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Original
 
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
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1B_564/2018
Arrêt du 9 avril 2019
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Chaix, Président,
Fonjallaz et Muschietti.
Greffière : Mme Kropf.
Participants à la procédure
A.________, représenté par Me Romain Jordan, avocat,
recourant,
contre
B.________, analyste financière,
intimée,
Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy.
Objet
Procédure pénale; récusation,
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 14 novembre 2018 (PS/45/2018, ACPR/668//2018).
Faits :
A.
A.a. Une enquête pénale - sous référence P_2015 - est instruite par le Ministère public de la République et canton de Genève à l'encontre notamment de A.________ pour faux dans les titres (art. 251 CP), escroquerie (art. 146 CP), gestion déloyale aggravée (art. 158 al. 2 CP) ou subsidiairement abus de confiance (art. 138 CP), vol (art. 139 CP) et utilisation frauduleuse d'un ordinateur (art. 147 CP). Il lui est reproché d'avoir, dès 2008, agi au préjudice de sociétés du groupe C.________, leur causant un important dommage; il aurait, pour cela, utilisé le canal de trois sociétés, parmi lesquelles D.________ SA.
Dans le dossier pénal y relatif, figure la pièce xxx, soit une "Note de l'analyste", non datée, signée par B.________, analyste financière auprès du Ministère public, dont la teneur est la suivante :
" Téléphone du 25.06.2018 de l'analyste B.________ avec la fiduciaire « E.________ SA »
But : savoir si la fiduciaire a transmis au MP l'intégralité de la documentation demandée par ordre de dépôt, car la fiduciaire n'a pas établi de courrier accompagnant les pièces fournies.
Résumé du téléphone avec Monsieur F.________.
La documentation remise au MP contient un PV d'AG listant les actionnaires de D.________ SA.
Monsieur F.________ confirme ne pas posséder d'autres PV d'AG et indique avoir remis l'intégralité des pièces en sa possession au MP."
A.b. Le 29 juin 2018, A.________ a requis la récusation de l'analyste B.________. En substance, il soutenait que le contact téléphonique effectué par l'analyste avec le comptable constituerait une audition de témoin réalisée en violation de son droit d'y participer; le procédé employé par l'intimée, qui connaissait pourtant certainement les règles procédurales en la matière - notamment celle ordonnant que les actes oraux et les dépositions de témoins fassent l'objet d'un procès-verbal -, constituait ainsi une faute procédurale particulièrement lourde, démontrait que l'analyste lui portait une sentiment fort d'inimitié et laissait à penser que ce n'était pas la première fois qu'une telle méthode était employée. A.________ a sollicité l'audition du comptable.
Le Ministère public s'est opposé, par courrier du 26 juillet 2018, à cette requête de récusation, relevant que le contact entre B.________ et la fiduciaire s'inscrivait dans le prolongement d'un ordre de dépôt et de l'envoi de pièces - sans lettre - qui paraissait incomplet; l'analyste avait cru nécessaire de s'assurer qu'il correspondait bien à intégralité des documents en possession de la fiduciaire, ce qui avait été confirmé. Quant à B.________, elle a exposé, ce même jour, n'avoir pas d'animosité envers le prévenu et estimait avoir respecté la loi; à la demande du Procureur, elle avait établi une note, le 2 juillet 2018, en lien avec le téléphone du 25 juin 2018. Elle a affirmé n'avoir fait que vérifier que l'ordre de dépôt avait été exécuté correctement.
A.c. Dans le cadre de l'instruction, F.________ a été entendu le 3 août 2018 par le Ministère public. Le témoin a déclaré, que lors de sa conversation téléphonique avec "une dame", des questions lui avaient été posées en relation avec le compte courant actionnaire de la société D.________ SA; il lui avait été demandé d'expliquer de quoi il s'agissait et sa constitution, ce qui était une question générale sur la signification de ce type de compte. Le comptable a encore expliqué que ce compte indiquait si la société devait de l'argent à l'actionnaire ou aux actionnaires ou si c'était ces derniers qui en devaient à la société. F.________ n'avait pas souvenir d'autres questions, mais ce contact direct l'ayant surpris, il en avait fait état, par transparence, à ses mandants.
A.d. Par courrier du 21 août 2018, A.________ s'est déterminé sur les observations déposées par l'analyste et le Procureur dans le cadre de sa requête de récusation. Il a ainsi relevé que la rédaction de la note n'était intervenue que postérieurement à sa demande d'information; son contenu serait d'ailleurs "inexact[...] et mensong[er]", ne constituait pas une réparation de la grave atteinte à ses droits et laissait "plutôt à penser que d'autres lourdes erreurs procédurales pouvaient avoir été commises par l'analyste", ce que le Ministère public tentait de dissimuler. Le requérant a soutenu que la déclaration de B.________ ne correspondrait pas à la réalité puisque, lors de son audition, le comptable avait déclaré avoir été soumis à plusieurs questions, dont certaines relatives au compte courant actionnaire; l'appel téléphonique ne serait ainsi pas une "modeste vérification".
Par courrier du 28 août 2018, le Ministère public a déposé des observations spontanées, afin d'expliquer les circonstances dans lesquelles avait été rédigée la note typographiée du 2 juillet 2018, à savoir sur la base de notes manuscrites. Le requérant a demandé la production desdites écritures le 12 septembre 2018.
Le 14 novembre 2018, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève a rejeté la requête de récusation.
B.
Par acte du 17 décembre 2018, A.________ forme un recours en matière pénale contre cet arrêt, concluant à son annulation, à la récusation de l'analyste financière B.________ et au retrait du dossier des actes effectués par cette dernière. A titre subsidiaire, le recourant demande le renvoi de la cause à l'autorité précédente.
Le Ministère public a conclu au rejet du recours. Quant à la cour cantonale, elle s'est référée à sa décision. B.________ (ci-après : l'intimée) n'a pas déposé de déterminations. Ayant reçu ces différentes écritures, le recourant n'a pas formé de nouvelles observations.
Considérant en droit :
1.
Conformément aux art. 78 et 92 al. 1 LTF, les décisions incidentes de dernière instance cantonale portant sur une demande de récusation d'un expert dans une cause pénale peuvent immédiatement faire l'objet d'un recours en matière pénale. Le recourant, auteur de la demande de récusation qui a été rejetée, a qualité pour recourir selon l'art. 81 al. 1 LTF. Pour le surplus, le recours a été déposé en temps utile (art. 45 al. 1 et 100 al. 1 LTF) et les conclusions qui y sont prises sont recevables (art. 107 al. 2 LTF). Il y a donc lieu d'entrer en matière.
2.
Au cours de la procédure devant l'autorité précédente, le recourant a demandé la production des notes manuscrites de l'intimée en lien avec la conversation téléphonique litigieuse, requête sur laquelle l'autorité précédente n'aurait pas statué (cf. en particulier ad 15 p. 5 du mémoire de recours).
Il sied toutefois de prendre en considération que cette réquisition de preuve découle des déterminations spontanées du Procureur du 28 août 2018. Ces écritures ont été déclarées irrecevables par la cour cantonale (cf. consid. 3 p. 5 de l'arrêt attaqué), appréciation que le recourant ne conteste pas. Il ne prétend pas non plus que les éléments alors invoqués auraient été pris en considération par l'autorité précédente pour rejeter sa requête de récusation. On peut certes se demander s'il ne s'agirait pas d'un fait nouveau, que l'autorité de recours, eu égard à son large pouvoir d'examen (ATF 141 IV 396 consid. 4.4 p. 405), aurait dû prendre en considération.
Cela étant, le but de cette demande était de démontrer que le contenu de la note figurant au dossier n'était pas conforme à la vérité (cf. ad 28 p. 7 du mémoire de recours). Or, une telle éventualité n'a pas été ignorée par l'autorité précédente. Ainsi, après avoir rappelé le contenu de la note litigieuse et les propos du comptable, elle a considéré que l'intimée pouvait avoir "omis de préciser qu'elle s'était renseignée sur la signification du compte courant actionnaire" (cf. consid. 4.4 p. 7 de l'arrêt attaqué). La cour cantonale pouvait ainsi, sans violer le droit fédéral, rejeter - certes implicitement - cette requête, faute de pertinence.
3.
Le recourant se plaint d'une violation des art. 56 let. f CPP, 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH. Il reproche en substance à l'autorité précédente d'avoir considéré que la démarche effectuée par l'intimée auprès du comptable (entretien téléphonique), ainsi que l'acte pour l'expliquer (note), ne seraient pas constitutifs de procédés déloyaux, démontrant sa prévention à son encontre.
3.1. L'art. 56 let. f CPP - applicable aux experts en vertu du renvoi de l'art. 183 al. 3 CPP - prévoit que toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est récusable "lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil, sont de nature à le rendre suspect de prévention".
Cette disposition a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes de l'art. 56 CPP (ATF 143 IV 69 consid. 3.2 p. 74). Elle concrétise les droits déduits de l'art. 29 al. 1 Cst. garantissant l'équité du procès et assure au justiciable une protection équivalente à celle de l'art. 30 al. 1 Cst. s'agissant des exigences d'impartialité et d'indépendance requises d'un expert (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2. p. 179 s.). Les parties à une procédure ont donc le droit d'exiger la récusation d'un expert dont la situation ou le comportement sont de nature à faire naître un doute sur son impartialité. Cette garantie tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause puissent influencer une appréciation en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective de l'expert est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale de sa part. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 143 IV 69 consid. 3.2 p. 74 s.; arrêt 1B_261/2018 du 24 octobre 2018 consid. 2.1 [cas d'expert]).
Selon la jurisprudence, des décisions ou des actes de procédure qui se révéleraient erronés ne fondent pas en soi une apparence objective de prévention; seules des erreurs particulièrement lourdes et répétées, constitutives de violations graves des devoirs du magistrat peuvent fonder une suspicion de partialité, pour autant que les circonstances dénotent que la personne en cause est prévenue ou justifient à tout le moins objectivement l'apparence de prévention (ATF 143 IV 69 consid. 3.2 p. 74 s.).
3.2. En l'occurrence, on peut certes s'étonner des circonstances entourant la rédaction de la note, qui paraît vraisemblablement avoir été rédigée ultérieurement au 26 juin 2018, voire à la suite de l'intervention du recourant. La cour cantonale n'a d'ailleurs pas non plus écarté une telle hypothèse, ayant en substance considéré que peu importait que "la note ait été rédigée le jour de l'appel téléphonique ou quelques jours plus tard". Cette constatation permet aussi d'écarter le défaut allégué de prise en compte des griefs soulevés en lien avec l'absence de procès-verbal (art. 78 al. 1 CPP) ou de note relative à l'appel téléphonique litigieux (art. 76 al. 1 CPP; cf. ad 12 ss p. 5 du mémoire de recours). L'appréciation effectuée ensuite à cet égard par la cour cantonale peut également être confirmée, à savoir que ce mode de procéder - appel téléphonique et note y relative - serait-il constitutif d'une faute de la part de l'intimée, cela ne saurait être considéré comme une erreur particulièrement lourde permettant de retenir une grave violation de ses devoirs qui démontrerait une prévention à l'égard du recourant. Une telle constatation s'impose d'autant plus que cette démarche ne paraît pas avoir été répétée par l'intimée.
Il ne peut pas non plus être reproché à l'intimée d'avoir tenté de dissimuler ses actes (appel effectué et/ou contenu de la conversation alors tenue). En effet, le comptable n'a pas prétendu avoir été prié de ne pas contacter le recourant à ce propos, ce que le premier a d'ailleurs fait. Le recourant a également pu obtenir l'audition en tant que témoin du comptable. Lors de cette séance - effectuée en contradictoire -, le recourant a pu faire valoir ses droits et les propos tenus lors de la conversation téléphonique ont pu être clarifiés : le témoin a ainsi confirmé que les questions posées - d'ordre général - avaient trait à la signification d'un compte courant actionnaire et qu'il y avait eu un contact écrit préalable pour fournir certains documents. Cela permet également de considérer que les propos échangés ne paraissent pas d'emblée sans lien avec l'ordre de dépôt, datant certes de mars 2016. On ne saurait donc voir dans l'invocation de cet ordre un prétexte "boiteux" pour justifier le téléphone. En tout état de cause, lorsqu'il apparaît au cours d'une instruction que des pièces demandées pourraient manquer, une vérification auprès de l'expéditeur s'impose, peu importe la date de l'ordre de dépôt ou celle de l'envoi des documents requis.
Un motif de récusation ne découle en tout cas pas en l'occurrence de l'éventuelle absence de tenue d'un index, le recourant ne soutenant d'ailleurs pas qu'il appartiendrait à l'intimée - analyste - de le tenir (cf. ad 46 ss p. 9 s. de son mémoire).
Au regard de ces éléments, la cour cantonale a retenu, à juste titre, que l'intimée n'avait utilisé aucun procédé déloyal à l'encontre du recourant ou effectué d'erreurs particulièrement lourdes et répétées, susceptibles de constituer une violation grave de ses devoirs. La Chambre pénale de recours pouvait par conséquent, sans violer le droit fédéral, rejeter la requête de récusation.
4.
Il s'ensuit que le recours est rejeté.
Le recourant, qui succombe, supporte les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, fixés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Il n'est pas alloué de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève.
Lausanne, le 9 avril 2019
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Chaix
La Greffière : Kropf