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Urteilskopf
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42. Arrêt de la Ire Cour de droit public du 2 décembre 1981 dans la cause D. c. Chambre d'accusation du canton de Genève (recours de droit public)
Regeste
Art. 4 BV; Willkür.
Die Einziehung der im Hinblick auf eine vorläufige Freilassung geleisteten Sicherheiten ist unzulässig, wenn sie nach Beginn des Strafvollzuges erfolgt (E. 2).
Kein treuwidriges Handeln des Verurteilten, wenn er die Freigabe der Kaution verlangt, nachdem er im Laufe des Strafvollzuges die Flucht ergriffen hat (E. 3).
Détenu préventivement à Genève sous l'inculpation de diverses infractions contre le patrimoine, le Français D. a été mis en liberté provisoire le 30 octobre 1979, moyennant versement d'une caution de 100'000 fr. Le 21 octobre 1980, la Cour d'assises du canton de Genève l'a condamné, pour escroquerie par métier, à 5 ans de réclusion, 1'000 fr. d'amende et 10 ans d'expulsion du territoire suisse. D. se trouvait alors à nouveau en détention préventive depuis près d'un mois, pour les besoins d'une seconde instruction ouverte contre lui. Le 4 novembre 1980, sa détention préventive a pris fin et il a alors commencé formellement à exécuter la peine prononcée contre lui par la Cour d'assises. Profitant d'un congé, D. a quitté la Suisse le 11 janvier 1981; il n'a pas réintégré l'établissement pénitentiaire depuis lors.
Le 14 janvier 1981, le procureur général du canton de Genève a ordonné la contrainte des sûretés déposées le 30 octobre 1979 - lesquelles, frappées d'un séquestre au sens des art. 271 ss LP, n'avaient pas été libérées précédemment - et leur dévolution à l'Etat de Genève, sous réserve d'un montant de 1'000 fr. affecté au paiement de l'amende.
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D. a recouru contre cette décision auprès de la Chambre d'accusation du canton de Genève. Cette dernière a, par ordonnance du 2 juillet 1981, rejeté le recours. Laissant ouverte la question de savoir s'il était admissible, au regard de la loi, de ne pas restituer les sûretés au condamné qui a commencé à exécuter sa peine, elle a considéré qu'en l'occurrence, la mauvaise foi de D. justifiait une telle solution.
Agissant par la voie du recours de droit public, D. demande au Tribunal fédéral principalement d'annuler l'ordonnance précitée et de renvoyer la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau, subsidiairement d'annuler la décision du procureur général du 14 janvier 1981 et de dire que la caution est dégagée depuis le 22 septembre 1980. Il invoque une violation de l'art. 4 Cst. en faisant valoir que la décision entreprise est arbitraire à un double point de vue: d'une part, le refus de l'autorité cantonale de statuer sur la correcte application du droit cantonal constituerait à ses yeux un déni de justice formel, d'autre part, l'application au cas présent du principe de la bonne foi reposerait, selon lui, sur des considérations manifestement insoutenables.
Dans ses observations, le procureur général du canton de Genève conclut au rejet du recours.
Considérant en droit:
1. a) En tant qu'il est dirigé principalement contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation, le recours est recevable. En revanche, dans la mesure où il tend subsidiairement à l'annulation de la décision du procureur général, il est irrecevable, étant donné que l'autorité cantonale de recours a statué avec un plein pouvoir d'examen (ATF 106 Ia 55 consid. 2; ATF 104 Ia 83 consid. 2b, 136 consid. 2a, 204 consid. 1b et arrêts cités).
b) En outre, sous réserve d'exceptions dont les conditions ne sont pas réalisées en l'espèce, le recours de droit public ne peut tendre qu'à l'annulation de la décision attaquée (ATF 106 Ia 54 consid. 1; ATF 105 Ia 28 consid. 1; ATF 104 Ia 32 consid. 1 et renvois). Les conclusions du recourant qui sortent de ce cadre, notamment celles qui tendent à ce que le Tribunal fédéral donne des injonctions positives à l'autorité cantonale, sont ainsi irrecevables.
2. Il convient de relever préliminairement que les sûretés déposées par le recourant pour sa mise en liberté provisoire n'ont pas été dégagées lorsque celui-ci a commencé à exécuter sa peine, comme elles doivent
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normalement l'être d'office. Il est toutefois sans intérêt pour la présente procédure de s'interroger sur les raisons pour lesquelles tel n'a pas été le cas. On retiendra seulement ici que cette circonstance a permis au procureur général d'ordonner la contrainte desdites sûretés en cours d'exécution de la peine. On remarquera à ce propos que l'autorité cantonale ne se prononce pas sur la légalité de cette mesure dans une telle hypothèse et qu'elle laisse la question ouverte. La Cour de céans doit toutefois examiner en premier lieu si les conditions posées par la loi pour contraindre les sûretés sont remplies dans le cas particulier.a) Les dispositions qui définissent le but et la nature des sûretés en droit genevois figurent au titre deuxième du Code de procédure pénale du 29 septembre 1977 (CPP gen.), qui traite de la "Recherche des infractions et de leurs auteurs". Elles sont comprises dans le chapitre III de ce titre consacré à l'instruction préparatoire, et dans sa section 6 intitulée "Mise en liberté". Ainsi, selon l'art. 155, la mise en liberté provisoire peut être accordée à un inculpé détenu préventivement moyennant sûretés ou obligations; l'art. 156 al. 1 précise pour sa part que les sûretés ont pour but de garantir la présence de l'inculpé aux actes de la procédure et sa soumission au jugement. Il ressort du texte même de ces dispositions et de l'emplacement qu'elles occupent dans la systématique de la loi que la mise en liberté sous caution est une institution spécifiquement liée à la détention préventive. Considérée comme un succédané de cette dernière, elle constitue un cas d'application du principe de la proportionnalité, en vertu duquel le maintien en détention pour les besoins de l'instruction représente l'ultima ratio. Bien qu'il puisse entraîner des inégalités de traitement entre prévenus selon leur situation économique, le principe même des sûretés destinées à garantir la comparution ultérieure de l'inculpé devant l'autorité de jugement est largement admis dans la doctrine et la jurisprudence (voir ATF 105 Ia 187 consid. 4; arrêt de la Cour européenne Wemhoff du 27 juin 1968, in Annuaire 1968, p. 807 par. 15; avis de la Commission européenne du 5 décembre 1979, in SJ 1980 p. 586; G. ZIRILLI, Problèmes relatifs à la détention préventive, thèse Lausanne 1975 p. 29; CHRISTIAN NILS ROBERT, La détention préventive en Suisse romande et notamment à Genève, p. 84 ss).
b) Il découle de sa nature de succédané de la détention préventive que la caution ne peut être exigée que si et aussi longtemps qu'il existe
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un motif de détention préventive (ATF 95 I 204; SJ 1976 p. 186). Par conséquent, elle doit être libérée dès qu'elle n'a plus sa raison d'être, c'est-à-dire lorsque les actes de procédure dont elle devait assurer le déroulement ont été exécutés et que le risque qu'elle avait pour but de prévenir a ainsi disparu (cf. FRANÇOIS CLERC, Initiation à la justice pénale en Suisse, p. 174). Les dispositions régissant la libération et l'exécution des sûretés font directement suite, dans le Code de procédure genevois, à celles dont il a été question ci-dessus. L'art. 161, en particulier, prescrit que les sûretés sont dégagées si la liberté provisoire prend fin, ou en cas de classement, de non-lieu, d'acquittement, d'absolution, de décès, ou lorsque l'inculpé s'est présenté aux actes de procédure pour l'exécution du jugement. Cette règle trouve son équivalent notamment à l'art. 57 PPF, qui précise que les sûretés sont dégagées lorsque la détention ne se justifie plus. D'autres codes de procédure cantonaux contiennent des dispositions analogues (voir notamment en ce qui concerne le Code de procédure bernois, M. WAIBLINGER, Das Strafverfahren des Kantons Bern, ad art. 132, p. 209 ss). Le but de la loi genevoise sur ce point ne comporte de la sorte aucune équivoque. Aussi a-t-on quelque peine à comprendre les hésitations exprimées par l'autorité cantonale au sujet de la portée exacte de la caution, en particulier sa référence à un "usage genevois" en la matière. Le texte de la loi, de même que les conceptions communément admises à cet égard, devaient l'amener à la conclusion que la caution n'a d'autre but que de garantir la comparution ultérieure du prévenu aux actes de la procédure pour l'exécution du jugement, mais qu'elle ne vise en revanche pas à assurer l'exécution complète de la peine à laquelle ce dernier pourrait être condamné.c) Il appert en l'espèce que le recourant, en se présentant tout d'abord à l'audience de jugement puis en commençant, à sa demande, l'exécution de sa peine, a accompli toutes les obligations légales dont le dépôt de la caution devait garantir l'exécution. Le séquestre intervenu entre-temps ne changeait en soi rien au sort que les dispositions de procédure pénale réservent aux sûretés, une fois que leur but a été atteint. Pour être admissible, la mesure de contrainte ordonnée par le procureur général en raison de la fuite ultérieure du recourant eût impliqué que la garantie offerte par le dépôt de la caution portât également sur l'exécution de la peine. Or, aucun motif tiré de la loi n'autorise une telle extension de l'usage de la caution. On chercherait en vain une disposition permettant au procureur général de s'opposer, comme il art. 156 et 161 CPP gen., qui définissent respectivement le but des sûretés et le moment de leur libération. En aucun cas, sa portée ne saurait s'étendre au-delà de ces limites légales. Une interprétation extensive de l'art. 162 al. 1 CPP gen. serait manifestement insoutenable. Elle conduirait en effet à admettre la possibilité de bloquer, pendant toute la durée de l'exécution d'une peine, des sûretés qui, pour une raison quelconque, n'auraient pas été libérées à la fin de la détention préventive. Cela reviendrait à introduire un but étranger à celui que le législateur genevois a voulu atteindre en instituant la mise en liberté sous caution. Sous cet angle, la décision de l'autorité cantonale confirmant celle du procureur général, viole les dispositions claires de la loi cantonale et ne peut, dès lors, être maintenue.
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l'a fait dans la présente espèce, à la libération de la caution après le début de l'exécution de la peine. C'est à tort, notamment, que dans ses observations sur le recours de droit public, ce dernier fait appel au texte de l'art. 162 al. 1 CPP gen. Certes, cette disposition déclare les sûretés exécutoires si l'inculpé se soustrait systématiquement à l'exécution du jugement. Elle doit cependant être mise en relation avec les
3. Il reste cependant à voir si, comme le retient l'autorité cantonale, la libération des sûretés que réclame le recourant se heurte, en l'espèce, au principe de la bonne foi. Selon l'ordonnance déférée, en effet, le recourant, en voulant s'opposer à la décision du procureur général alors même qu'il se trouve en fuite et se soustrait ainsi systématiquement à l'exécution de sa peine, commettrait un abus de droit.
a) Il convient tout d'abord de relever que l'autorité cantonale, lorsqu'elle reproche au recourant son comportement abusif, se réfère au moment où ce dernier a pris la fuite, soit postérieurement à la date de sa seconde mise en liberté provisoire, destinée à lui permettre de subir sa peine. En revanche, elle n'affirme nulle part qu'il aurait manifesté une attitude contraire à la bonne foi déjà au moment du début de l'exécution de la peine, lorsque la libération des sûretés aurait dû normalement avoir lieu. Or, à ce moment-là, ainsi qu'il a été dit plus haut, les obligations que la caution était destinée à garantir, conformément à l'art. 156 CPP gen., avaient toutes été exécutées par le recourant. L'abus de droit que retient l'autorité cantonale se rapporte donc exclusivement à la violation d'une obligation ultérieure, à savoir l'exécution effective de la peine, qui se distingue des précédentes par sa nature et dont la
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caution n'est pas destinée à garantir l'accomplissement. Le principe de la bonne foi ancré à l'art. 2 CC et étendu par le Tribunal fédéral, dans sa jurisprudence relative à l'art. 4 Cst., à l'ensemble des domaines du droit et en particulier à la procédure civile et pénale (ATF 104 IV 94 consid. 3a; 102 Ia 579 consid. 6; ATF 101 Ia 44 consid. 3; ROBERT HAUSER, Kurzlehrbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, p. 139), ne saurait cependant avoir une application toute générale, mais doit au contraire se rapporter à l'exécution d'une obligation déterminée. A cet égard déjà, la façon de voir de l'autorité cantonale est erronée.b) Mais c'est surtout en ce qu'elle méconnaît le sens et les fondements mêmes du principe de la bonne foi et de son corollaire l'interdiction de l'abus de droit que la décision attaquée est insoutenable. On rappellera que d'une manière générale, le principe de la bonne foi ne peut primer celui de la légalité et donner au juge le pouvoir de modifier comme il l'entend la loi ou d'en faire purement abstraction (KATHARINA SAMELI, Treu und Glauben im öffentlichen Recht, RDS vol. 96 (1977), t. II, p. 312). En particulier, la référence au principe de la bonne foi ne permet pas au juge d'introduire dans le droit toutes sortes de postulats d'éthique sociale que le législateur n'a pas voulu y insérer. Pour les droits dérivant directement de la loi, la détermination de leur contenu selon les règles de la bonne foi se rapproche d'une interprétation téléologique de la règle légale correspondante, l'angle de vue de la confiance ne pouvant modifier fondamentalement le résultat (HENRI DESCHENAUX, Titre préliminaire du Code civil, p. 143). Bien plus, lorsque le but d'une disposition légale est défini clairement ou qu'il revêt un caractère absolu, comme c'est le cas des règles de procédure, il n'y a normalement pas place pour une adaptation au cas particulier sous le signe de la bonne foi (DESCHENAUX, ibidem). Quant à la règle prohibant l'abus de droit, elle autorise certes le juge à corriger les effets de la loi dans certains cas où l'exercice d'un droit allégué créerait une injustice manifeste (MERZ, Kommentar n. 21 ad art. 2 CC). Toutefois, son application doit demeurer restrictive et se concilier avec la finalité, telle que l'a voulue le législateur, de la norme matérielle applicable au cas concret (MERZ, Kommentar n. 55-58; DESCHENAUX, op.cit., p. 144). Ainsi, pour être qualifié d'abusif, l'exercice d'un droit doit aller à l'encontre du but même de la disposition légale qui le consacre, de telle sorte que l'écart entre le droit exercé et l'intérêt qu'il est censé protéger soit manifeste (DESCHENAUX, ibidem). En définitive, l'application des règles de la bonne
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foi ne saurait en aucun cas servir à vider la loi de sa substance et à réaliser des objectifs que le législateur, conscient des divers intérêts qu'il avait à prendre en considération, n'a pas voulu atteindre.c) Dès lors que le dépôt des sûretés n'a pas pour but de garantir l'exécution de la peine, mais uniquement d'assurer la participation du prévenu à l'instruction et à l'audience de même que son incarcération en cas de condamnation à une peine ferme, l'autorité cantonale ne pouvait, au regard des principes rappelés ci-dessus, s'appuyer sur le comportement jugé contraire à la bonne foi du recourant en cours d'exécution de la peine pour contraindre les sûretés. Elle était d'autant moins fondée à le faire que celles-ci auraient dû être antérieurement libérées. Sa décision est ainsi entachée d'arbitraire. Le recours de droit public doit donc être admis et la décision attaquée annulée, les droits des créanciers quant à la réalisation du séquestre sur le plan civil étant au demeurant réservés.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Admet le recours dans la mesure où il est recevable et annule la décision attaquée.
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