Urteilskopf
82 II 238
35. Arrêt de la Ire Cour civile du 14 février 1956 dans la cause Weill contre Witz et Neuffer, société en nom collectif.
Regeste
Erfindungspatente; Alleinverkaufsrecht.
OG Art. 67 ist mindestens auf jene Fälle anwendbar, in denen die Gültigkeit eines Patentes streitig ist (Erw. I 1).
OG Art. 55 Abs. 1 lit. c. In Streitigkeiten über Erfindungspatente ist die Einreichung technischer Gutachten durch die Parteien auch im Berufungsverfahren noch zulässig (Änderung der Rechtsprechung; Erw. I 2).
Alleinverkaufsrecht, Rechtsnatur. Auslegung der Vertragsbestimmung betr. ein solches (Erw. III 1).
OR Art. 192 ff., 197 ff. Ist die Kaufsache die Nachahmung eines patentgeschützten Gegenstandes, so kann sich der Käufer nicht auf die Bestimmungen über die Entwehrung berufen, sondern lediglich auf Art. 197 ff. OR (Erw. III 2).
Überprüfungsbefugnis des Bundesgerichts hinsichtlich des Vorliegens einer Erfindung. Bedeutung der Ansicht der Fachleute (Erw. III 3 a).
Auslegung des Patentanspruchs, insbesondere unter Heranziehung der Patentbeschreibung (Erw. III 3 b).
Neuheit, insbesondere wenn die Erfindung lediglich in der Veränderung der Ausmasse einer bekannten Vorrichtung besteht (Erw. III 3 b i.f.).
Ein Unteranspruch kann selbst bei Nichtigkeit des Hauptanspruches gültig sein (Erw. III 3 c).
Kombinationserfindung (Erw. III 3 d).
A.- La société en nom collectif Witz et Neuffer, à Genève, s'occupe d'importations et d'exportations. En 1947, elle entra en relation avec Eugène Weill, à Berne, qui importe également des marchandises diverses.
En avril 1947, Witz et Neuffer achetèrent à Weill des stylographes à bille importés des Etats-Unis d'Amérique. Ils confirmèrent ce contrat par une lettre du 29 avril 1947, qui fut contresignée par Weill et qui contenait le passage suivant:
"Il a été convenu que vous cédiez à la maison Witz et Neuffer l'exclusivité pour toute la Suisse des Goldballpen marque Erskine. Nous nous sommes engagés à prendre une première quantité de 100 grosses, divisée en deux tranches de 50 grosses, prix fixé à fr. 6,45 pièce, franco Genève, dédouanée".
Pour payer la première tranche de 50 grosses, Witz et Neuffer ouvrirent en faveur de Weill un accréditif irrévocable de 46 440 fr., qui expirait le 30 juin 1947. Cette marchandise fut effectivement livrée et payée. La première facture reçue par les acheteurs porte la date du 7 juin 1947.
Entre temps, Witz et Neuffer s'étaient plaints à Weill, par une lettre du 30 mai, de ce que la maison America-Import, à Lausanne, livrait en Suisse des stylographes Erskine. "Nous sommes obligés de protester, écrivaientils, parce que vous nous avez accordé une exclusivité téméraire, exclusivité que vous n'avez sans doute pas reçue vous-même de votre fabricant; nous vous rendons attentif à cette situation qui est susceptible de nous causer de graves préjudices dont nous serons obligés de vous tenir responsable." Ils confirmèrent ces réclamations le 12 juin, mais, le même jour, ils envoyèrent à Weill une seconde lettre où ils disaient notamment:
"... Si nous vous expliquons notre surprise et notre mécontentement dans cette affaire de plumes, ce n'est pas pour vous en faire grief à vous personnellement ... Nous insistons encore pour vous dire que vous n'y êtes absolument pour rien ... Le fabricant américain se trouvant devant un accréditif utilisable jusqu'à fin juin a ni plus ni moins raisonné de la façon suivante: Puisque je suis sûr d'encaisser le montant des 50 grosses vendues à Monsieur Weill, autant que je fournisse d'abord tous les autres qui sont pressés, puis, avant le 30 juin, j'expédierai les plumes à Monsieur Weill. En se comportant de cette façon, votre fabricant est parfaitement dans ses droits, mais nous avons été lésés par excès de confiance..."
Le 1er juillet, Weill signala à Witz et Neuffer que le fabricant s'était engagé formellement à ne plus livrer de "Goldballpens Erskine" à d'autres clients en Suisse pendant une durée de six mois à compter du moment où les 50 grosses vendues avaient été payées. Jusqu'à fin septembre, Witz et Neuffer adressèrent encore différentes lettres à leur vendeur à propos des stylographes en question, mais ils ne se plaignirent plus de la présence en Suisse de plumes du même modèle.
En octobre 1947, les ingénieurs-conseils Dériaz et Kirker firent paraître dans la presse un avertissement selon lequel
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ils poursuivraient judiciairement la vente en Suisse de stylographes constituant une contrefaçon de ceux d'Henry-George Martin, titulaire de quatre brevets suisses et de la marque Biro. Witz et Neuffer lui ayant soumis une plume Erskine, Kirker leur déclara qu'elle contrefaisait l'invention protégée par le brevet Martin No 246 017 déposé le 23 mai 1944 et enregistré le 15 décembre 1946. Ils en avertirent Weill par une lettre du 20 novembre et mirent à sa disposition les stylographes dont ils disposaient encore, tout en lui demandant d'en restituer le prix. Ils se heurtèrent à un refus, mais cessèrent cependant de vendre les plumes en cause.
B.- Le 11 novembre 1947, Witz et Neuffer avaient en outre acheté à Weill 2037,7 m. de doublure en soie artificielle, pour le prix de 4 fr. 90 le mètre. Par lettre du 19 novembre, ils s'étaient plaints à Weill de la qualité de la marchandise et lui avaient demandé une diminution du prix. Le vendeur refusa toute réduction et les somma de payer le prix convenu. Mais ils ne s'exécutèrent point.
C.- Par exploit du 4 février 1948, Weill fit assigner la société en nom collectif Witz et Neuffer devant les tribunaux genevois, en concluant à ce qu'elle fût condamnée à lui payer le prix des tissus vendus, savoir 9979 fr. 85, avec intérêt à 5% dès le 15 décembre 1947.
La défenderesse demanda que ce prix fût réduit de 30% et reconnut devoir 6985 fr. 90 pour les tissus qu'elle avait achetés. En outre, elle offrit de restituer à Weill 4338 stylographes et 500 cartouches de rechange qui lui restaient et conclut reconventionnellement à ce qu'il fût condamné à lui rembourser 29 137 fr. 60, prix qu'elle avait payé pour ces marchandises, et à lui verser 6873 fr. 90 pour sa perte de gain ainsi que 7500 fr. pour ses frais de prospection. A l'appui de son action reconventionnelle, la défenderesse soutenait qu'elle n'avait pas bénéficié de l'exclusivité que Weill lui avait garantie et que, d'autre part, elle avait été, en raison du brevet Martin, victime d'une éviction selon les art. 192 et suiv. CO.
Weill conclut au rejet de la demande reconventionnelle.
Par jugement du 13 décembre 1951, le Tribunal de première instance du canton de Genève admit la demande principale à concurrence de 7983 fr. 88 avec intérêt à 5% dès le 15 décembre 1947 et débouta la défenderesse des fins de son action reconventionnelle.
La défenderesse appela de ce jugement. La Cour de justice le confirma en ce qui concerne l'action principale. Quant à la demande reconventionnelle, la juridiction d'appel ordonna, au sujet du brevet Martin, une expertise dont elle chargea MM. Briquet, Bugnion et Micheli, puis une surexpertise qu'elle confia à MM. Extermann, Dumas et Lauber. Les experts conclurent à la nullité du brevet, mais la juridiction cantonale ne partagea pas leur avis. Elle considéra que le brevet Martin était valable et que la plume Erskine constituait une contrefaçon du stylographe qu'il protégeait. Elle en conclut que la défenderesse avait été victime d'une éviction et condamna Weill à lui restituer, contre remise des 4338 stylographes et des 500 cartouches de rechange, le prix payé pour ces marchandises, savoir 29 137 fr. 60, ainsi que 500 fr. de dommages-intérêts pour l'immobilisation de ce capital. Elle admit en outre que la défenderesse n'avait pas bénéficié de l'exclusivité garantie par Weill, laquelle était illusoire, et lui alloua une indemnité de 500 fr. pour réparer le dommage qu'elle avait subi de ce chef.
D.- Contre cet arrêt, Weill a formé un recours en réforme au Tribunal fédéral, en concluant à ce que la société en nom collectif Witz et Neuffer fût déboutée des fins de son action reconventionnelle.
L'intimée a proposé le rejet du recours et la confirmation de l'arrêt attaqué, en s'appuyant sur des consultations délivrées par l'ingénieur-conseil Loyer, de Paris, et produites dans les instances cantonales.
E.- Le juge d'instruction a demandé un nouveau rapport aux experts Extermann, Dumas et Lauber. L'intimée
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y a répondu par une consultation de l'ingénieurconseil Loyer, à la suite de quoi les experts judiciaires ont produit un rapport complémentaire. En outre, ils ont été convoqués à l'audience d'aujourd'hui pour être entendus.Considérant en droit:
I.1. Dans les contestations relatives aux brevets d'invention, les pouvoirs de la juridiction fédérale de réforme sont soumis à des règles particulières en vertu de l'art. 67 OJ. Cette disposition, dans la teneur que lui a donnée l'art. 118 LBI, confère au Tribunal fédéral le pouvoir de vérifier, sur requête ou d'office, les faits d'ordre technique constatés par la juridiction cantonale et d'ordonner à cet effet les mesures probatoires nécessaires; en outre, si l'expert commis par le Tribunal fédéral avance des faits nouveaux, celui-ci peut, en ce qui les concerne, faire administrer au besoin de nouvelles preuves; les parties ont également le droit, à certaines conditions, d'invoquer des faits et preuves nouveaux se rapportant à des questions techniques; enfin, le Tribunal fédéral peut, lors de la délibération, faire appel à l'expert commis par lui.
Cependant, l'art. 67 OJ ne précise pas ce qu'il faut entendre par "contestations relatives aux brevets d'invention". Dans son arrêt Schnell (RO 74 II 187), le Tribunal fédéral a jugé que cette expression n'englobait pas les litiges où les questions touchant au droit des brevets ne sont soulevées que par voie d'exception. Mais il s'agissait dans ce cas de l'application de l'art. 49 LBI de 1907, qui réglait la compétence des juges cantonaux (cf. aujourd'hui l'art. 76 al. 1 LBI, où il est question, de façon plus précise, des "actions civiles prévues par la présente loi"). Dans cette disposition, l'expression "contestation relative aux brevets d'invention" n'avait donc pas nécessairement le
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même sens que dans l'art. 67 OJ, dont la ratio est différente.Les règles spéciales de l'art. 67 OJ ont, en effet, été édictées en raison des difficultés particulières que présentent les contestations relatives aux brevets, où une saine solution des questions juridiques suppose souvent des connaissances techniques qui font généralement défaut aux juristes et où le fait et le droit sont si intimement liés qu'il apparaît presque impossible de les séparer (cf. RO 57 II 617, 58 II 282; message complémentaire du Conseil fédéral concernant le projet de revision de la loi sur les brevets d'invention, du 28 décembre 1951, FF 1952 I p. 28). Ces difficultés se manifestent en premier lieu dans les litiges qui mettent en jeu la validité du brevet, que celle-ci soit contestée par une action principale ou une demande reconventionnelle. Mais il en est de même si la validité du brevet n'est mise en cause que par voie d'exception. Dans ce cas, la décision prise sur ce point n'est, il est vrai, pas revêtue de l'autorité de la chose jugée. Cependant, le Tribunal fédéral n'en doit pas moins se prononcer sur la validité du brevet et il rencontre alors les mêmes difficultés que si cette question lui était soumise par une action principale ou reconventionnelle. Aussi est-il indispensable qu'il puisse revoir les faits d'ordre technique et s'entourer, dans cette mesure, des renseignements qui lui sont nécessaires. A cet égard, il importe peu que le titulaire du brevet soit ou non partie au procès: les difficultés qui ont fait adopter l'art. 67 OJ existent dans un cas comme dans l'autre. On doit donc en conclure que cette disposition est applicable à tous les différends dans lesquels la validité d'un brevet est litigieuse (cf. BOLLA, L'article 67 de la nouvelle loi fédérale d'organisation judiciaire, dans Bulletin du Groupe suisse de l'Association internationale pour la protection de la propriété industrielle, 1944, p. 173).
Une telle interprétation s'impose du reste si l'on veut éviter autant que possible des décisions contradictoires. En effet, lorsque le juge ne se prononce sur la validité du brevet qu'à titre préjudiciel, sa décision n'est pas, sur ce
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point, revêtue de l'autorité de la chose jugée et la même question peut encore être, par la suite, l'objet d'une action en nullité du brevet. Or si, dans le premier procès, le Tribunal fédéral ne peut revoir les faits techniques et se procurer les renseignements voulus alors qu'il en a la possibilité dans le second litige, il risquera de devoir juger différemment la même question.Quant à savoir si l'art. 67 OJ s'applique également dans d'autres cas, par exemple lorsque la violation d'un brevet est litigieuse, c'est là une question qu'il n'est pas nécessaire de résoudre en l'espèce.
L'intimée fonde son droit sur le brevet Martin, dont Weill conteste la validité. Dès lors, l'art. 67 OJ est applicable et c'est avec raison que le juge d'instruction a demandé aux experts des rapports complémentaires et les a convoqués à l'audience d'aujourd'hui.
I.2. Après avoir admis que, dans les procès relatifs à des brevets d'invention, les parties produisent encore des consultations techniques dans la procédure de réforme (cf. notamment RO 39 II 344, 57 II 617, 58 II 60), le Tribunal fédéral a refusé, à partir de l'arrêt "Orion" Automobilwerkstätten (RO 58 II 282), de recevoir de tels documents. Mais cette jurisprudence ne saurait être maintenue sous l'empire de l'art. 67 OJ. Pour être à même de critiquer les faits d'ordre technique constatés par la juridiction cantonale, de requérir de nouvelles mesures probatoires et d'invoquer des faits et preuves nouveaux, les parties doivent pouvoir se fonder sur l'avis de leur conseil technique privé et soumettre ses consultations au Tribunal fédéral. Du reste, la juridiction de réforme a toujours admis les avis de droit produits devant elle par les parties. Il doit en être de même des consultations techniques dans les litiges relatifs aux brevets d'invention, puisque, dans ce domaine, elle peut maintenant revoir aussi les faits d'ordre technique. C'est donc avec raison que la dernière consultation de l'ingénieur-conseil Loyer a été versée au dossier.
Le jugement cantonal n'est pas attaqué en tant qu'il a condamné l'intimée à payer au recourant, pour la doublure de soie artificielle, le montant de 7983 fr. 88 avec intérêt à 5% dès le 15 décembre 1947. Dans cette mesure, il est donc définitif.
III.1.- En ce qui concerne l'exclusivité accordée par le recourant à l'intimée, le contrat du 29 avril 1947 ne précisait point quand elle commençait à porter effet et le jugement cantonal n'indique pas quel était, sur ce point, la volonté interne des parties. Au début, Witz et Neuffer paraissent avoir considéré que la clause en question devait sortir effet dès la conclusion du contrat. Mais, ils ont en tout cas renoncé à cette thèse par leur seconde lettre du 12 mai 1947 et ont admis dès lors que l'exclusivité commençait au moment de l'exécution du contrat, c'est-à-dire le 30 juin au plus tard. Par la suite, ils ont confirmé que telle était bien leur opinion en acceptant sans réagir la lettre que Weill leur a écrite le 1er juillet pour préciser que l'exclusivité portait effet pendant six mois à dater du paiement des 50 grosses de stylographes. Ainsi, à supposer que, dans l'idée des parties, la clause d'exclusivité dût entrer en vigueur dès la conclusion du contrat, l'intimée a renoncé ultérieurement à se prévaloir de ce point de départ et a admis que le fournisseur de Weill envoyât encore des "Goldballpens Erskine" à d'autres clients suisses tant que les 50 grosses n'auraient pas été livrées et payées. Or elle ne prétend pas que ce fournisseur ou le recourant aient livré de telles marchandises à d'autres maisons suisses après le 7 juin 1947, date de la première facture qu'elle a reçue.
La juridiction cantonale relève, il est vrai, que le fournisseur de Weill n'était pas le fabricant des plumes Erskine, que celui-ci était donc resté libre de vendre en Suisse et
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que l'exclusivité accordée à l'intimée était illusoire. Dès lors, ajoute-t-elle, Witz et Neuffer, qui considéraient le vendeur américain comme le fabricant des stylographes, sont partis d'une idée erronée lorqu'ils ont écrit leur seconde lettre du 12 juin 1947 ainsi que leurs lettres ultérieures et ils "gardent tous leurs droits envers Weill dans la mesure où ils ont été dans l'erreur sur la qualité de son fournisseur".On doit admettre avec la Cour de justice que, par la clause d'exclusivité, Weill ne s'est pas borné à s'interdire personnellement de livrer des "Goldballpens Erskine" à d'autres personnes en Suisse. Witz et Neuffer étaient en droit d'admettre qu'il disposait lui-même de l'exclusivité de la vente en Suisse et qu'il garantissait son observation par le fabricant des plumes. Dans cette mesure, la clause d'exclusivité constitue une promesse de porte-fort (art. 111 CO) et oblige le recourant à des dommages-intérêts si elle n'a pas été respectée par son fournisseur ou le fabricant. Mais cela ne change rien au fait que l'intimée a admis que l'exclusivité ne produisît effet qu'à partir de l'exécution du contrat. L'erreur dans laquelle Witz et Neuffer ont pu se trouver quant à la personne du fournisseur de Weill importe peu à cet égard. On ne voit pas, en effet, pourquoi ils auraient admis ce point de départ si le recourant traitait directement avec le fabricant et ne l'auraient pas fait au cas où le fournisseur américain ne serait qu'un intermédiaire. Or ils ne prétendent pas que des "Goldballpens Erskine" aient été livrées en Suisse par le fabricant ou d'autres personnes après le 7 juin 1947. On peut même admettre que ce n'a pas été le cas puisqu'ils n'ont plus dénoncé aucune violation de leur droit exclusif jusqu'en novembre 1947, époque où, étant en litige avec Weill sur d'autres points, ils ont repris tous les griefs qu'ils pouvaient faire valoir contre lui.
C'est donc à tort que la juridiction cantonale a condamné le recourant à payer 500 fr. à Witz et Neuffer pour violation de l'exclusivité qui leur avait été garantie.
III.2. L'intimée soutient que, si le brevet Martin est valable et que le stylographe Erskine constitue une contrefaçon de cette invention, elle souffre une éviction dont Weill doit la garantir en vertu des art. 192 et suiv. CO. Les juridictions cantonales ont admis cette thèse.
Effectivement, si les stylographes à bille que l'intimée a achetés constituaient une contrefaçon d'un produit breveté valablement, elle ne pourrait plus en disposer librement: elle serait passible de poursuites pénales et civiles si elle vendait ces marchandises ou les mettait en circulation. En revanche, tout autre acte de disposition lui serait permis et elle ne risquerait pas que les stylographes lui fussent soustraits par le titulaire du brevet Martin. Ainsi, la résiliation de la vente et la restitution de la marchandise au vendeur resteraient possibles. La présente cause se distingue par là de l'espèce traitée dans l'arrêt Eberhard (RO 57 II 403), où le Tribunal fédéral avait admis l'application des art. 192 et suiv. CO en cas de nullité du brevet vendu. En l'occurrence, le seul vice qui affecterait les marchandises serait qu'elles ne pourraient être revendues ou mises en circulation. Un tel défaut s'apparente à une interdiction légale de vente et doit être considéré, non comme un cas d'éviction, mais comme un vice juridique qui enlève à la chose soit sa valeur soit son utilité prévue, ou qui les diminue dans une notable mesure (art. 197 al. 1 CO; cf. BECKER, CO, rem. préc. l'art. 197, rem. 2).
Dès lors, l'intimée ne saurait se prévaloir des art. 193 et 194 CO et ne peut fonder le moyen tiré du brevet Martin que sur les art. 197 et suiv. CO. Pour obtenir la résiliation partielle de la vente, elle doit donc établir l'existence du défaut qu'elle allègue, c'est-à-dire prouver que le brevet Martin est valable et que le stylographe à bille Erskine constitue une contrefaçon de l'invention protégée par ce brevet.
III.3. a) La nouvelle loi sur les brevets d'invention, du 25 juin 1954, est entrée en vigueur le 1er janvier 1956. Mais,
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aux termes de l'art. 112 de cette loi, l'ancien droit continue à régir les causes de nullité pour les brevets délivrés avant le 1er janvier 1956. C'est donc au regard de la loi de 1907 qu'il faut examiner la validité du brevet Martin no 246 017.Cependant, Witz et Neuffer ne prétendent pas que le stylographe Erskine tombe sous le coup de la revendication et de toutes les sous-revendications du brevet Martin. Ils n'invoquent que la revendication et la sous-revendication 1. Il suffit donc, en l'espèce, de rechercher si cette partie du brevet est valable.
La question de l'existence d'une invention est du domaine du droit. Mais, pour apprécier juridiquement la nouveauté d'une invention, l'enrichissement qu'elle apporte à la technique, l'idée créatrice dont elle procède, le juge doit s'aider des critères fournis par les hommes du métier, qui, par leurs connaissances théoriques et pratiques, sont seuls à même de mesurer les difficultés de réalisation rencontrées par l'inventeur. En l'espèce figurent au dossier, outre les rapports des experts judiciaires, des consultations de l'ingénieur-conseil Loyer, de Paris, mis en oeuvre par Witz et Neuffer, ainsi que des rapports d'experts commis par des tribunaux étrangers dans des procès où la validité de brevets analogues au brevet suisse no 246 017 était litigieuse. Mais, pour le Tribunal fédéral, c'est l'avis des experts judiciaires commis en Suisse qui, dans le doute, constitue l'opinion des hommes du métier. Choisis par le tribunal pour leurs connaissances en la matière et leur indépendance à l'égard des parties, soumis à l'épreuve de la récusation, rétribués par le juge et non directement par les parties, les experts judiciaires offrent en effet les meilleures garanties de compétence et d'impartialité (cf. RO 74 II 132).
b) La revendication du brevet Martin litigieux est conçue comme suit:
"Stylographe du type dans lequel la pointe à écrire comporte une bille montée à rotation dans un logement, une partie de la bille étant exposée à l'extérieur du logement et de l'encre étant amenée
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à ladite bille à partir d'un espace contenant l'encre, caractérisé en ce que cet espace contenant l'encre est constitué par un conduit capillaire".Selon l'inventeur, la nouveauté consiste donc en ce que l'"espace contenant l'encre", c'est-à-dire le réservoir, est constitué par un conduit capillaire.
aa) Les experts judiciaires estiment que l'expression "conduit capillaire" manque de précision. Cependant, ajoutent-ils, on peut considérer comme tube capillaire "tout tube dont le rayon intérieur est inférieur ou au plus égal à la hauteur du point de contact du liquide avec une paroi plane verticale mouillée"; si l'on se fonde sur ce critère, on peut appeler conduit capillaire tout tube dont le diamètre intérieur n'excède pas 8 mm. Selon cette définition, le stylographe décrit par la revendication du brevet Martin n'a évidemment rien de nouveau. Il est notoire, en effet, que la plupart des stylographes à bille connus avant le brevet Martin avaient des réservoirs dont le d-iamètre intérieur ne dépassait pas 8 mm.
bb) Toutefois, les experts envisagent aussi une définition fonctionnelle du conduit capillaire dont par le la revendication, en interprétant celle-ci au moyen de la description. Cette méthode est admissible. En effet, si la description et les dessins ne sauraient compléter la revendication, ils peuvent en revanche servir à l'interpréter (art. 5 al. 4 LBI de 1907 et 50 al. 2 LBI de 1954; RO 50 II 72, 57 II 233, 58 II 61). Or les experts relèvent que, selon la description du brevet litigieux, l'inventeur a voulu obtenir un stylographe dans lequel l'encre forme une veine continue s'étendant jusqu'à la bille. Mais, ajoutent-ils, il est impossible de calculer, à l'aide de ces seules données, le diamètre maximum que doit avoir le réservoir du stylographe protégé; car les phénomènes capillaires dépendent également de la tension superficielle du liquide et de la "mouillabilité" des parois du tube; or on ne trouve aucune indication sur ce point dans le brevet; la description parle, il est vrai, d'une "encre visqueuse", mais la viscosité du
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liquide n'exerce aucune influence sur la capillarité. Par cette méthode, on n'arrive donc pas à donner de l'expression "conduit capillaire" une définition plus précise que celle à laquelle les experts ont abouti en se fondant de façon générale sur les phénomènes capillaires.cc) On trouve cependant une autre indication dans le brevet. "Par conduit capillaire, lit-on dans la description, on entend: conduit dont les dimensions sont telles que sa section transversale ne dépasse pas 5 mm2, par exemple". Ce serait là une définition précise si elle n'était pas exemplaire. On pourrait toutefois considérer que l'inventeur a voulu indiquer un ordre de grandeur maximum. Dans ce cas, on se trouverait en présence d'une nouveauté. Certes, les experts citent les brevets suisses 195 355, 204 880 et 219 955, qui sont tous trois antérieurs au brevet Martin et qui protègent des stylographes comportant des conduits très fins sur une longueur appréciable. Mais le réservoir proprement dit a, dans ces stylographes, une section bien supérieure à 5 ou 6 mmm2 et, parmi les plumes antérieures au brevet litigieux, le recourant n'a pu en indiquer aucune dont le réservoir eût sur toute sa longueur une section de moins de 6 mmm2. Lors donc qu'on admet que, par "conduit capillaire", il faut entendre en l'espèce un tube dont la section est de 5 ou 6 mm2 au maximum, l'élément caractéristique indiqué par la revendication du brevet Martin est nouveau.
Mais cela ne suffit pas pour qu'il y ait invention au sens de la loi. Il faut en outre qu'on ait obtenu un progrès technique et, de plus, que l'idée inventive atteigne un certain degré d'originalité qui se mesure à la possibilité qu'avait un homme du métier, possédant une bonne formation, de trouver la solution dont il s'agit (RO 74 II 140 et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral a jugé notamment que l'invention n'avait pas en général un niveau suffisant si elle consistait simplement à modifier les dimensions d'un appareil déjà connu (RO 34 II 56). Or c'est ce qu'a fait l'auteur de l'invention protégée par le brevet Martin. Tous les stylographes
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connus avant la plume Martin comprenaient un réservoir d'un diamètre assez grand, relié à la plume par un canal d'amenée d'encre très fin. L'inventeur s'est borné, en l'espèce, à diminuer le diamètre du tube servant de réservoir ou à prolonger le canal d'amenée pour que sa contenance soit accrue et qu'il constitue le réservoir. Une telle modification ne se heurtait à aucune difficulté technique et ne procède donc pas d'une idée inventive suffisamment originale. Dès lors, à supposer que le procédé indiqué par la revendication du brevet Martin soit nouveau, il ne saurait constituer une invention, faute d'idée créatrice.c) Cependant, même si la revendication principale est nulle, les sous-revendications peuvent définir des inventions et être valables (RO 43 II 521, 71 II 319). Il y a donc lieu d'examiner si l'objet de la sous-revendication 1 du brevet Martin constitue une invention au sens de la loi. Cette sous-revendication a la teneur suivante:
"Stylographe selon la revendication, caractérisé en ce que le conduit est ouvert à l'atmosphère à une extrémité et communique à l'autre extrémité avec la bille".
Sur ce point, toutefois, les experts signalent le brevet suisse 219 955, publié le 16 juin 1942, savoir deux ans avant le dépôt du brevet Martin. "Ce brevet, disent-ils, divulgue... un stylo à bille prévoyant une rentrée d'air, c'est-à-dire la possibilité énoncée par Martin de compenser tant les variations extérieures de pression et de température que l'écoulement de l'encre, ceci au moyen de chicanes livrant passage à l'air, comme c'est du reste le cas dans toutes les plumes à réservoir, et dans une autre plume encore, très ancienne et très voisine du stylo à bille, dénommée Tintenkuli; ainsi donc le brevet suisse cité prévoit ... la nécessité absolue d'une communication avec l'air ambiant par un chemin différent de celui parcouru par l'encre traçant l'écriture". Il découle de ces considérations que, dans la mesure où la sous-revendication 1 énonce que l'une des extrémités du réservoir est ouverte à l'atmosphère, elle
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n'indique rien de nouveau et ne définit donc pas une invention.d) Toutefois, une invention peut consister dans une combinaison nouvelle de moyens qui ne constituent pas eux-mêmes des inventions (cf. RO 57 II 231, 58 II 61 et 274, 69 II 184 et 423), encore que l'invention de combinaison ne soit pas un type particulier d'invention (RO 69 II 423). Or la sous-revendication 1 vise un stylographe dont le réservoir est un tube capillaire ouvert à l'atmosphère. Ce dernier élément était connu et le premier ne constitue pas une invention à supposer même que, par tube capillaire, on doive entendre un conduit dont la section ne dépasse pas 5 ou 6 mm2. Quant à la combinaison de ces deux éléments, elle ne peut davantage être considérée comme une invention. Car le stylographe fabriqué d'après la revendication et la sous-revendication 1 du brevet Martin ne se distingue de nombreuses plumes connues antérieurement que par le diamètre du tube servant de réservoir. Or - on l'a vu - une telle modification ne saurait constituer une invention.
Ainsi, dans la mesure en tout cas où l'intimée s'en prévaut, le brevet Martin n'est pas valable. Dès lors, les stylographes qu'elle a achetés à Weill n'étaient entachés d'aucun vice, ce qui entraîne, sur ce point encore, le rejet de son action reconventionnelle.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1. Le recours est admis, l'arrêt de la Cour de justice de Genève du 7 octobre 1955 est annulé et l'intimée est condamnée à payer au recourant 7983 fr. 88 avec intérêt à 5% dès le 15 décembre 1947.
2. La demande reconventionnelle est rejetée.