BGE 84 II 127
 
16. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 11 février 1958 dans la cause Helvetia contre Fasel et consorts.
 
Regeste
Art. 25 MFG.
 
Sachverhalt


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Résumé des faits:
Le 6 novembre 1950, vers 18 heures, sur la route principale Genève-Lausanne, à Bellerive, commune de Prangins, une collision se produisit entre le camion Chevrolet de Charles Borgognon et la voiture Lancia de dame Martha Tschantz. Borgognon, qui se dirigeait de Nyon vers Rolle, revenait à sa propriété, laquelle se trouvait à gauche par rapport au sens de sa marche. Comme le portail du jardin était fermé, il pénétra dans l'entrée et descendit pour ouvrir, laissant son véhicule de biais, l'angle arrière droit, qui faisait le plus saillie, empiétant de 1 m 75 sur la chaussée, large à cet endroit de 7 m 75. Il n'avait pas allumé ses phares, mais seulement ses feux de position. Ceux-ci, du reste, pas plus que les feux arrière, n'étaient visibles pour les conducteurs qui se dirigeaient vers Genève. La nuit était presque tombée, la route était sèche et le véhicule se trouvait entre les zones éclairées par deux réverbères. Jules Tschantz, conduisant la voiture Lancia dont sa femme Martha Tschantz était détentrice, venait de Rolle et se dirigeait vers Nyon. Il était accompagné notamment

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de sa femme. Il roulait à un mètre environ du bord de la chaussée; le volant de la voiture était à droite. Afin de ne pas gêner une voiture qui venait en sens inverse et qu'il croisa immédiatement avant d'arriver à la hauteur du camion, il éteignit ses grands phares et alluma ses feux de croisement. Arrivé à une très courte distance, il vit une masse sombre débordant sur la chaussée. Surpris, il donna un coup de volant à gauche, mais sans pouvoir éviter la collision. Sa voiture heurta l'angle arrière droit du camion; elle fut atteinte au phare droit, au capot; la carrosserie fut arrachée sur la partie droite, ainsi que la portière droite. Il reconnut lui-même n'avoir pas du tout ralenti. Après le choc, il réussit à redresser la machine et s'arrêta environ 100 m plus loin. Robert-Tissot, pilotant une voiture qui suivait la Lancia et roulant entre 70 et 80 km/h, les feux de croisement allumés, aperçut l'obstacle à une distance de 20 à 30 m; il put l'éviter par un violent coup de volant à gauche, reprendre sa direction primitive et s'arrêter devant l'automobile de Tschantz.
Dans la collision, les époux Tschantz furent grièvement blessés.
Le 6 novembre 1951, le Tribunal du district de Cossonay condamna Borgognon pour entrave à la circulation publique (art. 237 CP; contravention à l'art. 49 RA) à 200 fr. d'amende et donna acte aux plaignants de leurs réserves civiles.
Les époux Tschantz ayant cédé leurs prétentions issues de l'accident du 6 novembre 1950 à Fasel et consorts, ceux-ci actionnèrent l'Helvetia, assureur de Borgognon, en paiement du dommage. Le 26 septembre 1957, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois admit partiellement la demande.
L'Helvetia a formé un recours en réforme. Elle alléguait notamment que Jules Tschantz avait commis une faute concurrente. Le Tribunal fédéral a admis le recours.
 


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Extrait des motifs:
La recourante ne conteste ni la faute retenue contre Borgognon ni le montant du dommage subi par les époux Tschantz. Elle allègue en revanche que, conduisant la voiture avec la permission de la détentrice, sa femme, Jules Tschantz, contrairement à ce qu'a admis le premier juge, a commis une faute concurrente.
La cour cantonale n'a pas constaté la vitesse de Jules Tschantz lors de l'accident. Elle affirme cependant que, même s'il avait roulé tout d'abord à 80 ou 90 km/h et avait ralenti jusqu'à 70 km/h lors du croisement, on ne pourrait lui reprocher d'excès, la route étant rectiligne, bordée d'un trottoir de chaque côté et le trafic dense, partant très rapide.
Cette opinion se heurte à l'art. 25 LA, selon lequel le conducteur doit être constamment maître de son véhicule et en adapter la vitesse aux conditions de la route et de la circulation. Se fondant sur cette prescription légale, le Tribunal fédéral a constamment jugé que la vitesse du véhicule doit toujours permettre au conducteur de s'arrêter sur l'espace qu'il voit libre devant lui, en particulier, lorsqu'il a allumé soit ses grands phares, soit ses feux de croisement (RO 76 IV 56, consid. 3; 77 IV 102; 79 IV 66; 82 IV 108). Lors donc qu'un conducteur, pour ne pas éblouir celui qui vient en sens inverse, éteint ses grands phares pour allumer ses feux de croisement, il doit en même temps et au besoin modérer sa vitesse de façon à pouvoir s'arrêter sur la distance que son éclairage réduit lui permet de contrôler par la vue (art. 13 al. 1 lit. a RA).
La cour cantonale s'est mise en contradiction avec ces principes en faisant dépendre la vitesse admissible lorsqu'on roule avec les feux de croisement, non pas de la portée de ces feux, mais de l'intensité du trafic, de l'existence de trottoirs et même de la vitesse que les autres conducteurs jugent convenable.
Dans la présente espèce, Tschantz circulait avec ses

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feux de croisement. Il devait donc, au besoin, ralentir. Il a reconnu lui-même n'en avoir rien fait. Or la collision ne peut s'expliquer que par une vitesse excessive, par l'inattention ou par ces deux causes à la fois. Autrement, Tschantz aurait vu l'obstacle à temps. On ne saurait invoquer en sa faveur la jurisprudence selon laquelle le conducteur ne commet point de faute lorsque, sur une route droite et en rase campagne, sans croisées ni débouchés de propriétés et autres lieux habités, il se fie, après avoir éteint ses grands phares, à l'image aperçue immédiatement auparavant (RO 65 I 199; 77 IV 102). L'accident ne s'est produit - que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de la localité - ni en rase campagne ni sur un trajet dépourvu de croisées ou d'entrées privées.
La cour cantonale exclut aussi la faute parce que c'était principalement le pont du camion qui empiétait sur la chaussée, que la peinture en était assez sombre et qu'il se trouvait à un mètre au-dessus du sol, de sorte que les feux de croisement ne pouvaient le révéler qu'à très courte distance. Elle admet cependant que le pont n'était pas seul sur le passage; la roue arrière droite s'y trouvait aussi. Reposant sur le sol, elle était visible d'aussi loin que portaient les feux de croisement, c'est-à-dire à 30 m (art. 13 al. 1 lit. a RA), distance sur laquelle le conducteur devait pouvoir s'arrêter.
La cour cantonale admet, à la vérité, que Tschantz n'aurait pas eu le temps de réduire convenablement sa vitesse entre l'extinction de ses grands phares et la collision. Mais elle constate elle-même que la route, au lieu de l'accident, est rectiligne, que Tschantz avait allumé ses feux de croisement afin de ne pas éblouir un conducteur qu'il croisa peu avant le choc. Dans ces circonstances, il a dû éteindre ses grands phares au moins 100 m avant de croiser l'autre véhicule (art. 39 al. 1 lit. b RA), c'est-à-dire à peu près 100 m avant la collision. Même sur cette distance, il aurait pu ralentir, comme la loi l'exige, de façon à voir l'obstacle à temps.


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Peu importe qu'une voiture se fût trouvée derrière lui. Elle devait se tenir à distance, de façon à pouvoir manoeuvrer s'il ralentissait pour une cause quelconque (art. 48 al. 1 RA). La cour cantonale n'a pas constaté que la voiture de Robert-Tissot ait violé cette règle et gêné Tschantz en quoi que ce soit.