Urteilskopf
109 Ib 238
41. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public du 8 juillet 1983 dans la cause Vêtements Frey S.A. contre Conseil d'Etat du canton de Genève (recours de droit public et de droit administratif)
Regeste
Zulässigkeit der Verwaltungsgerichtsbeschwerde. Art. 21 Abs. 3 der Verordnung des Bundesrates über die Begrenzung der Zahl der erwerbstätigen Ausländer vom 20. Oktober 1980 (SR 823.21). Verpflichtung eines Arbeitgebers, sich einem Gesamtarbeitsvertrag zu unterziehen, und Bundesgesetz über die Allgemeinverbindlicherklärung von Gesamtarbeitsverträgen vom 28. September 1956 (AVEG, SR 221.215.311).
1. Zulässigkeit der Verwaltungsgerichtsbeschwerde, wenn der angefochtene Entscheid auf einen kantonalen Reglement beruht, welches den Wortlaut eines bundesrechtlichen Norm übernommen hat (E. 3b).
2. Art. 100 lit. b Ziff. 3 OG bezweckt nicht, einen schweizerischen Arbeitgeber an der Verwaltungsgerichtsbeschwerde zu hindern, wenn dieser sich nicht den Bestimmungen eines Gesamtarbeitsvertrages unterziehen will, zu deren Einhaltung ihn die kantonale Behörde bei der Erteilung einer Bewilligung für die Einstellung eines ausländischen Arbeitnehmers zwingt (E. 3c und d).
3. Die Anwendung eines Gesamtarbeitsvertrages auf einen nicht beteiligten Arbeitgeber verletzt das AVEG und überschreitet die Anforderungen von Art. 21 Abs. 3 der Verordnung des Bundesrates über die Begrenzung der Zahl der erwerbstätigen Ausländer vom 20. Oktober 1980, soweit sie sich nicht darauf beschränkt, den Ausländern eine hinsichtlich Entlöhnung und Arbeitsbedingungen ähnliche Behandlung wie den Schweizern zu garantieren (E. 4).
En février 1981, la société Vêtements Frey S.A. (ci-dessous: Frey S.A.) ayant son siège social à Wangen dans le canton de Soleure, possédant en outre 36 succursales en Suisse, a déposé auprès de l'Office cantonal de l'emploi du canton de Genève une demande de changement de place pour M. Jean-Claude Wirth, tailleur dans la confection pour hommes, frontalier de nationalité française.
M. Wirth avait déjà travaillé auparavant à Genève pour la société Le Bon Génie du 6 décembre 1979 au 29 janvier 1981.
Le 5 mars 1981, l'Office cantonal refusa l'autorisation au motif que Frey S.A. ne respectait pas ses obligations conventionnelles.
En date du 2 avril 1981, Frey S.A. a déposé un recours au Conseil d'Etat contre la décision de l'Office cantonal de l'emploi; par décision (intitulée "arrêté") du 29 avril 1981, le Conseil d'Etat a admis partiellement le recours "en ce sens que la société Vêtements Frey S.A. Genève est autorisée à procéder à l'engagement de M. Jean-Claude Wirth, de nationalité française, frontalier, dans la mesure où elle signe auprès de l'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail la déclaration officielle aux termes de laquelle elle s'engageait à se conformer aux conditions de la convention collective organisant sa branche d'activité". L'autorité cantonale a fondé sa décision sur le règlement cantonal du 29 juin 1954 concernant les conditions de l'octroi des autorisations de séjour aux travailleurs étrangers (Recueil systématique de la législation genevoise: F/2/7); elle a mentionné également l'ordonnance du Conseil fédéral limitant le nombre des étrangers qui exercent une activité lucrative du 22 octobre 1980 (RS 823.21, citée ci-après "ordonnance du Conseil fédéral").
Frey S.A. forme un recours de droit public au Tribunal fédéral et conclut à l'annulation de la décision du Conseil d'Etat du 29 avril 1981 dans la mesure où elle fait obligation à la recourante de "signer auprès de l'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail la déclaration officielle aux termes de laquelle
BGE 109 Ib 238 S. 241
elle s'engagerait à se conformer aux conditions de la convention collective organisant sa branche d'activité". La recourante demande en outre au Tribunal fédéral qu'il confirme que Frey S.A. est autorisée à engager M. Jean-Claude Wirth comme tailleur pour la confection hommes. La recourante fonde son recours sur les art. 4, 31 et 31bis, ainsi que sur l'art. 2 disp. trans. Cst. Elle prétend en outre que la décision incriminée violerait la loi permettant d'étendre le champ d'application de la convention collective de travail (LECCT; RS 221.215.311) et conclut enfin à l'annulation du règlement cantonal.
Le Conseil d'Etat dans ses observations conclut au rejet du recours avec suite de frais et dépens.
Extrait des considérants:
3. La recourante soulève des griefs dirigés aussi bien à l'encontre de la décision prise par le Conseil d'Etat en date du 29 avril 1981 que du règlement édicté par le Conseil d'Etat en date du 29 juin 1954, et en particulier l'art. 3 de ce dernier tel qu'il a été modifié par règlement du 11 mars 1981 entré en vigueur le 19 mars 1981.
a) En tant que le recours s'en prend au règlement édicté par le Conseil d'Etat en date du 29 juin 1954 concernant les conditions de l'octroi des autorisations de séjour aux travailleurs étrangers, seule la voie du recours de droit public est en principe ouverte (art. 84 OJ).
On constate toutefois que la recourante formule des critiques à l'encontre du règlement cantonal mais ne prend aucune conclusion visant à annuler celui-ci, de sorte que sur ce point le recours ne remplit pas les exigences de l'art. 90 al. 1 lettre a OJ. Au demeurant, le recours paraît tardif. En effet, l'art. 3 du règlement incriminé a été modifié par un règlement du 11 mars 1981 entré en vigueur le 19 mars 1981. Le délai de 30 jours (art. 89 OJ) pour entreprendre une décision ou un arrêté n'a donc point été respecté puisque le recours est parvenu au Tribunal fédéral le 5 juin 1981. Le recours de droit public dirigé contre l'art. 3 du règlement cantonal est partant irrecevable.
b) Le Conseil d'Etat genevois a fondé sa décision sur l'art. 3 al. 2 du règlement concernant les conditions de l'octroi des autorisations de séjour aux travailleurs étrangers du 29 juin 1954; l'art. 3 du règlement cantonal dispose notamment:
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"Conformément aux ordonnances fédérales relatives à la main-d'oeuvre étrangère, l'Office cantonal de l'emploi veille à ce que les travailleurs étrangers en cause soient traités sur le même pied que les Suisses notamment quant aux conditions de rémunération et de travail en usage, à Genève, dans la profession (al. 1).
Les conditions de salaire et de travail, de même que les prestations sociales, doivent correspondre à celles assurées pour le même travail, dans la même entreprise et dans la même branche" (al. 2).
L'autorité cantonale dans la partie liminaire de sa décision déclare que le recours est dirigé contre la décision de l'Office cantonal de l'emploi prise en application de l'ordonnance du Conseil fédéral limitant le nombre des étrangers qui exercent une activité lucrative, du 22 octobre 1980 (RS 823.21). L'art. 21 al. 3 de cette dernière ordonnance prévoit notamment que "l'autorisation ne peut être accordée que si l'étranger est traité sur le même pied que les Suisses pour ce qui a trait aux conditions de rémunération et de travail en usage dans la localité et la profession...". Force est de constater que l'art. 3 al. 1 du règlement cantonal reprend presque littéralement le texte de l'art. 21 al. 3 de l'ordonnance du Conseil fédéral.
Dès lors que le règlement ne constitue qu'une reprise des dispositions fédérales qu'il exécute et n'a aucune portée indépendante par rapport à l'art. 21 al. 3 de l'ordonnance du Conseil fédéral, il convient de considérer que l'autorité intimée a fait en réalité application du droit fédéral. L'art. 3 du règlement précise au surplus que "l'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail (ci-après: l'Office) fait connaître aux employeurs non liés par une convention collective de travail au sens des art. 356 à 362 du Code des obligations, les usages de leur profession (al. 3). Les employeurs visés par l'al.3 doivent signer à l'Office un engagement officiel de respecter les usages en question". Cette dernière exigence a pour but d'assurer le respect des dispositions imposant le traitement sur pied d'égalité des travailleurs étrangers et indigènes.
S'agissant d'une décision fondée sur le droit public fédéral, la voie du recours de droit administratif est ainsi ouverte en principe (art. 5 PA et 97 OJ).
c) Conformément à l'art. 100 lettre b ch. 3 OJ, le recours de droit administratif n'est pas recevable en matière de police des étrangers, lorsqu'il est dirigé contre l'octroi ou le refus d'autorisations auxquelles le droit fédéral ne confère pas un droit.
Dans l'arrêt Shala et consorts reproduit aux
ATF 106 Ib 125 ss,
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le Tribunal fédéral s'est penché sur quelques questions relatives à l'application de l'ordonnance du Conseil fédéral limitant le nombre des étrangers qui exercent une activité lucrative du 23 octobre 1978 ainsi qu'à la recevabilité du recours de droit administratif ou de droit public formé par les étrangers et leurs employeurs à l'encontre du refus d'une autorisation de séjour fondé sur l'ordonnance susmentionnée. Dans ce dernier cas, le propriétaire d'un restaurant zurichois avait déposé une demande visant à lui garantir la délivrance d'une autorisation de séjour en faveur d'un travailleur de nationalité yougoslave qui devait être engagé en qualité de commis de rang pour la saison d'été 1980. Les autorités zurichoises refusèrent d'accorder ladite autorisation au motif que le salaire fixé pour le travailleur étranger ne correspondait pas aux conditions de salaires locales de la profession. Le Tribunal fédéral examina la recevabilité du recours de droit administratif à la lumière de l'
art. 100 lettre b ch. 3 OJ et déclara qu'au vu de l'art. 4 de la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers du 26 mars 1931 (LSEE; RS 142.20) - qui dispose que l'autorité statue librement dans le cadre des prescriptions légales et des traités avec l'étranger, sur l'octroi de l'autorisation de séjour ou d'établissement et de la tolérance -, l'étranger pas plus que son employeur virtuel en Suisse ne pouvaient faire valoir un droit à une autorisation au sens de l'
art. 4 LSEE précité. Le Tribunal fédéral relevait que l'étranger a parfois un tel droit fondé sur un traité liant la Suisse à un Etat étranger (
ATF 106 Ib 127 consid. 2a et b;
ATF 100 Ib 228 ss, cf. aussi FF 1929 I, p. 932 en haut).
d) Les circonstances du cas particulier se distinguent nettement de celles qui caractérisent l'arrêt Shala. En l'espèce, il y a lieu de souligner tout d'abord que l'autorité cantonale de recours s'est prononcée pour l'octroi de l'autorisation en faveur du travailleur étranger, mais à la condition que l'employeur s'engage à se conformer aux dispositions de la convention collective de la branche d'activité. Ensuite, il convient aussi de relever que, contrairement à l'affaire Shala, ce n'est pas la rémunération individuelle du travailleur à engager qui est en cause, mais la charge "de se conformer aux conditions de la convention collective organisant la branche d'activité de la recourante", imposée indépendamment de la question de savoir si le frontalier Wirth a un droit ou non à obtenir son permis. Elle touche tous les travailleurs étrangers y compris ceux qui ont droit à l'autorisation.
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Dans l'idée du Conseil d'Etat, tout permis délivré à un étranger travaillant au service de la recourante pourra et devra être grevé de cette charge. Bien que juridiquement cette dernière ne puisse s'appliquer qu'aux travailleurs étrangers, l'employeur sera tenu pratiquement d'adapter les conditions de tous ses travailleurs aux termes de la convention collective. Le sens de l'art. 100 lettre b ch. 3 OJ ne saurait être d'empêcher dans une telle situation les employeurs suisses de recourir devant le Tribunal fédéral. Le recours est partant recevable.
e) Dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'examiner si le frontalier Wirth, et par conséquent son nouvel employeur recourant en l'espèce, pourrait même éventuellement faire valoir un droit au changement de place de sorte que le Tribunal fédéral devrait déclarer le recours recevable pour cette raison également. La situation juridique des frontaliers n'est pas claire sur plusieurs points et le Tribunal fédéral sera probablement appelé à l'examiner à une autre occasion.
4. a) L'art. 21 al. 3 de l'ordonnance du Conseil fédéral précise qu'une autorisation ne peut être accordée que si l'étranger est traité sur le même pied que les Suisses pour ce qui a trait aux conditions de rémunération et de travail en usage dans la localité et la profession. Les exigences posées par cette disposition, reconnue conforme à la loi (
ATF 106 Ib 135 consid. 4b), ont pour but de garantir la paix du travail en accordant aux indigènes et aux étrangers des conditions de travail semblables, et de protéger ainsi les droits tant de ceux-ci que de ceux-là. En aucun endroit, l'ordonnance du Conseil fédéral n'envisage une dérogation aux principes posés dans la LECCT et ne permet d'étendre une convention collective de travail sans respecter la procédure prévue par cette loi.
L'autorité intimée soutient que les
art. 16 et 25 al. 3 LSEE (et non pas 25 al. 3 du "règlement" comme le gouvernement cantonal le mentionne à tort) permettent d'exiger d'une entreprise qui engage du personnel étranger, qu'elle se conforme à la convention collective de la branche d'activité. On constate cependant que l'
art. 16 LSEE prévoit simplement que les autorités, pour accorder une autorisation "doivent tenir compte des intérêts moraux et économiques du pays, ainsi que du degré de surpopulation étrangère", alors que l'
art. 25 al. 3 LSEE ne constitue qu'une norme donnant compétence au canton pour édicter "les dispositions nécessaires à l'exécution de la présente loi". Rien dans ces dispositions ne permet de déduire que les cantons sont
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autorisés à exiger des employeurs désirant engager du personnel étranger qu'ils se conforment à la convention collective de la profession.
Le Conseil fédéral dans sa décision du 28 avril 1971 (JAAC 35, 1970/71, No 10) a considéré que l'obligation imposée aux non-signataires d'une convention collective sur la base de l'art. 3 du règlement du 29 juin 1954 concernant les conditions de l'octroi des autorisations de séjour aux travailleurs étrangers, de s'affilier à une caisse de compensation créée par le contrat collectif en signant une déclaration équivalant à une adhésion individuelle, aboutissait "pratiquement au même résultat que la décision d'extension, sans toutefois que fussent respectées les conditions prévues dans la LECCT pour prendre une telle décision". Il ajoutait que le procédé incriminé "frustre les dissidents des droits que la LECCT leur accorde impérativement".
Le Conseil d'Etat estime que les dispositions de la convention collective reflètent les usages en vigueur dans la profession dès lors qu'une forte proportion des entreprises genevoises y sont soumises. Ainsi qu'on l'a relevé plus haut, aucune disposition de l'Ordonnance du Conseil fédéral ne permet de déroger aux règles de la LECCT et d'étendre l'application d'une convention collective sans respecter la procédure prévue par cette loi. Il semble d'ailleurs que cette procédure devrait être facilitée par le fait qu'un grand nombre d'entreprises ont signé la convention, dans la mesure toutefois où ces dernières manifestent la volonté d'en étendre le champ d'application.
b) La décision entreprise n'est pas seulement contraire à la LECCT, elle n'est de surcroît nullement conforme au texte de l'art. 21 al. 3 de l'ordonnance du Conseil fédéral.
En effet, cette dernière disposition impose que l'on mette sur le même pied les Suisses et les étrangers pour ce qui a trait aux conditions de rémunération et de travail. Or l'obligation de se conformer à la convention collective dépasse le strict cadre des exigences posées par le Conseil fédéral, dès lors qu'elle ne se borne point à garantir que les étrangers soient traités de la même manière que les Suisses, mais tend à soumettre les Suisses et les étrangers à une même réglementation, différente de celle en vigueur au sein de la recourante. Au surplus, la convention collective ne vise pas seulement la rémunération et les conditions de travail, mais contient également les dispositions applicables aux apprentis auxquels l'art. 21 al. 3 de l'ordonnance du Conseil fédéral ne se réfère nullement.
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Il convient dès lors d'annuler partiellement la décision entreprise dans la mesure où elle contraint la recourante à signer la déclaration officielle aux termes de laquelle elle s'engagerait à se conformer aux conditions de la convention collective de travail organisant sa branche d'activité.