Urteilskopf
98 Ia 666
97. Arrêt du 27 septembre 1972 dans la cause Cilag-Chemie AG contre Martin.
Regeste
Garantie des Wohnsitzrichters. Art. 59 BV.
Das Begehren um Anordnung einer Expertise vor dem Prozess ist keine persönliche Ansprache im Sinne von Art. 59 BV; es kann bei einem andern Richter gestellt werden als demjenigen am Wohnsitz der Person, die in einem allfälligen Prozess Beklagte wäre (Erw. 2).
Die im vorliegenden Falle dem Experten ausser Prozess gestellte Aufgabe (Feststellung, ob die gesundheitlichen Störungen, an denen eine Person leidet, auf die Einnahme von Medikamenten zurückzuführen sei, und Stellung einer Prognose) greifen nicht in die Kompetenzen des Richters ein (Erw. 3).
A.- Sur prescription de son médecin, dame Martin, à Lausanne, a suivi pendant quinze mois environ une cure du produit "Menocil", que fabriquait Cilag-Chemie AG (ci-après: Cilag), à Schaffhouse
BGE 98 Ia 666 S. 667
Le médecin a remplacé ce produit par un autre, en juillet 1968. Par la suite, le "Menocil" a été retiré du marché.Depuis le printemps 1969, dame Martin souffre de graves troubles dans sa santé, troubles qu'elle impute à l'action du "Menocil". Cilag conteste l'existence d'un tel lien de causalité.
Par exploit du 18 juin 1971, dame Martin a requis le juge de paix du cercle de Lausanne d'ordonner une expertise hors procès de sa propre personne par un médecin, l'expert ayant pour mission "d'examiner l'instante, d'entendre les personnes qui l'ont soignée depuis 1967 et de dire si l'état actuel de santé de l'instante est la conséquence de la cure qu'elle a faite du produit Menocil, de formuler une appréciation sur les chances de guérison ou les risques d'évolution de ses maux actuels". Le juge de paix a fait droit à cette requête par décision du 4 octobre 1971, en vertu des art. 220, 234 et 248 ss. du Code de procédure civile vaudois du 14 décembre 1966, nonobstant l'exception soulevée par l'intimée, qui soutenait que la requête était contraire à l'art. 59 Cst., dans la mesure où la mission confiée à l'expert faisait de celui-ci un juge ou un arbitre.
Cilag a recouru contre cette décision. Par arrêt du 30 novembre 1971, la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois a déclaré le recours irrecevable dans la mesure où il se fondait sur une prétendue violation des dispositions du Code de procédure civile et l'a rejeté en tant qu'il se fondait sur une prétendue violation de l'art. 59 Cst. Sur ce dernier point, elle a jugé que la requête de preuve à futur en vue d'un procès éventuel n'était pas une réclamation personnelle et que le juge du domicile de la personne devant se soumettre à l'expertise était compétent pour ordonner celle-ci.
B.- Cilag forme un recours de droit public et requiert le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Chambre des recours. Elle persiste à soutenir que la mission dévolue à l'expert fait de celui-ci un juge ou un arbitre et que, partant, l'arrêt viole l'art. 59 Cst.
Considérant en droit:
1. Il n'est pas contesté que la recourante soit solvable et qu'elle ait son siège à Schaffhouse. Elle ne pourra donc être recherchée à Lausanne que s'il ne s'agit pas d'une réclamation
BGE 98 Ia 666 S. 668
personnelle au sens de l'art. 59 Cst. Saisi d'un recours fondé sur cette disposition, le Tribunal fédéral examine librement le fait et le droit (RO 93 I 327 consid. 5).
2. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les mesures prévues par les lois cantonales de procédure pour sauvegarder des preuves menacées, et notamment les décisions ordonnant une expertise avant procès sont de simples actes probatoires, et non des réclamations personnelles au sens de l'art. 59 Cst., lors même qu'elles sont prises en vue d'un procès à intenter (RO 87 I 59; 41 I 447). La recourante, avec raison, ne remet pas cette jurisprudence en question. Elle soutient qu'elle ne s'applique pas en l'espèce, parce que l'expert désigné par le juge vaudois jouerait, en vertu de la mission qui lui a été dévolue, le rôle d'un juge ou d'un arbitre.
3. L'objet de la preuve peut être un fait - pertinent au litige - ou une donnée d'expérience, tirée de l'observation de faits isolés et permettant de déduire de faits constatés d'autres faits pertinents. C'est à l'aide de telles données d'expérience que l'on décidera si deux faits ont entre eux un rapport de cause à effet, ou que l'on tranchera les questions de fait qui ne peuvent, en raison de la nature des choses, faire l'objet de constatations directes. La preuve peut être administrée par divers moyens, énumérés dans toutes les lois de procédure. On recourra à la preuve par expertise lorsque le juge ne dispose pas des connaissances spéciales - notamment scientifiques ou techniques - nécessaires pour constater l'exactitude de certains faits ou pour les apprécier (cf. GULDENER, Schweiz. Zivilprozessrecht, 2e éd. § 42, p. 365 ss.; du même auteur, Beweiswürdigung und Beweislast nach schweiz. Zivilprozessrecht, pp. 1-15).
En l'espèce, l'expert doit d'une part constater si les troubles dont souffre l'intimée ont été causés par l'usage du "Menocil" et d'autre part apprécier les chances de guérison de la malade ou les risques d'aggravation de son mal. La première question est celle du lien de causalité naturelle entre deux faits; c'est une question de fait (RO 96 II 395) à laquelle ne peut répondre que celui qui dispose de connaissances médicales. Quant à la seconde, c'est essentiellement un pronostic, soit une hypothèse sur l'évolution de l'état de santé de la malade; cette hypothèse ne peut être formulée qu'à l'aide de données d'expérience d'ordre médical. Pour les résoudre l'une et l'autre, il faut donc des connaissances scientifiques que, règle
BGE 98 Ia 666 S. 669
générale, le juge ne possède pas. La mission dévolue à l'expert n'empiète donc pas sur les prérogatives du juge qui sera saisi d'une éventuelle action et qui pourra du reste apprécier librement les conclusions de l'expertise.Le fait que l'expert devra entendre comme témoins les personnes qui ont soigné l'intimée depuis 1967 ne modifie pas le caractère de sa mission. Ces personnes devront déposer sur des faits passés dont l'expert aura besoin pour répondre à la première question qui lui est posée. Sur ce point non plus, les conclusions de l'expert ne lieront pas le juge saisi d'un éventuel procès, juge qui pourra toujours rééentendre les témoins et commettre un nouvel expert.
La forme de l'audition des personnes susceptibles de renseigner l'expert est réglée par le droit cantonal, sous réserve de l'art. 4 Cst. Elle ne joue aucun rôle en ce qui concerne l'application de l'art. 59 Cst. Au reste, la recourante n'a pas abordé ce point, que la Cour n'a pas à examiner d'office.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Rejette le recours.