Zurück zur Einstiegsseite Drucken
Original
 
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
[img]
1C_401/2018
Arrêt du 24 septembre 2019
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Chaix, Président,
Fonjallaz et Muschietti.
Greffier : M. Kurz.
Participants à la procédure
Office fédéral du développement territorial,
recourant,
contre
A.________ SA,
représentée par Me Jean-Claude Mathey, avocat,
intimée,
Service du développement territorial
du canton de Vaud,
Commune de U.________.
Objet
Construction hors de la zone à bâtir,
autorisation a posteriori, remise en état,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal
du canton de Vaud, Cour de droit administratif
et public, du 20 juin 2018 (AC.2017.0312).
Faits :
A.
Le 30 novembre 2012, le Service cantonal vaudois du développement territorial (SDT) a autorisé la transformation du bâtiment ECA n° --- situé sur la parcelle n° 692 de la commune de U.________, propriété de A.________ SA (société principalement active dans la culture maraîchère). Le bâtiment, construit en 1955 et situé en zone agricole, était destiné au logement des employés agricoles, sur un seul niveau de 85 m² avec des combles bas (2 m sous toiture) servant de galetas; il comportait une petite annexe en bois accolée au corps principal. La constructrice désirait affecter le bâtiment au logement d'un fils de l'un de ses administrateurs, qui travaillait sur l'exploitation. Le projet prévoyait une augmentation de 60% de la surface habitable, sans agrandissement extérieur, ainsi que le maintien pour l'essentiel de l'aspect extérieur (façades en fibrociment jaune imitation briquettes et toiture en fibrociment gris).
Ayant constaté des défauts structurels après désamiantage du bâtiment, la propriétaire a requis sa démolition et sa reconstruction. Le 4 novembre 2013, après mise à l'enquête sans opposition et sur autorisation du SDT, la Municipalité de U.________ a autorisé les travaux moyennant une augmentation de la surface brute de plancher de 60% et le maintien de l'identité du bâtiment.
Lors de la visite effectuée en vue de la délivrance du permis d'habiter, il a été constaté que la toiture était surélevée de 1,2 m par rapport à l'état initial, qu'un avant-toit de 2,55 m de profondeur avait été ajouté sur toute la longueur de la façade sud-est, que les façades étaient en crépis jaune uni (au lieu de fibrociment), que l'annexe ne comportait plus de bois ajouré, que les fenêtres des chambres avaient été agrandies et la terrasse sud-est élargie.
B.
Le 28 juillet 2016, après avoir recueilli les observations de la propriétaire, le SDT a rendu une décision de remise en état portant sur l'annexe sud-est, à recouvrir d'un bardage de bois, la réduction de la terrasse sud-est conformément aux plans approuvés en 2013 et la suppression de l'avant-toit à l'angle sud (let. C). L'agrandissement des fenêtres au 1er étage a été régularisé (let. A), le rehaussement de la toiture et la couverture des façades en crépis jaune ont été tolérés (let. B). Cette décision prévoit encore, sous let. D, une mention au Registre foncier prévoyant qu'en cas de destruction, la surélévation du bâtiment sera interdite et le corps du bâtiment sera réalisé en fibrociment jaune; un délai était imparti au 30 mars 2018 pour procéder à la remise en état.
C.
Par arrêt du 20 juin 2018, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois a admis le recours formé par A.________ SA et a réformé la décision du SDT en ce sens que l'ensemble des travaux mentionnés aux lettres A, B et C de cette décision sont autorisés, la lettre D étant annulée. La cour cantonale a laissé indécise la question de savoir si le logement était conforme à la zone agricole. La reconstruction respectait le potentiel d'extension légal; la surélévation était justifiée par l'ajout d'une isolation, ainsi qu'en prévision du rehaussement de la route longeant la parcelle; il s'agissait de travaux nécessaires à l'usage d'habitation et à un assainissement énergétique; la construction d'origine ne présentait aucun intérêt architectural et la différence de revêtement était minime; il n'y avait pas de raison de conserver le revêtement d'origine en faux semblant et dans un matériau "de sinistre mémoire" (éternit de l'époque); l'uniformisation du bâtiment et de l'annexe permettait une meilleure intégration dans le paysage, la suppression du décrochement inesthétique de la toiture améliorant l'aspect de la construction. Il existait déjà une surface dallée et pavée autour de la maison, de sorte que la réduction de la terrasse ne se justifiait pas. Le bâtiment d'origine n'était pas une maison rurale, mais un baraquement sans identité destiné aux ouvriers agricoles. La reconstruction respectait le volume et le plan du bâtiment d'origine et apportait une amélioration du point de vue esthétique.
D.
Par acte du 22 août 2018, l'Office fédéral du développement territorial ARE forme un recours en matière de droit public par lequel il demande la réforme des décisions cantonales et le rétablissement complet de l'état conforme au droit, subsidiairement le renvoi de la cause au SDT afin qu'il ordonne une remise en état complète.
La cour cantonale renonce à se déterminer et se réfère à son arrêt. Le SDT s'en remet à justice en renvoyant à sa décision. L'intimée A.________ SA conclut au rejet du recours. L'office recourant et le SDT ont déposé des observations complémentaires; l'intimée en a fait de même, persistant dans ses conclusions et demandant la tenue d'une inspection locale.
Considérant en droit :
1.
Le recours est dirigé contre un arrêt rendu en dernière instance cantonale annulant un ordre de remise en état. Il est dès lors en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée.
1.1. La qualité pour recourir de l'Office fédéral du développement territorial découle de l'art. 89 al. 2 LTF en relation avec l'art. 48 al. 4 de l'ordonnance sur l'aménagement du territoire du 28 juillet 2000 (OAT; RS 700.1). Les conditions de légitimation de l'art. 89 al. 1 LTF, en particulier la participation à la procédure devant l'instance précédente (art. 89 al. 1 let. a LTF), ne sont pas applicables au recours des autorités fédérales. C'est pourquoi ces dernières ne sont pas non plus soumises aux restrictions de l'objet du litige dans la procédure cantonale et sont habilitées, dans les limites de leur droit de recours, à déposer des conclusions nouvelles; elles peuvent en particulier requérir une reformatio in peius de la décision de première instance (cf. ATF 136 II 359 consid. 1.2 p. 363; arrêt 1C_61/2018 du 13 août 2018 consid. 1.2 et les références citées), dont le contenu n'est porté à leur connaissance qu'après le jugement de la dernière instance cantonale (cf. art. 1 let. c et art. 2 let. d de l'ordonnance du 8 novembre 2006 concernant la notification des décisions cantonales de dernière instance en matière de droit public [RS 173.110.47]). Il s'ensuit que la conclusion tendant à un rétablissement intégral de l'état conforme au droit est recevable, même si la décision initiale du SDT ne porte que sur une remise en état partielle.
1.2. Pour le surplus, le recours a été déposé dans le délai et les formes utiles, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.
1.3. L'intimée demande la mise sur pied d'une inspection locale afin de constater l'existence de plusieurs domaines agricoles disposant chacun d'un centre d'exploitation dont le chef devrait résider sur place. La nature des travaux et le respect de l'identité du bâtiment pourraient aussi être vérifiés. Comme on le verra, la question de la nécessité de loger sur place a été laissée indécise au cours de la procédure et devra être examinée par la cour cantonale à l'issue d'une instruction complémentaire. A ce stade, une inspection locale ne permettrait pas de contrôler la structure de l'entreprise, ni de vérifier le rôle exact de celui qui entend habiter sur place. S'agissant de l'identité du bâtiment, le dossier contient suffisamment de plans et de photographies pour se prononcer. Une inspection locale ne se justifie donc pas.
2.
Alors que la cour cantonale a laissé la question indécise, l'office recourant soutient en premier lieu que la construction litigieuse ne pouvait être autorisée en tant que construction conforme à l'affectation de la zone agricole. Il relève que le Service cantonal de l'agriculture ne recense aucun bétail sur la parcelle de l'intimée et que la construction ne concernerait pas directement l'exploitation agricole. Le nombre de vaches allaitantes (14 UGB) serait inférieur au nombre nécessaire pour admettre un logement conforme à la zone agricole (soit 25 UGB pour le chef d'exploitation et 50/75 pour un employé agricole). L'intimée relève que le potentiel de détention de bétail dans le rural voisin du bâtiment litigieux a été fixé à 36,75 UGB, ce qui justifierait l'occupation par le responsable de production et chef d'exploitation d'un domaine de plus de 300 ha, qui serait aussi le responsable de la garde d'animaux de rente.
2.1. Selon l'art. 22 al. 2 LAT, une autorisation est délivrée si la construction ou l'installation est conforme à l'affectation de la zone et le terrain est équipé. Selon l'art. 16a LAT, sont conformes à l'affectation de la zone agricole les constructions et installations qui sont nécessaires à l'exploitation agricole ou à l'horticulture productrice (al. 1) et celles qui servent au développement interne d'une exploitation (al. 2). L'art. 34 OAT précise ces conditions: sont notamment conformes à l'affectation de la zone agricole les constructions et installations qui servent à l'exploitation tributaire du sol ou au développement interne (al. 1), ou au logement indispensable à l'entreprise agricole, y compris le logement destiné à la génération qui prend sa retraite (al. 3). Selon l'art. 34 al. 4 OAT, l'autorisation ne peut être délivrée que si la construction ou l'installation est nécessaire à l'exploitation en question (let. a), si aucun intérêt prépondérant ne s'oppose à l'implantation de la construction ou de l'installation à l'endroit prévu (let. b), et s'il est prévisible que l'exploitation pourra subsister à long terme (let. c). La pesée des intérêts exigée à l'art. 34 al. 4 let. b OAT doit se faire à l'aune des buts et principes de l'aménagement du territoire énoncés aux art. 1 et 3 LAT (arrêt 1C_96/2018 du 11 octobre 2018 consid. 3.3.1).
La question de savoir si un logement est nécessaire à l'exploitation doit être résolue sur la base de critères exclusivement objectifs; les simples désirs ou les considérations de commodité sont irrelevants. Il y a notamment lieu de tenir compte du genre et de la taille effective de l'exploitation, de la topographie et de l'environnement économique et des particularités de l'exploitation (ATF 121 II 67 consid. 3a p. 69; arrêt 1C_258/2018 du 11 décembre 2018 consid. 4.3).
2.2. Selon l'arrêt attaqué, l'occupant du logement litigieux est le fils d'un administrateur, actuellement responsable de production et, à bref délai, chef d'exploitation. L'intimée relève que l'exploitation porte sur plus de 300 ha et compte plus de 260 collaborateurs, d'où la nécessité de plusieurs responsables. Elle relève par ailleurs que le potentiel de détention de bétail dans le rural voisin a été défini à 36,75 UGB, de sorte que le seuil de 25 UGB serait dépassé.
S'il n'est pas exclu d'admettre plusieurs responsables pour une entreprise de grande importance, le rôle de l'intéressé doit être défini avec précision afin de déterminer si sa présence sur place est ou non indispensable. La question du nombre d'UGB n'est pas non résolue puisque le nombre de bêtes effectivement constaté sur place lors de l'inspection locale est sensiblement inférieur à celui autorisé, les représentants de la recourante ayant précisé que l'activité principale est la production maraîchère. A ce stade, il n'est donc pas possible de déterminer si la construction litigieuse peut être considérée comme conforme à la zone agricole.
3.
L'office recourant estime par ailleurs qu'une autorisation dérogatoire au sens des art. 24c LAT et 42 al. 1 OAT serait exclue en l'espèce car les travaux effectués (rehaussement de la toiture, création d'un avant-toit, revêtement différent et élargissement de la terrasse) ne respecteraient pas l'identité de la construction, celle-ci étant passée d'un baraquement en bois habitable sur un niveau, à une villa familiale sur deux étages. Les arguments tirés d'une amélioration de l'esthétique ou d'une meilleure intégration seraient sans pertinence. La question de la continuité de l'utilisation au sens de l'art. 2 al. 1 2ème phrase OAT n'aurait pas été élucidée.
3.1. Selon l'art. 24c al. 1 LAT, hors de la zone à bâtir, les constructions et installations qui peuvent être utilisées conformément à leur destination mais qui ne sont plus conformes à l'affectation de la zone bénéficient en principe de la garantie de la situation acquise. L'autorité compétente peut autoriser la rénovation de telles constructions et installations, leur transformation partielle, leur agrandissement mesuré ou leur reconstruction, pour autant que les bâtiments aient été érigés ou transformés légalement (al. 2). Aux termes de l'art. 42 al. 1 OAT, une transformation est considérée comme partielle et un agrandissement est considéré comme mesuré lorsque l'identité de la construction ou de l'installation et de ses abords est respectée pour l'essentiel; tel est le cas lorsque les modifications projetées sauvegardent le volume et l'apparence de la construction et n'ont pas d'effets sensiblement nouveaux du point de vue de l'occupation du sol, de l'équipement et de l'environnement; la transformation doit être d'importance réduite par rapport à l'état existant de la construction (ATF 127 II 215 consid. 3a et 3b p. 218 s.; 123 II 246 consid. 4 p. 261; 118 Ib 497 consid. 3a p. 499 et les arrêts cités). Elle doit en particulier respecter les limites chiffrées fixées par l'art. 42 al. 3 let. a et b OAT.
3.2. Selon l'arrêt attaqué, le bâtiment litigieux était à l'origine un baraquement en bois rudimentaire érigé après la première guerre mondiale pour loger les ouvriers oeuvrant à la construction du canal de la Thièle, puis servant à loger les employés agricoles. Il ne comportait qu'un niveau habitable avec des combles servant de galetas, avec au sud-est une annexe en bois inscrite dans le prolongement du toit. La couverture du corps principal était réalisé en fibrociment jaune simulant de petites briques. Le nouveau bâtiment comporte deux niveaux d'habitation; la toiture a été rehaussée à cet effet de 1,20 m par rapport à l'état initial, et de 40 cm par rapport aux plans initiaux. Le volume de l'annexe en bois a été intégré au bâtiment principal et un avant-toit recouvrant partiellement la terrasse a été ajouté sur tout le côté sud-est. L'ensemble est recouvert de crépi jaune uni. Quelles que soient les explications (d'ordre technique et esthétique) apportées à ces changements, il ressort des photographies au dossier que le nouveau bâtiment se distingue clairement de l'ancien par son volume, son aspect et ses aménagements extérieurs. En lieu et place d'un baraquement pour ouvriers, la constructrice a en définitive érigé une villa familiale, de sorte que la condition du respect de l'identité n'est manifestement pas remplie. Il est indifférent, dans l'application de l'art. 42 al. 1 OAT, que la construction d'origine n'ait pas de qualité particulière et que le bâtiment réalisé soit esthétiquement préférable. Les art. 24c LAT et 42 OAT n'ont en effet pas pour objet d'autoriser n'importe quelle amélioration esthétique des bâtiments, mais visent avant tout le maintien du bâti existant en zone agricole.
4.
Il découle de ce qui précède que l'autorisation dérogatoire accordée par la cour cantonale est contraire au droit fédéral. Le recours doit dès lors être admis sur ce point. L'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la cour cantonale; celle-ci devra examiner, après instruction complémentaire, si une autorisation ordinaire fondée sur l'art. 16a LAT peut être accordée; dans la négative, elle devra déterminer si et dans quelle mesure une remise en état doit être ordonnée. Dans ce cadre, une reformatio in peius de l'ordre de remise en état du SDT n'est pas à exclure.
Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge de l'intimée qui succombe. Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis; l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud pour nouvelle décision au sens des considérants.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge de l'intimée A.________ SA.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Service du développement territorial du canton de Vaud, à la Commune de U.________ et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public.
Lausanne, le 24 septembre 2019
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Chaix
Le Greffier : Kurz