Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
[img]
4A_228/2019
Arrêt du 2 septembre 2019
Ire Cour de droit civil
Composition
Mme la Juge fédérale
Kiss, Présidente, Klett, May Canellas.
Greffier : M. Curchod.
Participants à la procédure
A.________ SA,
recourante,
contre
B.________,
représenté par Me Alexandre Lehmann,
intimé.
Objet
contrat d'assurance; indemnités journalières en cas de maladie,
recours contre l'arrêt de la IIe Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg du 16 avril 2019 (608 2017 174).
Faits :
A.
A.a. B.________ (ci-après: l'assuré, le demandeur, l'intimé) a travaillé comme chauffeur poids lourds auprès de la société U.________ dès le 1er août 2001. Cette société a conclu avec A.________ SA (ci-après: l'assurance, la défenderesse, la recourante) un contrat d'assurance-maladie collective d'indemnités journalières.
Suite à une micro-déchirure du ménisque droit, puis en raison de divers symptômes attribués par son médecin traitant à une maladie de Lyme (borréliose), le demandeur a fait valoir une incapacité totale de travail à partir du 12 août 2015.
A.b. Après avoir tout d'abord indemnisé le demandeur, son assureur accidents a mis un terme à ses prestations au 30 avril 2016. À partir du 1er mai 2016, la défenderesse a versé au demandeur des indemnités journalières à hauteur de 179 fr.80 (calculé sur la base d'un salaire mensuel de 5'360 fr.).
Par courrier du 12 octobre 2016, la défenderesse a informé le demandeur qu'elle allait cesser le versement des indemnités journalières à compter du 1er novembre 2016. Elle a motivé cette décision par le résultat d'une expertise qu'elle avait mandatée et qui concluait à une capacité de travail totale du demandeur à partir du 12 septembre 2016. Après un nouvel examen de l'état de santé du demandeur, sous l'angle psychique cette fois, la défenderesse a confirmé par courrier du 20 décembre 2016 sa position selon laquelle les indemnités journalières n'étaient pas dues au-delà du 31 octobre 2016.
B.
Par demande du 26 juillet 2017, dont les conclusions ont été modifiées en cours de procédure, le demandeur a conclu à ce que la défenderesse soit condamnée à lui verser la somme de 98'350 fr. plus intérêts à 5% dès le 15 octobre 2017.
Par arrêt du 16 avril 2019, le Tribunal cantonal du canton de Fribourg a partiellement admis la demande et condamné la défenderesse à verser au demandeur le montant de 98'170 fr.80 avec intérêts à 5% l'an dès le 15 octobre 2017.
C.
La recourante a formé un recours en matière civil au Tribunal fédéral en vue d'obtenir l'annulation de l'arrêt du Tribunal cantonal du 16 avril 2019. Elle conclut à ce qu'il soit constaté que les indemnités journalières prononcées par l'autorité précédente ne sont pas dues. Dans une conclusion subsidiaire quelque peu confuse, elle réitère sa demande de constatation tout en concluant à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal cantonal pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
L'intimé et le Tribunal cantonal concluent au rejet du recours, ce dernier renvoyant aux considérants de l'arrêt entrepris.
Par ordonnance présidentielle du 7 août 2019, l'effet suspensif a été conféré au recours.
Considérant en droit :
1.
Le litige porte sur une obligation de prestation résultant d'une assurance complémentaire à l'assurance-maladie sociale. Selon l'art. 2 al. 2 LSAMal (loi fédérale sur la surveillance de l'assurance-maladie sociale; RS 832.12), ces assurances complémentaires sont régies par la LCA (loi fédérale sur le contrat d'assurance; RS 221.229.1), qui ressortit au droit privé. Les conflits relatifs à ce type d'assurance relèvent donc de la matière civile au sens de l'art. 72 al. 1 LTF (ATF 138 III 2 consid. 1.1; 133 III 439 consid. 2.1).
Au surplus, l'arrêt attaqué est une décision finale (art. 90 LTF), rendue par la IIème Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Fribourg statuant en instance cantonale unique au sens de l'art. 7 CPC et de l'art. 75 al. 2 let. a LTF (cf. ATF 138 III 799 consid. 1.1), de sorte que le présent recours est ouvert sans égard à la valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. b LTF). Interjeté par la partie défenderesse qui a succombé dans ses conclusions libératoires (art. 76 al. 1 LTF), le recours est recevable sur le principe, puisqu'il a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes prévues par la loi (art. 42 LTF); l'examen des griefs particuliers est réservé.
2.
La recourante invoque plusieurs violations du droit fédéral ainsi que des conditions générales d'assurance applicables en l'espèce. Elle mentionne également des " violations de l'art. 97 LTF ".
2.1. Le Tribunal cantonal a notamment fondé sa décision sur une expertise médicale pluridisciplinaire réalisée par la policlinique médicale universitaire de Lausanne. Selon cette expertise, la capacité de travail de l'intimé dans son activité de chauffeur poids lourds est nulle en raison d'une discopathie. De l'avis des experts, l'intimé jouit en revanche d'une capacité de travail complète dans une activité adaptée à diverses limitations fonctionnelles, cette capacité étant attestée dès le mois d'août 2015. La cour cantonale a tout d'abord relevé que les parties s'accordaient sur les conclusions de l'expertise sur ces points et qu'il n'existait pas de motifs de s'en écarter. S'agissant de l'obligation de l'intimé de changer de profession afin de réduire le dommage lié à son incapacité de travail, elle a noté qu'aucun avertissement n'avait été adressé à l'intimé à ce propos et qu'aucun délai ne lui avait été imparti afin de s'adapter aux nouvelles conditions et trouver un emploi. Pareilles démarches étant à son sens requises de la part d'une assurance fondant son refus d'indemniser un assuré sur la base de cette obligation selon la jurisprudence, elle a conclu que la recourante se trouvait dans l'obligation de verser des indemnités journalières complètes à l'intimé jusqu'au 30 avril 2018.
2.2. La recourante fonde son argumentation sur le constat des experts désignés par le Tribunal cantonal selon lequel l'intimé était apte à travailler à 100% dès le mois d'août 2015 dans une activité adaptée à son état physique. Au vu de cette aptitude, elle estime ne pas avoir à indemniser l'intimé. Elle soutient que l'argumentation de l'autorité précédente selon laquelle elle aurait dû avertir l'intimé de son devoir de diminuer le dommage en changeant de profession et lui impartir un délai pour ce faire n'est pas soutenable, l'intimé ayant été apte à reprendre une activité avant même que son incapacité de travail soit annoncée à l'assurance. Elle précise en outre qu'au moment où l'expertise judiciaire lui a été transmise, soit le 28 août 2018, le versement des indemnités journalières n'était plus d'actualité, raison pour laquelle elle ne pouvait plus avertir l'intimé de son devoir de réduire le dommage. De plus, elle déduit des déclarations de l'intimé selon lesquelles il perçoit depuis août 2017 70% de son salaire de la part de l'assurance-chômage l'aptitude de ce dernier à travailler à 100%, aptitude confirmée par l'expertise judiciaire.
2.3.
2.3.1. Selon l'art. 61 LCA (loi fédérale sur le contrat d'assurance; RS 221.229.1), lors du sinistre, l'ayant droit est obligé de faire tout ce qui est possible pour restreindre le dommage. S'il n'y a pas péril en la demeure, il doit requérir les instructions de l'assureur sur les mesures à prendre et s'y conformer (al. 1). Si l'ayant droit contrevient à cette obligation d'une manière inexcusable, l'assureur peut réduire l'indemnité au montant auquel elle serait ramenée si l'obligation avait été remplie (al. 2). Le Tribunal fédéral a considéré que l'art. 61 LCA était l'expression d'un principe général dont il peut être déduit, en matière d'assurance d'indemnités journalières soumise au droit des assurances sociales, l'obligation de l'assuré de diminuer le dommage par un changement de profession lorsqu'un tel changement peut raisonnablement être exigé de lui, pour autant que l'assureur l'ait averti à ce propos et lui ait donné un délai approprié. Selon la jurisprudence, lorsque l'assuré doit envisager un changement de profession en regard de l'obligation de diminuer le dommage, la caisse doit l'avertir à ce propos et lui accorder un délai adéquat - pendant lequel l'indemnité journalière versée jusqu'à présent est due - pour s'adapter aux nouvelles conditions ainsi que pour trouver un emploi; dans la pratique, un délai de trois à cinq mois imparti dès l'avertissement de la caisse doit en règle générale être considéré comme adéquat (ATF 133 III 527 consid. 3.2.1; arrêts 4A_73/2019 du 29 juillet 2019 consid. 3.3.2; 4A_495/2016 du 5 janvier 2017 consid. 2.3; 4A_574/2014 du 15 janvier 2015 consid. 4.1).
2.3.2. Il ressort de l'arrêt entrepris que la recourante n'a jamais adressé à l'intimé d'avertissement au sujet du changement de profession commandé par l'obligation de ce dernier de diminuer le dommage causé par son invalidité et ne lui a jamais imparti de délai pour ce faire. La recourante ne le conteste d'ailleurs pas, se contentant de faire valoir que l'intimé était déjà apte à reprendre une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles avant même que son incapacité soit signalée à l'assureur et que l'expertise judiciaire faisant état d'une capacité de travail complète dans une telle activité n'est parvenue à l'assurance qu'en date du 28 août 2018. Elle ne peut être suivie. Avant de se rallier aux conclusions de l'expertise judiciaire sur ce point, la recourante soutenait que l'intimé était apte à reprendre son activité de chauffeur poids lourds à 100%. L'expertise judiciaire a permis d'invalider cette hypothèse, sur laquelle la recourante fondait son refus de continuer à verser à l'intimé des indemnités journalières, et d'établir que l'intimé n'était apte au travail que dans le cadre d'une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles. Selon la jurisprudence précitée, il appartient dans pareille situation à l'assureur de rendre attentif l'assuré au changement de profession dont il estime qu'il peut raisonnablement être attendu de l'assuré et donner un délai à ce dernier pour s'adapter à ces nouvelles conditions. Le fait que la capacité de travail de l'assuré dans une autre activité adaptée à son état de santé ait été établi de manière rétroactive par une expertise judiciaire, dont il n'est pas rare que les conclusions interviennent à un moment où le versement des indemnités journalières n'est plus d'actualité, n'y change rien. Rien n'empêchait la recourante de demander à l'intimé, qui estimait quant à lui - à raison - ne pas être en mesure de poursuivre son activité, de se mettre à la recherche d'une activité compatible avec son état de santé et de lui impartir un délai pour ce faire. Le fait qu'en cas de désaccord entre les parties sur la question de la capacité de travail de l'assuré un certain temps soit nécessaire avant que la vérité judiciaire ne soit établie n'exonère pas l'assureur des devoirs susmentionnés s'il veut pouvoir fonder sa décision de cesser l'indemnisation de l'assuré sur la possibilité réelle de ce dernier d'exercer une autre activité rémunérée adaptée à son état de santé.
2.3.3. S'agissant du rapport de l'assurance-invalidité à l'assurance-chômage, on peine à comprendre ce que la recourante reproche à l'autorité précédente. Quoi qu'il en soit, il y a lieu de rappeler que le concours entre ces assurances est réglé par l'art. 28 al. 2 LACI (loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité; RS 837.0) qui stipule que les indemnités journalières de l'assurance-maladie ou de l'assurance-accidents qui représentent une compensation de la perte de gain sont déduites de l'indemnité de chômage. La recourante en tant qu'assureur privé couvrant la perte de gain due à la maladie ne pouvait cesser le versement des indemnités journalières au motif de versements de l'assurance-chômage pour la même période (cf. sur cette question l'ATF 144 III 136 consid. 4.3). En l'espèce, l'autorité précédente a prononcé le versement d'indemnités journalières à l'intimé pour une période allant jusqu'au 30 avril 2018. Afin d'éviter une potentielle surindemnisation de l'intimé, au bénéfice selon ses propres dires de prestations de l'assurance chômage depuis août 2017, il convient de communiquer le présent arrêt à la caisse publique de chômage.
2.3.4. Ainsi, c'est à juste titre que la cour cantonale a nié le droit de la recourante à interrompre le versement des indemnités journalières. Il n'y a dès lors pas lieu de s'interroger sur les chances réelles de l'intimé de trouver un emploi en tenant compte de ses limitations fonctionnelles (cf. sur ce point les arrêts 4A_574/2014 du 15 janvier 2015 consid. 4.1; 4A_529/2012 du 31 janvier 2013 consid. 2.4).
3.
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté. La recourante sera condamnée à payer les frais de la procédure fédérale (art. 66 al. 1 LTF) et à verser à l'intimé une indemnité à titre de dépens (art. 68 al. 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 6'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la IIe Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg, et pour information, à la FINMA et à la Caisse cantonale de chômage du Canton de Fribourg.
Lausanne, le 2 septembre 2019
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Kiss
Le Greffier : Curchod