BGer 2C_1051/2019
 
BGer 2C_1051/2019 vom 28.02.2020
 
2C_1051/2019
 
Arrêt du 28 février 2020
 
IIe Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux, Seiler, Président,
Zünd et Donzallaz
Greffier : M. de Chambrier.
Participants à la procédure
A.________ SA,
représentée par Me Olivier Nicod, avocat,
recourante,
contre
Administration fiscale cantonale du canton de Genève.
Objet
Impôts cantonal et communal et impôt fédéral direct année fiscale 2014,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, 4ème section, du 5 novembre 2019 (ATA/1636/2019).
 
Considérant en fait et en droit :
 
Erwägung 1
1.1. A.________ SA (ci-après : la société) est une société anonyme inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) depuis le 16 mars 2000, dont le siège est dans le canton de Vaud depuis le 30 avril 2019, et était auparavant à C.________, dans le canton de Genève. Elle a pour but statutaire la détention de participations, ainsi que l'activité financière et commerciale. B.________, domicilié depuis 2010 à C.________, est administrateur et salarié de la société. Il a la signature individuelle et détient 90 % de son capital-actions. La société possède par ailleurs l'intégralité du capital-actions de la société française A.________ France SA.
À teneur d'une convention de prestations de services conclue le 5 janvier 2009, la société devait réaliser des prestations commerciales et de gestion financière au profit de sa société A.________ France SA en contrepartie d'une redevance.
1.2. Dans son compte de résultats 2014, la société a inscrit dans ses charges une provision pour risques et litiges à concurrence de 324'911.75 fr.
Sur demandes de l'Administration fiscale du canton de Genève (ci-après : l'Administration cantonale), la société a en substance expliqué que cette provision pour risques et litiges avait été constituée en raison d'une procédure fiscale ouverte par les autorités françaises à l'encontre de B.________. Le fisc français avait imputé à celui-ci les prestations effectuées en 2009 par la société à A.________ France SA et considéré que la rémunération des services en cause était uniquement imposable dans le chef de B.________. Elle risquait selon elle de devoir supporter solidairement les impôts réclamés à ce dernier et, sous un autre angle, de devoir faire face dans ce cadre à un litige prud'homal avec B.________.
2. Par bordereaux datés du 11 novembre 2015, l'Administration cantonale a taxé la société pour l'année 2014 en réintégrant dans son bénéfice la provision susmentionnée à concurrence de 320'408 fr. Malgré les dispositions du droit français, les redressements opérés en lien avec l'activité déployée par B.________ pour la filiale française ne pouvaient selon elle en aucun cas être considérés comme des charges justifiées par l'usage commercial en droit suisse.
Le 11 janvier 2018, l'Administration cantonale a rejeté la réclamation formée par la société contre les décisions précitées. Cette décision sur réclamation a été confirmée sur recours le 24 septembre 2018 par le Tribunal administratif de première instance du canton de Genève (ci-après: le Tribunal administratif de première instance). Par arrêt du 5 novembre 2019, la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a rejeté le recours interjeté par la société contre le jugement précité.
3. A.________ SA dépose un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral contre l'arrêt de la Cour de justice du 5 novembre 2019, en concluant, sous suite de frais et dépens, à la réforme de celui-ci, en ce sens que la provision pour risques et litiges de 320'408 fr. figurant dans sa déclaration d'impôt 2014 est admise au titre des impôts communaux, cantonaux et fédéral pour la période fiscale 2014. Subsidiairement, elle demande l'annulation de cet arrêt et le renvoi de la cause à l'autorité précédente, plus subsidiairement, à l'autorité de première instance, pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
La Cour de justice indique qu'elle n'a aucune observation à formuler sur le recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. L'Administration fiscale se rallie intégralement au contenu de l'arrêt attaqué et conclut au rejet du recours.
4. La présente cause ne tombant pas sous le coup de l'une des exceptions prévues à l'art. 83 LTF, le recours en matière de droit public est ouvert. Les autres conditions de recevabilité sont au demeurant également réunies (cf. art. 42, 82 let. a, 86 al. 1 let. d et al. 2, 89 al. 1, 90, 100 al. 1 LTF, 146 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'impôt fédéral direct [LIFD; RS 642.11] et 73 al. 1 et 2 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes [LHID; RS 642.14]).
5. Le présent litige porte sur l'admissibilité de la provision de 320'408 fr. pour risques et litiges pour la période fiscale 2014, aussi bien en matière d'IFD que d'ICC.
6. Sur le plan fiscal, l'admissibilité d'une provision suppose sur le plan matériel que celle-ci soit justifiée par l'usage commercial et qu'elle respecte le principe de la périodicité de l'impôt, qui impose d'imputer à un exercice donné les produits et les charges qui lui sont propres afin de dégager le résultat qui y trouve son origine (cf. art. 58 al. 1 let. b LIFD a contrario; art. 24 al. 1 let. a LHID; art. 12 let. e et 13 let. e LIPM [RS/GE D 3 15], dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2015; ATF 137 II 353 consid. 6.1 et 6.4.2 p. 361 s.; arrêt 2C_490/2016 du 25 août 2017 consid. 5.2 et les références citées). Seules sont justifiées par l'usage commercial, et partant déductibles fiscalement, les provisions qui sont portées au bilan en vue de couvrir un risque de perte imminent (arrêts 2C_490/2016 du 25 août 2017 consid. 5.2; 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 3.1).
7. Dans un grief de nature formelle, qu'il y a lieu d'examiner en premier lieu (ATF 141 V 557 consid. 3 p. 563), la recourante reproche à la juridiction cantonale d'avoir violé son droit d'être entendue (art. 29 al. 2 Cst.) et d'avoir commis un déni de justice formel en omettant de se prononcer sur son argumentation, qu'elle estime déterminante, concernant le risque lié au droit du travail.
7.1. L'Administration cantonale nie l'existence d'une violation du droit d'être entendu et la commission d'un déni de justice formel. Elle relève que l'argumentation en cause a été prise en compte dans la partie en fait de l'arrêt attaqué et que la motivation de celui-ci est implicite sur ce point, en renvoyant en particulier au considérant 6 de cet arrêt. Elle conteste également l'importance de cette argumentation pour l'issue du litige et considère que le contenu du recours déposé par la recourante auprès du Tribunal fédéral démontre que celle-ci a parfaitement pu se rendre compte de la portée de l'arrêt contesté et l'attaquer en toute connaissance de cause.
7.2. La jurisprudence déduit du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) le devoir pour le juge de motiver sa décision, afin que le justiciable puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et exercer son droit de recours à bon escient. Pour répondre à ces exigences, le juge doit mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 138 IV 81 consid. 2.2 p. 84; 134 I 83 consid. 4.1 p. 88 et les références citées). La motivation peut être implicite et résulter des différents considérants de la décision (arrêt 1C_56/2018 du 25 juillet 2018 consid. 3.1 et les références citées). En revanche, une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. lorsqu'elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre. L'autorité ne doit toutefois pas se prononcer sur tous les moyens des parties; elle peut se limiter aux questions décisives (ATF 142 II 154 consid. 4.2 p. 157; 141 V 557 consid. 3.2.1 p. 565; 137 II 266 consid. 3.2 p. 270; 136 I 229 consid. 5.2 p. 236; arrêt 1C_56/2018 du 25 juillet 2018 consid. 3.1).
7.3. En l'espèce, devant l'instance précédente, la recourante a présenté une double argumentation pour justifier la constitution de la provision en cause. D'une part, elle a expliqué qu'ayant perçu les honoraires pour l'activité exercée par B.________ pour son compte en faveur de sa filiale française, elle était solidairement responsable aux côtés de celui-ci des impôts qui lui étaient réclamés, en vertu de l'art. 155A du Code général des impôts français (ci-après: CGI). D'autre part, elle a fait valoir que l'activité de B.________ étant conforme au droit suisse et valablement effectuée dans le cadre de son contrat de travail, le redressement fiscal effectué par les autorités françaises devait être considéré comme une charge imposée par l'exécution du travail de celui-ci. Selon elle, B.________ avait par conséquent une créance en remboursement envers elle conformément à l'art. 327a CO (RS 220). Ce second risque est subsidiaire par rapport au premier, puisqu'il n'existe que si le fisc français n'a pas recherché la recourante en tant que débiteur solidaire.
La Cour de justice a rejeté le recours après avoir constaté que la provision en cause aurait dû être constituée avant 2014 pour ce qui concerne le risque de devoir solidairement s'acquitter de l'impôt et que, partant, le principe de périodicité n'avait pas été respecté. Elle a en outre nié le caractère commercialement justifié de cette provision sous cet angle. L'autorité précédente ne s'est en revanche pas prononcée sur la seconde argumentation de la recourante concernant le risque lié au droit du travail, y compris implicitement. Pourtant, les faits à l'origine de la provision, ainsi que la période durant laquelle ils se sont produits ne sont pas nécessairement les mêmes pour les deux risques en cause. La Cour de justice ne pouvait donc pas faire l'économie d'un examen de l'admissibilité de la provision litigieuse sous l'angle du risque lié au droit du travail. La seule référence à l'argumentation de la recourante concernant ce point dans la partie en fait de l'arrêt attaqué ne saurait suffire à écarter un déni de justice formel ou constituer une motivation suffisante. En outre, le fait que l'argumentation portant sur ce second risque ait été apportée à titre subsidiaire par la recourante devant le Tribunal administratif de première instance, comme le soutient l'Administration cantonal, ne change rien à cette appréciation. Enfin, l'arrêt querellé ne traitant pas de la question d'une provision effectuée en raison d'un risque lié au droit du travail, y compris sous l'angle de la périodicité, la recourante ne pouvait pas l'attaquer en connaissance de cause, comme le prétend l'Administration cantonale. Le droit d'être entendu de la recourante a ainsi été violé et l'existence d'un déni de justice formel doit être admis. Le recours de l'intéressée est ainsi bien fondé sur ce point.
8. Les considérants qui précédent conduisent à l'admission du recours, en application de la procédure simplifiée de l'art. 109 al. 2 let. b LTF, à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à la Cour de justice pour qu'elle statue à nouveau en se prononçant sur l'argumentation de la recourante portant sur le risque lié au droit du travail. Les frais judiciaires sont mis à la charge de la République et canton de Genève qui succombe et dont l'intérêt patrimonial est en cause (art. 66 al. 4 LTF). La recourante, qui est représentée par un mandataire professionnel a droit à des dépens (art. 68 al. 1 LTF), qu'il convient de mettre à la charge de la République et canton de Genève (art. 68 al. 2 LTF).
 
 par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est admis, l'arrêt attaqué annulé, aussi bien pour ce qui concerne l'IFD que l'ICC, et la cause renvoyée à la Cour de justice pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 4'500 fr., sont mis à la charge de la République et canton de Genève.
3. La République et canton de Genève versera à la recourante une indemnité de 5'000 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral.
4. Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, à l'Administration fiscale cantonale du canton de Genève, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, 4ème section, et à l'Administration fédérale des contributions.
Lausanne, le 28 février 2020
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Seiler
Le Greffier : de Chambrier