Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
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2C_784/2019
Arrêt du 10 mars 2020
IIe Cour de droit public
Composition
MM. et Mmes les Juges fédéraux Seiler, Président,
Zünd, Aubry Girardin, Donzallaz et Hänni.
Greffier: M. Tissot-Daguette.
Participants à la procédure
A.A.________,
représentée par Me Jean-Michel Duc, avocat,
recourante,
contre
Service de la population et des migrations du canton du Valais,
Conseil d'Etat du canton du Valais.
Objet
Refus d'octroi d'une autorisation de séjour,
recours contre l'arrêt de la Cour de droit public du Tribunal cantonal du canton du Valais du 5 juillet 2019 (A1 19 15).
Faits :
A.
A.________, ressortissante thaïlandaise née en 1964, est entrée en Suisse le 25 juin 2011, afin de se marier avec B.A.________, ressortissant suisse, le 22 juillet 2011. A la suite de ce mariage, elle a été mise au bénéfice d'une autorisation de séjour au titre du regroupement familial. Aucun enfant n'est issu de cette union. A.A.________ a trois enfants d'un premier lit, tous majeurs.
Après avoir pris acte du fait que A.A.________ avait quitté la Suisse le 19 octobre 2016 sans plus y revenir, le Service de la population et des migrations du canton du Valais (ci-après: le Service des migrations), par décision du 27 novembre 2017, a constaté que l'autorisation de séjour de l'intéressée avait pris fin. Cette décision n'a pas fait l'objet d'un recours.
B.
Par décision du 13 juin 2018, le Service des migrations a rejeté une demande de regroupement familial tendant à octroyer à A.A.________ une autorisation de séjour, afin de lui permettre de revenir vivre auprès de son mari. Ce service a constaté que la demande était tardive et qu'il n'existait pas de raison familiale majeure pour l'octroi d'une autorisation de séjour hors délai, la nécessité de se rendre au chevet de sa mère malade dans son pays d'origine, invoquée par l'intéressée, n'étant pas suffisant. Les époux ont contesté ce prononcé le 14 juin 2018 auprès du Conseil d'Etat du canton du Valais (ci-après: le Conseil d'Etat), qui a rejeté le recours par décision du 13 décembre 2018. A.A.________ et B.A.________ ont recouru contre cette décision le 17 janvier 2019 auprès de la Cour de droit public du Tribunal cantonal du canton du Valais (ci-après: le Tribunal cantonal). Celui-ci, par arrêt du 5 juillet 2019, a rejeté le recours dans la mesure de sa recevabilité.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.A.________ demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, outre l'assistance judiciaire, d'annuler l'arrêt du Tribunal cantonal du 5 juillet 2019 et de lui octroyer une autorisation de séjour au titre du regroupement familial; subsidiairement, de renvoyer la cause à l'autorité précédente pour complément d'instruction.
Le Tribunal cantonal et le Secrétariat d'Etat aux migrations renoncent tous deux à se déterminer. Le Conseil d'Etat conclut au rejet du recours.
Considérant en droit :
1.
1.1. D'après l'art. 83 let. c ch. 2 LTF, le recours en matière de droit public est irrecevable contre les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit. Selon la jurisprudence, il suffit toutefois, sous l'angle de la recevabilité, qu'il existe un droit potentiel à l'autorisation, étayé par une motivation soutenable, pour que cette clause d'exclusion ne s'applique pas et que la voie du recours en matière de droit public soit ouverte (ATF 139 I 330 consid. 1.1 p. 332 et les références). En l'occurrence, le mari de la recourante est de nationalité suisse et, dans la mesure où celle-ci invoque de manière soutenable les art. 42 al. 1 et 47 al. 4 LEI (RS 142.20; dans sa version en vigueur avant le 1
er janvier 2019 [RO 2007 5437], ci-après: LEtr; cf. art. 126 al. 1 LEI) et son droit à entretenir une relation de couple fondée sur l'art. 8 CEDH, son recours échappe au motif d'irrecevabilité prévu à l'art. 83 let. c ch. 2 LTF (cf. ATF 136 II 497 consid. 3.3 p. 500 ss).
1.2. Pour le surplus, l'arrêt attaqué est une décision finale (art. 90 LTF), rendue en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF). Le recours en matière de droit public a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes requises (art. 42 LTF) par la destinataire de l'arrêt attaqué qui a qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF. Il est par conséquent recevable.
2.
La recourante se prévaut d'une violation de l'art. 47 al. 4 LEtr et de l'art. 8 CEDH.
2.1. A teneur de l'art. 42 al. 1 LEtr, le conjoint d'un ressortissant suisse a droit à l'octroi d'une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité à condition de vivre en ménage commun avec lui. Conformément à l'art. 47 LEtr, le regroupement familial doit être demandé dans les cinq ans (art. 47 al. 1 phr. 1 LEtr), ce délai commençant à courir, pour les membres de la famille des ressortissants suisses visés à l'art. 42 al. 1 LEtr, au moment de leur entrée en Suisse ou de l'établissement du lien familial (art. 47 al. 3 let. a LEtr). Passé ce délai, le regroupement familial différé n'est autorisé que pour des raisons familiales majeures (art. 47 al. 4 phr. 1 LEtr).
Le Tribunal fédéral a déjà jugé que, sous certaines conditions, à la suite de l'obtention d'une autorisation d'établissement par l'époux regroupant (ATF 137 II 393 consid. 3.3 p. 397) ou d'un refus de regroupement familial fondé sur la loi fédérale du 26 juin 1998 sur l'asile (LAsi; RS 142.31; ATF 145 II 105 consid. 3.10 p. 110 s.), une nouvelle demande de regroupement familial pouvait être déposée dans le délai de l'art. 47 al. 1 et al. 3 LEtr. Le Tribunal fédéral n'a en revanche jamais examiné ce qu'il advenait de ce délai, lorsqu'un des conjoints a obtenu une première autorisation dans le délai prévu, mais quitte la Suisse pour une période supérieure à six mois.
2.2. En l'occurrence, la recourante s'est mariée à un ressortissant suisse le 22 juillet 2011. Son autorisation de séjour, qui lui a été octroyée au titre du regroupement familial à la suite de son mariage, s'est éteinte le 19 avril 2017 (cf. art. 61 al. 2 LEtr), après qu'elle a passé plus de six mois dans son pays d'origine. Le Tribunal cantonal a considéré que, lors de la seconde demande de regroupement familial déposée en 2018 par la recourante, le délai de cinq ans de l'art. 47 al. 1 en relation avec l'art. 47 al. 3 let. a LEtr était échu. Pour cette raison, l'autorité précédente a examiné la présente cause sous l'angle de l'art. 47 al. 4 LEtr, c'est-à-dire qu'elle a vérifié s'il existait des raisons familiales majeures justifiant le regroupement familial, ce qu'elle a nié. La recourante partage le point de vue du Tribunal cantonal quant au fait que sa demande a été formulée hors délai de l'art. 47 al. 1 LEtr, mais estime en revanche qu'il existe des raisons familiales majeures. Comme il s'agit d'une question de droit que le Tribunal fédéral examine d'office (art. 106 al. 1 LTF), il convient de commencer par déterminer si et dans quelle mesure l'art. 47 al. 1 et 3 LEtr est applicable.
2.3. Comme l'a déjà à plusieurs reprises relevé le Tribunal fédéral, les délais de l'art. 47 al. 1 LEtr s'appliquent aussi bien aux enfants, qu'au conjoint du regroupant (cf. arrêt 2C_259/2018 du 9 novembre 2018 consid. 3.1 et les références). Si le législateur a clairement expliqué que l'intégration des enfants est considérablement facilitée lorsque le regroupement familial intervient rapidement, justifiant ainsi l'instauration de délais (cf. FF 2002 3469 p. 3512; BO 2004 N 764; cf. également ATF 145 II 105 consid. 3.6 p. 109 et les références), il n'a en revanche pas mentionné qu'il en irait de même pour le conjoint. Le Tribunal fédéral a cependant expliqué que les délais de l'art. 47 LEtr avaient également pour but de restreindre l'immigration et que, lorsqu'une famille a vécu séparée durant une longue période, cela démontre qu'elle ne porte pas d'attention particulière à vivre une vie en commun (cf. arrêts 2C_481/2018 du 11 juillet 2019 consid. 6.2; 2C_914/2014 du 18 mai 2015 consid. 4.1). Il s'avère en effet logique qu'une fois le mariage célébré, le conjoint étranger cherche à rejoindre rapidement son époux en Suisse, respectivement qu'une fois l'époux regroupant suisse arrivé dans son pays, celui-ci veuille y faire venir son mari ou sa femme.
Il n'en demeure pas moins que, pour des raisons personnelles propres au couple, il peut arriver que celui-ci décide de vivre aussi bien dans le pays d'origine de l'époux étranger qu'en Suisse. A ce propos, l'art. 47 al. 3 let. a LEtr prévoit que les délais (de l'art. 47 al. 1 LEtr) commencent à courir pour les membres de la famille des ressortissants suisses visés à l'art. 42 al. 1 LEtr, au moment de leur entrée en Suisse ou de l'établissement du lien familial. Il convient ici de préciser que c'est l'entrée en Suisse du ressortissant helvétique qui est déterminante (cf. arrêt 2C_348/2016 du 17 mars 2017 consid. 2.1 et les références). Comme l'a déjà jugé le Tribunal fédéral, et tel que cela ressort du message du Conseil fédéral (cf. FF 2002 3469 p. 3551), le départ du délai fixé au moment de l'entrée en Suisse du ressortissant de ce pays est prévu pour les couples qui disposaient d'un domicile à l'étranger (cf. arrêt 2C_323/2018 du 21 septembre 2018 consid. 3). C'est ainsi généralement le cas du ressortissant suisse qui crée une famille à l'étranger et qui, par la suite, vient s'installer en Suisse avec celle-ci (cf. AMARELLE/CHRISTEN, in Code annoté de droit des migrations, Vol. II, 2017, n. 21 ad art. 47 LEtr; cf. également MARC SPESCHA, in Kommentar Migrationsrecht, 5e éd. 2019, n. 7 ad art. 47 LEtr). En revanche, lorsque le ressortissant suisse se rend à l'étranger, mais sans volonté de s'y installer durablement et qu'il n'y bénéficie donc pas d'un domicile, il ne saurait être question de faire courir un (nouveau) délai en application de l'art. 47 al. 3 let. a LEtr lorsqu'il revient dans son pays d'origine. Si le conjoint de ce ressortissant désire également revenir en Suisse après avoir perdu son autorisation (qu'elle soit de séjour ou d'établissement) et que le délai de cinq ans prévu à l'art. 47 al. 1 et 3 let. a LEtr est échu, c'est donc uniquement en application de l'art. 47 al. 4 LEtr qu'il convient d'examiner la possibilité d'un regroupement familial.
Toutefois, lorsque le conjoint étranger a déjà obtenu une première autorisation au titre du regroupement familial avec un ressortissant suisse qui s'est éteinte et qu'il est établi que l'union conjugale avec celui-ci est intacte, l'étranger ne doit pas d'emblée se voir refuser l'octroi d'une autorisation de séjour en application des conditions strictes de l'art. 47 al. 4 LEtr (cf. arrêt 2C_438/2015 du 29 octobre 2015 consid. 5.1 et les références), même si son couple décide de vivre alternativement dans chacun des deux pays des époux, voire même s'il ne vit pas continuellement avec son conjoint, mais que le couple choisit un style de vie alternant une vie commune dans un pays, puis dans l'autre, à laquelle s'ajoutent de courtes périodes de vie séparée (mais pas de séparation du couple). En principe, il appartient certes au conjoint étranger du ressortissant suisse, de veiller au respect du délai de six mois prévu à l'art. 61 al. 2 LEtr. Néanmoins, si, par négligence, le mode de vie choisi et décrit ci-dessus entraînait le non-respect du délai précité et, partant, la perte du titre de séjour (ou d'établissement) pour le conjoint étranger, on peut admettre des circonstances familiales majeures justifiant l'octroi d'un nouveau titre de séjour. C'est le seul moyen pour le couple de poursuivre son mode de vie, auparavant autorisé. Le fait d'obtenir une nouvelle autorisation de séjour au titre du regroupement familial dans un tel cas de figure comporte malgré tout un inconvénient pour l'époux étranger. Celui-ci ne peut en effet pas se prévaloir des années passées au bénéfice de sa première autorisation de séjour (qui a pris fin en application de l'art. 61 al. 2 LEtr), pour prétendre, le cas échéant, à l'octroi d'une autorisation d'établissement au sens de l'art. 42 al. 3 LEtr. Finalement, et afin d'éviter tout abus, il convient d'ajouter que de telles circonstances familiales, constituant des raisons personnelles majeures, ne peuvent être admises qu'une seule fois.
2.4. En l'espèce, les époux se sont mariés le 22 juillet 2011 en Suisse. Le mari de la recourante, malgré plusieurs séjours dans le pays de sa femme, n'a jamais été domicilié ailleurs qu'en Suisse. A la suite d'un séjour de plus de six mois dans son pays d'origine, la recourante a vu son autorisation de séjour s'éteindre le 19 avril 2017. Sur le vu de ces éléments, la seconde demande de regroupement familial, formée en janvier 2018, a sans conteste été déposée hors du délai de cinq ans prévu par l'art. 47 al. 1 et 3 let. a LEtr. C'est donc à juste titre que l'autorité précédente a fait application de l'art. 47 al. 4 LEtr. Cependant, le mari de la recourante a effectué plusieurs séjours de longue durée dans le pays d'origine de sa femme. En outre, ces séjours ont tous été effectués dans le but de passer du temps avec la recourante et rien n'indique donc que le lien conjugal ait été rompu entre les époux, qui vivent leur relation conjugale entre la Suisse et la Thaïlande. Une éventuelle séparation du couple n'a d'ailleurs pas été constatée par l'autorité précédente. La seconde demande de regroupement familial de la recourante, qui fait suite à l'extinction d'une première autorisation de séjour, doit par conséquent être admise, dans la mesure où la situation des époux correspond à l'exception des raisons personnelles majeures présentée ci-avant. La recourante est néanmoins rendue attentive qu'une éventuelle future extinction de son autorisation de séjour sera soumise aux conditions strictes de l'art. 47 al. 4 LEtr et que les plus de cinq ans passés au bénéfice de sa première autorisation ne sauraient être pris en compte en vue de l'octroi d'une autorisation d'établissement. Compte tenu de l'issue de la procédure, il s'avère superflu d'examiner les autres griefs de la recourante. L'arrêt entrepris est par conséquent annulé et la cause est renvoyée au Service des migrations, afin qu'il octroie une autorisation de séjour à la recourante.
3.
Sur le vu de ce qui précède, il n'est pas perçu de frais judiciaires ( art. 66 al. 1 et 4 LTF ). La demande d'assistance judiciaire est sans objet. La recourante a en outre droit à une indemnité de partie, à charge du canton du Valais (art. 68 al. 1 LTF). La cause est renvoyée au Tribunal cantonal pour qu'il procède à une nouvelle répartition des frais et dépens de la procédure antérieure (art. 67 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis. L'arrêt du Tribunal cantonal du 5 juillet 2019 est annulé et la cause est transmise au Service des migrations pour qu'il procède dans le sens des considérants.
2.
La demande d'assistance judiciaire est sans objet.
3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
4.
Le canton du Valais versera au mandataire de la recourante la somme de 2'000 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral.
5.
La cause est renvoyée au Tribunal cantonal, afin qu'il statue à nouveau sur le sort des frais et dépens de la procédure antérieure.
6.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au Service de la population et des migrations, au Conseil d'Etat et à la Cour de droit public du Tribunal cantonal du canton du Valais, ainsi qu'au Secrétariat d'Etat aux migrations.
Lausanne, le 10 mars 2020
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Seiler
Le Greffier : Tissot-Daguette