BGer 6B_434/2019
 
BGer 6B_434/2019 vom 05.07.2019
 
6B_434/2019
 
Arrêt du 5 juillet 2019
 
Cour de droit pénal
Composition
MM. les Juges fédéraux Denys, Président,
Oberholzer et Rüedi.
Greffier : M. Graa.
Participants à la procédure
X.________,
représenté par Me Hervé Dutoit, avocat,
recourant,
contre
Ministère public central du canton de Vaud,
intimé.
Objet
Pouvoir de cognition de l'autorité d'appel; principe de l'accusation,
recours contre le jugement de la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 1er février 2019 (no 89 PE17.023906-LCT/SBT).
 
Faits :
A. Par jugement du 8 novembre 2018, le Tribunal de police de l'arrondissement de Lausanne a condamné X.________, pour emploi d'étrangers sans autorisation, à une amende de 1'500 francs.
B. Par jugement du 1er février 2019, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté l'appel formé par le prénommé contre ce jugement et a intégralement confirmé celui-ci.
La cour cantonale a retenu les faits suivants.
B.a. X.________ est né en 1969 en Macédoine, pays dont il est ressortissant. Il est l'unique associé gérant de A.________ Sàrl.
Son casier judiciaire fait état d'une condamnation, en 2012, pour incitation à l'entrée, à la sortie ou au séjour illégal et emploi d'étrangers sans autorisation.
B.b. Le 22 août 2017, A.________ Sàrl a demandé à l'entreprise B.________ Sàrl de lui prêter deux ouvriers au bénéfice de permis valables pour un chantier à U.________, cela sur requête de C.________ Sàrl, adjudicataire des travaux. Le même jour, X.________ a demandé au gérant de B.________ Sàrl la copie des permis de séjour des deux ouvriers qui seraient prêtés le lendemain, afin de transmettre ces documents à C.________ Sàrl. B.________ Sàrl lui a fait parvenir la copie des permis de séjour de D.________ et E.________. Le matin du 23 août 2017, D.________ s'est présenté avec F.________ à la place de E.________, sans que X.________ n'eût été averti de ce changement. F.________ n'a pas été en mesure de présenter un permis de séjour valable. En raison de cette situation, G.________, employé de A.________ Sàrl, a appelé X.________, lequel s'est immédiatement rendu sur le chantier. Ce dernier a vainement tenté de joindre le gérant de B.________ Sàrl pour éclaircir la situation. X.________ a alors signifié à F.________ que, à défaut de pouvoir présenter un permis valable, il n'était pas autorisé à travailler et devait quitter le chantier. Il a ensuite quitté les lieux afin de gagner un autre chantier, non sans avoir indiqué à G.________ que F.________ ne devait pas travailler sur le chantier. G.________ a demandé à celui-ci de partir, puis s'est occupé de ses propres tâches ailleurs sur le chantier. Un moment plus tard, F.________ a été interpellé par les contrôleurs du Service de l'emploi alors qu'il était en train d'oeuvrer à la pose de cloisons sur le chantier.
C. X.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement du 1er février 2019, en concluant, avec suite de frais et dépens, principalement à sa réforme en ce sens qu'il est acquitté, qu'une indemnité de 4'063 fr. 85 lui est allouée pour ses dépens dans la procédure de première instance et qu'une indemnité de 2'229 fr. 75 lui est allouée à titre de dépens pour la procédure d'appel. Subsidiairement, il conclut à son annulation et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision. Il sollicite par ailleurs le bénéfice de l'assistance judiciaire ainsi que l'octroi de l'effet suspensif.
Par ordonnance du 9 avril 2019, le Président de la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral a rejeté la demande d'effet suspensif présentée par X.________.
D. Invités à se déterminer, la cour cantonale s'est référée à la décision attaquée, tandis que le ministère public n'a pas déposé d'observations dans le délai qui lui avait été imparti.
 
Considérant en droit :
1. Le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir restreint son pouvoir de cognition sur la base de l'art. 398 al. 4 CPP.
1.1. Aux termes de l'art. 398 al. 4 CPP, lorsque seules des contraventions ont fait l'objet de la procédure de première instance, l'appel ne peut être formé que pour le grief que le jugement est juridiquement erroné ou que l'état de fait a été établi de manière manifestement inexacte ou en violation du droit. Aucune nouvelle allégation ou preuve ne peut être produite. Il découle de cette formulation, qui correspond à celle de l'art. 97 al. 1 LTF, que le pouvoir d'examen de l'autorité d'appel est limité à l'arbitraire en ce qui concerne l'établissement des faits. Celle-ci peut, en revanche, revoir librement le droit (arrêts 6B_622/2018 du 14 août 2018 consid. 2.1; 6B_458/2017 du 8 février 2018 consid. 1.3; 6B_360/2017 du 9 octobre 2017 consid. 1.3 et les références citées).
1.2. Conformément au texte de la loi, l'exception comprise à l'art. 398 al. 4 CPP suppose que seules des contraventions eussent "fait l'objet de la procédure de première instance" ( En l'espèce, le recourant a été renvoyé en jugement devant le tribunal de première instance pour emploi répété d'étrangers sans autorisation au sens de l'art. 117 al. 2 LEI (LEtr jusqu'au 31 décembre 2018) selon l'ordonnance pénale du 7 mai 2018 tenant lieu d'acte d'accusation. Une infraction à l'art. 117 al. 2 LEI - pouvant être réprimée par une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire - constitue un délit (cf. art. 10 al. 3 CP) et non une contravention.
Ainsi, bien que le tribunal de première instance eût en définitive libéré le recourant du chef de prévention d'infraction à l'art. 117 al. 2 LEI et eût condamné l'intéressé sur la base de l'art. 117 al. 3 LEI - soit pour une simple contravention -, un délit a fait l'objet de la procédure de première instance. En conséquence, l'art. 398 al. 4 CPP n'était pas applicable en procédure d'appel. La cour cantonale a donc violé le droit fédéral en considérant que cette disposition devait trouver application, cela en indiquant qu'il s'agissait "d'un appel dirigé contre un jugement portant sur une contravention".
Ce qui précède ne conduit cependant pas à l'admission du recours. En effet, le recourant se borne à affirmer que le pouvoir de cognition de l'autorité précédente aurait dû "être complet", sans exposer en quoi l'application de l'art. 398 al. 4 CPP aurait eu une incidence sur la décision attaquée. Dans sa déclaration d'appel, l'intéressé n'a aucunement contesté les faits retenus par le tribunal de première instance, mais a uniquement présenté des griefs portant sur l'application du droit (cf. pièce 21/1 du dossier cantonal). Ces griefs - que le recourant formule à nouveau devant le Tribunal fédéral - ont bien été examinés par la cour cantonale avec un plein pouvoir d'examen, ce que le recourant ne conteste d'ailleurs nullement.
2. Le recourant reproche à l'autorité précédente d'avoir violé le principe de l'accusation.
2.1. L'art. 9 CPP consacre la maxime d'accusation. Selon cette disposition, une infraction ne peut faire l'objet d'un jugement que si le ministère public a déposé auprès du tribunal compétent un acte d'accusation dirigé contre une personne déterminée sur la base de faits précisément décrits. En effet, le prévenu doit connaître exactement les faits qui lui sont imputés et les peines et mesures auxquelles il est exposé, afin qu'il puisse s'expliquer et préparer efficacement sa défense (ATF 143 IV 63 consid. 2.2 p. 65; 141 IV 132 consid. 3.4.1 p. 142 s.). Le principe de l'accusation est également déduit de l'art. 29 al. 2 Cst. (droit d'être entendu), de l'art. 32 al. 2 Cst. (droit d'être informé, dans les plus brefs délais et de manière détaillée, des accusations portées contre soi) et de l'art. 6 par. 3 let. a CEDH (droit d'être informé de la nature et de la cause de l'accusation). Les art. 324 ss CPP règlent la mise en accusation, en particulier le contenu strict de l'acte d'accusation. Selon l'art. 325 CPP, l'acte d'accusation désigne notamment les actes reprochés au prévenu, le lieu, la date et l'heure de leur commission ainsi que leurs conséquences et le mode de procéder de l'auteur (let. f); les infractions réalisées et les dispositions légales applicables de l'avis du ministère public (let. g). En d'autres termes, l'acte d'accusation doit contenir les faits qui, de l'avis du ministère public, correspondent à tous les éléments constitutifs de l'infraction reprochée au prévenu (arrêts 6B_217/2019 du 4 avril 2019 consid. 1.1; 6B_834/2018 du 5 février 2018 consid. 1.1 et les références citées). L'acte d'accusation définit l'objet du procès et sert également à informer le prévenu (fonction de délimitation et d'information) (ATF 144 I 234 consid. 5.6.1 p. 239; 143 IV 63 consid. 2.2 p. 65; 141 IV 132 consid. 3.4.1 p. 142 s. et les références citées).
S'agissant d'infractions commises par négligence, l'acte d'accusation doit notamment indiquer l'ensemble des circonstances faisant apparaître en quoi l'auteur a manqué de diligence dans son comportement, ainsi que le caractère prévisible et évitable de l'acte (ATF 120 IV 348 consid. 3c p. 356; 116 Ia 455 consid. 3cc p. 458).
Le tribunal est lié par l'état de fait décrit dans l'acte d'accusation mais non par l'appréciation juridique qu'en fait le ministère public (art. 350 al. 1 CPP). Lorsque le tribunal entend s'écarter de l'appréciation juridique que porte le ministère public sur l'état de fait dans l'acte d'accusation, il en informe les parties présentes et les invite à se prononcer (art. 344 CPP). La qualification juridique des faits se rapporte aux dispositions légales dont l'application est envisageable, à la forme de la faute et de la participation, au degré de réalisation de l'infraction ainsi qu'aux éventuelles circonstances aggravantes (arrêt 6B_54/2012 du 14 janvier 2013 consid. 5.1).
2.2. La cour cantonale a considéré que la description des faits dans l'ordonnance pénale tenant lieu d'acte d'accusation était suffisante. L'infraction intentionnelle ne se distinguait de l'infraction par négligence que par la conscience et la volonté de l'auteur d'employer une personne dépourvue d'une autorisation de travailler. Selon l'autorité précédente, les éléments factuels compris dans l'acte d'accusation étaient également suffisants s'agissant de l'étendue du devoir de diligence, puisqu'il était précisé que le recourant avait agi en qualité d'organe d'une personne morale avec les devoirs qui en découlaient en matière d'emploi d'étrangers. Enfin, pour la cour cantonale, l'argumentation du recourant relevait de l'abus de droit, car le tribunal de première instance avait retenu la version qui lui était la plus favorable, en grande partie sur la base des explications que l'intéressé avait fournies. Le recourant avait ainsi eu la possibilité de se défendre efficacement.
2.3. En l'occurrence, l'ordonnance pénale tenant lieu d'acte d'accusation renvoyait le recourant en jugement pour emploi répété d'étrangers sans autorisation au sens de l'art. 117 al. 2 LEI. Concernant les agissements reprochés au recourant, ce document énonçait ce qui suit :
"[Le recourant], en sa qualité d'unique associé gérant de A.________ Sàrl, a employé F.________, ressortissant kosovar, pour des travaux de second oeuvre sur un chantier à U.________ quand bien même ce dernier n'était pas au bénéfice d'un permis de séjour ou d'une autorisation de travailler en Suisse."
Il apparaît ainsi que le recourant n'a pas été renvoyé en jugement pour une infraction à l'art. 117 al. 3 LEI. L'ordonnance pénale tenant lieu d'acte d'accusation ne décrivait aucunement en quoi le recourant avait pu manquer de diligence dans son comportement, ce qui s'explique par le caractère intentionnel de l'infraction qui était alors envisagée. Sous cet angle, l'ordonnance pénale tenant lieu d'acte d'accusation répondait bien aux exigences légales - en particulier eu égard à sa fonction d'information - pour une application de l'art. 117 al. 1 et 2 LEI, mais ne permettait pas de saisir quelle négligence aurait été reprochée au recourant ou, en d'autres termes, quelle précaution l'intéressé aurait dû prendre pour éviter que F.________ travaillât sur son chantier. De ce point de vue déjà une condamnation du recourant sur la base de l'art. 117 al. 3 LEI était contraire au principe de l'accusation, puisque le recourant ne pouvait comprendre, à la lecture de l'ordonnance pénale tenant lieu d'acte d'accusation, quel manquement à son devoir de diligence lui était reproché. Le comportement qui a été décrit comme négligent par le tribunal de première instance puis la cour cantonale - soit le fait d'avoir quitté le chantier "sans s'assurer que F.________ n'y travaillerait pas" - ne ressortait aucunement de l'ordonnance pénale tenant lieu d'acte d'accusation. Le recourant ne pouvait donc préparer efficacement sa défense sur ce point.
En outre, à supposer même qu'une infraction à l'art. 117 al. 3 LEI pût être envisagée sur la base des faits décrits dans l'ordonnance pénale tenant lieu d'acte d'accusation, le tribunal de première instance, s'il envisageait de retenir une forme de faute différente de celle évoquée dans ce document, devait - conformément à l'art. 344 CPP - en informer le recourant et l'inviter à se prononcer sur ce point. Or, il n'apparaît pas qu'une telle information aurait été assurée, ni que le recourant aurait pu se prononcer à cet égard. La condamnation de l'intéressé sur la base de l'art. 117 al. 3 LEI emportait donc également une violation de l'art. 344 CPP.
Contrairement à ce qu'a indiqué la cour cantonale, le grief du recourant ne relevait aucunement de l'abus de droit. Le fait que le tribunal de première instance eût retenu la version des événements la plus favorable au recourant, en grande partie sur la base de ses propres explications, relève d'une application de l'art. 10 al. 2 et 3 CPP. On ne voit pas en quoi cela permettrait aux autorités pénales - en sorte de contrepartie - d'abaisser le niveau des exigences relatives au principe de l'accusation.
Compte tenu de ce qui précède, le tribunal de première instance ne pouvait, sans violer le droit fédéral, condamner le recourant sur la base de l'art. 117 al. 3 LEI au regard de l'ordonnance pénale tenant lieu d'acte d'accusation. La cour cantonale a donc également violé le droit fédéral en confirmant cette condamnation. Le recours doit être admis sur ce point, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale afin qu'elle libère le recourant du chef de prévention d'emploi d'étrangers sans autorisation par négligence. Point n'est besoin, en conséquence, d'examiner le grief du recourant concernant une éventuelle violation de l'art. 117 al. 3 LEI par la cour cantonale.
3. Le recours est admis. Le recourant, qui obtient gain de cause, ne supporte pas de frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il peut prétendre à de pleins dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral, à la charge du canton de Vaud (art. 68 al. 1 LTF). Sa demande d'assistance judiciaire est sans objet (art. 64 al. 2 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est admis, le jugement attaqué est annulé et la cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision.
2. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3. Le canton de Vaud versera au conseil du recourant une indemnité de 3'000 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral.
4. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 5 juillet 2019
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Denys
Le Greffier : Graa