire", sous condition de remboursement du montant déjà payé; il ressort aussi de l'acte que la Ville et le canton avaient renoncé à exercer leur droit de préemption selon les courriers des 15 et 20 avril 2015, annexés à l'acte. D.________ a signé l'acte de vente en qualité d'administrateur de C.________ SA, intervenant, et de E.________ SA, acquéreur; le préposé a signé pour l'Office des faillites, vendeur. Cet acte n'a pas été remis à la Ville de Genève. Le 30 janvier 2017, le registre foncier a informé la Ville de Genève de l'enregistrement d'une vente concernant les feuillets 727-37 et 727-65. Le 20 mars 2017, une copie de l'acte de vente a été remise à la Ville.
D. Le 30 mars 2017, la Ville a informé A.________ SA ainsi que l'Office des faillites de son intention d'exercer son droit de préemption dans le cadre de la vente des feuillets 727-37 et 727-65. Par décision prise en séance du 16 mai 2017, le Conseil municipal de la Ville a autorisé le Conseil administratif à exercer le droit de préemption communal pour le prix de 3'445'722.89 francs dans le cadre de la vente directe des feuillets nos 37 et 65 de la parcelle n° 727 par B.________ en liquidation à A.________ SA. Le Conseil municipal a délibéré après avoir pris connaissance des courriers d'opposition de l'Office des faillites et de D.________ qui considéraient que la Ville avait déjà renoncé à son droit de préemption. Le 19 mai 2017, la Ville a transmis à l'Office des faillites ainsi qu'à A.________ SA la décision du Conseil municipal en indiquant les voies de recours.
Le 29 mai 2017, le registre foncier a indiqué à la Ville lui avoir adressé par erreur son courrier du 30 janvier 2017 l'informant de la vente, en raison de la renonciation antérieure du 20 avril 2015; le courrier devait être considéré comme "nul et non avenu". Le 2 juin 2017, le notaire ayant instrumenté la vente a demandé à la Ville de révoquer sa décision de préemption. Le 9 juin 2017, la Ville a répondu au registre foncier et au notaire qu'elle maintenait sa décision.
E. Par acte du 15 juin 2017, A.________ SA a interjeté un recours auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après : la Cour de justice) contre la décision de la Ville d'exercer le droit de préemption communal.
Par arrêt du 10 avril 2018, la Cour de justice a rejeté le recours. Elle a considéré en substance que l'acte de vente du 22 décembre 2016 constituait une aliénation différente de celle prévue dans l'acte du 11 mars 2015, dont la Ville devait être avisée en application de l'art. 24 al. 3 de la loi genevoise sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS; RS/GE L 4 05).
F. Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ SA demande principalement au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 10 avril 2018 et de constater la nullité de la décision d'exercer un droit de préemption sur les feuillets nos 37 et 65 de la parcelle n° 727, prise par le Conseil municipal de la Ville de Genève le 16 mai 2017. Elle conclut subsidiairement au renvoi de la cause à l'instance précédente pour qu'elle complète l'état de fait et rende une nouvelle décision dans le sens des considérants.
La Cour de justice s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. La Ville de Genève et le Conseil d'Etat du canton de Genève concluent au rejet du recours. Les parties ont maintenu leurs positions à l'issue d'un second échange d'écritures. La recourante a déposé d'ultimes observations le 25 octobre 2018.
G. Par ordonnance du 12 juin 2018, le Président de la Ire Cour de droit public a admis la requête d'effet suspensif, présentée par la recourante.
 
Considérant en droit :
1. Dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans le domaine du droit public de l'aménagement du territoire et des constructions (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. La recourante a pris part à la procédure de recours devant la Cour de justice. Elle est particulièrement touchée par l'arrêt attaqué qui permet à la commune d'exercer son droit de préemption légal sur les feuillets 37 et 65 de la parcelle n° 727 pour lesquels elle s'était portée acquéreuse. Elle peut ainsi se prévaloir d'un intérêt digne de protection à ce que cette décision soit annulée. Elle a donc qualité pour agir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF. Les autres conditions de recevabilité du recours en matière de droit public sont réunies, si bien qu'il y a lieu d'entrer en matière sur le fond.
2. Dans un grief d'ordre formel qu'il convient d'examiner en premier lieu, la recourante se plaint d'un établissement arbitraire des faits.
2.1. Le Tribunal fédéral fonde son raisonnement sur les faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266; 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Si la partie recourante entend s'écarter des constatations de fait de l'autorité précédente, elle doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées et la correction du vice susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF; ATF 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62). A défaut, il n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait divergent de celui qui est contenu dans l'acte attaqué.
2.2. En l'espèce, la recourante reproche à l'instance précédente de ne pas avoir mentionné dans son état de fait que le contrat du 11 mars 2015 prévoyait une "clause du nommable", soit la possibilité pour la société C.________ SA d'acquérir pour elle-même les feuillets litigieux ou de se substituer un nommable, qui avait alors la possibilité d'acquérir cet immeuble aux mêmes conditions que celles prévues dans l'acte du 11 mars 2015. La recourante fait aussi grief à la Cour de justice de ne pas avoir désigné A.________ SA en tant que nommable de C.________ SA.
Vu le raisonnement qui suit (consid. 3), ces deux éléments ne sont cependant pas susceptibles d'avoir une incidence sur l'issue de la procédure. Le grief de l'établissement arbitraire des faits doit donc être rejeté.
3. La recourante estime que la "clause du nommable" qui figure dans le contrat de promesse de vente et d'achat du 11 mars 2015 lui permettait de signer l'acte de vente à la place de C.________ SA. Elle considère que la signature de l'acte du 22 décembre 2016 constitue la cession de la promesse de vente et d'achat du 11 mars 2015. Elle fait valoir une application arbitraire de l'art. 24 LPMNS et une violation de l'art. 681b al. 2 CC.
3.1. Le Tribunal fédéral ne revoit l'interprétation et l'application du droit cantonal et communal que sous l'angle de l'arbitraire. Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral n'a pas à déterminer quelle est l'interprétation correcte que l'autorité cantonale aurait dû donner des dispositions applicables; il doit uniquement examiner si l'interprétation qui a été faite est défendable. Par conséquent, si celle-ci ne se révèle pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation cantonale en cause, elle sera confirmée, même si une autre solution paraît également concevable, voire préférable. De plus, il ne suffit pas que les motifs de la décision attaquée soient insoutenables, encore faut-il que cette dernière soit arbitraire dans son résultat (ATF 140 III 16 consid. 2.1 p. 18). Dans ce contexte, le recourant est soumis aux exigences accrues de motivation de l'art. 106 al. 2 LTF.
3.2. L'art. 24 al. 1 LPMNS prévoit que la commune du lieu de situation, subsidiairement l'Etat, bénéficie d'un droit de préemption légal sur les immeubles classés lorsque leur propriétaire entend les aliéner à titre onéreux. Mention de ce droit est faite au registre foncier. A teneur de l'alinéa 2 de cette disposition, le propriétaire qui aliène à titre onéreux ou promet d'aliéner avec octroi d'un droit d'emption un immeuble classé, doit en aviser immédiatement la commune du lieu de situation et le Conseil d'Etat, au plus tard dès le dépôt de l'acte au registre foncier. Il leur communique simultanément une copie certifiée conforme de cet acte. L'alinéa 3 prévoit que lorsque la commune ou le Conseil d'Etat envisage d'exercer son droit de préemption, le préempteur doit interpeller préalablement le propriétaire et le tiers-acquéreur en leur faisant part de ses intentions et leur offrir la possibilité de faire valoir leurs moyens. Dans le délai de 60 jours à compter de la date du dépôt de l'acte au registre foncier, la commune notifie, de manière séparée, aux parties liées par l'acte, sa décision soit de renoncer à l'exercice du droit de préemption, soit d'acquérir aux prix et conditions fixés dans l'acte. Elle avise simultanément le Conseil d'Etat de sa détermination (art. 24 al. 4 LPMNS). Si l'avis et la copie de l'acte visés à l'alinéa 2 parviennent à la commune et au Conseil d'Etat postérieurement à la date du dépôt de l'acte au registre foncier, le délai de 60 jours ne commence à courir qu'après réception de cet avis et de la copie de l'acte (art. 24 al. 5 LPMNS).
L'art. 681b al. 2 CC prévoit qu'après la survenance du cas de préemption, le titulaire peut renoncer par écrit à exercer un droit de préemption légal.
3.3. En l'espèce, la Cour de justice a d'abord relevé que le législateur avait fait le choix d'exiger un avis à la commune et au canton lors de la conclusion d'un acte de vente mais aussi lors de la conclusion d'un acte de promesse de vente et d'achat dans les cas où celui-ci prévoit l'octroi d'un droit d'emption; en effet, dans ce dernier cas, une fois la déclaration de volonté faite au concédant, la situation était la même que si le concédant et l'empteur étaient liés par un contrat de vente produisant ses effets
Quant à la portée de la renonciation faite par la Ville à l'exercice de son droit lors de la conclusion de la promesse de vente et d'achat du 11 mars 2015, la cour cantonale a considéré que le fait que les deux actes portent sur le même objet n'était pas pertinent dans la mesure où la renonciation de la Ville ne concernait que l'acte qui lui a été transmis et non toute aliénation future du bien classé puisque la renonciation du titulaire du droit de préemption légal était temporaire, valable dans un cas particulier et son exercice pouvait avoir lieu par la suite, si un nouveau cas de préemption se présentait.
L'instance précédente a aussi constaté que la bénéficiaire du droit d'emption, C.________ SA, n'avait pas exercé son droit d'emption; ce droit s'était éteint le 22 décembre 2016 lorsque C.________ SA avait renoncé au bénéfice de la promesse de vente et d'achat dont elle était bénéficiaire sur les parts de copropriété qui étaient aussi objet de l'acte de vente signé entre le propriétaire et la recourante; l'acte lui-même ne contenait d'ailleurs aucune mention d'une cession du droit d'emption; en conséquence, l'acte de vente conclu entre le propriétaire des parts, B.________ en liquidation et la recourante, le 22 décembre 2016, constituait bien une aliénation différente de celle prévue dans l'acte du 11 mars 2015, dont la Ville devait être avisée en application de l'art. 24 al. 3 LPMNS.
3.4. Dans un premier temps, la recourante reproche à la Cour de justice d'avoir interprété l'art. 24 LPMNS comme permettant à la Ville d'exercer son droit de préemption dans le cadre de la vente du 22 décembre 2016. Elle estime que la Ville ne pouvait pas exercer son droit de préemption lors de la vente du 22 décembre 2016, vu sa renonciation, définitive et irrévocable, dans le cadre de la promesse de vente et d'achat du 11 mars 2015. Elle relève qu'aucune modification essentielle n'est survenue entre la promesse de vente et d'achat du 11 mars 2015 et le contrat de vente du 22 décembre 2016: le promettant-vendeur était la même personne que le vendeur, l'objet de la vente et le prix de vente étaient aussi les mêmes; la seule modification consistait en la substitution entre la société C.________ SA et la recourante, possibilité qui avait été expressément prévue par la "clause du nommable"; en d'autres termes, la "clause du nommable" permettrait à A.________ SA de se porter acquéreuse de l'immeuble querellé, sans que la Ville puisse user de son droit de préemption; la substitution de partie qui aurait eu lieu dans l'acte de vente du 22 décembre 2016 ne permettrait pas à la Ville de créer une modification essentielle du contrat et donc d'ouvrir un nouveau cas de préemption.
La recourante ne peut être suivie dans la mesure où l'acte signé le 22 décembre 2016 entre B.________ SA en liquidation et A.________ SA ne mentionne pas, ni à titre préalable, ni dans la qualification des parties, une substitution de l'acquéreur ou une quelconque cession de droit résultant de l'acte du 11 mars 2015. A.________ SA n'a d'ailleurs pas repris la promesse de vente signée par C.________ SA. De plus, l'acte du 22 décembre 2016 prévoit expressément que C.________ SA renonce au bénéfice de la promesse d'achat du 11 mars 2015. En pareilles circonstances, il n'est pas arbitraire de considérer que la renonciation de C.________ SA démontre que les parties entendaient convenir d'un nouvel acte le 22 décembre 2016 et qu'elles ne souhaitaient pas céder la promesse du 11 mars 2015 ou substituer les parties. En procédant de la sorte, B.________ en liquidation et A.________ SA ont créé un nouveau rapport juridique, entraînant la réalisation d'une modification essentielle du contrat, à savoir la qualité de l'acquéreur; une telle modification ouvre un nouveau cas de préemption légal. En d'autres termes, les effets de la "clause du nommable" figurant dans l'acte du 11 mars 2015 se sont annulés lors de la signature de l'acte du 22 décembre 2016: le résultat auquel aboutit cette interprétation n'est pas insoutenable.
Pour le reste, quoi qu'en dise la recourante, les prises de position de B.________ SA en liquidation, de l'Office des faillites ou du registre foncier n'ont aucune valeur décisionnelle.
En définitive, la recourante ne parvient pas à démontrer que la cour cantonale aurait appliqué arbitrairement l'art. 24 LPMNS en considérant que la renonciation faite par la Ville d'exercer son droit de préemption lors de la promesse de vente et d'achat du 11 mars 2015 ne valait pas pour l'acte du 22 décembre 2016. On ne voit pas non plus en quoi l'art. 681b al. 2 CC aurait été violé.
3.5. Dans un deuxième temps, la recourante fait grief à l'instance précédente d'avoir considéré que la Ville avait exercé son droit de préemption dans le délai légal: le délai de soixante jours prévu par l'art. 24 al. 4 LPMNS aurait commencé à courir le 31 janvier 2017 (lendemain de la date à laquelle le registre foncier a informé la Ville du contrat de vente); il aurait expiré bien avant le 16 mai 2017, date à laquelle la Ville a préempté.
La Cour de justice a considéré au contraire que si la Ville avait été informée par le registre foncier le 30 janvier 2017 de l'enregistrement de la vente du 22 décembre 2016, cet avis ne mentionnait que le nom des parties, mais pas les autres conditions de la vente, en particulier le prix de vente; à cet égard, en application de l'art. 24 al. 5 LPMNS, la notification n'avait été valablement effectuée que le 20 mars 2017, date à laquelle une copie de l'acte de vente avait été remise à la Ville.
La recourante ne parvient pas à démontrer en quoi le raisonnement de la Cour de justice serait arbitraire et contraire à la LPMNS. Elle se contente d'affirmer que la communication du registre foncier du 30 janvier 2017 n'aurait pas dû être effectuée. Son grief se confond ainsi avec la critique précédente (supra consid. 3.4) et doit être rejeté pour les mêmes motifs. La recourante soutient aussi que, le 31 janvier 2017, la Ville disposait de l'ensemble des conditions de la vente car elle connaissait déjà le prix et l'objet de la transaction par le biais de la copie conforme de la promesse de vente et d'achat communiquée en mars 2015. Cette argumentation manque de pertinence: s'agissant - avec l'acte du 22 décembre 2016 - d'un nouveau rapport juridique sans mention de substitution de la qualité d'acquéreur (supra consid. 3.4), la Ville n'avait pas à partir du principe que les autres conditions relatives à la vente étaient les mêmes que dans l'acte du 11 mars 2015; la Ville ne pouvait donc pas connaître le contenu de l'acte du 22 décembre 2016, avant d'en recevoir une copie le 20 mars 2017.
La Cour de justice n'a donc pas appliqué arbitrairement l'art. 24 LPMNS en jugeant que la Ville avait agi dans les délais en informant l'acquéreur et l'Office des faillites de son intention d'exercer son droit de préemption dix jours après la réception de la copie de l'acte et en transmettant, le 19 mai 2017, la décision du Conseil municipal. Mal fondé, le grief doit être rejeté.
4. Se fondant sur l'art. 1 LPMNS, la recourante soutient enfin que l'exercice du droit de préemption de la Ville de Genève ne correspondrait pas au but de la loi. Faisant référence à la réponse du 15 août 2017 de la Ville de Genève, elle prétend que celle-ci aurait l'intention de proposer des visites touristiques à caractère culturel dans l'appartement en cause, ce qui ne permettrait pas à la Ville de faire application de la LPMNS. Elle se plaint à cet égard d'une application arbitraire de la LPMNS et d'une violation du principe de la proportionnalité en lien avec la garantie de la propriété (art. 26 al. 1 Cst.). La recourante fait valoir ce grief pour la première fois devant le Tribunal fédéral.
La LTF ne prévoit aucune disposition quant aux arguments juridiques que la partie recourante peut faire valoir devant le Tribunal fédéral. Elle connaît certes l'épuisement des instances (cf. art. 75 LTF pour le recours en matière civile, art. 80 LTF pour le recours en matière pénale et art. 86 LTF pour le recours en matière de droit public), mais ne prévoit formellement aucune règle quant à l'épuisement des griefs. Cela signifie donc que, dans la mesure où un nouveau grief se fonde sur l'état de fait retenu et qu'il n'augmente ni ne modifie les conclusions, il devrait en principe être recevable. Cette règle vaut en principe toujours lorsqu'il s'agit de droit fédéral (ATF 142 I 155 consid. 4.4.3 p. 156 s.). Le Tribunal fédéral ne peut en revanche pas traiter un grief lié à l'application du droit cantonal alors que la violation des dispositions cantonales n'a jamais été invoquée précédemment. Il ne lui appartient pas de se prononcer, pour la première fois, sur le contenu du droit cantonal. Le fait qu'il s'agisse formellement d'un grief d'ordre constitutionnel (art. 9 Cst.) n'y change rien (arrêt 5A_235/2016 du 15 août 2016 consid. 5.2 et les réf.).
Dans la mesure où l'utilisation qu'entend faire la Ville de l'appartement litigieux ne ressort de toute manière pas de l'état de fait de l'arrêt attaqué, le grief de la recourante doit être déclaré irrecevable. Au demeurant, l'affectation annoncée par la Ville ne paraît pas violer les buts de la LPMNS, lesquels prévoient de conserver les monuments de l'histoire, de l'art ou de l'architecture situés ou trouvés dans le canton de Genève (art. 1 let. a LPMNS) et de favoriser l'accès du public à un site ou à son point de vue (art. 1 let. d).
5. Il s'ensuit que le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité, aux frais de la recourante qui succombe (art. 65 et 66 al. 1 LTF). La Ville de Genève et le Conseil d'Etat n'ont pas droit à des dépens (art. 68 al. 3 LTF).
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité.
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 francs, sont mis à la charge de la recourante.
3. Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, à la Ville de Genève, au Conseil d'Etat du canton de Genève et à la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 27 novembre 2018
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Merkli
La Greffière : Tornay Schaller