BGE 84 II 487 |
67. Arrêt de la IIe Cour civile du 9 octobre 1958 dans la cause Chemitelin et consort contre Speyer. |
Regeste |
Gerichtsstandsvertrag zwischen der Schweiz und Frankreich vom 15. Juni 1869. |
2. Der danach unzuständige Richter hat die Sache von Amtes wegen von der Hand zu weisen, selbst wenn die Berufung aufden Gerichtsstandsvertrag durch die beklagte Partei an sich als rechtsmissbräuchlich erschiene (Erw. 3). |
3. Handelt es sich um die Erbschaft eines in der Schweiz verstorbenen Franzosen, so ist Art. 5 des Staatsvertrages nur anwendbar, wenn der Erblasser einmal in Frankreich Wohnsitz gehabt hat (Erw. 4). |
Sachverhalt |
A.- Paul Chemitelin, de nationalité française, est décédé à Fribourg le 25 mars 1953. Ses héritiers sont sa veuve, Louise Chemitelin, son fils Georges et sa fille Renée, aujourd'hui dame Speyer. L'inventaire établi au décès indiquait un actif de 136 874 fr., consistant en meubles et en papiers-valeurs, et un passif de 77 042 fr. 20. |
B.- Par une action intentée à ses deux cohéritiers devant le Tribunal civil de la Sarine (canton de Fribourg), Renée Speyer a demandé en substance que dame Chemitelin fût condamnée à consentir au partage, que les deux défendeurs fournissent les renseignements voulus sur l'actif et le passif de la succession, qu'il fût constaté que la masse successorale comprenait notamment différents biens indiqués par la demanderesse et, enfin, que Georges Chemitelin fût condamné à rapporter les montants de 27 964 fr. 60 et 39 500 fr.
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Georges Chemitelin a, dans sa réponse, contesté la compétence des tribunaux fribourgeois, en se fondant sur les art. 5 et 11 de la Convention franco-suisse sur la compétence judiciaire et l'exécution des jugements, du 15 juin 1869. Toutefois, les parties ont passé, le 31 juillet 1956, une convention prévoyant notamment que les deux défendeurs s'engageaient à retirer le déclinatoire. Georges Chemitelin l'a fait le 3 août 1956, en demandant en outre que l'audience prévue pour statuer sur cette question soit annulée et qu'un délai soit imparti à la demanderesse pour produire sa réplique. |
Quant à dame Chemitelin, elle n'a pas déposé de réponse.
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Le 25 avril 1957, les deux défendeurs ont demandé au Tribunal civil de la Sarine de statuer d'office sur sa compétence, avant la clôture de l'échange des écritures, et de se déclarer compétent pour connaître du litige.
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Cette juridiction a statué dans ce sens le 16 juillet 1957.
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Les défendeurs ont recouru contre cette décision, en concluant à ce que le Tribunal civil de la Sarine soit déclaré incompétent pour statuer sur le différend.
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Le Tribunal cantonal fribourgeois a rejeté le recours par arrêt du 7 mai 1958. Il a considéré en bref que, pour les successions mobilières, l'art. 5 al. 1 de la Convention franco-suisse n'était pas de droit impératif, que les parties pouvaient choisir un for conventionnel, que, par conséquent, la convention du 31 juillet 1956 constituait une prorogation de for valable et que le Tribunal civil de la Sarine était compétent pour connaître du litige.
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C.- Contre cet arrêt, Louise et Georges Chemitelin recourent en réforme au Tribunal fédéral, en reprenant les conclusions qu'ils ont formulées devant la juridiction cantonale.
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Dame Speyer propose le rejet du recours.
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Considérant en droit: |
2. Aux termes de l'art. 5 al. 1 de la Convention franco-suisse, "toute action relative à la liquidation et au partage d'une succession ... et aux comptes à faire entre les héritiers ... sera portée devant le tribunal de l'ouverture de la succession, c'est-à-dire, s'il s'agit d'un Français mort en Suisse, devant le tribunal de son dernier domicile en France ...". Il est constant qu'on se trouve en présence d'une telle action en l'espèce. Cependant, les parties sont convenues, par leur accord du 31 juillet 1956, de porter le litige devant le Tribunal civil de la Sarine. Pour statuer sur la compétence de cette dernière juridiction, il faut rechercher en premier lieu si le for prévu par l'art. 5 de la Convention franco-suisse est impératif et si, par conséquent, les parties ne peuvent choisir librement le juge qui devra connaître d'une action visée par cette disposition. |
a) On ne saurait trouver la solution de cette question dans les termes mêmes de la Convention. Certes, l'art. 11 statue que le tribunal suisse ou français devant lequel est portée une demande qui n'est pas de sa compétence renvoie d'office les parties devant les juges qui en doivent connaître. Toutefois, ainsi que le Tribunal fédéral l'a jugé à plusieurs reprises (RO 49 I 204 et les arrêts cités, 65 I 128, 80 III 156), cette disposition n'exclut pas une prorogation de for; elle signifie simplement que le juge doit se dessaisir d'office de la cause s'il n'est pas compétent, même lorsque le défendeur ne soulève aucun déclinatoire. D'autre part, l'art. 5 de la Convention dispose que l'action sera portée devant le tribunal de l'ouverture de la succession. Mais ces termes ne sont pas plus impératifs que ceux de l'art. 1er ("le demandeur sera tenu de poursuivre son action devant les juges naturels du défendeur"), lequel, d'après l'opinion unanime, institue des fors non obligatoires (cf. notamment RO 49 I 204 et les références, 80 II 392, 80 III 155 et la doctrine citée; SCHURTER/FRITZSCHE, Das Zivilprozessrecht des Bundes, p. 578; NIBOYET, Traité de droit international privé français, VI, p. 502).
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b) En revanche, il ressort clairement des travaux préparatoires que, dans l'idée des parties contractantes, l'art. 3 de la Convention, qui prévoit la possibilité de proroger le for, ne s'appliquait pas aux actions successorales visées par l'art. 5. Ainsi, dans son message du 28 juin 1869, le Conseil fédéral exposait ce qui suit: |
"Il va sans dire que l'entente formelle ou tacite sur la compétence du juge ne peut être admise qu'en ce qui concerne les contestations personnelles désignées à l'art. 1er, car, à partir de l'art. 4, le Traité établit pour les différents cas des compétences spéciales qui ne sauraient être arbitrairement éludées" (FF 1869 II p. 506).
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c) La même conclusion découle de l'interprétation systématique de la Convention. En effet, la disposition relative à la prorogation n'est pas placée après l'ensemble des règles qui concernent le for. Inscrite à l'art. 3, elle suit immédiatement les dispositions qui indiquent où l'action doit être introduite "dans les contestations en matière mobilière et personnelle, civile ou de commerce" et elle crée manifestement une exception aux principes énoncés aux art. 1er et 2 (RO 18 p. 775; cf. notamment ROGUIN, Conflits de lois suisses en matière internationale et intercantonale, p. 681/682; SCHURTER/FRITZSCHE, loc.cit.). Il en résulte que l'art. 3 n'est pas applicable aux fors institués par les articles qui le suivent. Aussi bien, le Tribunal fédéral a déjà jugé qu'en vertu de l'art. 4, les actions réelles immobilières et les actions personnelles concernant la propriété ou la jouissance d'un immeuble devaient être suivies obligatoirement devant le tribunal du lieu de la situation des immeubles (RO 48 I 100, 80 II 392).
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d) De l'avis des juges cantonaux, cependant, l'intérêt public n'exige pas que les successions mobilières se liquident nécessairement d'après la loi nationale du défunt et devant le juge de son pays d'origine. Mais, à supposer que cette considération soit exacte, elle ne pourrait prévaloir sur le sens de la Convention tel qu'il ressort clairement de l'interprétation systématique et des travaux préparatoires. En réalité, du reste, la ratio legis exige que l'art. 5 de la Convention soit interprété comme instituant un for obligatoire. Par cette disposition, en effet, on a voulu fixer d'une manière impérative les compétences législatives des deux Etats et déterminer les obligations de leurs autorités judiciaires de manière à éviter éventuellement qu'un juge ne doive donner l'exequatur à une décision étrangère rendue au mépris de sa propre compétence (CURTI, Der Staatsvertrag zwischen der Schweiz und Frankreich betreffend den Gerichtstand und die Urteilsvollziehung, p. 65; PILLET, Les conventions internationales relatives à la compétence judiciaire et à l'exécution des jugements, p. 225; NIBOYET, op.cit., p. 518). D'autre part, en ordonnant que la succession soit ouverte dans le pays d'origine du défunt, les Etats contractants ont voulu notamment se réserver un certain droit de regard sur les successions de leurs ressortissants (cf. CURTI, op.cit., p. 74; BOISSONAS, Les successions et la Convention franco-suisse du 15 juin 1869, p. 38). Or ce but ne serait pas atteint si les parties pouvaient déroger librement à l'art. 5 de la Convention. |
On doit donc admettre, avec la majorité de la doctrine, que cet article institue un for impératif et exclut toute prorogation, qu'elle soit expresse ou tacite (dans ce sens, CURTI, op.cit., p. 65 et 142 et suiv.; BOISSONAS, op.cit., p. 112; HOHL, Die erbrechtlichen Bestimmungen des Staatsvertrages der Schweiz mit Frankreich vom 15. Juni 1869, p. 54; CHÂTENAY, Les successions en droit francosuisse, p. 96; SCHURTER/FRITZSCHE, loc.cit.; REHFOUSS, Les successions et le traité franco-suisse du 15 juin 1869, dans Semaine judiciaire, 1928, p. 364; NIBOYET, loc.cit. Contra: AUJAY, Etudes sur le traité franco-suisse du 15 juin 1869, p. 484; PILLET, loc.cit.).
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De tels procédés sont effectivement choquants. Mais ils ne sauraient, en l'espèce, entraîner l'application de l'art. 2 CC. Il ressort de l'art. 11 de la Convention que si le demandeur a, au mépris des règles de for impératives de ce traité, porté le litige devant un juge incompétent, celui-ci doit d'office éconduire les parties. Il est tenu de le faire quelle que soit l'attitude prise devant lui par le défendeur, sauf le cas de la prorogation de for quand elle est admissible. Dès lors, l'art. 11 de la Convention prime l'art. 2 CC et doit être appliqué même si, en l'invoquant, une partie use de procédés qui, en droit interne suisse, constitueraient un abus de droit. |
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
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