Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
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4A_240/2018
Arrêt du 13 mars 2019
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes les Juges fédérales
Kiss, Présidente, Klett et Hohl.
Greffier : M. Piaget.
Participants à la procédure
M.________,
représenté par Me Jérôme Picot,
recourant,
contre
X.________,
représentée par Me Serge Pannatier,
intimée.
Objet
Contrat de travail, indemnité de départ en cas de licenciement,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre des prud'hommes, du 5 mars 2018 (C/15237/2016-3, CAPH/29/2018).
Faits :
A.
Par contrat de travail signé le 9 décembre 1996, M.________ (ci-après : l'employé) a été engagé (à partir du 1er décembre 1996) par X.________ PLC (ci-après : l'employeuse), société avec siège en Grande-Bretagne ayant pour but l'exploitation d'une compagnie active dans le domaine du transport aérien, en qualité d'ingénieur de permanence, son lieu habituel de travail étant l'aéroport de Genève. En dernier lieu, son salaire mensuel net était en moyenne de 9'688 fr. (sur douze mois).
Par courrier du 28 avril 2016, l'employeuse a informé son personnel de son intention de transférer, dès le 4 juillet 2016, son service de maintenance basé à Genève à A.________ AG (ci-après: la société reprenante), située dans le canton de Zurich. Tous les rapports de travail seraient automatiquement transférés (avec tous les droits et les obligations qui en découlaient), sous réserve d'un refus du transfert par un (ou des) employé (s). En cas de refus, les rapports de travail avec l'employeuse prendraient fin à l'expiration du délai de congé légal. Les employés avaient un délai au 3 juin 2016 pour s'opposer au transfert.
Il résulte de l'arrêt cantonal que, lors d'une précédente restructuration (en 2006), la plupart, voire la totalité des employés qui avaient été licenciés en raison d'une suppression de poste ont bénéficié d'une indemnité de départ. Celle-ci concernait exclusivement les employés ayant " quitté " leur emploi et non ceux qui ne s'étaient pas opposés à leur transfert (et dont le contrat de travail avait perduré avec la société reprenante).
Par courrier du 13 juin 2016, l'employé a sollicité de son employeuse le paiement d'une indemnité de départ d'un montant de 166'600 fr., correspondant à un mois de salaire par année de service, invoquant la pratique en vigueur au sein de la compagnie.
Le 28 juin 2016, l'employeuse a contesté l'existence d'une pratique consistant à verser une indemnité de départ d'une telle ampleur en cas de licenciement faisant suite à une restructuration. Si elle a admis avoir versé des indemnités dans cette situation, elle a précisé que les versements étaient volontaires, que les indemnités correspondaient à deux semaines de salaire par année d'ancienneté et elle a ajouté que ces versements ne s'appliquaient pas en cas de transfert des rapports de travail, mais uniquement lorsque le travailleur se retrouvait sans emploi à la suite de son licenciement. L'employeuse a toutefois proposé à l'employé, sur une base totalement volontaire et sans reconnaissance d'une quelconque obligation légale, de lui verser une indemnité égale à deux semaines de salaire par année de service, pour le cas où il refuserait le transfert.
L'employé a refusé la proposition en soutenant que l'indemnité était due indépendamment d'une démission, d'une opposition au transfert des rapports de travail ou de la poursuite de ses activités pour le compte de la société reprenante.
L'employé ne s'étant pas opposé à son transfert, la société reprenante lui a adressé, le 7 juillet 2016, un avenant à son contrat de travail lui confirmant qu'elle était sa nouvelle employeuse dès le 4 juillet 2016 et que ses années au service de son ancienne employeuse (X.________ PLC) seraient comptabilisées au sein de la nouvelle société.
B.
Le 29 juillet 2016, l'employé a ouvert action contre l'employeuse devant le Tribunal des prud'hommes de Genève. Après l'échec de la conciliation et la délivrance d'une autorisation de procéder, il a conclu à ce que sa partie adverse soit condamnée à lui payer la somme nette de 166'600 fr., avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 4 juillet 2016, à titre d'indemnité de départ.
L'employeuse a conclu à ce que le demandeur soit débouté de toutes ses conclusions.
Plusieurs témoins ont été entendus par le Tribunal, qui a renoncé à entendre douze témoins supplémentaires dont l'audition était proposée par le demandeur, au motif que la plupart d'entre eux avaient d'ores et déjà été entendus lors d'autres procédures et que la pratique de la compagnie aérienne lors des dernières restructurations ayant entraîné des licenciements avait pu être clairement établie.
Par jugement du 30 juin 2017, le Tribunal des prud'hommes a condamné la défenderesse à verser au demandeur la somme nette de 166'600 fr., intérêts en sus. En substance, il a retenu l'existence d'une pratique au sein de la compagnie aérienne selon laquelle les employés recevaient une indemnité de départ correspondant à un mois de salaire par année d'ancienneté. Elle a ensuite jugé qu'un changement de pratique n'avait pas été clairement communiqué aux employés, de sorte que leur bonne foi devait être protégée et qu'ils devaient pouvoir bénéficier de la pratique initiale (= celle de 2006) qu'ils connaissaient.
Par arrêt du 5 mars 2018, la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève a admis l'appel formé par la défenderesse, annulé le jugement entrepris et débouté le demandeur de toutes ses conclusions. En substance, elle a considéré que les indemnités de départ n'étaient pas versées dans l'hypothèse d'un transfert des rapports de travail, mais que seuls les employés refusant leur transfert (et cessant leur activité professionnelle) pouvaient en profiter.
C.
Contre cet arrêt cantonal, le demandeur exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral. Il conclut, principalement, à son annulation et à ce que la défenderesse soit condamnée à lui verser le montant net de 166'600 fr., intérêts en sus, subsidiairement, à son annulation et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour qu'elle procède à l'audition de témoins supplémentaires, et, " plus subsidiairement ", à son annulation et au renvoi de la cause à l'autorité précédente. Le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir constaté les faits de manière inexacte et d'avoir violé le droit fédéral, en particulier l'art. 9 Cst., l'art. 2 CC, l'art. 316 al. 3 CPC et les art. 322 et 322d CO .
L'intimée conclut au rejet du recours.
Chacune des parties a encore déposé des observations.
Considérant en droit :
1.
Formé en temps utile (art. 100 al. 1, 45 al. 1 et 46 al. 1 let. a LTF), dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF), rendue sur appel de la défenderesse par le tribunal supérieur du canton (art. 75 LTF) dans une affaire relevant du droit du travail (art. 72 al. 1 LTF), dont la valeur litigieuse excède 15'000 fr. (art. 74 al. 1 let. a LTF), le recours en matière civile est recevable au regard de ces dispositions.
2.
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ces faits ont été établis de façon manifestement inexacte - ce qui correspond à la notion d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 137 I 58 consid. 4.1.2; 137 II 353 consid. 5.1) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
Concernant l'appréciation des preuves, le Tribunal fédéral n'intervient, du chef de l'art. 9 Cst., que si le juge du fait n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, a omis sans raisons objectives de tenir compte des preuves pertinentes ou a effectué, sur la base des éléments recueillis, des déductions insoutenables (ATF 137 III 226 consid. 4.2; 136 III 552 consid. 4.2; 134 V 53 consid. 4.3; 133 II 249 consid. 1.4.3; 129 I 8 consid. 2.1).
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266 et les références). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 p. 18 et les références). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s'écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 p. 18). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 130 I 258 consid. 1.3 p. 261 s.). Les faits nouveaux sont irrecevables devant le Tribunal fédéral (art. 99 al. 1 LTF).
2.2. Sous réserve de la violation des droits constitutionnels (art. 106 al. 2 LTF), le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF) à l'état de fait constaté dans l'arrêt cantonal ou, cas échéant, à l'état de fait qu'il aura rectifié. Il n'est toutefois lié ni par les motifs invoqués par les parties, ni par l'argumentation juridique retenue par l'autorité cantonale; il peut donc admettre le recours pour d'autres motifs que ceux invoqués par le recourant, comme il peut le rejeter en opérant une substitution de motifs (ATF 135 III 397 consid. 1.4 et l'arrêt cité).
3.
Vu le siège anglais de la société employeuse et le domicile français de l'employé, la cause revêt un caractère international. La question du droit applicable se résout selon la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé (LDIP; RS 291), à défaut de traités internationaux (art. 1 al. 1 let. a et al. 2 LDIP). En l'espèce, les parties étaient liées par un contrat de travail, sur lequel reposent les prétentions de l'employé. En vertu de l'art. 121 al. 1 LDIP, le contrat de travail est régi par le droit de l'Etat dans lequel le travailleur accomplit habituellement son travail, soit ici le droit suisse.
4.
4.1. Dans un premier grief, le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir constaté les faits de façon manifestement inexacte (art. 97 al. 1 LTF) et violé l'art. 316 al. 3 CPC.
Par sa critique, il tente de revenir sur le constat suivant de la cour cantonale : "
(...) les éléments figurant au dossier sont suffisants pour établir les faits pertinents, étant relevé que [le demandeur] ne conteste pas que les témoins qu'il souhaite faire entendre ou réentendre ne seraient pas en mesure de fournir des informations concernant la pratique des severances [indemnités de départ] après la restructuration intervenue au sein de [la défenderesse] en 2006".
Le recourant affirme que l'audition de ces témoins lui " aurait clairement permis " de démontrer que la pratique des indemnités de départ s'appliquait également aux employés ayant accepté le transfert et qu'elle fait ainsi partie intégrante de son contrat de travail. Sa critique, purement appellatoire, est irrecevable.
L'affirmation (qui n'est accompagnée d'aucune autre motivation) selon laquelle " les employés acceptant leur transfert ont également reçu une telle indemnité lors des restructurations de 1999 et 2006 " appelle la même conclusion.
Cela étant, la prétendue " violation crasse " de l'art. 316 al. 3 CPC, qui résulterait de la constatation arbitraire des faits, se révèle privée de tout fondement.
Enfin, le recourant évoque l'art. 8 CC, ainsi que l'art. 29 al. 2 Cst., sans toutefois fournir la moindre motivation qui permettrait de comprendre en quoi ces dispositions auraient été violées par la cour cantonale dans les circonstances de l'espèce. Il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur ces critiques (cf. art. 42 al. 2 et 106 al. 2 LTF).
4.2. Dans un deuxième grief, le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir violé le principe de la confiance en refusant de retenir l'existence d'un accord portant aussi bien sur le principe du versement d'une indemnité de départ que sur sa quotité. Selon lui, celle-ci serait déterminable puisqu'elle correspondrait, selon la pratique de l'employeuse, à un mois de salaire par année (s) de service. Tous les employés en auraient bénéficié lors de restructurations (tant les employés ayant accepté leur transfert et conservé leur travail que ceux qui l'ont refusé et quitté leur activité professionnelle) et le demandeur pouvait de bonne foi s'attendre à en profiter à son tour.
Examinant la pratique évoquée par le demandeur, la cour cantonale a fait le constat qu'en réalité, l'indemnité de départ n'était attribuée (à tout le moins sur le principe) qu'aux employés ayant refusé leur transfert, soit ceux ayant définitivement quitté leur poste de travail.
En fonction de ce constat, on voit mal comment on pourrait admettre l'existence d'un accord entre les parties qui aurait la portée que le demandeur entend lui conférer. Aucun élément factuel ne permet de retenir que, selon leur volonté réelle (question de fait), les parties seraient convenues de l'octroi d'une indemnité déterminée (ou déterminable) en cas de transfert (accepté par l'employé) au sein d'une société reprenante. Quant à l'éventuelle application du principe de la confiance, si elle relève du droit, elle repose nécessairement sur des faits constatés par l'autorité cantonale. Comme il est établi qu'aucune indemnité n'était versée en cas de transfert de l'employé auprès d'une nouvelle entreprise et qu'aucune autre circonstance (cf. arrêt entrepris p. 11 qui constate qu'" aucun élément du dossier " ne confirme la thèse du demandeur) n'atteste que l'employeuse aurait adopté une attitude éveillant une attente particulière de l'employé à cet égard, l'application du principe de la confiance n'est d'aucune aide à celui-ci.
L'argument du recourant selon lequel l'employeuse n'a jamais informé ses employés qu'ils n'auraient pas droit aux
severances s'ils acceptaient leur transfert n'aurait de sens que si, en pratique, les indemnités étaient versées sans aucune condition (également en cas de transfert approuvé par l'employé). Tel n'est pas le cas en l'espèce et on ne saurait dès lors contraindre l'employeuse à informer ses employés au motif qu'elle dérogerait à sa pratique, alors qu'elle ne faisait que s'y conformer, selon les constatations cantonales.
4.3. Le recourant invoque ensuite la violation des art. 18, 322 et 322d CO , ainsi que l'arbitraire.
Il fonde toutefois l'intégralité de son argumentation sur la prémisse - erronée - que le versement d'indemnités sans aucune condition (i.e également lorsque l'employé accepte son transfert auprès de la société reprenante) en cas de restructurations consisterait en une pratique de la société employeuse et que les contrats de tous les employés intégreraient cette pratique, de sorte que l'employeuse ne pourrait y déroger que si elle prouvait la modification contractuelle. L'argumentation se révèle dès lors sans consistance et c'est en vain que le recourant tente de convaincre que la modification contractuelle nécessitait le respect de la " procédure du congé-modification ".
On ne discerne en outre pas quel argument supplémentaire le recourant entend tirer de la jurisprudence relative à la qualification des bonus, et en particulier de la distinction entre la gratification (au bon vouloir de l'employeur) et le salaire (soit un montant déterminé ou déterminable dont le versement a été convenu contractuellement). En l'occurrence, aucun élément de l'arrêt cantonal ne permet de conclure à l'existence d'un accord entre les parties sur l'indemnité réclamée par l'employé (considérée par lui comme un élément salarial, elle serait due même en l'absence de perte d'emploi), de sorte que la distinction évoquée par le recourant, qui a par ailleurs trait à la qualification des bonus, est ici dénuée de toute pertinence.
Le recourant insiste sur les enseignements tirés de la précédente restructuration de la société employeuse qui s'est déroulée en 2006. Il observe que celle-ci a été condamnée à de nombreuses reprises par la Cour de justice à " verser des indemnités de départ d'un mois de salaire par année de service " aux employés " quittant " l'entreprise. L'interprétation faite par le demandeur du terme " quitter " ne peut toutefois être suivie, les juges cantonaux ayant explicitement indiqué qu'elle n'était corroborée par " aucun élément du dossier ", tous les employés ayant actionné la société aérienne devant la Cour de justice après la restructuration de 2006 ayant vu leurs contrats prendre fin, suite à leur refus d'accepter les conditions de travail de la société reprenante.
S'agissant des deux derniers griefs invoqués par le recourant (violation du principe d'égalité et abus de droit), le recourant se fonde à nouveau sur la prémisse - erronée - que le versement d'indemnités (sans aucune condition) en cas de restructurations consisterait en une pratique de la société employeuse et que les contrats de tous les employés intégreraient cette pratique. Les critiques tombent dès lors à faux.
La question litigieuse est dès lors tranchée et il est inutile d'examiner la motivation subsidiaire (" Quoi qu'il en soit, à supposer que... ") fournie par la cour cantonale.
Les moyens se révèlent infondés.
5.
Il résulte des considérations qui précèdent que le recours en matière civile doit être rejeté dans la mesu re de sa recevabilité.
Les frais judiciaires et les dépens sont mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le recourant versera à l'intimée une indemnité de 6'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre des prud'hommes.
Lausanne, le 13 mars 2019
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Kiss
Le Greffier : Piaget