BGer 6B_1180/2019 |
BGer 6B_1180/2019 vom 17.02.2020 |
6B_1180/2019, 6B_1181/2019 |
Arrêt du 17 février 2020 |
Cour de droit pénal |
Composition
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MM. et Mme les Juges fédéraux Denys, Président, Jacquemoud-Rossari et Muschietti.
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Greffier : M. Vallat.
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Participants à la procédure
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6B_1180/2019
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A.________,
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représenté par Me David Parisod, avocat,
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recourant,
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et
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6B_1181/2019
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B.________,
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représentée par Me Raphaël Brochellaz, avocat,
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recourante,
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contre
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Ministère public central du canton de Vaud,
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intimé.
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Objet
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Indemnité et frais (ordonnance de classement, vol),
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recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours pénale, du 28 août 2019 (n° 706 PE14.016807-SOO).
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Faits : |
A. Le 30 juillet 2014, C.________ a déposé plainte pénale pour vol. Elle a expliqué avoir voulu prendre, le 23 juillet 2014, un billet de 1000 fr. dans l'armoire qui se trouvait dans sa chambre, où elle conservait, dans un sac en tissu, une grosse somme d'argent provenant d'un héritage, soit entre 190'000 et 195'000 fr., répartis dans cinq enveloppes en coupures de 100 et 1000 francs. Elle avait alors constaté qu'il ne restait plus que 15'000 fr. au total. Elle avait vu l'intégralité de cette somme pour la dernière fois le 25 mai 2014. Entre le 25 mai 2014 et le 23 juillet 2014, l'unique personne qui était entrée seule dans sa chambre était A.________, le mari de sa nièce B.________. Les deux prénommés étaient venus la trouver à son domicile; pendant qu'elle discutait avec sa nièce dans la cuisine, le mari de cette dernière avait remis en place un câble de télévision dans la chambre. Les deux intéressés étaient certainement au courant de l'héritage, dès lors que le père de B.________, qui était le frère de la partie plaignante, en avait également touché une part.
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Le 13 août 2014, la police a informé le Ministère public de l'arrondissement de Lausanne que A.________ et B.________, soupçonnés du vol précité de 190'000 fr., avaient été interpellés à la douane de D.________. Ils étaient en partance pour l'Algérie et avaient sur eux, chacun, une somme de 20'000 euros en petites coupures. Selon le rapport de l'Administration fédérale des douanes du 13 août 2014, A.________ dissimulait cette somme dans son slip et B.________ dans son pantalon au niveau de la taille. Le premier avait déclaré vouloir apporter l'argent à un ami à E.________, afin que ce dernier puisse s'acheter un appartement.
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Ensuite de cette interpellation, le 13 août 2014, le Ministère public a décidé d'ouvrir une instruction pénale contre A.________ et B.________ pour vol. Ils ont été appréhendés le même jour et placés en détention provisoire par ordonnances du Tribunal des mesures de contrainte du 15 août 2014, confirmées par deux arrêts de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois, des 21 et 27 août 2014. Ils ont été détenus jusqu'au 5 septembre 2014, soit durant 24 jours.
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Par ordonnance du 8 mars 2019, le Ministère public a classé les procédures pénales dirigées contre B.________ et A.________ pour vol, a levé les séquestres prononcés et ordonné la restitution de 20'000 euros à B.________, respectivement 26 fr. 15, 21'100 euros, 83'150 DZD et 160 TND à A.________, le maintien au dossier d'un CD-rom contenant des données bancaires étant ordonné. Cette décision fixait en outre les indemnités dues aux conseils d'office des deux prévenus, précisant que le remboursement à l'Etat par les bénéficiaires du classement en serait exigible pour autant que leur situation économique le permette. Le ministère public a enfin refusé toute indemnité au sens de l'art. 429 al. 1 let. b et c CPP et mis les frais de la procédure à charge de A.________ (par 13'414 fr. 05) et B.________ (par 14'343 fr. 50).
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B. Par deux arrêts du 28 août 2019, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté, frais à leur charge, les recours interjetés par A.________ et B.________ contre l'ordonnance du 8 mars 2019, qui a été confirmée. Ces deux arrêts fixent, en outre, les indemnités dues aux conseils d'office des parties pour la procédure de deuxième instance, ainsi que le montant des frais et le sort des indemnités dues aux conseils d'office.
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C. Par deux actes du 11 octobre 2019, A.________ et B.________ forment chacun un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre les arrêts cantonaux du 28 août 2019 les concernant respectivement.
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A.________ conclut avec suite de frais et dépens à la réforme de la décision entreprise en ce sens que l'Etat de Vaud soit condamné à lui verser la somme de 11'326 fr. 50 plus intérêts à 5% l'an dès le 13 août 2014 et que les frais de l'enquête soient laissés à la charge de l'Etat. Il requiert, par ailleurs, le bénéfice de l'assistance judiciaire.
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B.________ conclut, avec suite de frais et dépens, principalement, à la réforme de la décision qu'elle entreprend en ce sens que la somme de 20'000 euros lui soit restituée avec un intérêt calculé au taux du marché depuis le 10 octobre 2014, que l'Etat de Vaud soit condamné à lui payer les sommes de 8726 fr. 70 plus intérêt à 5% l'an dès le 5 septembre 2014 (réparation du dommage économique), 6000 fr. plus intérêt à 5% l'an dès le 5 septembre 2014 (indemnité pour tort moral à raison de la détention) et 5000 fr. plus intérêt à 5% l'an dès le 5 septembre 2014 (réparation du tort moral lié à une atteinte persistante à sa santé psychique), acte lui étant donné pour le surplus concernant ses autres prétentions civiles en relation avec la diminution de rentes de vieillesse futures. A titre subsidiaire, elle conclut à l'annulation de la décision entreprise et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants. Elle requiert, par ailleurs, le bénéfice de l'assistance judiciaire.
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D. Invités à présenter des observations sur les deux recours, le ministère public et la cour cantonale y ont renoncé, en se référant aux considérants des décisions entreprises.
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Considérant en droit : |
1. Les deux recours visent des décisions similaires, rendues parallèlement. Ils ont trait au même complexe de faits et posent des questions essentiellement identiques sur le plan juridique. Il y a lieu de joindre les causes et de les traiter en un seul arrêt (art. 24 al. 2 PCF et 71 LTF).
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2. Conformément à l'art. 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l'objet d'une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci. La condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais doit respecter la présomption d'innocence, consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH. Celle-ci interdit de rendre une décision défavorable au prévenu libéré en laissant entendre que ce dernier serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Une condamnation aux frais n'est ainsi admissible que si le prévenu a provoqué l'ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s'il en a entravé le cours. A cet égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en ligne de compte. Pour déterminer si le comportement en cause est propre à justifier l'imputation des frais, le juge peut prendre en considération toute norme de comportement écrite ou non écrite résultant de l'ordre juridique suisse pris dans son ensemble, dans le sens d'une application par analogie des principes découlant de l'art. 41 CO. Le fait reproché doit constituer une violation claire de la norme de comportement. Une condamnation aux frais ne peut se justifier que si, en raison du comportement illicite du prévenu, l'autorité était légitimement en droit d'ouvrir une enquête. Elle est en tout cas exclue lorsque l'autorité est intervenue par excès de zèle, ensuite d'une mauvaise analyse de la situation ou par précipitation. La mise des frais à la charge du prévenu en cas d'acquittement ou de classement de la procédure doit en effet rester l'exception (ATF 144 IV 202 consid. 2.2 p. 204 s. et les références citées).
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Selon l'art. 430 al. 1 let. a CPP, l'autorité pénale peut réduire ou refuser l'indemnité ou la réparation du tort moral prévues par l'art. 429 CPP, lorsque le prévenu a provoqué illicitement et fautivement l'ouverture de la procédure ou a rendu plus difficile la conduite de celle-ci. L'art. 430 al. 1 let. a CPP est le pendant de l'art. 426 al. 2 CPP en matière de frais. La question de l'indemnisation (art. 429 à 434 CPP) doit être traitée après celle des frais (arrêts 6B_565/2019 du 12 juin 2019 consid. 5.1; 6B_373/2019 du 4 juin 2019 consid. 1.2). Dans cette mesure, la décision sur les frais préjuge de la question de l'indemnisation. En d'autres termes, si le prévenu supporte les frais en application de l'art. 426 al. 1 ou 2 CPP, une indemnité est en règle générale exclue, alors que le prévenu y a, en principe, droit si l'Etat supporte les frais de la procédure pénale (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2 p. 211; 137 IV 352 consid. 2.4.2 p. 357).
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2.1. En résumé, la cour cantonale a jugé dans les deux décisions querellées, dans des termes peu ou prou identiques, que les recourants avaient fautivement violé les obligations de renseignement douanières qui leur incombaient en application de l'art. 3 de l'ordonnance du Conseil fédéral sur le contrôle du trafic transfrontière de l'argent liquide du 11 février 2009 (RS 631.052; ci-après: ordonnance sur le contrôle), dès lors qu'ils entendaient traverser la frontière à destination de l'étranger en possession de quelque 20'000 euros chacun. C'est ce comportement illicite et fautif qui avait déclenché l'ouverture de la procédure pénale contre les intéressés.
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2.2. Les recourants contestent qu'un comportement fautif et contraire à une règle juridique puisse leur être reproché, qui soit en rapport de causalité avec l'instruction pénale ouverte contre eux. Leur condamnation aux frais de la procédure pénale et le refus de toute indemnité refléteraient le sentiment qu'ils seraient coupables au mépris de la présomption de leur innocence (art. 32 al. 1 Cst. et art. 6 par 2 CEDH). Le recourant souligne n'avoir jamais été condamné (ni même entendu) pour la violation de l'art. 3 de l'ordonnance sur le contrôle. La violation de cette règle ne pourrait, de toute manière, justifier une enquête pénale, respectivement 24 jours de détention dont 22 dans des conditions illicites. Dans le même sens, la recourante objecte aussi qu'il ne serait pas établi que les conditions permettant de lui imputer une contravention au sens des art. 3 et 5 de l'ordonnance sur le contrôle, respectivement de l'art. 127 LD seraient réalisées; il ne serait pas établi qu'elle aurait refusé de donner suite à une demande de renseignements du bureau des douanes.
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2.2.1. L'ordonnance sur le contrôle du trafic transfrontière de l'argent liquide règle cet aspect du contrôle effectué par l'Administration fédérale des douanes dans la perspective de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme (art. 1 de l'ordonnance sur le contrôle). Conformément à son art. 3, dans le trafic transfrontière, la personne assujettie à l'obligation de renseigner est tenue de fournir à la demande du bureau de douane des renseignements sur sa personne (al. 1 let. a), sur l'importation, l'exportation et le transit d'argent liquide d'un montant d'au moins 10'000 francs ou d'un montant équivalent en monnaie étrangère (al. 1 let. b), sur l'origine et l'utilisation de l'argent liquide (al. 1 let. c) ainsi que sur l'ayant droit économique (al. 1 let. d). On entend par On comprend de ces règles, dans la perspective de l'ordonnance sur le contrôle, que la personne qui achemine ou fait acheminer une somme d'argent supérieure à la limite fixée par l'art. 3 al. 1 let. b de l'ordonnance sur le contrôle vers le territoire douanier étranger au sens de l'art. 21 al. 2 LD n'est tenue à déclarer et renseigner au sens des art. 26 LD et 3 de l'ordonnance sur le contrôle qu'autant qu'une demandeexpresse lui est adressée par les agents des douanes. Le refus de renseigner, sur demande, sur l'exportation d'une somme supérieure à 10'000 fr., respectivement la fourniture de renseignements erronés, constitue une contravention en matière douanière pour autant qu'une négligence grave puisse tout au moins être reprochée à l'intéressé (art. 127 al. 1 LD). Il n'y a donc pas d'obligation générale de conduire les sommes d'argent au bureau de douane et de les déclarer. C'est, du reste, ce qu'indique sans ambiguïté le site internet de l'administration fédérale des douanes: " Vous pouvez acheminer de l'argent liquide sous forme d'espèces, de monnaies étrangères ou de papiers-valeurs (actions, obligations, chèques) sur le territoire suisse ainsi qu'à travers ou en dehors de ce dernier sans être soumis à des restrictions quantitatives ou à l'obligation de déclarer [...] nous nous réservons le droit d'effectuer des contrôles [a]insi, si vous transportez un montant égal ou supérieur à 10 000 francs, vous devez nous fournir les renseignements que nous vous demandon s" (https://www.ezv.admin.ch/ezv/fr/home/infos-pour-particuliers/interdictions--restrictions-et-autorisations/especes--monnaies-etrangeres--papiers-valeurs.html, consulté la dernière fois le 27 janvier 2020).
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2.2.2. La présomption d'innocence garantie par l'art. 32 al. 1 Cst. et par l'art. 6 par. 2 CEDH constitue un élément du procès équitable, soit une garantie de la procédure pénale. Elle signifie, dans une première approche, que toute personne " poursuivie ou accusée d'une infraction " a le droit d'être considérée comme innocente jusqu'à ce qu'elle fasse l'objet d'une condamnation entrée en force. En soi, cette garantie n'impose aucune obligation au juge civil, même appelé à connaître de faits en relation avec une procédure pénale dirigée contre l'une des parties; elle est également étrangère au contentieux administratif et aux procédures disciplinaires, pour peu que ces procédures ne revêtent pas un caractère néanmoins pénal (v. p. ex.: PASCAL MAHON, in Petit commentaire de la Constitution, 2003, no 4 ad art. 32 Cst.; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, Droit constitutionnel II, 3e éd. 2013). L'art. 6 par. 2 CEDH n'offre pas une garantie plus étendue. La norme conventionnelle constitue également une garantie procédurale dans le cadre du procès pénal lui-même, qui vise à empêcher qu'il soit porté atteinte au droit à un procès pénal équitable et interdit, dans cette perspective, l'expression d'opinions " prématurées " quant à la culpabilité d'une personne " accusée d'une infraction ", tant que sa culpabilité n'a pas été légalement établie. A minima, une enquête pénale doit avoir été ouverte si une inculpation formelle n'est pas encore intervenue (v. l'arrêt CEDH
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2.2.3. En l'espèce, la décision querellée s'inscrit bien dans une procédure pénale, à laquelle elle met un terme. Toutefois, cette procédure pénale n'avait pas, en tant que telle, pour objet une contravention douanière, dont la répression est réglée par le DPA et dont la poursuite incombe aux autorités douanières (art. 128 LD), sous réserve d'exceptions qui n'apparaissent pas réalisées en l'espèce (cf. art. 21 DPA). Non seulement la procédure pénale portait exclusivement sur la plainte pour vol, mais la question d'une violation des obligations douanières ne s'est posée qu'ensuite du classement intervenu, en relation avec le sort des frais de la procédure et le refus des indemnités. Le recourant ne peut donc rien déduire des garanties qu'il invoque dans ce contexte. Par ailleurs, eu égard à la date à laquelle les recourants se sont présentés à la frontière (le 13 août 2014) et à la nature de la l'infraction réprimée par l'art. 127 LD (une contravention), on peut exclure avec certitude que la décision entreprise soit de nature à influencer une autre procédure pénale dirigée contre les recourants et ayant pour objet une telle contravention, dont la prescription est manifestement acquise (cf. art. 11 DPA). Le recourant ne peut rien déduire en sa faveur, dans cette perspective non plus, de la garantie de la présomption d'innocence en relation avec l'infraction douanière. Le moyen portant sur la violation des art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH se confond dès lors avec les griefs portant sur l'application des principes rappelés ci-dessus (v. supra consid. 2.) présidant à la répartition des frais et au refus ou à la réduction des indemnités en faveur du prévenu acquitté ou au bénéfice d'un classement.
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3. Il s'agit donc d'examiner si seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, peut entrer en considération. Il apparaît expédient d'examiner d'emblée la question de la causalité.
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3.1. Un comportement est la cause naturelle d'un résultat s'il en constitue l'une des conditions
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Le rapport de causalité est qualifié d'adéquat lorsque, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le comportement était propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit (ATF 138 IV 57 consid. 4.1.3 p. 61 et l'arrêt cité). La causalité adéquate sera admise même si le comportement de l'auteur n'est pas la cause directe ou unique du résultat. Peu importe que le résultat soit dû à d'autres causes, notamment à l'état de la victime, à son comportement ou à celui de tiers (ATF 131 IV 145 consid. 5.2 p. 148). La causalité adéquate peut toutefois être exclue si une autre cause concomitante, par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou d'un tiers, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait s'y attendre. L'imprévisibilité d'un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener et notamment le comportement de l'auteur (ATF 134 IV 255 consid. 4.4.2 p. 265 s. et les arrêts cités). Il s'agit d'une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 138 IV 57 consid. 4.1.3 p. 61 et l'arrêt cité).
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3.2. En l'espèce, la cour cantonale a retenu que le recourant et sa coprévenue avaient voulu passer la frontière avec plus de 40'000 euros, en petites coupures, en cachant cet argent dans leurs vêtements, sans le déclarer spontanément lors du contrôle et sans fournir les renseignements nécessaires. Bien plus, il résultait du rapport établi le 13 août 2013 [recte: 2014] par l'Administration fédérale des douanes que A.________ avait menti, en déclarant vouloir apporter l'argent à un ami de E.________, afin que ce dernier puisse s'acheter un appartement. De ce fait, les prévenus avaient contrevenu à l'obligation de renseigner prévue à l'art. 3 de l'ordonnance sur le contrôle [...]. Les prévenus transportaient un montant supérieur à 10'000 fr. de sorte qu'ils devaient fournir les renseignements requis [...] ils devaient répondre à des questions portant sur l'origine et l'utilisation prévue de l'argent liquide ainsi que sur l'ayant droit économique (propriétaire) de ce dernier. Au vu du contenu de la plainte pénale [...], puis du rapport établi le 13 août 2014 [...] une intervention du ministère public, afin d'élucider les circonstances du comportement litigieux, soit le fait de tenter de soustraire une grosse somme d'argent au contrôle des autorités douanières et fiscales, était justifiée, notamment afin de déterminer si cet argent était de provenance douteuse, respectivement était le butin d'un vol. Le devoir de renseignement d[es] recouran[ts] envers les autorités douanières, découlant de l'ordonnance sur le contrôle du trafic transfrontière de l'argent liquide, constituait ainsi une norme de comportement suffisante sous l'angle des art. 426 al. 2 et 430 al. 1 let. s CPP. Pour répondre au recourant, la cour cantonale a encore ajouté que c'étaient les agissements du 13 août 2014 (et non la plainte) qui avaient motivé la police à interpeller le ministère public qui, le même jour, avait ouvert une instruction pénale contre les prévenus et mis en oeuvre des mesures de contrainte entraînant leur privation de liberté. Il fallait admettre que le comportement litigieux était propre à faire naître, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le soupçon de blanchiment d'argent, soit notamment celui d'une infraction préalable telle que le vol (arrêt entrepris, consid. 2.3 p. 12 s.).
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3.3. Cette motivation ne distingue pas formellement les deux facettes de la causalité, on n'en comprend pas moins que la cour cantonale a considéré comme naturellement causal le comportement des recourants ayant consisté à passer la frontière avec plus de 40'000 euros, en petites coupures, en cachant cet argent dans leurs (sous-) vêtements, sans le déclarer spontanément lors du contrôle et sans fournir les renseignements nécessaires et même à mentir sur l'utilisation projetée de ces montants.
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Toutefois, le comportement causal doit être non seulement fautif, mais illicite. Or, la norme sur laquelle la cour cantonale fonde l'illicéité (art. 3 de l'ordonnance sur le contrôle) pose certes des exigences quant aux renseignements à fournir, sur demande, par quiconque achemine une somme supérieure à 10'000 fr. ou fait acheminer une telle somme vers le territoire douanier étranger (v. supra consid. 2.2.1). Cette règle douanière ne prohibe, en revanche, pas le transport transfrontalier de tels montants en tant que tel, pas plus qu'elle ne prescrit de les transporter de manière ostensible ou même de les déclarer spontanément. Dans la perspective de la causalité naturelle, soit de savoir quelle a été la condition sine qua non de l'ouverture de la procédure pénale, la seule question pertinente se limite, partant, à déterminer ce qui serait advenu si les recourants, contrôlés à la douane à la requête de la police vaudoise au motif qu'ils étaient soupçonnés de vol, avaient, sur demande, annoncé aux fonctionnaires des douanes transporter quelque 40'000 fr., puis exposé, pour en éclairer l'origine, avoir reçu d'une athlète barheini vivant entre l'Ethiopie et Dubaï plusieurs milliers de francs en espèces entre 2009 et 2013, à titre de défraiement pour des services rendus, lors de son passage en Suisse, respectivement avoir économisé sur leurs revenus (relativement restreints selon les informations ressortant du dossier), enfin que les sommes transportées auraient été destinées à construire une maison en Algérie. On peut non seulement douter très sérieusement qu'un tel comportement et de telles explications eûssent empêché, à eux seuls, l'ouverture d'une enquête pénale. Il faut même considérer comme établi que la procédure eût été ouverte. En effet, deux jours plus tard, le Tribunal des mesures de contrainte considérait précisément, pour justifier la détention provisoire des recourants, que ces mêmes explications demeuraient " peu claires ", appréciation encore confirmée par la Chambre des recours pénale vaudoise par deux arrêts du 21 août 2014 (dossier cantonal, onglet " Décisions "). On comprend ainsi que la cour cantonale n'a pas exclusivement pris en considération le comportement strictement illicite et fautif (les éventuelles violations de l'art. 3 de l'ordonnance sur le contrôle), mais a entendu replacer ces comportements dans un contexte plus vaste incluant chronologiquement l'existence des soupçons initiaux ressortant de la plainte, la découverte d'un projet de voyage à l'étranger, ainsi que le fait que l'argent avait été caché dans les vêtements et sous-vêtements des recourants. Cette approche n'est toutefois pas conforme aux principes de droit fédéral rappelés ci-dessus. En effet, la mise à charge des frais du prévenu au bénéfice d'un classement (respectivement le refus d'une indemnité), qui doit demeurer exceptionnelle, suppose une violation claire de la norme de comportement, soit qu'il soit clairement établi que c'est le comportement illicite et fautif - cette double condition portant sur le même comportement - qui pouvait légitimement justifier l'ouverture d'une enquête. Or, les recourants ne peuvent se voir reprocher ni la plainte initiale, qui a fait naître les premiers soupçons, ni les premières investigations policières, dont ils ont tout ignoré. Rien n'indique, par ailleurs, que leur projet de voyage fût illicite et même le projet de traverser la frontière avec d'importantes sommes d'argent ne peut être considéré comme tel, le soupçon de blanchiment du produit d'un vol évoqué par les autorités n'ayant pas été étayé. Si ces différents éléments constituent donc certes un contexte qui a conduit les autorités, de manière compréhensible, à ouvrir formellement une procédure pénale, ils ne peuvent être considérés comme un comportement illicite et fautif, ayant provoqué l'ouverture de la procédure pénale au sens des art. 426 al. 2 et 430 al. 1 CPP et justifier la mise à la charge des intéressés de tous les frais de procédure, respectivement faire obstacle à la responsabilité de l'Etat à raison du dommage lié à la procédure pénale.
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3.4. Au vu de ce qui précède, la décision entreprise viole le droit fédéral. Elle doit être annulée et la cause renvoyée à la cour cantonale afin qu'elle rende une nouvelle décision. Il convient d'ores et déjà d'attirer son attention sur les éléments qui suivent.
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3.4.1. La recourante a conclu, devant les instances cantonales déjà, à ce que la somme séquestrée en ses mains lui soit restituée avec un intérêt calculé au taux du marché depuis le 10 octobre 2014. Dans la décision de classement, le ministère public a rejeté cette demande au motif qu'aucune disposition du CPP ne prévoyait cette possibilité. La cour cantonale ne s'est, quant à elle, pas exprimée sur ce point alors qu'elle était saisie d'une conclusion formelle en ce sens étayée par une motivation. Il lui incombera donc de se prononcer en application de l'ordonnance sur le placement des valeurs patrimoniales séquestrées du 3 décembre 2010 (RS 312.057), qui prescrit notamment, afin que les valeurs séquestrées ne se déprécient pas et qu'elles produisent un rendement (art. 1), que les montants séquestrés excédant 5000 francs placés auprès de la caisse d'Etat d'un canton soient rémunérées conformément au taux du marché (art. 2 al. 1 et 2).
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3.4.2. Par ailleurs, le recourant a invoqué, devant les autorités cantonales déjà, que ses conditions de détention avaient été illicites. Or, la cour cantonale n'a pas abordé cette question ni exposé pourquoi elle n'en faisait rien, cependant que la motivation relative aux art. 426 al. 1 et 430 al. 2 CPP n'est manifestement pas pertinente à cet égard, dès lors que les motifs de refus d'une indemnité afférente à des conditions de détention illicites sont exhaustivement prévus par l'art. 431 al. 3 CPP (v. p. ex.: arrêt 6B_196/2018 du 19 septembre 2018 consid. 3). Il incombera donc à la cour cantonale de se prononcer sur ce point également.
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4. Les recourants obtiennent gain de cause. Ils ne supportent pas de frais (art. 65 al. 2 et 66 al. 1 LTF) mais peuvent prétendre des dépens (art. 68 al. 1 LTF), ce qui rend sans objet leurs demandes d'assistance judiciaire (art. 64 al. 1 LTF).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce : |
1. Les causes 6B_1180/2019 et 6B_1181/2019 sont jointes.
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2. Le recours 6B_1180/2019 est admis et l'arrêt du 28 août 2019 concernant le recourant est annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale afin qu'elle rende une nouvelle décision.
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3. Le recours 6B_1181/2019 est admis et l'arrêt du 28 août 2019 concernant la recourante et annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale afin qu'elle rende une nouvelle décision.
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4. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
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5. L'Etat de Vaud versera en main du conseil de A.________ la somme de 3000 fr. à titre de dépens pour la procédure fédérale.
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6. L'Etat de Vaud versera en main du conseil de B.________ la somme de 3000 fr. à titre de dépens pour la procédure fédérale.
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7. Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours pénale.
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Lausanne, le 17 février 2020
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Au nom de la Cour de droit pénal
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Président : Denys
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Le Greffier : Vallat
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