Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
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1B_43/2020
Arrêt du 14 février 2020
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Chaix, Président,
Fonjallaz et Müller Th.
Greffier : M. Kurz.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Thomas Barth, avocat, Barth & Patek,
recourante,
contre
Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy.
Objet
détention pour des motifs de sûreté,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 9 janvier 2020 (ACPR/26/2020 P/7724/2019).
Faits :
A.
Par acte d'accusation du 20 décembre 2019, le Ministère public du canton de Genève a renvoyé A.________ en jugement devant le Tribunal correctionnel sous les accusations principales d'escroquerie par métier, complicité d'escroquerie, blanchiment et utilisation frauduleuse d'un ordinateur par métier, en raison des trois complexes de faits suivants: entre 2007 et 2010, alors qu'elle occupait un poste d'assistante comptable dans une banque, elle aurait détourné plus de 1'200'000 fr.; elle aurait par ailleurs mis ses comptes bancaires à disposition d'escrocs dans le cadre d'annonces factices sur des sites de vente, pour un total de l'ordre de 12'400 fr.; elle aurait enfin détourné, de janvier 2017 à mai 2018, plus de 123'000 fr. au préjudice de son nouvel employeur.
La prévenue se trouve en détention provisoire depuis le 9 avril 2019 en raison du risque de réitération. Celui-ci a été confirmé par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 25 octobre 2019 (1B_480/2019) : la prévenue avait commis de nouvelles infractions alors qu'une procédure pénale était déjà en cours pour des agissements semblables; selon l'expertise psychiatrique, une psychothérapie d'au moins une année en milieu fermé serait nécessaire pour apporter les changements dans le fonctionnement psychique de l'intéressée.
B.
Par ordonnance du 23 décembre 2019, le Tribunal des mesures de contrainte a prononcé la mise en détention pour des motifs de sûreté jusqu'au 23 mars 2020, en raison des risques de fuite et de réitération.
Par arrêt du 9 janvier 2020, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise a rejeté le recours formé par A.________, se référant à ses précédents arrêts et considérant que la situation n'avait pas évolué; la poursuite de la psychothérapie en ambulatoire ne suffirait pas à pallier le risque de réitération. Le Tribunal fédéral avait considéré que la détention restait proportionnée et la recourante avait été depuis lors renvoyée en jugement, dont la date avait été arrêtée au 20 avril 2020.
C.
A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 9 janvier 2020. Elle conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt et à ce que sa liberté immédiate soit ordonnée, le cas échéant, avec des mesures de substitution telles que la saisie de ses documents d'identité, l'interdiction de se rendre à l'étranger, l'obligation de se présenter une fois par semaine à un poste de police, l'obligation de suivre le traitement psychothérapeutique préconisé par l'expert dans son rapport du 13 août 2019 et l'obligation de trouver du travail hors du secteur financier ou comptable. Subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause devant la Chambre pénale de recours afin qu'elle examine le risque de fuite et les mesures de substitution à la détention provisoire qui devraient être, le cas échéant, prononcées. Elle sollicite en outre le bénéfice de l'assistance judiciaire.
La cour cantonale se réfère à son arrêt, sans observations. Le Ministère public conclut au rejet du recours. La recourante a déposé de nouvelles observations le 4 février 2020, persistant dans ses conclusions.
Considérant en droit :
1.
Le recours en matière pénale (art. 78 al. 1 LTF) est ouvert contre une décision relative à la détention pour des motifs de sûreté au sens des art. 212 ss CPP. Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF, la recourante, prévenue détenue, a qualité pour recourir. Le recours a été formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue par une autorité statuant en tant que dernière instance cantonale (art. 80 LTF) et les conclusions présentées sont recevables au regard de l'art. 107 al. 2 LTF. Il y a donc lieu d'entrer en matière.
2.
Dans un grief soulevé à titre subsidiaire - mais qu'il convient d'examiner en premier puisqu'il concerne les conditions mêmes d'un maintien en détention -, la recourante conteste les risques de réitération et de fuite. Elle nie que la situation soit demeurée inchangée depuis la précédente prolongation en septembre 2019. Elle admet que le traitement psychothérapeutique est nécessaire mais relève qu'elle suit ledit traitement depuis près de 7 mois, ce qui permettrait de faire baisser un risque déjà qualifié de moyen par l'expert. Le traitement pourrait être poursuivi en ambulatoire et elle bénéficierait du soutien de ses proches et de son futur conjoint, lesquels ont pris en charge ses factures afin d'éviter un nouvel endettement. S'agissant du risque de fuite, elle admet qu'elle passait plusieurs nuits par semaine en France chez son fiancé, mais conteste avoir l'intention de s'y installer, toute sa famille résidant en Suisse où elle-même bénéficie de l'assurance-chômage. Eventuellement, des mesures de substitution telles que la saisie des documents d'identité, l'interdiction de se rendre à l'étranger, l'obligation de se présenter une fois par semaine à un poste de police genevois, l'obligation de suivre le traitement psychothérapeutique ainsi que l'obligation de trouver du travail hors du secteur financier ou comptable, permettraient de supprimer les éventuels risques de réitération et de fuite.
2.1. Pour admettre un risque de récidive au sens de l'art. 221 al. 1 let. c CPP, les infractions redoutées, tout comme les antécédents, doivent être des crimes ou des délits graves, au premier chef les délits de violence (ATF 143 IV 9 consid. 2.3.1 p. 13 et les références). Plus l'infraction et la mise en danger sont graves, moins les exigences sont élevées quant au risque de réitération. Il demeure qu'en principe le risque de récidive ne doit être admis qu'avec retenue comme motif de détention. Dès lors, un pronostic défavorable est nécessaire pour admettre l'existence d'un tel risque (ATF 143 IV 9 consid. 2.9 p. 17). Pour établir le pronostic de récidive, les critères déterminants sont la fréquence et l'intensité des infractions poursuivies. Cette évaluation doit prendre en compte une éventuelle tendance à l'aggravation telle qu'une intensification de l'activité délictuelle, une escalade de la violence ou une augmentation de la fréquence des agissements. Les caractéristiques personnelles du prévenu doivent en outre être évaluées (ATF 143 IV 9 consid. 2.3.2 p. 13; 137 IV 84 consid. 3.2 p. 86; arrêt 1B_413/2019 du 11 septembre 2019 consid. 3.1).
S'agissant des infractions contre le patrimoine, si celles-ci perturbent la vie en société en portant atteinte à la propriété, le cas échéant de manière violente, elles ne mettent cependant pas systématiquement en danger l'intégrité physique ou psychique des victimes. En présence de telles infractions, une détention n'est ainsi justifiée à raison du risque de récidive que lorsque l'on est en présence d'infractions particulièrement graves (ATF 143 IV 9 consid. 2.7 p. 15; arrêts 1B_6/2020 du 29 janvier 2020 destiné à la publication; 1B_11/2020 du 23 janvier 2020; 1B_595/2019 du 10 janvier 2020 consid. 4; 1B_470/2019 du 16 octobre 2019 consid. 2.2; 1B_32/2017 du 4 mai 2017 consid. 3.3.5; 1B_247/2016 du 27 juillet 2016 consid. 2.2).
2.2. La recourante ne conteste pas avoir détourné, entre 2007 et 2018, des sommes importantes au préjudice de deux de ses employeurs, ainsi que, par un procédé astucieux, de clients d'un site de vente en ligne. Le montant du dommage s'élèverait ainsi à plus de 1,3 millions de francs, la circonstance aggravante du métier étant retenue dans l'acte d'accusation. L'expert psychiatre fait état d'un trouble de la personnalité de type dépendant avec une responsabilité faiblement restreinte. Il estime que les traits de personnalité impliqués sont des aspects difficilement modifiables, mais que la crainte d'une sanction peut constituer un facteur inhibiteur. Le risque de récidive est ainsi qualifié de moyen. Une psychothérapie cognitive et comportementale ambulatoire était susceptible de diminuer ce risque, l'intéressée étant prête à se soumettre à un tel traitement. L'expert relève la difficulté à prévoir l'efficacité du traitement ainsi que la durée nécessaire; il estime toutefois qu'un an au moins serait nécessaire pour que des changements dans le fonctionnement psychique apparaissent.
Si elles portent sur des montants importants, les infractions reprochées ont été commises au préjudice d'employeurs (une banque et une entreprise qui n'ont pas connu de difficultés insurmontables en raison de ces agissements), ainsi que des particuliers, pour des montants toutefois moins importants. Aucun acte de violence n'a été commis et on ne dénote pas d'aggravation quant à la fréquence ou la gravité des agissements délictueux. En outre, depuis l'arrêt du 25 octobre 2019, la recourante a passé encore trois mois et demi en détention; elle y suit selon ses dires le traitement préconisé par l'expert, bien qu'elle ait dû changer de thérapeute, la précédente psychologue n'exerçant plus à la prison. L'on se rapproche dès lors davantage de la période minimum d'une année de traitement fixée par l'expert. Cela étant, la recourante fait état d'autres circonstances dont les instances précédentes n'ont apparemment pas tenu compte: sa faillite personnelle a été prononcée début 2019 et ses proches (soit son fiancé et sa mère) auraient pris en charge l'entier de ses factures, de sorte que les problèmes financiers qui seraient à la base de ses agissements auraient disparu. Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, le risque de récidive peut être considéré comme encore juste suffisant pour justifier le maintien en détention. Comme on le verra, les mesures de substitution peuvent toutefois constituer des garanties adéquates dans le cas particulier.
2.3. S'agissant du risque de fuite retenu dans la décision du Tmc du 23 décembre 2019, il n'est retenu ni dans l'arrêt du 25 octobre 2019, ni dans la décision attaquée. La recourante le conteste en relevant que si elle a déclaré passer plusieurs nuits par semaine chez son fiancé en France, elle ne désire pas s'y installer mais trouver un domicile commun dans la région de Satigny où l'offre est suffisante; elle pourrait en attendant s'installer chez son fils qui dispose d'un appartement à La Plaine et où la recourante a gardé ses affaires. De nationalité suisse, la recourante a ses attaches, soit sa mère, l'un de ses fils et son petit-fils en Suisse. Elle a travaillé à Genève et allègue avoir droit à des allocations de chômage. Son fiancé travaille dans le canton de Genève et envisage de s'y installer. Dans ces circonstances, le risque de fuite apparaît limité et peut lui aussi être prévenu par des mesures de substitution.
3.
A teneur de l'art. 197 al. 1 CPP, les mesures de contrainte ne peuvent en particulier être ordonnées que si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d). Le principe de proportionnalité implique donc que la détention provisoire doit être en adéquation avec la gravité de l'infraction commise et la sanction prévisible (ATF 142 IV 389 consid. 4.1 p. 395). La détention avant jugement ne doit en outre pas durer plus longtemps que la peine privative de liberté prévisible (art. 212 al. 3 CPP).
Le principe de proportionnalité impose également d'examiner les possibilités de mettre en oeuvre d'autres solutions moins dommageables que la détention (règle de la nécessité; cf. art. 36 Cst. et 212 al. 2 let. c CPP). Cette exigence est concrétisée par l'art. 237 al. 1 CPP, qui prévoit que le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention si ces mesures permettent d'atteindre le même but que la détention. Selon l'art. 237 al. 2 CPP, font notamment partie des mesures de substitution la fourniture de sûretés (let. a), la saisie des documents d'identité et autres documents officiels (let. b), l'assignation à résidence ou l'interdiction de se rendre dans un certain lieu ou un certain immeuble (let. c), l'obligation de se présenter régulièrement à un service administratif (let. d), l'obligation d'avoir un travail régulier (let. e), l'obligation de se soumettre à un traitement médical ou à des contrôles (let. f) et/ou l'interdiction d'entretenir des relations avec certaines personnes (let. g). Cette liste est exemplative et le juge de la détention peut également, le cas échéant, assortir les mesures de substitution de toute condition propre à en garantir l'efficacité (ATF 142 IV 367 consid. 2.1 p. 370).
3.1. Comme cela est relevé ci-dessus, le risque de récidive au sens de l'art. 221 al. 1 let. c CPP, qualifié de moyen, est encore réduit compte tenu du soutien dont bénéficie la recourante et du traitement qu'elle a suivi jusque-là et peut poursuivre ambulatoirement. L'obligation de trouver du travail hors du secteur financier ou comptable apparaît comme une mesure adéquate, susceptible de faire passer le risque de récidive au-dessous d'un seuil acceptable.
S'agissant du risque de fuite, le dépôt des papiers d'identité assorti de l'interdiction de quitter la Suisse avec l'obligation de se présenter à un poste de police selon une fréquence à fixer, constituent également a priori des mesures aptes à réduire suffisamment le risque.
Le prononcé d'une libération assortie de mesures de substitution apparaît d'autant plus justifié en l'espèce que le délai pour prononcer le renvoi en jugement après la fin de l'instruction semble relativement long: alors que la dernière audience remonte au 4 juin 2019 et que l'expertise a été déposée le 13 août 2019, l'acte d'accusation a été rendu le 20 décembre 2019; l'audience de jugement a par ailleurs été fixée quatre mois après le renvoi. Ces délais, sans violer les principes de célérité et de proportionnalité (ce qui justifierait éventuellement un élargissement sans condition), imposent eux aussi un examen attentif de mesures alternatives à la détention.
3.2.
Cela étant, il n'appartient pas au Tribunal fédéral d'ordonner en première instance et sans autre débat les mesures de substitution adéquates dans le cas d'espèce (arrêts 1B_108/2018 du 28 mars 2018 consid. 3.4; 1B_344/2017 du 20 septembre 2017 consid. 5.3). Le Ministère public n'a en effet pas pu s'exprimer sur les mesures préconisées par la recourante, ni en proposer d'autres. Il convient dès lors de renvoyer la cause à l'instance précédente pour qu'elle examine, au regard des considérations précédentes, quelles mesures de substitution sont adéquates pour réduire les risques de récidive et de fuite. Elle devra décider jusqu'à quel point ces mesures doivent être combinées afin d'assurer les meilleures garanties. Il lui appartiendra ainsi de déterminer, cas échéant, le rythme et les modalités d'une éventuelle annonce auprès d'une autorité. La mise en oeuvre d'une surveillance électronique pourrait également être envisagée. Compte tenu des exigences fondées sur l'art. 5 al. 2 CPP et du fait que l'audience de jugement est déjà fixée au 20 avril 2020, l'instance précédente devra statuer à bref délai.
4.
Le recours est par conséquent admis. L'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle procède au sens des considérants. Le recourant, qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un mandataire professionnel, a droit à des dépens à la charge du canton de Genève (art. 68 al. 1 LTF). La demande d'assistance judiciaire est sans objet. Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 64 al. 1 et 66 al. 4 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis; l'arrêt du 9 janvier 2020 de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de Genève est annulé et la cause est renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle rende une nouvelle décision au sens des considérants, à brève échéance.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Une indemnité de dépens, fixée à 2'000 fr., est allouée au mandataire de la recourante, à la charge du canton de Genève.
4.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours.
Lausanne, le 14 février 2020
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Chaix
Le Greffier : Kurz