BGer 1C_365/2019 |
BGer 1C_365/2019 vom 05.11.2019 |
1C_365/2019 |
Arrêt du 5 novembre 2019 |
Ire Cour de droit public |
Composition
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MM. les Juges fédéraux Chaix, Président,
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Merkli, Fonjallaz, Kneubühler et Muschietti.
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Greffier : M. Kurz.
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Participants à la procédure
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Patrick Gérard Auderset,
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Patrick L'Eplattenier,
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Flavien Maccabiani,
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tous les trois représentés par Me Freddy Rumo, avocat,
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recourants,
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contre
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Conseil communal de Peseux, case postale 59, 2034 Peseux,
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Chancellerie d'Etat de la République et canton de Neuchâtel, rue de la Collégiale 12, 2000 Neuchâtel,
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Conseil communal de Neuchâtel, Faubourg de l'Hôpital 2, 2000 Neuchâtel.
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Objet
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votation communale (fusion des communes de Peseux, Neuchâtel, Corcelles-Cormondrèche et Valangin),
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recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, Cour de droit public, du 5 juin 2019 (CDP.2019.59-DIV).
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Faits : |
A. Par scrutin du 5 juin 2016, les électeurs de la commune de Peseux ont rejeté les conventions de fusion entre les communes de Corcelles-Cormondrèche, Neuchâtel, Peseux et Valangin (subsidiairement entre les trois premières citées). Cette votation a toutefois été annulée le 7 mai 2018 par le Tribunal fédéral (arrêt 1C_610/2017) et un nouveau scrutin a eu lieu le 25 novembre 2018, à l'issue duquel la fusion a été acceptée par 54,56% des votants. Le 30 novembre 2018, Patrick Auderset, Patrick L'Eplattenier et Flavien Maccabiani ont formé recours et réclamation auprès de la Chancellerie d'Etat du canton de Neuchâtel, se plaignant notamment des irrégularités suivantes: le 29 octobre 2018, un article paru dans un journal local avait informé la population que le guichet social resterait à Peseux en cas de fusion; cette fausse information, destinée à influencer le vote, avait été reprise dans un tout-ménage distribué jusqu'à la votation. Le tout-ménage indiquait également faussement que le Conseil général de Peseux recommandait d'accepter la fusion. Dans un communiqué paru dans la presse locale le 6 novembre 2018, le canton de Neuchâtel avait annoncé un soutien financier de 8,2 millions de francs, ce qui constituait aussi une pression sur l'électorat.
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Par décision du 6 février 2019, la Chancellerie d'Etat a déclaré le recours et la réclamation principalement irrecevables, subsidiairement mal fondés. Selon l'art. 136 al. 1 de la loi cantonale sur les droits politiques (LDP), le recours ou la réclamation devaient être interjetés dans les six jours suivant la découverte des motifs invoqués, mais au plus tard six jours après la publication des résultats de la votation. Or, tous les éléments de fait invoqués par les recourants s'étaient déroulés bien avant le vote; les tous-ménages incriminés avaient été distribués en tout cas avant le 14 novembre 2018, date à laquelle le Conseil communal de Peseux avait condamné ces messages dans un communiqué. Les autres éléments (articles et communiqués de presse, organisation du vote) étaient aussi connus à cette date, de sorte que le recours/réclamation était tardif. La Chancellerie a, à titre subsidiaire, rejeté les griefs invoqués sur le fond.
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B. Par arrêt du 5 juin 2019, la Cour de droit public du Tribunal cantonal neuchâtelois a confirmé cette décision. Le délai de recours de six jours s'appliquait même s'il n'était plus possible de remédier avant la votation aux irrégularités alléguées. En l'occurrence, certaines prétendues irrégularités avaient été réparées (s'agissant du tout-ménage selon lequel le Conseil général était favorable à la fusion); les autres étaient connues le 9 novembre 2018, de sorte que le recours/ réclamation était tardif.
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C. Par acte du 4 juillet 2019, Patrick Auderset, Patrick L'Eplattenier et Flavien Maccabiani forment un recours en matière de droit public par lequel ils demandent, principalement, la constatation de la nullité du scrutin, l'annulation de l'arrêt cantonal et l'annulation du résultat de la votation; subsidiairement, ils concluent au renvoi de la cause à l'instance précédente pour nouvelle décision au sens des considérants.
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La cour cantonale se réfère à son arrêt et conclut au rejet du recours, sans autres observations. La Chancellerie d'Etat se réfère à sa décision et conclut au rejet du recours. Le Conseil communal de Peseux a renoncé à présenter des observations; il a ensuite exprimé des réserves sur la participation des autres conseils communaux à la procédure, en particulier celui de Neuchâtel. Le Conseil communal de Neuchâtel conclut au rejet du recours. Dans leurs écritures ultérieures, les parties persistent dans leurs conclusions.
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Considérant en droit : |
1. Selon l'art. 82 let. c LTF, le Tribunal fédéral connaît des recours concernant le droit de vote des citoyens ainsi que les élections et votations populaires. Cette voie de recours permet en particulier au citoyen de s'en prendre aux actes préparatoires, au processus de vote ainsi qu'au résultat du vote, et dénoncer par ce moyen toute circonstance propre à fausser la manifestation de la volonté des électeurs (arrêt 1C_610/2017 du 7 mai 2018 consid. 1).
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Citoyens actifs de la commune de Peseux, les recourants ont la qualité pour recourir, au sens de l'art. 89 al. 3 LTF. Pour le surplus, interjeté en temps utile contre une décision finale prise en dernière instance cantonale non susceptible de recours devant le Tribunal administratif fédéral, le recours est recevable.
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2. Invoquant l'art. 136 al. 1 LDP, les recourants estiment avoir déposé leur recours/réclamation avant l'expiration du délai de six jours. Ils soutiennent qu'il n'était pas possible d'obtenir une décision à ce sujet avant que la votation n'ait lieu; le citoyen devrait pouvoir réunir dans un même acte l'ensemble des griefs qu'il élève contre la votation lorsque les irrégularités se sont succédées et que c'est l'ensemble de ces vices qui justifie l'annulation du scrutin. Les recourants relèvent ainsi que les tous-ménages contenant un "chantage au guichet social" ou affirmant que le Conseil général de Peseux recommandait d'accepter la fusion auraient été distribués jusqu'au jour du scrutin. Ils estiment que l'art. 136 al. 1 LDP ne serait pas clair et donnerait l'impression que le délai de recours s'étend encore six jours après la votation. On ne saurait, sauf à commettre un formalisme excessif, exiger du citoyen qu'il réagisse immédiatement et s'entoure d'avis d'experts avant de réagir à des irrégularités complexes.
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2.1. Saisi d'un recours pour violation des droits politiques, le Tribunal fédéral revoit librement l'interprétation et l'application du droit fédéral et du droit constitutionnel cantonal, ainsi que des dispositions de rang inférieur qui sont étroitement liées au droit de vote ou en précisent le contenu et l'étendue. Il n'examine en revanche que sous l'angle restreint de l'arbitraire l'application de normes de procédure et d'organisation qui ne touchent pas au contenu même des droits politiques (ATF 141 I 221 consid. 3.1 p. 224 et les réf. cit.). Tel est le cas de l'art. 136 al. 1 LDP, dont la teneur est la suivante:
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Le recours ou la réclamation à la chancellerie d'Etat doivent être interjetés dans les six jours qui suivent la découverte des motifs du recours ou de la réclamation mais au plus tard six jours après la publication des résultats de la votation ou de l'élection.
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Les recourants ne prétendent nullement que l'application de cette disposition par la Chancellerie d'Etat, puis par la cour cantonale, serait arbitraire. Ils se contentent de faire valoir, de manière appellatoire, leur propre interprétation de cette disposition, ce qui ne constitue pas une motivation recevable au sens de l'art. 106 al. 2 LTF qui pose des exigences accrues dans ce domaine (ATF 145 I 26 consid. 1.3 p. 30).
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L'interprétation de la cour cantonale ne saurait quoi qu'il en soit être considérée comme arbitraire: les irrégularités découvertes avant le scrutin doivent être invoquées immédiatement afin de permettre de réparer le vice et d'éviter un nouveau vote (ATF 140 I 338 consid. 4.4 p. 341; arrêt 1C_389/2018 du 8 août 2019 consid. 3 destiné à la publication). Tel est le sens de la première phrase de l'art. 136 al. 1 LDP (que l'on retrouve en droit fédéral à l'art. 77 al. 2 LDP), laquelle n'aurait plus aucune portée si l'on admettait dans tous les cas un délai de recours supplémentaire après la proclamation des résultats.
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Cela étant, les recourants ne contestent pas le moment auquel les diverses irrégularités dénoncées ont été découvertes: le communiqué de presse concernant le maintien du guichet social a été publié fin octobre 2018; celui du canton de Neuchâtel date du 6 novembre 2018; le tout-ménage faisant état d'une recommandation du Conseil général avait forcément été distribué avant le 14 novembre 2018, date du démenti officiel. Le fait que les tous-ménages aient été distribués jusqu'au moment du scrutin et que le vote par correspondance ou par Internet ait déjà commencé, ne change rien à la date de la prise de connaissance, seule déterminante selon le droit cantonal pour fixer le dies a quo du délai. Les recourants soutiennent que la cour cantonale serait restée muette s'agissant des irrégularités dans le choix du mode de scrutin; l'arrêt attaqué relève toutefois pertinemment que le mode de scrutin était connu lors de l'envoi du matériel de vote au plus tard trois semaines avant la votation, considération qui vaut pour tous les griefs soulevés par les recourants à ce sujet. L'ensemble des griefs que les recourants entendaient faire valoir à l'encontre de la votation pouvaient donc faire l'objet d'un recours ou d'une réclamation avant celle-ci.
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A supposer donc qu'un grief d'arbitraire ait été soulevé et suffisamment motivé, il devrait être écarté.
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2.2. Les recourants se plaignent en vain d'un formalisme excessif. En effet, l'irrecevabilité qui sanctionne l'inobservation d'un délai de recours n'est pas constitutive d'un formalisme excessif prohibé par l'art. 29 al. 1 Cst. Une stricte application des règles relatives aux délais est justifiée par des motifs d'égalité de traitement et par un intérêt public lié à une bonne administration de la justice et à la sécurité du droit (cf. ATF 125 V 65 consid. 1 p. 66; arrêt 1C_158/2018 du 4 juillet 2018 consid. 4). En matière de droits politiques, la brièveté des délais et la nécessité de leur stricte application se justifient également afin de permettre que les irrégularités puissent être si possible corrigées avant la votation en cause (ATF 121 I 1 consid. 2 p. 3). Le principe de la bonne foi empêche lui aussi que le citoyen attende l'issue de la votation pour se plaindre d'une irrégularité (BÉNÉDICTE TORNAY, La démocratie directe saisie par le juge, Genève 2008, pp 28, 36).
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3. La démarche des recourants ayant été à juste titre déclarée irrecevable, le recours est rejeté sans qu'il y ait lieu d'examiner les arguments soulevés sur le fond; la cour cantonale n'avait pas non plus à le faire, de sorte que le grief de déni de justice doit être écarté. Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge des recourants. Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce : |
1. Le recours est rejeté.
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2. Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge des recourants. Il n'est pas alloué de dépens.
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3. Le présent arrêt est communiqué au mandataire des recourants, au Conseil communal de Peseux, à la Chancellerie d'Etat de la République et canton de Neuchâtel, au Conseil communal de Neuchâtel et au Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, Cour de droit public.
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Lausanne, le 5 novembre 2019
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Au nom de la Ire Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Président : Chaix
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Le Greffier : Kurz
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