BGer 4A_303/2019 |
BGer 4A_303/2019 vom 21.11.2019 |
4A_303/2019 |
Arrêt du 21 novembre 2019 |
Ire Cour de droit civil |
Composition
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Mmes les juges Kiss, présidente, Klett et Niquille.
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Greffier : M. Thélin.
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Participants à la procédure
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X.________,
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représenté par Me Michel Mitzicos-Giogios,
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demandeur et recourant,
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contre
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Z.________ SA,
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représentée par Me Serge Fasel,
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défenderesse et intimée.
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Objet
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procédure civile; avance de frais
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recours contre l'arrêt rendu le 16 avril 2019 par la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève
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(C/10155/2016 ACJC/609/2019).
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Considérant en fait et en droit : |
1. Le 4 octobre 2016, X.________ a ouvert action contre la société Z.________ SA devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. La défenderesse devait être condamnée à payer 7'171'657 fr.90 en capital.
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2. Le tribunal a invité le demandeur à verser une avance de frais au montant de 80'000 fr. dans un délai venant à échéance le 21 novembre 2016. Le demandeur était averti qu'à défaut de versement dans ce délai, le tribunal n'entrerait pas en matière sur la demande en justice. Saisi d'une demande de prolongation, le tribunal a accordé un « ultime délai » et « délai supplémentaire » au 31 janvier 2017.
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Par écritures du 26 et du 31 janvier 2017, le demandeur a sollicité le tribunal de réduire le montant de l'avance à 40'000 fr. et de suspendre le délai jusqu'à droit connu sur cette nouvelle requête. Le tribunal a derechef imparti un « ultime délai » et « délai supplémentaire » au 31 mars 2017 pour verser le montant de 80'000 francs.
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Par écriture du 23 mars 2017, le demandeur a sollicité le tribunal de reconsidérer le montant de l'avance de frais et de le réduire à 50'000 fr.; subsidiairement, il sollicitait que le versement de la différence de 30'000 fr. fût exigé plus tard au cours de la procédure. Le tribunal a entièrement rejeté cette requête le lendemain 24 mars; le demandeur a reçu notification de cette ordonnance le 29 du même mois.
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3. L'avance de frais devait être versée sur un compte ouvert auprès de la Banque Cantonale de Genève. Suite aux ordres donnés à un établissement bancaire en France, ce compte a été bonifié des montants de 20'000 fr., 30'000 fr. et encore 30'000 fr. de la part du demandeur, respectivement le 7 février, le 27 mars et le 7 avril 2017.
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4. Le 26 avril 2017, le tribunal a transmis la demande en justice à la défenderesse et il lui a imparti un délai pour déposer sa réponse.
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La défenderesse a fait valoir que la demande était irrecevable parce que ce document ne répondait pas aux exigences légales et parce que l'avance de frais n'avait pas été versée dans le délai imparti. Dans un délai accordé à cette fin, le demandeur a déposé une version rectifiée de sa demande en justice.
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Le 16 août 2017, le tribunal a transmis la demande rectifiée à la défenderesse et il lui a imparti un nouveau délai pour déposer sa réponse.
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La défenderesse a requis que le demandeur fût astreint à verser des sûretés en garantie des dépens. Invité à prendre position sur cette requête, le demandeur a conclu à son rejet. Par ordonnance du 23 novembre 2017, le tribunal a invité le demandeur à verser des sûretés en garantie des dépens à hauteur de 80'000 francs.
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Persistant à soutenir que l'avance de frais avait été payée tardivement, la défenderesse a sollicité le tribunal de se prononcer sur la recevabilité de la demande.
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Dans l'intervalle, le demandeur avait interjeté recours contre l'ordonnance relative aux sûretés en garantie des dépens. La Chambre civile de la Cour de justice a ordonné la suspension de la procédure de recours jusqu'à droit connu sur la recevabilité de la demande en justice.
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Le tribunal s'est prononcé le 19 avril 2018; il a déclaré la demande en justice irrecevable en raison du versement tardif de l'avance de frais.
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5. La Chambre civile de la Cour de justice a statué le 16 avril 2019 sur l'appel du demandeur. Elle a réformé le jugement du 19 avril 2018 relativement aux montants des frais et dépens mis à la charge de ce plaideur; pour le surplus, elle a rejeté l'appel.
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6. Agissant par la voie du recours en matière civile, le demandeur saisit le Tribunal fédéral de conclusions profuses qui tendent essentiellement à l'annulation de l'arrêt de la Cour de justice et au renvoi de la cause au Tribunal de première instance pour continuation de la procédure de première instance.
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La défenderesse n'a pas été invitée à répondre au recours.
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7. Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont satisfaites, notamment à raison de la valeur litigieuse; celle-ci correspond aux conclusions de la demande en justice.
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8. Le demandeur ne met pas en doute que le Tribunal de première instance ait exigé le versement d'une avance de frais conformément à l'art. 98 CPC, ni que ce tribunal ait fixé le délai disponible pour ce versement conformément à l'art. 101 al. 1 CPC.
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A teneur de l'art. 101 al. 3 CPC, le tribunal saisi n'entre pas en matière sur la demande en justice si l'avance de frais exigée n'est pas fournie à l'échéance du délai imparti, celui-ci suivi d'un délai supplémentaire.
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Le montant de l'avance de frais était fixé à 80'000 francs. Le demandeur a pourvu en temps utile à deux versements partiels de 50'000 fr. au total.
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Selon ses affirmations, un versement final de 30'000 fr. a été ordonné à un établissement bancaire en France le mercredi 29 mars 2017; l'établissement a exécuté l'ordre le vendredi 31, dernier jour du délai supplémentaire; la Banque Cantonale de Genève a reçu les fonds le lundi 3 avril et elle a bonifié le compte idoine le vendredi 7. Le demandeur ne conteste pas que selon la jurisprudence relative à l'art. 143 al. 3 CPC (arrêt 4A_481/2016 du 6 janvier 2017, consid. 3.1.1 et 3.1.2), la date de l'exécution à l'étranger n'est pas pertinente et que le versement doit être tenu pour accompli le 7 avril, soit après l'échéance du délai.
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9. Le demandeur soutient qu'après avoir introduit sa requête du 23 mars 2017 qui tendait à la reconsidération du montant de l'avance de frais et à sa réduction à 50'000 fr., il pouvait légitimement et de bonne foi attendre la décision du tribunal consécutive à cette requête avant de pourvoir au versement final de 30'000 francs. Il n'a pas reçu notification de l'ordonnance rejetant la requête avant le mercredi 29 mars; ensuite, sans aucun retard, c'est-à-dire ce jour même, l'établissement bancaire en France a reçu l'ordre d'exécuter le versement. Dans ces circonstances, à son avis, le versement doit être tenu pour accompli en temps utile alors même que l'argent n'est parvenu à la banque genevoise qu'après l'échéance du délai.
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Ce raisonnement ne saurait être suivi. Aucune disposition de la loi n'habilite un plaideur à prolonger ni à restituer lui-même ou de son propre fait un délai qui lui est imparti, sans décision correspondante du juge. En l'occurrence, le délai supplémentaire prenait fin le 31 mars; cette échéance n'était pas reportée de plein droit en conséquence de ce que le demandeur présentait une nouvelle requête. Parce que la situation juridique ne présentait à ce sujet aucune équivoque, le demandeur ne pouvait pas non plus croire de bonne foi que sa démarche produirait un pareil effet.
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10. Subsidiairement, le demandeur fait valoir que le Tribunal de première instance a transmis la demande en justice à la défenderesse le 26 avril 2017, soit après réception du versement final, et qu'il l'a invitée à déposer sa réponse. Il soutient que le tribunal a par là implicitement admis que l'avance de frais avait été dûment fournie et que la demande était recevable sous cet aspect. Il invoque la protection constitutionnelle de la bonne foi garantie par l'art. 9 Cst., à son avis violée par le jugement d'irrecevabilité du 19 avril 2018.
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L'art. 124 al. 1 et 2 CPC attribue la conduite du procès au tribunal ou au juge délégué. Selon la jurisprudence, le tribunal ou le juge délégué jouit d'un large pouvoir d'appréciation dans l'accomplissement de cette tâche et il lui est notamment loisible, s'il l'estime opportun, de transmettre la demande en justice à la partie défenderesse et d'inviter cette partie à déposer sa réponse alors que l'avance de frais exigée n'est pas encore versée et que le délai disponible n'est pas encore échu (arrêt 4A_29/2014 du 7 mai 2014, consid. 4.1 à 4.3). Certes, selon un arrêt plus récent, le juge est au contraire « tenu d'effectuer d'office certaines opérations préliminaires, parmi lesquelles le règlement de questions de frais, avant de procéder à la notification de la demande » (arrêt 5A_328/2016 du 30 janvier 2017, consid. 3.2). L'interprétation des dispositions légales déterminantes n'est cependant pas discutée dans cet arrêt de 2017 et l'arrêt de 2014 n'y est pas mentionné, alors qu'il reposait, lui, sur une discussion approfondie. Il convient donc de s'en tenir à l'interprétation consacrée par cet arrêt-ci, en ce sens que la demande en justice peut être transmise déjà avant le versement de l'avance de frais exigée de son auteur. Il s'ensuit que la transmission de la demande n'a pas pour effet de dispenser le demandeur de fournir une avance de frais, d'observer le délai imparti à cette fin et de se conformer aux modalités prescrites.
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La présente affaire est néanmoins singulière. Lorsque le Tribunal de première instance a transmis la demande en justice, l'avance de frais était versée mais versée tardivement, et le tribunal était par conséquent en mesure de clore aussitôt la procédure par un jugement d'irrecevabilité. La transmission de la demande et les actes ultérieurs du procès semblent ainsi inutiles mais le jugement d'irrecevabilité enfin intervenu le 19 avril 2018, fondé sur l'art. 101 al. 3 CPC, n'en est pas moins valable au regard de cette disposition. Il est aussi valable au regard de l'art. 9 Cst. Un particulier n'a que dans certaines conditions le droit d'exiger le respect d'expectatives éveillées par des déclarations ou par le comportement d'un organe de l'Etat. Ce droit suppose notamment que le comportement en cause ait déterminé le particulier à prendre des mesures sur lesquelles il ne peut pas revenir sans subir de préjudice (ATF 143 V 341 consid. 5.2.1 p. 346). Or, les actes du tribunal postérieurs au 7 avril 2017, jour de la réception du versement final de 30'000 fr., n'ont évidemment exercé aucune influence sur les démarches du demandeur antérieures à cette date. En particulier, ces actes futurs n'ont pas pu dissuader le demandeur de verser en temps utile la totalité de l'avance de frais exigée.
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11. Egalement invoquée, la garantie d'un procès équitable conférée par l'art. 6 par. 1 CEDH n'exclut pas que l'accès à un tribunal soit subordonné à l'avance des frais judiciaires (CourEDH, décision d'irrecevabilité n° 7164/10 Krajnjanac c. Suisse du 7 février 2017, ch. 24). En l'espèce, le montant exigé était certes important mais le demandeur a joui d'un délai global de plus de quatre mois pour exécuter le versement. Il a aussi été dûment averti des modalités à observer et des conséquences d'un retard. Dans ces conditions, la garantie ci-mentionnée a été dûment observée (voir la même décision, ch. 28).
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12. Le recours en matière civile se révèle privé de fondement, ce qui conduit à son rejet. A titre de partie qui succombe, son auteur doit acquitter l'émolument à percevoir par le Tribunal fédéral. L'adverse partie n'a pas été invitée à répondre et il ne lui sera donc pas alloué de dépens.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce : |
1. Le recours est rejeté.
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2. Le demandeur acquittera un émolument judiciaire de 5'000 francs.
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3. Il n'est pas alloué de dépens.
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4. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève.
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Lausanne, le 21 novembre 2019
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Au nom de la Ire Cour de droit civil
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du Tribunal fédéral suisse
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La présidente : Kiss
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Le greffier : Thélin
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