Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
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1B_280/2019
Arrêt du 6 novembre 2019
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Chaix, Président,
Kneubühler et Muschietti.
Greffière : Mme Kropf.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Michaël Aymon, avocat,
recourant,
contre
Ministère public de l'arrondissement de Lausanne.
Objet
Procédure pénale; récusation d'inspecteurs de police,
recours contre l'arrêt de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 30 avril 2019 (348 PE18.002547-MRN).
Faits :
A.
Le Ministère public de l'arrondissement de Lausanne instruit une enquête contre A.________ notamment pour assassinat, subsidiairement meurtre. Il lui est reproché d'avoir, le 7 février 2018, à F.________, causé la mort de B.________ en le poignardant à plusieurs reprises au moyen d'un couteau. Ce même jour, le prévenu a été placé en détention provisoire.
Dès le début de la procédure, A.________ a été assisté par une mandataire professionnelle, désignée formellement en tant que défenseur d'office le 9 février 2018. Le 6 juillet 2018, cette avocate a été relevée de sa mission, le prévenu ayant désigné un défenseur de choix en la personne de Me Michaël Aymon. Ce dernier a été nommé défenseur d'office le 6 mars 2019.
Le 7 février 2018, A.________ a été entendu par l'inspecteur principal adjoint C.________, alors assisté de l'inspecteur D.________ qui fonctionnait comme greffier. Le 21 [recte 26] suivant, l'inspecteur C.________ a à nouveau procédé à l'audition du prévenu, avec l'inspecteur E.________ en tant que greffier. Lors de ces deux séances, le prévenu était assisté par son avocate d'office et n'a pas requis la présence d'un traducteur.
B.
Par requête du 1er avril 2019 adressée au Ministère public, le prévenu a sollicité la récusation des trois inspecteurs précités, l'annulation des auditions menées par la police les 7 et 26 février 2018 et la répétition de ces actes. A l'appui de sa demande, A.________ a relevé la passivité de sa précédente mandataire alors qu'il était "malmené" par les policiers; ceux-ci auraient également profité de sa méconnaissance du français et de l'absence d'interprète pour rédiger les procès-verbaux d'audition en lui prêtant des propos qu'il n'aurait pas tenus. Lorsque le requérant s'en était rendu compte, il avait immédiatement changé d'avocat et avait corrigé ses déclarations lors de l'audition du 26 mars 2019 devant le Ministère public; c'était à partir de cette séance que les motifs de récusation à l'encontre des enquêteurs étaient apparus.
Par ordonnance du 5 avril 2019, le Ministère public a rejeté cette requête. Le recours formé le 18 avril 2019 par A.________ contre cette décision a été rejeté le 30 suivant par la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois.
C.
Par acte du 5 juin 2019, A.________ forme un recours en matière pénale contre cet arrêt, concluant à son annulation. Il demande en substance la récusation des inspecteurs E.________, C.________ et D.________ dans la procédure PE18.002547, la désignation d'autres inspecteurs par la direction de la procédure, l'annulation de tous les actes auxquels les trois précités ont participé, respectivement leur répétition par les nouveaux inspecteurs ou par le Ministère public. A titre subsidiaire, il demande le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision. Le recourant sollicite l'octroi de l'assistance judiciaire.
Le Ministère public a conclu au rejet du recours, sans former d'observations et en se référant à la décision attaquée. Quant à la cour cantonale, elle a renoncé à se déterminer, renvoyant à ses considérants; elle a transmis le dossier de la cause.
Par courrier du 2 juillet 2019, il n'a pas été donné suite à la requête téléphonique de l'avocat du recourant tendant à l'obtention de la pièce 302.
Considérant en droit :
1.
Lorsqu'un motif de récusation au sens de l'art. 56 let. a ou f CPP est invoqué ou qu'une personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale s'oppose à la demande de récusation d'une partie qui se fonde sur l'un des motifs énumérés à l'art. 56 let. b à e CPP, le litige est tranché sans administration supplémentaire de preuves et définitivement par le ministère public lorsque la police est concernée (art. 59 al. 1 let. a CPP). Il découle donc de la loi que, dans une telle situation, le recours en matière pénale est ouvert directement au Tribunal fédéral (art. 380 CPP et 80 al. 2 in fine LTF; ATF 138 IV 222 consid. 1.1 et 1.2 p. 223 s.).
Indépendamment des voies de droit indiquées - de manière erronée - dans l'ordonnance du Ministère public, la Chambre des recours pénale, certes autorité de recours au sens de l'art. 393 al. 1 let. a CPP (cf. art. 20 CPP, 13 al. 1 de la loi vaudoise du 19 mai 2009 d'introduction du Code de procédure pénale suisse [LVCPP; RS/VD 312.01] et 80 al. 1 let. b de la loi vaudoise du 12 décembre 1979 d'organisation judiciaire [LOJV; RS/VD 173.01]), ne pouvait donc se déclarer compétente vu la matière en cause - récusation de policiers - et statuer sur le recours formé le 18 avril 2019 par le recourant contre l'ordonnance du 5 avril 2019 rendue par le Ministère public. Il lui appartenait en conséquence de transmettre cet acte à l'autorité compétente (art. 91 al. 4 CPP et 48 al. 3 LTF), soit en l'occurrence au Tribunal fédéral.
Partant, faute de compétence matérielle de l'autorité précédente, il y a lieu de constater la nullité de la décision attaquée (ATF 145 IV 197 consid. 1.3.2 p. 201; 144 IV 362 consid. 1.4.3 p. 367 s.).
2.
Dès lors que le recours en matière pénale est en revanche ouvert contre l'ordonnance du 5 avril 2019 ( art. 59 al. 1 let. a, 380 CPP , 78, 80 al. 2, 92 al. 1 LTF; ATF 138 IV 222), il se justifie, eu égard aux principes d'économie de procédure et de célérité (cf. art. 5 al. 2 CPP), d'examiner si le recours formé le 18 avril 2019 par le recourant à l'encontre de cette décision est recevable.
Ce mémoire de recours a été déposé en temps utile (art. 46 al. 1 let. a, 48 al. 3 et 100 al. 1 LTF) et le recourant, requérant dont la demande a été déclarée tardive, dispose d'un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de cette ordonnance (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF). Dans la mesure cependant où la requête de récusation a été écartée en raison de son dépôt prétendument tardif - soit une question de recevabilité -, seule cette problématique peut être portée devant le Tribunal fédéral, à l'exclusion des griefs soulevés au fond, à savoir les motifs de récusation; l'ordonnance entreprise ne fait d'ailleurs état d'aucune motivation permettant de comprendre pourquoi les griefs soulevés au fond n'auraient pas été établis. Dans ces limites, il y a lieu d'entrer en matière.
3.
Le motif - d'ordre formel (dépôt tardif) - retenu par le Ministère public permet à lui seul d'écarter la requête de récusation. L'éventuelle violation du droit d'être entendu soulevée en lien avec le défaut de prise de position des policiers concernés (art. 58 al. 2 CPP; sur cette problématique ATF 138 IV 222 consid. 2.1 p. 224) - attendue en principe sur le fond de la cause - ne paraît ainsi, à ce stade, pas avoir influencé la procédure (ATF 143 IV 380 consid. 1.4.1 p. 386). Toujours en raison de cette motivation, le renvoi de la cause pour réparer cet éventuel vice semble également constituer une vaine formalité procédurale et aboutirait à un allongement de la procédure qui serait incompatible avec l'intérêt de la partie concernée - le recourant étant de plus détenu - à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 p. 226 s. et les arrêts cités). Ce grief peut donc être écarté. En tout état de cause, il n'a été soulevé que pour la première fois dans l'acte du 5 juin 2019.
4.
Le recourant reproche au Ministère public d'avoir considéré que sa demande de récusation du 1er avril 2019 aurait été formée tardivement.
4.1. Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c'est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation (arrêt 1B_307/2019 du 2 août 2019 consid. 3.1 et l'arrêt cité), sous peine de déchéance (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3 p. 275 et les arrêts cités). Il est en effet contraire aux règles de la bonne foi de garder ce moyen en réserve pour ne l'invoquer qu'en cas d'issue défavorable ou lorsque l'intéressé se serait rendu compte que l'instruction ne suivait pas le cours désiré (ATF 143 V 66 consid. 4.3 p. 69; 139 III 120 consid. 3.2.1 p. 124).
En matière pénale, est irrecevable pour cause de tardiveté la demande de récusation déposée trois mois, deux mois ou même vingt jours après avoir pris connaissance du motif de récusation. En revanche, n'est pas tardive la requête formée après une période de six ou sept jours, soit dans les jours qui suivent la connaissance du motif de récusation (arrêts 1B_149/2019 du 3 septembre 2019 consid. 2.3; 1B_22/2019 du 17 avril 2019 consid. 3.2; 1B_72/2019 du 2 avril 2019 consid. 5).
4.2. Le Ministère public a considéré que le recourant était assisté de Me Michaël Aymon depuis le 20 juin 2018; ce dernier avait reçu en consultation le dossier de la cause le 21 juin 2018 et l'avait retourné le lendemain. Selon la Procureure, le recourant avait demandé à pouvoir bénéficier d'un interprète dès le troisième des six entretiens avec les experts psychiatres, soit pour ceux ayant eu lieu entre le 24 septembre et le 6 novembre 2018; lors de son audition du 26 mars 2019, le recourant avait expliqué avoir formulé une telle demande parce qu'il avait trouvé des erreurs dans les procès-verbaux d'audition et qu'il ne voulait plus que cela arrive (cf. l. 686 ss p. 18 du procès-verbal d'audition du 26 mars 2019). Le Ministère public a dès lors considéré que, "dans l'hypothèse où les motifs invoqués par [le recourant] seraient fondés - ce qui n'[était] pas établi -, ce dernier aurait eu connaissance des motifs au plus tard entre fin juin 2018 et le 24 septembre 2018", la demande de récusation étant ainsi tardive.
4.3. Ce raisonnement ne prête pas le flanc à la critique et le recourant ne développe aucune argumentation propre à le remettre en cause.
Contrairement en effet à ce qu'il soutient, il apparaît que les motifs de récusation soulevés à l'encontre des policiers (prévenu malmené et déstabilisé, déformation de ses propos lors des auditions de février 2018) étaient connus antérieurement à l'audition du 26 mars 2019. A suivre le recourant lui-même, ces "entorses [...] au CPP" avaient justifié le changement d'avocat en juin 2018 (cf. ad 3 p. 3 du mémoire du 18 avril 2019; cf. également ad 6 p. 5 de la demande de récusation). On relève de plus que le recourant ne soutient pas qu'à ce moment-là, son nouveau mandataire aurait ignoré ses motivations pour le consulter, respectivement que ce dernier n'aurait pas eu accès, lors de la consultation du dossier des 21 et 22 juin 2018, aux procès-verbaux litigieux. Le recourant mentionne encore dans son mémoire de recours que c'est "à la demande expresse de" son avocat qu'il a pu bénéficier d'un interprète dès le troisième entretien avec les experts psychiatres (cf. ad 3 p. 3 du mémoire du 18 avril 2019). Il peut ainsi être retenu, sans arbitraire, que les éventuelles difficultés de compréhension du recourant étaient connues de son mandataire antérieurement au 26 mars 2019. Il n'en va pas différemment si on devait suivre le recourant et considérer que tel n'aurait été le cas qu'en date du 30 janvier 2019, soit au moment de la transmission du rapport d'expertise psychiatrique à l'avocat et de sa prise de connaissance des propos tenus par son mandant aux experts notamment en lien avec les auditions par les policiers (cf. ad 4.7 ss p. 7 s. de l'acte du 5 juin 2019 en lien avec les pages 7 s. du rapport d'expertise).
Dans son recours du 18 avril 2019, le recourant reproche encore à l'inspecteur E.________ d'avoir eu un "sourire au coin des lèvres" lors de la séance du 26 mars 2019, attitude qui démontrerait la prévention de ce dernier à son encontre (cf. ad 3 p. 4 de cet acte en lien avec les l. 433 ss p. 12 du procès-verbal de cette séance). Cet élément n'a pas été invoqué dans la requête de récusation, ne pouvant ainsi être reproché au Ministère public de ne pas l'avoir examiné. Tant dans son acte du 18 avril 2019 (cf. ad 3 p. 4) qu'au demeurant dans celui du 5 juin 2019 (cf. ad 4.14 p. 9), le recourant n'invoque aucun établissement arbitraire des faits particulier à cet égard. Il ne développe pas non plus une argumentation claire et précise afin de démontrer que cet événement permettrait de considérer que sa requête aurait été déposée en temps utile. Il s'ensuit qu'en l'absence de constatation sur cette question dans l'ordonnance attaquée, le Tribunal fédéral est lié par l'état de fait retenu dans cette décision (art. 105 al. 1 LTF), à savoir que les motifs de récusation soulevés dans la demande du 1er avril 2019 concernaient les auditions de février 2018.
En tout état de cause, c'est le lieu de rappeler que la voie de la récusation ne constitue pas celle à suivre pour obtenir la modification ou le retrait de déclarations figurant dans des procès-verbaux du dossier prétendument obtenues en violation des droits de procédure.
5.
Il s'ensuit que la nullité de l'arrêt du 30 avril 2019 de la Chambre des recours pénale est constatée.
Le recours formé le 18 avril 2019 contre l'ordonnance du 5 avril 2019 du Ministère public est rejeté dans la mesure où il est recevable. La requête d'effet suspensif est sans objet.
Le recourant obtient en substance gain de cause s'agissant de son recours du 5 juin 2019. Pour ce motif, il sera exceptionnellement statué sans frais judiciaires pour l'ensemble de la cause (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a toutefois pas lieu de lui allouer de dépens, même réduits. Certes, les voies de droit mentionnées dans l'ordonnance du Ministère public étaient erronées et la Chambre des recours pénale aurait dû se déclarer incompétente. Cela étant, le recourant est également assisté d'un mandataire professionnel dont il peut être attendu qu'il connaisse la loi (art. 59 al. 1 let. a CPP en lien avec l'art. 380 CPP) et la jurisprudence publiée en matière de récusation de policiers, respectivement les voies de droit y relatives (cf. en particulier le consid. 1 ci-dessus; ATF 134 III 534 consid. 3.2.3.3 p. 539).
Pour le surplus - soit notamment en lien avec le fond de la cause -, ses requêtes d'assistance judiciaire étaient d'emblée dénuées de chances de succès (art. 64 al. 1 LTF) et peuvent donc être rejetées.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
La nullité de l'arrêt du 30 avril 2019 de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud est constatée.
2.
La requête d'effet suspensif formée dans le recours du 18 avril 2019 est sans objet.
3.
Le recours du 18 avril 2019 contre l'ordonnance du Ministère public de l'arrondissement de Lausanne est rejeté dans la mesure où il est recevable.
4.
Les requêtes d'assistance judiciaire sont rejetées.
5.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires, ni alloué de dépens.
6.
Le présent arrêt est communiqué au recourant, au Ministère public de l'arrondissement de Lausanne et à la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 6 novembre 2019
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Chaix
La Greffière : Kropf