79. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 9 avril 1986 dans la cause Etat de Berne contre hoirie B. et Commission fédérale d'estimation du 5e arrondissement (recours de droit administratif)
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Regeste
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Enteignung; Immissionen aus dem Strassenverkehr; Voraussetzung der Unvoraussehbarkeit.
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Sachverhalt
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BGE 112 Ib 526 (527):
Du 18 novembre au 8 décembre 1959, la Direction des travaux publics du canton de Berne a déposé publiquement, au secrétariat municipal de la commune de La Neuveville, un avant-projet de route de détournement par le sud de cette localité. Cette nouvelle route devait être construite, à l'entrée est du bourg, sur un viaduc enjambant la ligne des chemins de fer fédéraux. Propriétaire de deux parcelles sises, l'une au bord du lac, soit au sud de la voie ferrée, l'autre au nord de cette voie, B. a formulé une opposition "au principe même du viaduc projeté", se réservant de faire valoir ultérieurement la lésion de ses droits de voisinage. Le projet général de la route nationale de troisième classe N 5 Le Landeron-Bienne fut déposé publiquement, pour ce qui concerne la section La Neuveville-Rostelen (km 54'000 à 61'300), du 7 juillet au 5 août 1962. Une variante de ce projet prévoyait également le passage de la route en viaduc au-dessus de la ligne de chemin de fer.
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Le 3 janvier 1964, B. a requis l'autorisation de construire une maison familiale à deux logements sur sa parcelle sise à l'entrée est de La Neuveville et comprise entre la route cantonale au nord et BGE 112 Ib 526 (528):
la ligne CFF au sud. Le permis de bâtir fut délivré le 21 février 1964 et la maison construite au cours de la même année.
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En été 1966 fut mis à l'enquête un premier projet définitif (art. 21 ss LRN; RS 725.11), qui prévoyait le passage de la route nationale en sous-voie au sud du chemin de fer. Ce projet ne fut cependant pas exécuté: du 12 mars au 10 avril 1968, le Service des autoroutes a procédé à la mise à l'enquête des plans d'une modification qui reprenait, pour le tronçon du km 54,68 au km 55,55, la solution du passage supérieur en viaduc. B. déposa une opposition contre le projet de viaduc en date du 5 avril 1968; il faisait valoir que cet ouvrage serait construit à quelque 25 m seulement de son immeuble, qu'il lui boucherait la vue sur le lac et qu'il provoquerait des émissions de bruit et de poussière; B. relevait en outre que s'il avait construit, en 1964, sa maison à cet endroit, c'était précisément à cause du dégagement côté lac et parce qu'il avait alors été décidé que la route passerait en sous-voie au sud de la ligne de chemin de fer bordant son terrain. Cette opposition fut écartée et la construction du viaduc fut entreprise pour être achevée en 1976.
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Par mémoire adressé le 22 mai 1975 à la Commission fédérale d'estimation du 5e arrondissement, B. a requis la condamnation de l'Etat de Berne à lui payer un montant "à dire de justice", à titre d'indemnité pour la dépréciation de son immeuble résultant de la construction et de l'exploitation d'un viaduc pour la RN 5. L'Etat de Berne s'est opposé à toute indemnisation, arguant notamment de ce que les conditions requises par la jurisprudence du Tribunal fédéral n'étaient pas réalisées. B. étant décédé en 1982, ses héritiers se sont substitués à lui en cours de procédure. Par décision des 22 mars et 22 juin 1984, la Commission fédérale d'estimation a condamné l'Etat de Berne à payer à l'hoirie B. une indemnité de 32'000 fr., plus intérêt dès le 29 juin 1977. Elle a notamment retenu que le requérant n'avait construit sa maison qu'après avoir obtenu l'assurance de l'autorité compétente que le détournement serait construit en sous-voie et passerait, en tranchée, au sud de la voie ferrée: la condition de l'imprévisibilité requise par la jurisprudence du Tribunal fédéral était dès lors réalisée.
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Agissant par la voie du recours de droit administratif, l'Etat de Berne requiert le Tribunal fédéral d'annuler cette décision. Il fait valoir, en substance, que les conditions pour l'allocation d'une indemnité expropriatoire, notamment celle de l'imprévisibilité, ne sont pas réalisées dans le cas particulier.
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BGE 112 Ib 526 (529): Extrait des considérants:
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1. Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les immissions provenant du trafic routier ou ferroviaire sont considérées comme excessives au sens de l'art. 684 CC et, partant, donnent lieu au paiement d'une indemnité uniquement si elles étaient imprévisibles pour le propriétaire, si elles l'atteignent d'une manière spéciale et si elles lui causent un dommage grave (ATF 111 Ib 234 consid. 2a, ATF 110 Ib 48 consid. 4, 346 consid. 2 et les nombreux arrêts cités). Réexaminant récemment sa jurisprudence relative à l'exigence de l'imprévisibilité, le Tribunal fédéral l'a confirmée en dépit des critiques exprimées par la doctrine (cf. ATF 111 Ib 234 /235 consid. 2a, ATF 110 Ib 48 ss consid. 4). Il a notamment confirmé que, dès qu'un projet de construction routière est connu, les voisins de la future route doivent en tenir compte et doivent s'y adapter en prenant les mesures propres à éviter ou à limiter le dommage; ce faisant, ils se conforment à une obligation de caractère général qui incombe à tout exproprié. Cette règle a pour conséquence qu'un propriétaire ne peut ni réclamer une indemnité de dépréciation à raison d'immissions pour un bien-fonds constructible qu'il aurait acquis alors que le projet de construction ou d'aménagement routier était connu, ni prétendre à une indemnité de moins-value pour un bâtiment qu'il aurait construit après ce moment. Dans son arrêt Aerni (ATF 111 Ib 235 consid. 2a), le Tribunal fédéral a en outre précisé que le cas de l'acquisition à titre d'avancement d'hoirie doit, à cet égard, être traité de la même manière que celui de l'acquisition par voie successorale, si bien que l'acquéreur se trouve dans la même position que son prédécesseur.
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Quoi qu'il en soit, même si, renonçant à une application stricte de cette jurisprudence, on ne devait attacher qu'une importance secondaire à l'emplacement de l'immeuble, on n'aboutirait pas à une conclusion différente. En effet, avant l'entrée en vigueur déjà de la loi fédérale sur les routes nationales, le canton de Berne avait procédé à la publication d'un projet de détournement prévoyant la solution du viaduc, et B. avait, alors déjà, formé une opposition; en outre, déposé publiquement après l'entrée en vigueur de la loi fédérale et alors que B. n'avait pas encore construit sa maison, le projet général de la route nationale de troisième classe N 5, de 1962, comportait également une variante avec passage de la route en viaduc. B. devait donc savoir, et n'ignorait d'ailleurs pas, qu'une telle solution était à l'étude et qu'elle pouvait éventuellement être réalisée. Le fait qu'en 1964, année où la maison fut construite, la solution du passage de la route en sous-voie semblait devoir être retenue n'est pas déterminant: les expropriés ne sont en effet pas en mesure de prétendre que l'autorité compétente - soit uniquement, en l'espèce, l'administration cantonale responsable de la construction de l'ouvrage - se serait engagée envers eux par des assurances quant à la réalisation de ce projet; les indications qu'ils disent avoir obtenues auprès du secrétariat municipal n'émanaient pas de l'autorité compétente et n'avaient donc pas valeur d'assurance au sens de la jurisprudence (cf. ATF 108 Ib 385 consid. 3b, ATF 102 Ia 335 consid. 3b). En réalité, la construction de la maison a été décidée sans que toutes les précautions qui s'imposaient au vu des circonstances eussent été prises. A cet égard, la présente espèce s'avère, en fait et en droit, identique à BGE 112 Ib 526 (531):
celle de la cause Philipp (ATF 108 Ib 499 ss), à laquelle il convient dès lors de se référer purement et simplement.
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b) Il résulte ainsi de ce qui précède que, contrairement à ce qui a été retenu dans la décision attaquée, une indemnité de dépréciation ne peut pas être allouée dans le cas particulier, pour ce motif déjà que la condition de l'imprévisibilité n'est pas réalisée. Cela étant, il n'y a pas lieu d'examiner encore, au regard de la condition de la spécialité, les critiques que le recourant dirige contre les mesures des immissions et contre l'évaluation de la situation acoustique, ni de statuer sur la question, elle aussi contestée, de la gravité du dommage.
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