Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
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1C_170/2019, 1C_171/2019
Arrêt du 9 avril 2020
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Chaix, Président,
Fonjallaz et Müller.
Greffière : Mme Sidi-Ali.
Participants à la procédure
Office fédéral du développement territorial, Worblentalstrasse 66, 3063 Ittigen,
recourant,
contre
A.________, représenté par Me Clémence Morard-Purro, avocate,
Préfecture de la Sarine, case postale 1622, 1701 Fribourg,
Direction de l'aménagement, de l'environnement et des constructions de l'Etat de Fribourg, rue des Chanoines 17, 1700 Fribourg.
Objet
Permis de construire,
recours contre les arrêts du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg, IIe Cour administrative, du 13 février 2019.
Faits :
A.
A.________ est propriétaire de la parcelle n° 598 de la commune de Corminboeuf, située hors de la zone à bâtir, conformément au plan communal d'affectation des zones en vigueur.
B.
Le 24 mai 2018, la Direction fribourgeoise de l'aménagement, de l'environnement et des constructions (DAEC) a délivré l'autorisation spéciale de construire hors de la zone à bâtir nécessaire pour un projet de construction de stabulation libre, d'une dépression sèche d'infiltration et d'une habitation familiale avec piscine sur cette parcelle. Par décision du 2 août 2018, la Lieutenante de Préfet du district de la Sarine a rejeté les oppositions formées contre ce projet notamment par B.________, propriétaire de la parcelle n° 589 grevée d'une servitude de passage agricole en faveur de la parcelle n° 598 d'une part, et par A.C.________ et B.C.________, usufruitiers de la parcelle n° 592 également grevée d'une servitude de passage agricole en faveur de la parcelle n° 598 d'autre part. Le 3 août 2018, le Préfet du district de la Sarine a accordé le permis de construire requis.
Les opposants précités ont saisi par deux recours distincts le Tribunal cantonal fribourgeois, auprès duquel ils se sont plaints en substance de l'insuffisance de l'équipement de la parcelle concernée.
Par deux arrêts distincts du 13 février 2019, la IIe Cour administrative du Tribunal cantonal a partiellement admis les recours et modifié le permis de construire en ce sens qu'il est complété par la condition suivante: "Le permis de construire ne pourra être exécuté que lorsque la réalisation de tout l'équipement sera garantie".
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, l'Office fédéral du développement territorial (ARE) demande au Tribunal fédéral, d'une part, d'annuler les arrêts attaqués et les décisions des autorités intimées en ce qui concerne la stabulation libre et renvoyer la cause au Tribunal cantonal pour pesée des intérêts en présence s'agissant de l'emplacement et la dimension de dite stabulation, et, d'autre part, de réformer les arrêts attaqués et les décisions des autorités intimées en ce qui concerne l'habitation individuelle et la piscine en ce sens que la construction de ces objets n'est pas autorisée.
L'ARE requiert en outre l'octroi de l'effet suspensif des recours.
La cour cantonale et le Préfet renoncent à se déterminer sur les recours. La DAEC produit ses propres déterminations accompagnées de celles de son service spécialisé, le Service de l'agriculture (SAgri). Il conclut au rejet des recours. L'intimé se détermine et conclut au rejet des recours.
Par ordonnance du 23 avril 2019, le Président de la Ire Cour de droit public a admis les requêtes d'effet suspensif.
Considérant en droit :
1.
Formés par le même office, qui invoque les mêmes griefs et prend des conclusions identiques dans chacune de ses écritures, les deux recours ont trait au même litige. Ils sont dirigés contre des arrêts cantonaux distincts mais réformant une même et unique décision administrative. Il se justifie dès lors de joindre les causes 1C_170/2019 et 1C_171/2019 pour des motifs d'économie de procédure, et de statuer à leur sujet dans un seul arrêt (cf. art. 24 PCF applicable par analogie vu le renvoi de l'art. 71 LTF).
2.
Les recours sont formés contre des arrêts finaux rendus en dernière instance cantonale, dans une cause de droit public. Ils sont dès lors en principe recevables comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF et 34 al. 1 LAT (RS 700), aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. L'Office fédéral du développement territorial a la qualité pour recourir (art. 89 al. 2 LTF en relation avec l'art. 48 al. 4 OAT [ordonnance du 28 juin 2000 sur l'aménagement du territoire - OAT; RS 700.1]). Il dispose d'un droit d'intervention afin d'assurer une application uniforme du droit fédéral et peut recourir contre un arrêt cantonal susceptible de violer la LAT.
Les autres conditions de recevabilité sont réunies, si bien qu'il y a lieu d'entrer en matière sur les recours.
3.
L'office recourant met en doute la conformité à l'affectation de la zone du projet litigieux.
3.1. En vertu de l'art. 22 LAT, aucune construction ou installation ne peut être créée ou transformée sans autorisation de l'autorité compétente (al. 1); l'autorisation est délivrée si la construction ou l'installation est conforme à l'affectation de la zone et le terrain est équipé (al. 2). Selon l'art. 16a LAT, sont conformes à l'affectation de la zone agricole les constructions et installations qui sont nécessaires à l'exploitation agricole ou à l'horticulture productrice (al. 1) et celles qui servent au développement interne d'une exploitation (al. 2). L'art. 34 OAT précise ces conditions: sont notamment conformes à l'affectation de la zone agricole les constructions et installations qui servent à l'exploitation tributaire du sol ou au développement interne - en particulier à la garde d'animaux de rente (al. 1), ou au logement indispensable à l'entreprise agricole (al. 3). Selon l'art. 34 al. 4 OAT, l'autorisation ne peut être délivrée que si la construction ou l'installation est nécessaire à l'exploitation en question (let. a), si aucun intérêt prépondérant ne s'oppose à l'implantation de la construction ou de l'installation à l'endroit prévu (let. b), et s'il est prévisible que l'exploitation pourra subsister à long terme (let. c). La pesée des intérêts exigée à l'art. 34 al. 4 let. b OAT doit se faire à l'aune des buts et principes de l'aménagement du territoire énoncés aux art. 1 et 3 LAT (arrêts 1C_618/2014 du 29 juillet 2015 consid. 4.1, in RDAF 2015 I p. 499; 1C_96/2018 du 11 octobre 2018 consid. 3.3.1; 1C_107/2011 du 5 septembre 2011 consid. 4.1), en particulier l'intérêt public tendant à prévenir le mitage du territoire (arrêts 1C_17/2015 du 16 décembre 2015 consid. 3.2, in DEP 2016 p. 37; 1C_165/2016 du 27 mars 2017 consid. 3.3).
L'art. 16 LAT prescrit notamment que les zones agricoles devraient ("
sollen " dans la version en langue allemande, "
devono " dans la version en langue italienne) être maintenues autant que possible libres de toute construction. Ce principe dicte l'interprétation des dispositions concernées, qui doit toujours être guidée par cette exigence (RUCH/MUGGLI, Commentaire pratique LAT: Construire hors zone à bâtir, 2017, nos 13 et 15
ad art. 16 LAT). Les exceptions légales doivent dès lors être admises de façon restrictive, celles-ci représentant l'une des principales causes du mitage du territoire (
ibidem).
Il y a ainsi lieu de limiter les constructions nouvelles à celles qui sont réellement indispensables à l'exploitation afin de garantir que la zone en question demeure une zone non constructible (ATF 133 II 370 consid. 4.2 p. 374; 129 II 413 consid. 3.2 p. 415). L'autorité compétente doit dès lors examiner en premier lieu si la nouvelle activité peut être réalisée dans des locaux existants (ATF 129 II 413 consid. 3.2 p. 416; arrêts 1C_58/2017 du 18 octobre 2018 consid. 5.3.1; 1C_457/2017 du 25 mars 2019 consid. 5), ou sur des surfaces disponibles dans la zone constructible (ATF 123 II 499 consid. 3b/cc p. 508). Si tel n'est pas le cas, elle doit vérifier que la nouvelle construction correspond à l'utilisation envisagée et aux besoins objectifs de l'exploitation (ATF 129 II 413 consid. 3.2 p. 416; 125 II 278 consid. 3a p. 281; 123 II 499 consid. 3b/cc p. 508; plus récemment arrêts 1C_58/2017 du 18 octobre 2018 consid. 5.3.1; 1C_457/2017 du 25 mars 2019 consid. 5).
La nécessité s'apprécie en fonction de critères objectifs. Elle dépend notamment de la surface cultivée, du genre de cultures et de production (dépendante ou indépendante du sol), ainsi que de la structure, de la taille et des besoins de l'exploitation (arrêts 1C_618/2014 du 29 juillet 2015 consid. 4.1 in RDAF 2015 I p. 499; 1C_58/2017 du 18 octobre 2018 consid. 5.3.1; 1C_27/2008 du 25 juin 2008 consid. 2.3). L'appréciation doit se faire à l'aune des buts et principes énoncés aux art. 1 et 3 LAT (arrêts 1C_618/2014 du 29 juillet 2015 consid. 4.1, in RDAF 2015 I p. 499; 1C_107/2011 du 5 septembre 2011 consid. 4.1), Dans tous les cas, vu l'important intérêt public à éviter la dispersion des constructions, les bâtiments et installations doivent être regroupés autant que possible ("
Konzentrationsprinzip ") (ATF 141 II 50 consid. 2.5 p. 54; arrêts 1C_892/2013 du 1er avril 2015 consid. 3.1 in RDAF 2015 I p. 453; 1C_318/2017du 11 juillet 2018 consid. 4.1).
La question de savoir si un logement est nécessaire à l'exploitation doit également être résolue sur la base de critères uniquement objectifs, à l'exclusion de préférences dictées par des raisons de commodité ou d'agrément (cf. ATF 136 II 214 consid. 2.1 p. 218; 129 II 63 consid. 3.1 p. 68; arrêt 1C_401/2018 du 24 septembre 2019 consid. 2.1).
3.2.
3.2.1. En l'espèce, l'ARE fait valoir que l'implantation de la stabulation libre n'a fait l'objet d'aucune pesée des intérêts en présence ni d'aucun examen de sa justification par les services spécialisés et les autorités intimées, en dépit du fait que les constructions projetées sont d'une importance certaine, que l'emplacement choisi - sur une bute - se trouve particulièrement exposé et qu'il est prévu sur des surfaces d'assolement. Il en irait de même de la dimension de la stabulation et de la viabilité à long terme de l'entreprise. S'agissant de l'habitation individuelle et de la piscine, l'ARE remet en cause la nécessité de leur emplacement en zone agricole.
3.2.2. La conformité du projet à l'affectation de la zone n'ayant pas été mise en cause par les opposants au projet devant la cour cantonale, celle-ci ne s'est pas saisie de la question.
S'agissant de l'habitation avec piscine, le préavis du SAgri figurant au dossier ne comporte aucun examen de sa nécessité sur le plan fonctionnel, celle-ci n'étant évaluée qu'à titre quantitatif par un simple contrôle du nombre d'unités de logement que justifie l'exploitation litigieuse. Pour ce qui est de l'emplacement de la stabulation libre, le préavis indique uniquement que "le projet est prévu sur des surfaces d'assolement" et que "le requérant ne dispose pas sur le plan foncier de parcelles plus favorables".
3.2.3. Dans ses déterminations, l'intimé expose les raisons justifiant selon lui le choix, au sein de la parcelle litigieuse, de l'emplacement de la stabulation libre et des dimensions de celle-ci. Il expose en outre en quoi sa présence à proximité du bétail justifie l'emplacement du logement et se réfère au calcul des unités de logement opéré par le SAgri. Il fait enfin valoir le lien de la piscine avec l'habitation et l'importance d'une telle installation pour une famille d'agriculteurs qui ne peut emmener ses enfants en vacances durant l'été.
Quant aux autorités cantonales spécialisées, tout en affirmant que l'implantation du projet a fait l'objet d'une pesée des intérêts, elles apportent également des précisions dans leurs écritures. L'emplacement de la stabulation libre serait justifié par la topographie du terrain choisi, et le choix de ce terrain découlerait des contraintes en matière de protection contre le bruit et les odeurs. L'habitation individuelle serait quant à elle justifiée par le principe du regroupement des constructions agricoles et la nécessité d'assurer la présence permanente de l'exploitant afin de veiller à la bonne marche de la stabulation libre. Le SAgri se réfère en outre à l'étude économique figurant au dossier pour confirmer qu'il avait procédé au contrôle de la viabilité à long terme de l'entreprise. Les autorités administratives cantonales estiment enfin que la piscine répond aux besoins usuels d'une famille au même titre qu'une terrasse, une véranda ou un jardin potager.
3.2.4. Ainsi qu'on l'a relevé ci-dessus, l'arrêt cantonal n'examine pas ces questions. Vu les circonstances procédurales particulières octroyant un droit de recours à l'office fédéral spécialisé (cf. consid. 2) qui, lorsqu'il en fait usage, intervient pour la première fois dans la procédure, il y a lieu de retourner le dossier à l'instance précédente pour qu'elle statue - ou cas échéant l'autorité cantonale spécialisée si un renvoi se révèle nécessaire - après instruction de ces questions. Celles-ci impliquent en effet de nombreux aspects factuels qui ne ressortent pas de l'état de fait de l'arrêt attaqué, de sorte que le Tribunal fédéral ne saurait s'en saisir pour la première fois dans la présente procédure.
En sus de ce qui semble avoir été examiné jusqu'ici, il y a notamment lieu de procéder, pour satisfaire à la jurisprudence exposée ci-dessus, à l'inventaire de l'ensemble des surfaces à disposition de l'exploitation, en particulier celles affectées en zone à bâtir. Il revient en outre aux autorités d'examiner la conformité des installations projetées avec l'affectation des zones à bâtir en question, étant précisé que, dans une agglomération de tradition agricole, l'on ne saurait présumer, comme semblent le faire les autorités cantonales, qu'une zone d'habitation exclut nécessairement toute construction agricole. Cas échéant, il convient alors d'examiner la question d'une éventuelle garantie de la situation acquise pour la reconstruction de bâ timents liés à l'exploitation agricole après incendie.
4.
Il résulte de ce qui précède que les recours doivent être admis, aux frais de l'intimé, qui succombe (art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Les causes 1C_170/2019 et 1C_171/2019 sont jointes.
2.
Les recours sont admis. Les arrêts attaqués sont annulés. La cause est renvoyée à la IIe Cour administrative du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg, pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge de l'intimé.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Préfecture de la Sarine, à la Direction de l'aménagement, de l'environnement et des constructions de l'Etat de Fribourg, au Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg, IIe Cour administrative, ainsi qu'aux mandataires de B.________ et de A.C.________ et B.C.________.
Lausanne, le 9 avril 2020
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Chaix
La Greffière : Sidi-Ali