12. Arrêt de la IIe cour civile du 23 mars 1962 dans l'affaire Cousin contre Cousin et consorts
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Regeste
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Eigenhändige letztwillige Verfügung (Art. 505 ZGB): Ist eine solche Verfügung in einem handgeschriebenen Brief enthalten, worin der Verfasser seiner Bank Anweisungen darüber gibt, wie sie nach seinem Tode über ein Wertschriftenpaket verfügen solle? Hatte er die Absicht, letztwillig zu verfügen (den "animus testandi")?
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Sachverhalt
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BGE 88 II 67 (68):
A.- Selon une convention conclue le 26 avril 1941 avec l'Union de Banques Suisses à Winterthour (ci-après UBS), Anne Stucki avait déposé au nom de son neveu Jean Cousin un certain nombre de titres dans cet établissement, en même temps qu'elle y faisait ouvrir un compte courant sous la même désignation. Elle s'était réservé le droit exclusif de disposer de son vivant des titres déposés et de l'actif du compte courant. Aux termes de l'art. 4 de la convention, "en cas de décès de Mademoiselle Anne Stucki, le droit de disposer du dépôt de titres ainsi que de l'avoir en compte courant passera exclusivement et sans autre à Monsieur Jean Cousin, qui, depuis ce moment, entrera en possession du dépôt et de l'avoir en compte".
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B.- Le 2 juin 1952, Anne Stucki adressa à l'UBS la lettre suivante, écrite entièrement de sa main:
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"Lausanne 2 juin 1952
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Union de
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Banques Suisses
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Winterthour Messieurs,
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Ayant été absente, je n'ai pas pu vous envoyer le pouvoir pour l'assemblée de la Rückversicherung. Est-ce qu'il y aura des droits à vendre pour les nouvelles actions? Au sujet des titres déposés au nom de mon neveu Jean Cousin, je désire qu'à mon décès il entre en possession du dossier, mais non de la convention que j'ai signée le 26 avril 1941. Veuillez en prendre note je vous prie. L'adresse de Mr Jean Cousin est maintenant: Susaka
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N. Rhodesia
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C. Africa
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Avec l'expression de ma considération distinguée
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Anne Stucki."
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C.- La composition du dossier et l'état du compte courant se modifièrent au cours des années.
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Revenu à Genève, Jean Cousin y acheta une villa en 1959. Anne Stucki finança cette opération en empruntant à l'UBS une somme d'argent dont elle garantit le remboursement par la mise en gage d'une partie des titres déposés.
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Le 21 octobre 1959, Anne Stucki invita l'UBS à verser 300 livres sterling à Jean Cousin. A cet effet, elle céda et BGE 88 II 67 (69):
engagea 13 actions de la Compagnie suisse de réassurances, à Zurich.
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Aux dires de Jean Cousin, sa déclaration d'impôts pour 1959 fut remplie par Anne Stucki, qui y aurait fait figurer les titres déposés à l'UBS et leurs revenus.
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Le 22 février 1960, Anne Stucki écrivit à un notaire que "les titres appartenant à M. Jean Cousin sont déposés à l'U. de Banques Suisses, à Winterthour".
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D.- Anne Stucki décéda le 11 avril 1960, laissant pour héritiers légaux les deux enfants de sa soeur Jeanne Cousin, soit Jean et Renée Cousin, ainsi que les trois enfants de sa soeur Elise Brunner, à savoir Henriette Brunner, Catherine Lombard et Suzanne Brunner divorcée de Buren. Après répudiation, la part de cette dernière a été dévolue à ses enfants, Michel et Olivier de Buren.
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Au décès, le dossier constitué à l'UBS au nom de Jean Cousin contenait les titres suivants:
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130 actions nominatives de la Société suisse d'assurance contre les accidents, à Winterthour, de 100 fr. chacune,
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13 actions nominatives de la Compagnie suisse de réassurances, à Zurich, de 250 fr. chacune,
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30 parts America Canada Trust Fund,
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34 parts "SIMA",
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10 000 fr. en obligations International Bank for Reconstruction and Development 1953 June.
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Quant au compte courant, il était débiteur à la même date de 107 279 fr. 50.
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E.- Se considérant comme propriétaire des titres déposés en son nom auprès de l'UBS, Jean Cousin leur dénia la qualité d'avoirs successoraux. Ses cohéritiers contestèrent cette manière de voir. Le 3 mars 1961, ils ouvrirent action devant la Cour de justice genevoise pour obtenir qu'un notaire liquide la succession et que les titres en mains de l'UBS soient partagés entre tous les héritiers. Jean Cousin conclut à l'irrecevabilité et au rejet de la demande, subsidiairement à l'administration de nouvelles preuves.
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BGE 88 II 67 (70):
En cours d'instance, le 1er juin 1961, les parties se répartirent les biens de la défunte, à l'exception des titres litigieux. Les valeurs distribuées s'élèvent à 558 766 fr. 60.
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Le 5 décembre 1961, estimant que Jean Cousin n'avait pas bénéficié d'une donation ou d'un legs valables, le tribunal saisi décida que les titres détenus par l'UBS faisaient partie de la succession d'Anne Stucki et devaient être partagés entre tous ses héritiers.
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F.- Jean Cousin recourt en réforme contre ce jugement. Il conclut au rejet de la demande soumise à l'autorité cantonale et, éventuellement, au renvoi de la cause pour complément de preuves.
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Les autres héritiers s'opposent au recours.
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Considérant en droit:
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Sans aucun doute, les conditions de forme prévues par l'art. 505 CC sont remplies. La lettre invoquée est écrite entièrement, datée et signée de la main de la défunte. Peu importe qu'elle soit adressée à un tiers (RO 56 II 246, 57 II BGE 88 II 67 (71):
16), qu'elle ne contienne pas uniquement des clauses testamentaires et qu'elle ne porte pas pour titre "Testament" ou "Dispositions de dernière volonté" (RO 55 II 170). Cela n'exclut pas l'existence d'un testament. Les intimés eux-mêmes n'en disconviennent pas.
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Cependant, abstraction faite des exigences formelles, un testament n'est valable que si son auteur avait l'"animus testandi", c'est-à-dire l'intention de disposer de ses biens pour le temps postérieur à sa mort. Selon la Cour cantonale, tel n'était pas le cas pour Anne Stucki qui, en écrivant sa lettre du 2 juin 1952, "n'avait aucunement l'intention de communiquer ses dernières volontés quant au dossier de titres en dépôt, de faire un testament à son sujet". Le Tribunal fédéral n'est cependant pas lié par l'interprétation que donne l'autorité cantonale aux dispositions de dernière volonté. Si la volonté est en principe un fait interne que le juge cantonal apprécie souverainement, la jurisprudence a fait une exception lorsqu'il s'agit de dispositions pour cause de mort, car, dans ce cas, la recherche de la volonté ne peut être dissociée d'une question de droit, celle de savoir si la volonté s'est exprimée dans les formes légales (RO 56 II 354, 75 II 285 ss., 79 II 40, 84 II 510 in fine).
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En l'espèce, par sa lettre du 2 juin 1952, Anne Stucki donne expressément à l'UBS une instruction sur la façon de disposer des titres figurant dans le dossier: "je désire qu'à mon décès il (Jean Cousin) entre en possession du dossier". S'il est vrai que l'expression "je désire" n'a pas en elle-même un caractère impératif, elle est cependant usuelle dans les testaments pour exprimer les dernières volontés. De plus, lorsque le client d'une banque lui exprime ses désirs quant à la dévolution des titres qu'il lui a confiés, et encore en lui recommandant d'en prendre note, il ne formule pas un simple voeu, mais au contraire une volonté dont il entend qu'elle soit respectée. D'autre part, l'expression "à mon décès" manifeste l'intention de disposer pour cause de mort. En outre, l'objet de cette disposition BGE 88 II 67 (72):
est défini: c'est le dossier de titres constitué au nom du recourant. A vrai dire, Anne Stucki par le d'une mise "en possession" et non pas d'une attribution en toute propriété. Il n'est toutefois pas douteux que, dans l'esprit de la défunte, le recourant devait devenir propriétaire des titres qui lui étaient destinés. Pour s'en convaincre, il suffit de se référer à la convention du 26 avril 1941, qui conférait au recourant un véritable droit de propriété sous la forme du droit de disposer du dépôt de titres et de l'actif du compte courant au décès d'Anne Stucki. D'ailleurs, cette dernière n'aurait vraisemblablement pas créé un dépôt ni ouvert un compte au nom du recourant si elle n'avait pas voulu lui en procurer un jour la pleine propriété.
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Parce que la phrase relevée ci-haut est comprise dans un contexte où est notamment souligné le fait que Jean Cousin ne devait pas entrer en possession de la convention, la Cour cantonale a considéré que les instructions sur la destination du dossier après le décès n'étaient pas essentielles. Ce "n'est, dit-elle, qu'un rappel de la convention par laquelle elle croyait à tort avoir fait une donation mortis causa, cela ne constitue pas un acte de disposition nouveau, une manifestation suffisante de sa volonté nouvelle d'instituer son neveu comme légataire". Il est possible que, comme le soutiennent les intimés, Anne Stucki croyait en 1952 avoir déjà valablement réglé le sort de ses titres et de son compte courant en concluant la convention du 26 avril 1941, dont elle aurait ignoré la nullité en tant que disposition pour cause de mort. Mais cela n'empêche qu'elle a manifesté à nouveau dans sa lettre du 2 juin 1952 de façon claire et expresse sa volonté de disposer de ses biens pour cause de mort. Il n'est pas nécessaire d'examiner, en l'espèce, la question controversée de savoir si, pour disposer valablement de ses biens par une simple lettre, l'auteur doit se rendre compte de la possibilité qu'il a de tester de cette manière. En effet, Anne Stucki n'a pas écrit sans raison à sa banque; si elle lui a fait part de ses dernières volontés, c'est qu'elle croyait à l'efficacité de BGE 88 II 67 (73):
cette démarche et, par conséquent, s'estimait autorisée à disposer "mortis causa" par simple lettre. Celle-ci n'est d'ailleurs que la confirmation sous une forme valable d'une volonté déjà exprimée précédemment dans un acte ne revêtant pas la forme exigée pour une disposition testamentaire, à savoir la convention du 26 avril 1941, que l'on peut faire intervenir à titre d'élément extrinsèque pour interpréter la volonté d'Anne Stucki (RO 86 II 463). Cette dernière a exprimé manifestement son intention de disposer pour cause de mort dans un écrit qui remplit les conditions de forme d'un testament olographe.
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Ainsi, l'on doit admettre que, par la lettre du 2 juin 1952, Anne Stucki a valablement légué à son neveu les titres en question. Il s'ensuit que ces biens ne font pas partie de l'avoir successoral et que le recours doit être admis.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral
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admet le recours et annule l'arrêt attaqué; déboute les demandeurs des fins de leur action.
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