Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
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4A_7/2019
Arrêt du 21 mars 2019
Ire Cour de droit civil
Composition
Mme les Juges fédérales
Kiss, présidente, Klett et Niquille.
Greffier: M. O. Carruzzo.
Participants à la procédure
1. U.________,
2. A.X.________,
3. B.X.________,
tous trois représentés par Me Roger Mock,
recourants,
contre
C.X.________,représentée par Me Michel Valticos,
intimée.
Objet
arbitrage international,
recours contre la sentence arbitrale incidente rendue le 7 décembre 2018 par un arbitre unique siégeant à Genève (300440-2018).
Faits :
A.
Le 12 juin 2003, X.________, son épouse C.X.________, et les deux enfants nés d'un premier mariage du disposant précité, B.X.________ et A.X.________, ont conclu un pacte successoral par-devant un notaire genevois.
En son article dixième, ledit pacte - qui fait état du domicile monégasque des époux - prévoit ce qui suit:
" 10.1. Les parties déclarent soumettre le présent pacte successoral au droit suisse.
10.2. Le disposant déclare soumettre sa succession aux règles du droit suisse, sous réserve des biens immobiliers qui sont situés en dehors de Suisse et qui seraient de ce fait soumis à la loi de leur lieu de situation.
10.3. Tous litiges survenant au sujet du présent pacte successoral ou en rapport avec lui seront tranchés définitivement par un arbitre unique suivant le règlement de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Genève. Le siège du Tribunal arbitral sera Genève. La langue de l'arbitrage sera le français. "
Le disposant a désigné, en qualité d'exécuteurs testamentaires, L.________, M.________, N.________, O.________ et P.________ (article huitième du pacte successoral).
Par codicille notarié du 18 janvier 2005, X.________ a modifié l'article huitième du pacte successoral et nommé pour seuls exécuteurs testamentaires L.________, M.________, U.________ et Q.________.
X.________ est décédé le 15 novembre 2008 à Monaco.
B.
Le 5 juin 2018, se fondant sur la clause arbitrale insérée dans le pacte successoral, C.X.________ (ci-après: la demanderesse) a déposé une demande d'arbitrage à Genève auprès du Secrétariat de la Cour d'arbitrage de l'Association des Chambres de commerce suisses pour l'arbitrage et la médiation (ci-après: le Secrétariat de la Cour), à l'encontre du seul exécuteur testamentaire encore en fonction, U.________, et des enfants du défunt, B.X.________ et A.X.________ (ci-après: les défendeurs).
Le 9 août 2018, le Secrétariat de la Cour a nommé un arbitre unique (ci-après: l'arbitre) en la personne d'un avocat lausannois.
Les défendeurs ont soulevé une exception d'incompétence dans leur réponse du 12 juillet 2018, en soutenant que la convention d'arbitrage n'était pas opposable à l'exécuteur testamentaire et que les conclusions de la demande n'étaient développées qu'à son encontre.
Par ordonnance procédurale du 12 octobre 2018, l'arbitre a indiqué aux parties qu'il statuerait à titre préjudiciel sur sa compétence et leur a fixé un délai pour déposer un mémoire portant sur cette question. Dans le délai imparti, la demanderesse et les défendeurs ont adressé leur mémoire à l'arbitre. Les défendeurs se sont en outre déterminés sur l'écriture de la demanderesse.
Le 7 décembre 2018, l'arbitre a rendu une sentence incidente au terme de laquelle il s'est déclaré compétent pour connaître de la cause.
Après avoir décidé que le litige divisant les parties était un arbitrage international soumis au chapitre 12 de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP), l'arbitre a retenu en substance que la clause compromissoire figurant dans le pacte successoral était opposable à l'exécuteur testamentaire, qui en acceptant et en exécutant sa mission sans élever la moindre réserve, avait adopté un comportement permettant de considérer qu'il avait adhéré à la convention d'arbitrage. L'arbitre a en outre considéré que toutes les conclusions prises par la demanderesse étaient arbitrables.
C.
Le 4 janvier 2019, U.________, A.X.________ et B.X.________ (ci-après: les recourants) ont formé un recours, assorti d'une requête d'effet suspensif, en tête duquel ils demandent au Tribunal fédéral d'annuler la sentence incidente en application de l'art. 395 al. 1 CPC et de constater l'incompétence de l'arbitre.
Invitée à se déterminer, C.X.________ (ci-après: l'intimée) a conclu au rejet de la demande d'effet suspensif et du recours. L'arbitre s'est référé aux considérants de sa sentence incidente.
Par ordonnance du 7 février 2019, la Présidente de la cour de céans a accordé l'effet suspensif au recours.
Considérant en droit :
1.
1.1. Lorsque, par une sentence séparée, un tribunal arbitral admet sa compétence, il rend une décision incidente (ATF 143 III 462 consid. 2.2). Tel est le cas en l'espèce.
En matière d'arbitrage international comme en arbitrage interne, une telle sentence peut faire l'objet d'un recours pour les motifs prévus à l' art. 190 al. 2 let. a et b LDIP , respectivement à l' art. 393 let. a et b CPC (ATF 143 III 462, précité, consid. 2.2; 130 III 66 consid. 4.3 p. 75). De surcroît, la cour de céans a indiqué que les griefs visés à l'art. 190 al. 2 let. c à e LDIP peuvent aussi être soulevés contre les décisions incidentes au sens de l'art. 190 al. 3 LDIP, mais uniquement dans la mesure où ils se limitent strictement aux points concernant directement la compétence ou la composition du tribunal arbitral (ATF 143 III 462, précité, consid. 2.2; 140 III 477 consid. 1; 140 III 520 consid. 2.2.3). Cette jurisprudence a été étendue aux décisions de même nature rendues en matière d'arbitrage interne, contre lesquelles il est désormais possible d'invoquer, sous la même réserve et en dépit du texte de l'art. 392 let. b CPC, les moyens tirés de l'art. 393 let. c-e CPC (arrêts 4A_407/2017 du 20 novembre 2017 consid. 1.1; 4A_82/2016 du 6 juin 2016 consid. 2.2).
1.2. L'art. 77 al. 1 LTF distingue l'arbitrage international (let. a) de l'arbitrage interne (let. b). Selon l'art. 176 al. 1 LDIP, qui utilise un critère formel pour décider de l'internationalité d'un arbitrage (arrêt 4P.148/2006 du 10 janvier 2007 consid. 2), l'arbitrage est international si le siège du tribunal arbitral se trouve en Suisse et si au moins l'une des parties n'avait, au moment de la conclusion de la convention d'arbitrage, ni son domicile, ni sa résidence habituelle en Suisse. Dans le domaine de l'arbitrage international, le recours en matière civile est recevable aux conditions prévues aux art. 190 à 192 LDIP (art. 77 al. 1 let. a LTF) et dans l'arbitrage interne aux conditions prévues aux art. 389 à 395 CPC (art. 77 al. 1 let. b LTF).
1.2.1. Les recourants soutiennent que les dispositions de la LDIP ne seraient pas applicables en l'espèce. Semblable affirmation tombe à faux. En effet, le siège de l'arbitrage se situe en Suisse et les recourants ne contestent pas que l'intimée avait son domicile à l'étranger lors de la conclusion de la convention d'arbitrage. L'arbitrage soumis à l'examen du Tribunal fédéral est dès lors en principe un arbitrage international au sens des art. 176 ss LDIP.
1.2.2. Les recourants objectent, à tort, que les parties auraient valablement exclu l'application des règles de la LDIP ("
opting out"). En vertu de l'art. 176 al. 2 LDIP, dans sa teneur au moment de la conclusion de la clause arbitrale, le chapitre 12 sur l'arbitrage international ne s'applique pas "lorsque les parties ont exclu par écrit son application et qu'elles sont convenues d'appliquer exclusivement les règles de la procédure cantonale en matière d'arbitrage". Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la validité d'une convention d'exclusion, au sens de l'art. 176 al. 2 LDIP, suppose l'existence d'un accord écrit par lequel les parties conviennent non seulement d'appliquer exclusivement les règles de la procédure cantonale en matière d'arbitrage (désormais remplacée par la troisième partie du CPC) mais encore d'exclure l'application du chapitre 12 de la LDIP (ATF 116 II 721 consid. 4; 115 II 393 consid. 2bb; arrêts 4A_254/2013 du 19 novembre 2013 consid. 1.2.3; 4P.140/2000 du 10 novembre 2000 consid. 2a). En particulier, la jurisprudence exige une déclaration écrite et claire portant exclusion des dispositions du droit fédéral sur l'arbitrage international. Cette condition n'est pas remplie lorsque les parties ont seulement déclaré convenir d'appliquer le droit cantonal, alors même que l'on pourrait prouver que leur intention était bien d'appliquer ce droit à la place du droit fédéral, car la preuve en question serait incompatible avec la rigueur désirable des règles en matière de procédure de recours dans l'arbitrage (ATF 116 II 721, précité, consid. 4; arrêts 4A_253/2013, précité, consid. 1.2.3; 4P.140/2000, précité, consid. 2a). Sans doute ne peut-on imposer aux parties l'utilisation d'une formule type pour cette exclusion. La volonté commune d'exclure la loi fédérale, qui peut certes être dégagée par voie d'interprétation, doit néanmoins ressortir clairement des termes utilisés par elles, afin que la sécurité du droit soit assurée (ATF 115 II 393, précité, consid. 2bb; arrêts 4A_253/2013, précité, consid. 1.2.3; 4P.140/2000, précité, consid. 2a).
1.2.3. En l'occurrence, la clause arbitrale de juin 2003 renvoie certes au "règlement de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Genève", remplacé depuis lors par le Règlement suisse d'arbitrage international (
Swiss Rules). Contrairement à ce que prétendent les recourants, ce renvoi au règlement fixant la manière de procéder devant un tribunal arbitral appelé à statuer en matière d'arbitrage international ou national (arrêt 4A_598/2014 du 14 janvier 2015 consid. 2.1) ne saurait manifestement satisfaire au strict réquisit entourant l'exclusion des règles de la LDIP.
1.2.4. Dans la mesure où les parties n'ont pas expressément exclu l'application du chapitre 12 de la LDIP, seules les dispositions de la LDIP relatives au recours contre les sentences arbitrales sont applicables, à l'exclusion des règles du CPC.
1.2.5. Les recourants font en outre fausse route lorsqu'ils affirment, de façon péremptoire, que la LDIP serait devenue obsolète depuis l'entrée en vigueur du CPC. Ce faisant, ils méconnaissent le champ d'application de ces deux lois et la distinction entre arbitrage international et arbitrage interne.
2.
Dans le domaine de l'arbitrage, pour qu'un grief admissible et dûment invoqué dans le recours en matière civile soit recevable, encore faut-il qu'il soit motivé, ainsi que le prescrit l'art. 77 al. 3 LTF. Cette disposition correspond à ce que prévoit l'art. 106 al. 2 LTF pour le grief tiré de la violation de droits fondamentaux ou de dispositions de droit cantonal et intercantonal (ATF 134 III 186 consid. 5). A l'instar de cet article, elle institue le principe d'allégation (
Rügeprinzip). Le recours en matière d'arbitrage international ne peut être formé que pour l'un des motifs énumérés de manière exhaustive à l'art. 190 al. 2 LDIP. Le recourant doit donc invoquer l'un des griefs énoncés limitativement et montrer par une argumentation précise, en partant de la sentence attaquée, en quoi consiste la violation du principe soulevé (arrêt 4A_378/2015 du 22 septembre 2015 consid. 3.1). La même exigence prévaut du reste pour les motifs de recours de l'art. 393 CPC en arbitrage interne (arrêts 4A_338/2018 du 28 novembre 2018 consid. 1.2; 4A_572/2017 du 2 novembre 2018 consid. 2; 4A_459/2016 du 19 janvier 2017 consid. 1.2).
2.1. Le présent recours ne respecte pas les exigences de motivation rappelées ci-dessus, puisque les recourants n'invoquent aucun des griefs énumérés de façon exhaustive à l'art. 190 al. 2 LDIP. De surcroît, les intéressés, pourtant assistés d'un avocat, soutiennent à tort, et ce à réitérées reprises dans leur mémoire de recours, que les dispositions de la LDIP ne seraient pas applicables en l'espèce, ce qui est manifestement erroné. Ils semblent, en réalité, avoir confondu l'arbitrage en cause avec un arbitrage interne. Vu l'absence de motif de recours susceptible d'être invoqué à l'encontre d'une sentence rendue dans un arbitrage international, le présent recours apparaît irrecevable.
2.2. Au demeurant, à supposer que les règles du CPC fussent applicables comme le font valoir les recourants, on cherche en vain, dans leur mémoire, la moindre référence à l'art. 393 CPC qui énonce limitativement les motifs de recours recevables.
2.3. En tout état de cause, l'ébauche de démonstration de l'incompétence du Tribunal arbitral faite par les recourants n'apparaît pas recevable en raison de sa motivation lacunaire. En effet, les recourants se bornent essentiellement à émettre des considérations générales touchant la relativité des conventions, sans s'attacher à démontrer en quoi l'argumentation circonstanciée de l'arbitre, comprenant plusieurs volets, violerait l'art. 190 al. 2 let. b LDIP. Aussi, lorsque les intéressés soutiennent que l'arbitre aurait admis à tort, en se fondant "uniquement sur une prétendue doctrine dominante", que l'exécuteur testamentaire était lié par la clause arbitrale prévue dans le pacte successoral, force est de constater qu'ils ne citent pas la moindre référence doctrinale pour étayer leur critique et tenter de démontrer que la doctrine majoritaire préconiserait la solution contraire. En outre, au lieu d'expliquer pour quelles raisons la jurisprudence citée par l'arbitre - selon laquelle un tiers non partie à une convention d'arbitrage peut, suivant les circonstances, se voir opposer celle-ci - ne saurait s'appliquer au cas d'espèce, les recourants affirment que l'arbitre n'a pas cité ses sources et que pareille jurisprudence n'existerait pas. En l'occurrence, l'arbitre a cité deux arrêts (ATF 129 III 727; arrêt 4P.48/2005 du 20 septembre 2005) dans lesquels la cour de céans a retenu qu'une clause arbitrale est opposable à un tiers non partie lorsque celui-ci s'est immiscé dans l'exécution du contrat contenant la clause compromissoire et que cette immixtion peut être interprétée comme une volonté d'être partie à la clause arbitrale (sentence incidente, n. 90). Il a estimé que l'exécuteur testamentaire s'était immiscé dans l'exécution du pacte successoral et avait a fortiori adhéré à celui-ci, de sorte que la clause compromissoire insérée dans ledit pacte lui était opposable. Les recourants se contentent de contredire cette appréciation de l'arbitre, sans satisfaire aux exigences de motivation accrues applicables en matière d'arbitrage. A cet égard, force est de relever que les intéressés ne sauraient s'acquitter des strictes contraintes les obligeant à contredire précisément l'argumentation de l'arbitre, en se bornant à renvoyer le Tribunal fédéral à accomplir ce travail.
2.4. Enfin, les recourants se méprennent lorsqu'ils prétendent que l'arbitre n'aurait pas dû examiner à ce stade l'arbitrabilité des conclusions prises par la demanderesse. Ce faisant, ils perdent de vue que l'arbitrabilité est une condition de validité de la convention d'arbitrage et, partant, de la compétence du Tribunal arbitral (ATF 118 II 353 consid. 3a; 117 II 98 consid. 5b). Il s'ensuit que l'arbitre a traité à bon droit cette question lors de l'examen de sa propre compétence. Si les recourants contestent certes que les conclusions prises à l'égard de l'exécuteur testamentaire puissent être soumises à un tribunal arbitral, leur critique, faute de motivation suffisante, ne respecte pas les exigences strictes de motivation découlant de l'art. 77 al. 3 LTF et, partant, est irrecevable.
3.
Vu l'absence de grief admissible et dûment invoqué par les recourants, et faute de motivation suffisante, le recours soumis à l'examen de la cour de céans se révèle irrecevable, si bien qu'il n'est pas possible d'entrer en matière sur le fond.
4.
Les recourants, qui succombent, supporteront les frais judiciaires solidairement entre eux ( art. 66 al. 1 et 5 LTF ). Sans perdre de vue le travail non négligeable que la procédure de recours a occasionné au Tribunal fédéral, les frais judiciaires seront cependant réduits de moitié par rapport au montant de l'avance et fixés en tenant compte de l'issue du recours. Les recourants sont en outre condamnés solidairement à verser des dépens à l'intimée ( art. 68 al. 1, 2 et 4 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est irrecevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 10'000 fr., sont mis à la charge des recourants, solidairement entre eux.
3.
Les recourants sont condamnés solidairement à verser à l'intimée une indemnité de 14'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à l'arbitre unique.
Lausanne, le 21 mars 2019
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Kiss
Le Greffier : O. Carruzzo