Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
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6B_1003/2019
Arrêt du 16 octobre 2019
Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mmes les Juges fédéraux Denys, Président,
Jacquemoud-Rossari, Oberholzer, Rüedi et Jametti.
Greffier : M. Graa.
Participants à la procédure
Ministère public de la République et canton de Genève,
recourant,
contre
A.________,
représenté par Me Dina Bazarbachi, avocate,
intimé.
Objet
Délit continu; peine pécuniaire,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision, du 15 juillet 2019 (P/12094/2018 AARP/239/2019).
Faits :
A.
Par jugement du 5 mars 2019, le Tribunal de police de la République et canton de Genève a condamné A.________, pour séjour illégal, à une peine privative de liberté de 30 jours.
B.
Par arrêt du 15 juillet 2019, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice genevoise a admis l'appel formé par A.________ contre ce jugement et a réformé celui-ci en ce sens que le prénommé est condamné, pour séjour illégal, à une peine d'une quotité nulle.
La cour cantonale a retenu les faits suivants.
B.a. En Suisse, A.________ a déjà été condamné :
-en 2013, à une peine privative de liberté de cinq mois ainsi qu'à une amende de 200 fr., pour vol, violation de domicile, séjour illégal et contravention à la LStup;
-en 2013, à une peine privative de liberté de 90 jours ainsi qu'à une amende de 300 fr., pour entrée illégale, séjour illégal et contravention à la LStup;
-en 2014, à une peine privative de liberté de trois mois ainsi qu'à une amende de 300 fr., pour activité lucrative sans autorisation, séjour illégal et contravention à la LStup;
-en 2014, à une peine privative de liberté de 10 jours ainsi qu'à une amende de 200 fr., pour séjour illégal et contravention à la LStup;
-en 2015, à une peine pécuniaire de 30 jours-amende ainsi qu'à une amende de 100 fr., pour séjour illégal et contravention à la LStup;
-en 2017, à une peine pécuniaire de 120 jours-amende ainsi qu'à une amende de 200 fr., pour séjour illégal et contravention à la LStup;
-en 2018, à une peine pécuniaire de 30 jours-amende ainsi qu'à une amende de 100 fr., pour séjour illégal, délit et contravention à la LStup.
B.b. Du 6 février au 25 juin 2018, A.________ a continué à séjourner en Suisse sans autorisation, sans être en possession d'un passeport valable et sans disposer de moyens de subsistance.
C.
Le Ministère public de la République et canton de Genève forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 15 juillet 2019, en concluant, avec suite de frais, à sa réforme en ce sens que A.________ est condamné, pour séjour illégal, à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à 30 fr. le jour.
Considérant en droit :
1.
Le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir prononcé une peine d'une quotité nulle à l'encontre de l'intimé.
1.1. Aux termes de l'art. 115 al. 1 let. b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (LEI; RS 142.20 [LEtr jusqu'au 31 décembre 2018]), est puni d'une peine privative de liberté d'un an au plus ou d'une peine pécuniaire quiconque séjourne illégalement en Suisse, notamment après l'expiration de la durée du séjour non soumis à autorisation ou du séjour autorisé.
Cette disposition consacre un délit continu. La condamnation en raison de ce délit opère cependant une césure, de sorte que le fait de perpétuer la situation irrégulière après le jugement constitue un acte indépendant permettant une nouvelle condamnation à raison des faits non couverts par le premier jugement, en conformité avec le principe
ne bis in idem (ATF 135 IV 6 consid. 3.2 p. 9). En vertu du principe de la culpabilité, sur lequel repose le droit pénal, les peines prononcées dans plusieurs procédures pénales en raison de l'effet de césure ne peuvent dépasser la peine maximale prévue par la loi pour l'infraction en question. Pour prononcer une nouvelle condamnation en raison d'un délit continu et pour fixer la peine sans égard à la durée de l'infraction déjà prise en compte dans un jugement antérieur, il faut que l'auteur, après la première condamnation, prenne une nouvelle décision d'agir, indépendante de la première. En l'absence d'une telle décision, et lorsque la situation irrégulière qui doit faire l'objet d'un nouveau jugement procède de la même intention que celle qui a présidé aux faits déjà jugés, la somme des peines prononcées à raison du délit continu doit être adaptée à la culpabilité considérée dans son ensemble et ne pas excéder la peine maximale prévue par la loi (ATF 135 IV 6 consid. 4.2 p. 11; arrêt 6B_118/2017 du 14 juillet 2017 consid. 5.3.2).
1.2. La cour cantonale a tout d'abord exposé que le séjour illégal de l'intimé ne pouvait, compte tenu de la jurisprudence du Tribunal fédéral (cf. en particulier ATF 143 IV 249 consid. 1.9 p. 260 s.), qu'être sanctionné par une peine pécuniaire, à l'exclusion d'une peine privative de liberté.
S'agissant de la quotité de la peine pécuniaire, l'autorité précédente a indiqué qu'au regard des précédentes condamnations de l'intimé, qui représentaient une "quotité totale de 22 mois et 10 jours pour sept condamnations pour, essentiellement, des infractions de séjour illégal", l'intéressé avait déjà été condamné à plus de "180 unités pénales" en raison du délit continu précité. Selon elle, l'intimé ne pouvait donc plus être sanctionné au moyen d'une peine pécuniaire, laquelle ne pouvait excéder 180 jours-amende au regard de l'art. 34 al. 1 1ère phrase CP dans sa teneur à partir du 1er janvier 2018.
1.3. En l'espèce, le recourant ne conteste pas le principe même d'une peine pécuniaire. Il ne conteste pas davantage que, en application de la jurisprudence du Tribunal fédéral précitée - en particulier à défaut d'une nouvelle décision d'agir illicitement de la part de l'intimé depuis ses précédentes condamnations (cf. consid. 1.1 supra) -, la somme des sanctions prononcées à raison du délit continu de séjour illégal ne pouvait excéder la peine maximale prévue par la loi. Ces aspects sont donc acquis à l'intimé.
Il s'agit donc uniquement d'examiner si l'autorité précédente a, à bon droit, considéré qu'elle ne pouvait plus - compte tenu des unités pénales déjà infligées à l'intimé dans le cadre de ses précédentes condamnations - prononcer de nouveaux jours-amende puisque le maximum de 180 unités prévu à l'art. 34 al. 1 1ère phrase CP avait déjà été atteint.
1.4. A cet égard, on ne saurait suivre l'argumentation du recourant. Contrairement à ce qu'affirme ce dernier, la peine menace de l'art. 115 al. 1 LEI n'est pas "d'un an, soit 360 unités pénales". Selon le texte légal, l'auteur de l'infraction peut se voir infliger une peine privative de liberté d'un an au plus ou une peine pécuniaire. Dès lors que l'art. 115 al. 1 LEI ne comporte aucune précision s'agissant du nombre maximal de jours-amende pouvant être prononcé, il convient de se référer à l'art. 34 al. 1 1ère phrase CP afin de déterminer celui-ci.
Cette dernière disposition ne fixe pas un plafond absolu en matière de peine pécuniaire, puisque la limite de 180 jours-amende vaut "sauf disposition contraire". Or, il n'apparaît aucunement, à la lecture de l'art. 115 al. 1 LEI, qu'un nombre supérieur de jours-amende pourrait être prononcé, contrairement à ce qui ressort par exemple de l'art. 305bis ch. 2 al. 1 CP, qui évoque explicitement une peine pécuniaire de 500 jours-amende. Certes, jusqu'à la modification de l'art. 34 al. 1 1ère phrase CP en vigueur depuis le 1er janvier 2018, les peines pécuniaire et privative de liberté maximales prévues à l'art. 115 al. 1 LEI (LEtr à l'époque) étaient de même durée. Rien ne permet toutefois de penser que le législateur aurait, après la réforme de l'art. 34 al. 1 1ère phrase CP, souhaité conserver cette concordance entre les peines. Au contraire, la réforme du droit des sanctions a été adoptée antérieurement à celle de la LEI (cf. RO 2016 1249 et RO 2017 6521), de sorte que le législateur aurait eu le loisir, si telle avait été sa volonté, de fixer à 360 jours-amende le plafond de la peine pécuniaire encourue en cas d'infraction à l'art. 115 al. 1 LEI.
Comme le relève le recourant, avec un délit continu tel que celui reproché à l'intimé sur la base de l'art. 115 al. 1 LEI, une application de l'art. 49 CP n'entrait pas en ligne de compte, cette dernière disposition supposant précisément la commission de plusieurs infractions. Cela ne change cependant rien à l'applicabilité de l'art. 34 al. 1 CP en relation avec l'art. 115 al. 1 LEI en cas de délit continu, l'arrêt publié aux ATF 144 IV 217 - cité par le recourant - n'ayant aucunement réservé cette première disposition aux prononcés de peines complémentaires.
1.5. Au vu de ce qui précède, dès lors que la cour cantonale avait à juger un délit continu et ne pouvait prononcer une sanction excédant la peine maximale prévue par la loi, elle devait se demander - après avoir choisi le genre de la peine - quel était le seuil déterminant et combien d'unités pénales avaient déjà été infligées à l'intimé par le passé en raison dudit délit.
Après avoir choisi de prononcer une peine pécuniaire, l'autorité précédente ne pouvait que constater, comme elle l'a fait, que la peine maximale prévue par la loi était, s'agissant d'une sanction de ce genre, de 180 jours-amende (cf. art. 34 al. 1 1ère phrase CP). On relèvera au demeurant que seule une telle constatation s'accorde avec l'exigence jurisprudentielle en matière d'adaptation de la sanction à la culpabilité du prévenu considérée dans son ensemble (cf. consid. 1.1 supra). On ne voit pas, en effet, pourquoi le prévenu condamné à plusieurs reprises en raison d'un délit continu devrait être sanctionné plus sévèrement - respectivement encourir une peine pécuniaire maximale plus élevée - que s'il faisait l'objet d'une unique condamnation, sa culpabilité globale demeurant identique dans les deux configurations.
La cour cantonale n'a donc aucunement violé le droit fédéral en tenant compte d'un seuil déterminant de 180 jours-amende et non de 360 jours-amende comme le suggère le recourant. Il reste à déterminer si la peine prononcée à l'encontre du recourant était, concrètement, conforme au droit fédéral (cf. consid. 1.6 infra).
1.6. L'autorité précédente a constaté que l'intimé avait, par le passé, fait l'objet de diverses condamnations par lesquelles un total de 22 mois et 10 jours de privation de liberté ou de jours-amende lui avait été infligé, cela essentiellement pour des infractions de séjour illégal. Elle en a conclu que le seuil de 180 unités - déterminant s'agissant du genre de peine envisagé - avait déjà été atteint.
1.6.1. A cet égard, le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir violé son droit d'être entendu, puisque les différentes condamnations antérieures de l'intimé ne concernaient pas exclusivement des infractions de séjour illégal et que l'autorité précédente n'a pas précisément déterminé combien d'unités pénales avaient déjà été infligées à l'intéressé à ce seul titre. Ce grief est, en l'occurrence, sans portée, compte tenu de ce qui suit.
1.6.2. Le recourant soutient, à tort (cf. consid. 1.5 supra), que le plafond de la peine pécuniaire concernant l'ensemble des condamnations relatives au délit continu de séjour illégal devait atteindre 360 jours-amende et non 180 jours-amende. Fondé sur cette prémisse, il affirme que seules 260 unités pénales auraient été infligées à l'intimé pour sanctionner son séjour illégal, ce qui aurait permis à l'autorité précédente de prononcer encore une centaine de jours-amende à cet égard. Or, dès lors que le recourant admet lui-même que le seuil de 180 unités pénales a été atteint, il est sans importance que la cour cantonale n'eût pas établi précisément combien d'entre elles avaient, au regard de l'ensemble des condamnations antérieures, excédé cette limite. Il lui suffisait en effet de constater, comme elle l'a fait, qu'aucun jour-amende supplémentaire ne pouvait être infligé à l'intimé en raison du délit continu de séjour illégal.
1.7. En conséquence, l'autorité précédente pouvait, à bon droit, condamner l'intimé à une peine d'une quotité nulle. Le grief doit être rejeté.
2.
Le recours doit être rejeté. Il peut être statué sans frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). L'intimé, qui n'a pas été invité à se déterminer, ne saurait prétendre à des dépens.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision.
Lausanne, le 16 octobre 2019
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Denys
Le Greffier : Graa