96 II 355
Urteilskopf
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47. Arrêt de la Ire Cour civile du 10 février 1970 dans la cause Genillard contre Chemins de fer fédéraux et Via SA
Regeste
Art. 1 EHG. Art. 55, 58 und 44 OR . Art. 100 KUVG.
1. Haftung der Eisenbahnunternehmung bei Verschulden eines Dritten oder des Verunfallten (Erw. I).
2. Haftung einer Bauunternehmung als Eigentümerin eines fehlerhaften Werkes (Baugerüst) (Art. 58 OR) und Haftung des Geschäftsherrn (Art. 55 OR); Mitverschulden des Verunfallten (Art. 44 OR) (Erw. II).
3. Nach Art. 100 KUVG tritt die Schweizerische Unfallversicherungsanstalt in die Rechte des Versicherten oder seiner Hinterbliebenen nur ein, wenn und soweit ihre Leistungen und der vom Dritthaftenden zu deckende Teil den Betrag des eingetretenen Schadens übersteigen (Anderung der Rechtsprechung) (Erw. III).
A.- Le 28 novembre 1963, Genillard, qui se rendait de Genève à Lausanne, a pris le train de minuit cinquante-trois
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minutes. S'étant endormi en cours de route, il s'éveilla alors que le convoi approchait du pont de Sévelin, non loin de la gare de Lausanne et se rendit sur la plate-forme arrière de la voiture précédant celle où il se trouvait. Sachant que cela était interdit avant l'arrêt et alors que la vitesse était encore de 48 km/h., il ouvrit la portière. Celle-ci heurta un tube de métal, élément d'un échafaudage servant à la démolition et à la reconstruction du pont de Sévelin; elle se rabattit violemment sur le bras gauche de Genillard, qui dut être amputé.L'échafaudage avait été monté par Via SA pour le compte de la commune de Lausanne. L'Office fédéral des transports et les CFF avaient exigé qu'il respectât un gabarit d'espace libre pour le passage des trains. Or le tube horizontal, sur lequel a buté la portière ouverte, empiétait sur cet espace libre. L'accident n'aurait pas eu lieu si les prescriptions des CFF avaient été respectées.
Genillard était assuré auprès de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (Caisse nationale), qui lui a versé, du 29 novembre 1963 au 15 octobre 1964, soit pendant dix mois et demi, une indemnité de chômage de 800 fr. par mois, puis, dès le 16 octobre 1964, une rente de 350 fr. par mois, calculée sur un taux d'invalidité de 50%, fixé en dernière instance par le Tribunal fédéral des assurances. Depuis son accident, il a en outre touché son salaire intégral, soit, tout d'abord, 1350 fr. par mois jusqu'à la fin de décembre 1963, puis 1420 fr. par mois, plus un treizième mois pour l'année à compter du 1er janvier 1964. Depuis le 1er janvier 1965, il n'a plus touché de son employeur que 950 fr. par mois. Depuis le début de l'année 1968, il est sans emploi.
B.- Genillard a ouvert action contre les CFF et l'entreprise Via SA Il demandait queles défendeurs fussent condamnés solidairement à lui payer:
a) 19 536 fr. 25 avec intérêts à 5% l'an à compter du 15 octobre 1964, échéance moyenne;
b) 200 000 fr. avec intérêts à 5% l'an à compter du 1er octobre 1965;
c) 20 000 fr. avec intérêts à 5% l'an à compter du 1er octobre 1965.
Les défendeurs ont conclu à libération, subsidiairement, en cas de condamnation solidaire, à ce que le juge fixe la somme que chacun d'eux devrait en définitive supporter (partage de la
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solidarité). Les CFF ont en outre demandé que leur soit reconnu le droit de déduire de toute somme qu'ils seraient condamnés à payer le montant du dommage causé au wagon par le heurt de la portière contre l'échafaudage, soit 541 fr. 60.Le 14 mars 1969, la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud a condamné Via SA à payer à Genillard 51 982 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er janvier 1969, dit que les CFF répondent solidairement du quart de ce montant avec un droit de recours contre Via SA pour toute somme qu'ils auraient à payer au demandeur, dit enfin que les CFF sont admis à déduire 541 fr. 60 plus les intérêts à 5% l'an à compter du 21 février 1964 de toute somme qu'ils auraient à payer à Genillard avec un droit de recours contre Via SA à concurrence de 60% de cette somme.
Sur le montant du dommage et la réparation due par les défendeurs, l'arrêt de la cour cantonale est, en bref, motivé comme il suit:
Les CFF répondent du dommage en vertu de la loi fédérale du 28 mars 1905 sur la responsabilité des entreprises de chemin de fer (LCR), Via SA comme propriétaire de l'ouvrage, comme employeur, pour les actes de ses employés, et comme auteur d'un acte illicite, pour avoir créé un état dangereux. Le demandeur, de son côté, a commis une faute grave qui justifie une réduction de 40% sur le montant du dommage qu'il a subi. Via SA doit être condamnée à payer 60 de ce dommage, les CFF ne répondant que de 15%, c'est-à-dire d'un quart de la somme allouée.
Du jour de l'accident au 1er janvier 1969, Genillard aurait gagné 105 835 fr. si l'accident n'avait pas eu lieu. En réalité, il n'a reçu de son employeur que 75 270 fr., de sorte que sa perte atteint 30 565 fr. Sur cette somme, 60%, c'est-à-dire 18 339 fr., sont à la charge des défendeurs. Mais la Caisse nationale a payé au demandeur, pour la même période, un montant supérieur, soit 26 075 fr., de sorte que, selon la jurisprudence instituée par le Tribunal fédéral dans son arrêt Berra et consorts c. Cirlini, du 28 septembre 1959 (RO 85 II 256), les défendeurs ne doivent plus rien pour la période considérée.
Pour la période qui part du 1er janvier 1969, le taux d'invalidité atteint 50% et le gain probable 2135 fr. par mois. S'agissant d'un homme de quarante ans, la capitalisation de ce gain donne 218 026 fr. (Table I d'activité de Stauffer et Schaetzle).
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Genillard a droit en principe à 60% de cette somme à titre d'indemnité, soit 130 816 fr. Les prestations de la Caisse nationale, capitalisées elles aussi (Table VII de STAUFFER et SCHAETZLE), représentent 78 834 fr., de sorte que, selon le principe posé dans l'arrêt Berra et consorts contre Cirlini (précité), le demandeur a droit à une indemnité de 51 982 fr. L'intérêt court dès la date de la capitalisation, 1er janvier 1969.a) Genillard demande que les CFF et Via SA soient condamnés à lui payer solidairement 4490 fr. avec intérêts à 5% l'an à compter du 27 novembre 1963 et 130 816 fr. avec intérêts à 5% l'an à compter du 1er janvier 1969. Il admet les chiffres de base admis par la Cour civile vaudoise, mais prétend que le principe posé par l'arrêt Berra c. Cirlini (précité), sur lequel se fonde l'arrêt entrepris, doit être abandonné et que, même dans les actions en dommages-intérêts qui ne sont pas régies par les règles de la loi sur la circulation routière touchant la responsabilité civile du détenteur d'un véhicule automobile, il faut suivre la jurisprudence instituée par l'arrêt Caisse nationale c. Winterthur (RO 93 II 420). Selon cette jurisprudence, la Caisse nationale - assureur du lésé - n'a de recours contre la personne civilement responsable que si et dans la mesure où la somme des prestations qu'il a fournies et des dommagesintérêts dus par le tiers excède le montant du dommage effectif.
b) Les CFF concluent au déboutement pur et simple du demandeur dans la mesure où ses conclusions les visent. Ils estiment que la gravité de la faute commise par Genillard justifie leur libération.
c) Via SA conclut de même en ce qui la concerne; elle conteste la défectuosité de l'ouvrage et allègue aussi la gravité de la faute commise par le demandeur. Subsidiairement, elle demande que la capitalisation de la rente servie à partir du 1er janvier 1969 soit faite pour un homme de 41 ans, Genillard étant né le 4 février 1928, et non pas pour un homme de 40 ans.
Considérant en droit:
I. Responsabilité des CFF Les CFF ne contestent pas qu'ils répondent en principe et causalement, de par l'art. 1er LRC, du dommage subi par
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Genillard. Ils prétendent uniquement que l'on ne saurait leur imputer la faute commise par Via SA et que, la faute du demandeur, étant de nature à provoquer le dommage, suffirait à expliquer l'accident et en est donc la seule cause.Cette argumentation est spécieuse. Supposé même que Via SA, qui a construit l'échafaudage pour le compte de la commune de Lausanne, ait été, à l'égard des CFF, un tiers au sens de l'art. 1er LRC, la responsabilité des CFF resterait néanmoins engagée. En effet, selon la jurisprudence constante, la faute d'un tiers ou de la victime n'exclut la responsabilité de l'entreprise de chemin de fer que si elle est à ce point grave et prépondérante qu'elle exclut tout lien de causalité adéquate entre la construction ou l'exploitation de la ligne et le dommage survenu. Lorsqu'elle est moins grave, elle n'entraîne qu'une réduction de l'indemnité de par l'art. 5 LRC (RO 69 II 259; 85 II 350; 87 II 301; 88 II 448). Dans la présente espèce, comme dans le litige qui a fait l'objet du premier des arrêts précités, il n'a pas suffi de la faute commise par la victime pour provoquer l'accident; il a encore fallu qu'un obstacle se trouvât dans le gabarit qui eût dû rester libre et qui eût permis à la voiture de passer sans risque, même avec la porte ouverte. Or les CFF répondent de la présence dudit obstacle, bien qu'il se soit trouvé là par la faute de Via SA Car, comme ils avaient prescrit les gabarits à observer par l'entreprise de construction, il leur incombait de vérifier que leurs instructions avaient été respectées (art. 17 ss. de la loi fédérale du 20 décembre 1957 sur les chemins de fer, en particulier art. 17, 19 et 24). Or ils n'ont fait aucun contrôle. Ils ont donc commis une faute qui exclut leur libération totale, quelle que soit la faute concurrente d'un tiers et de la victime.
1. La cour cantonale a admis que Via SA répondait causalement du dommage, de par l'art. 58 CO, en tant que propriétaire d'un ouvrage défectueux. Effectivement, l'échafaudage était un ouvrage dont Via SA était propriétaire. En général, il respectait le gabarit imposé par les CFF et n'était pas défectueux, mais il l'était dans la mesure où le tube, qui en était un élément et sur lequel est venue buter la portière, pénétrait effectivement dans ce gabarit et a été une cause nécessaire du dommage. Quoi qu'en dise la recourante, l'arrêt attaqué n'est entaché d'aucune contradiction sur ces faits.
2. Via SA répond aussi de par l'art. 55 CO, en sa qualité d'employeur. Ce sont ses ouvriers qui ont monté l'échafaudage et mal placé ou mal fixé le tube qui a provoqué l'accident; elle n'a pas apporté la preuve libératoire qu'autorise la disposition précitée; au contraire, il est constant qu'elle n'a procédé à aucun contrôle pour s'assurer que l'échafaudage était conforme aux prescriptions de sécurité.
3. Cependant Genillard a commis une faute, que l'art. 44 CO oblige à prendre en considération pour mesurer l'indemnité due en principe. Lui-même ne conteste pas cette faute, qui est manifeste. Mais les CFF et Via SA estiment que la cour cantonale n'en aurait pas suffisamment tenu compte.
Elle ne saurait justifier qu'une réduction, non pas une suppression de l'indemnité, car elle n'a pas exclu le rapport de causalité adéquate entre la présence du tube métallique dans l'espace qui aurait dû rester libre et le dommage subi par Genillard (RO 71 I 54 consid. 2; 81 II 454 consid. 3).
C'est en vertu du pouvoir appréciateur découlant de l'art. 44 CO que la cour cantonale a admis une réduction de 40%. Le Tribunal fédéral ne pourrait intervenir sur ce point que si le premier juge avait manifestement excédé les limites de ce pouvoir, violant ainsi la loi (RO 95 II 54 consid. 5, 143, no 19).
Tel n'est pas le cas, en l'espèce. Le défaut de l'échafaudage demeure la cause prépondérante et justifie de ne pas aller audelà de 40% dans la réduction malgré la faute grave commise par Genillard.
1. La cour cantonale n'a cependant pas alloué à Genillard 60% de son dommage. Pour le dommage temporaire aussi bien que pour l'invalidité définitive, elle a imputé, sur le montant de l'indemnité, réduite à 60% du dommage, respectivement les sommes payées par la Caisse nationale à ces deux titres. Elle l'a fait en vertu des principes posés par le Tribunal fédéral dans le dernier état de sa jurisprudence touchant l'application de l'art. 100 LAMA.
Selon cette disposition, la Caisse nationale "est subrogée, pour le montant de ses prestations, aux droits de l'assuré ou de ses survivants contre tout tiers responsable de l'accident". Dans son arrêt Berra et consorts c. Cirlini, du 28 septembre
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1959 (RO 85 II 256), la cour de céans, revenant sur une jurisprudence antérieure, a jugé que les prestations de la Caisse nationale devaient être entièrement imputées sur celles - du même genre - que devait le tiers responsable ou son assureur, même si ces dernières devaient être réduites en vertu du droit civil. Ce principe donne à la Caisse nationale un droit préférable à celui du lésé, lequel peut donc, le cas échéant, ne recevoir au total, de la Caisse nationale et du tiers responsable, qu'un montant inférieur à celui qui devrait lui être alloué selon le droit civil.Depuis le prononcé de cet arrêt, la loi fédérale du 19 décembre 1958 sur la circulation routière est entrée en vigueur, dont l'art. 88 règle le recours de l'assureur contre la personne civilement responsable du dommage causé par l'emploi d'un véhicule à moteur ou contre l'assureur de la responsabilité civile encourue par cette personne. Dans son arrêt Caisse nationale c. Winterthur-accidents, du 11 octobre 1967 (RO 93 II 407), le Tribunal fédéral a jugé que ledit article n'autorisait le recours que dans la mesure où le lésé avait d'abord été indemnisé jusqu'à concurrence de son dommage effectif total, même si l'indemnité due par la personne civilement responsable ou son assureur devait être réduite, par exemple en raison d'une faute imputable à la victime.
Motivant cet arrêt, la cour a montré que l'art. 88 LCR ne sortit réellement d'effets nouveaux que dans le domaine des assurances sociales (p. 419 consid. 4 a). Elle a en outre précisé qu'il concerne les cas où la responsabilité civile relève de la loi sur la circulation routière et que les autres cas demeurent soumis aux principes qui régissent en général la subrogation de l'assureur. Elle en a conclu que son arrêt ne dérogeait pas aux principes posés par l'arrêt Berra et consorts c. Cirlini (précité), principes qu'elle se réservait d'examiner à nouveau s'il y avait lieu.
2. Dans la présente espèce, la responsabilité civile des parties défenderesses n'est pas régie par la loi sur la circulation routière. La Caisse nationale n'a donc un droit de recours contre la personne civilement responsable ou son assureur que dans la mesure où l'art. 100 LAMA lui en confère un. L'art. 88 LCR ne pourrait s'appliquer que par analogie si l'art. 100 LAMA présentait une lacune sur l'étendue du droit de recours qu'il crée.
Il n'existe une lacune de la loi au sens strict du terme que lorsque la loi elle-même par la voie de l'interprétation - interprétation littérale, argumentation a contrario, exercice du pouvoir d'appréciation du juge, etc. - ne permet pas de résoudre une question de droit. Dans ce seul cas, le juge doit "faire acte de législateur" au sens de l'art. 1er al. 2 CC et peut, raisonnant par analogie, appliquer une autre disposition légale, en elle-même étrangère au cas litigieux, mais relative à une situation qui lui est assimilable.
Selon sa lettre, l'art. 100 LAMA prive l'assuré ou ses survivants de leur droit aux prestations du tiers responsable, dans la mesure où la Caisse nationale a fourni des prestations par suite du sinistre. Il institue une cession légale en faveur de ladite caisse. Enfin il limite la subrogation de celle-ci au montant des prestations qu'elle a fournies. Mais il ne donne aucune solution pour le cas où, la Caisse nationale n'ayant payé qu'une partie du dommage, l'indemnité due par le tiers responsable ne le couvre pas non plus dans sa totalité. Dans cette hypothèse, le principe de la subrogation n'exclut nullement des solutions diverses: priorité du lésé par rapport à la Caisse nationale, répartition proportionnelle entre les deux, ou même priorité de la Caisse nationale. C'est à partir de cette dermère priorité que s'est développée la jurisprudence relative à l'art. 100 LAMA, dont les divers états ont été rappelés dans les arrêts Caisse nationale c. Winterthur-accidents: RO 93 II 415 et Lloyd's Underwriters c. Chaboudez: RO 95 II 585. Le but même de cette disposition légale est premièrement d'empêcher un enrichissement de l'ayant droit, deuxièmement de ne pas avantager le tiers responsable en limitant sa charge à la part du dommage non couvert par la Caisse nationale, enfin et à titre accessoire de permettre à la Caisse nationale de rentrer dans ses fonds (Message du Conseil fédéral, FF 1906, t. VI, p. 346; A. MAURER, Recht und Praxis der schweizerischen obligatorischen Unfallversicherung, 2e éd., p. 343; OFTINGER, Schweizerisches Haftpflichtrecht, 2e éd., t. I, p. 367). Ces buts non plus n'imposent pas une solution plutôt que l'autre parmi celles que l'on vient d'énumérer. C'est dire que l'art. 100 LAMA comporte en réalité une lacune, que la jurisprudence du Tribunal fédéral n'a fait que combler conformément à l'art. 1er al. 2 CC.
La question s'est du reste posée de la même manière à propos de la subrogation créée par l'art. 110 CO, lequel n'est pas plus
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explicite que l'art. 100 LAMA. Le Tribunal fédéral n'a pu la résoudre que par référence au droit français (art. 1252 CC français), au droit allemand (§§ 268 al. 3 et 1176 BGB), ainsi qu'au brocard nemo contra se subrogare censetur (RO 25 II 951; 45 III 15; 60 II 189), ce qui impliquait l'existence d'une lacune de la loi.
3. Cependant, pour que l'application par analogie d'une règle qui vise un cas différent soit possible, il faut que les deux cas puissent s'identifier l'un à l'autre dans la perspective de ladite règle de droit; pour en juger, on comparera les éléments de fait constitutifs des deux hypothèses, puis on constatera et pèsera les intérêts, les exigences sociales, morales, celles de la sécurité juridique et de l'esprit de la loi que l'assimilation met en jeu (MEIER-HAYOZ, Comm. ad art. 1er CC. nos 319 ss. et 346 ss)
a) Les éléments de fait, dans l'hypothèse que concernel'art. 88 LCR, correspondent, pour l'essentiel, à ceux de la présente espèce; ils y correspondent tout au moins lorsque, comme dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt Caisse nationale c. Winterthur-accidents (RO 93 II 407) et dans la présente cause, le subrogeant est un assuré de la Caisse nationale, ce qui entraîne l'application de l'art. 100 LAMA.
b) Dans l'un et l'autre cas, un assuré de la Caisse nationale a été victime d'un accident; le dommage subi par le lésé n'a pas été entièrement couvert par les prestations de ladite caisse, ni par celles que doit le tiers responsable ou son assureur. Il n'y a qu'une seule différence entre les deux cas; il s'agissait d'un dommage causé par l'emploi d'un véhicule automobile dans le premier et par l'exploitation d'une ligne de chemin de fer dans le second. Mais on ne voit pas que, s'agissant surtout de deux responsabilités causales, cette différence doive se répercuter sur la subrogation de la Caisse nationale dans les droits du lésé.
c) De même, les intérêts en présence sont identiques. Dans l'un et l'autre cas, le lésé a le même intérêt à être couvert complètement du préjudice subi, nonobstant toute faute concurrente, en retour des primes qui, dans la mesure où elles ont été payées par l'employeur, faisaient partie du salaire de la victime (RO 93 II 421). La Caisse nationale également, qui doit pouvoir s'en prendre au tiers responsable ou à son assureur sans les formalités d'une cession conventionnelle, et enfin le tiers responsable, qui doit être garanti du risque d'un double paiement et d'une
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réclamation excédant la mesure de sa responsabilité, ont des intérêts qui ne varient pas d'un cas à l'autre.d) Du point de vue moral, il n'y a pas non plus de différence entre la réparation du dommage causé par l'emploi d'un véhicule automobile et celui qui survient dans l'exploitation d'une ligne de chemin de fer.
Pas plus dans la réparation du second de ces dommages que dans celle du premier, il n'apparaît exorbitant ni contraire à un principe fondamental du droit que, même en cas de faute propre de l'assuré ou de ses ayants droit, le lésé puisse, dans certains cas tout au moins et par le cumul des prestations de la Caisse et de celles du tiers responsable ou de son assureur, obtenir réparation intégrale du dommage effectif. L'argumentation que le Tribunal fédéral a développée, sur ce point, dans son arrêt Caisse nationale c. Winterthur-accidents, du 11 octobre 1967 (RO 93 II 407, v. consid. 4, p. 419, spécialement lettre c, p. 422), conserve toute sa valeur s'agissant d'un accident de chemin de fer.
La loi du 13 juin 1911 tendait à remplacer le régime de réparation fondé sur la responsabilité civile par un nouveau régime de réparation fondé sur l'assurance (Message du Conseil fédéral, FF 1906, t. VI, p. 214 ss.). L'assurance privée y a déjà largement pourvu, mais c'est surtout l'assurance sociale qui doit suppléer les insuffisances éventuelles de la réparation due par le tiers responsable. En cas de faute propre de l'assuré, il apparaîtrait aujourd'hui choquant que la Caisse nationale puisse se faire rembourser, fût-ce une partie de ses prestations, par le tiers responsable ou son assureur, alors que l'assuré ou surtout - en cas de décès - ses ayants droit ne toucheraient même pas intégralement, dans le dernier état de la jurisprudence relative à l'art. 100 LAMA, l'indemnité réduite à laquelle ils auraient droit en vertu du droit civil.
e) Du point de vue social, dans l'esprit de la législation sur les assurances sociales, le cas visé par le législateur à l'art. 88 LCR est identique à celui que règle l'art. 100 LAMA lorsqu'il s'agit d'un assuré de la Caisse nationale, victime d'un accident quelconque. Le cumul des prestations se justifie dans les deux hypothèses également.
Au surplus, comme on l'a montré dans l'arrêt Caisse nationale c. Winterthur-accidents (RO 93 II 422, lettre d), le principe posé par l'art. 88 LCR n'est pas étranger à l'assurance sociale
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comme telle; le cumul des prestations de l'assurance sociale avec celles d'autres assureurs est admis en matière d'indemnité de chômage jusqu'à concurrence du total du gain dont l'assuré est privé (art. 74 al. 3 LAMA) et la subrogation de l'assurance sociale dans les droits du lésé est inconnue en principe dans l'assurance survivants et l'assurance invalidité (art. 52 LAI). Elle l'est du reste aussi dans l'assurance privée de personnes (art. 96 LCA), tandis que dans l'assurance privée de dommages, elle n'intervient que dans la mesure où l'indemnité touchée par l'ayant droit couvre la totalité du dommage effectif (art. 72 LCA; ROELLI-JAEGER, Comm. ad art. 72 LCA, n. 38; OFTINGER, Schweizerisches Haftpflichtrecht, 2e éd., t. I, p. 350 s.).
4. Le parallèle établi entre les cas visés par l'art. 88 LCR et la présente espèce dans la mesure où elle relève de l'art. 100 LAMA est donc favorable à l'application par analogie de la première de ces dispositions. Cette application se justifie d'autant plus qu'elle est conforme aux exigences de la sécurité juridique.
Comme le Tribunal fédéral l'a montré dans son arrêt Caisse nationale c. Winterthur-accidents (RO 93 II 415 s.), le législateur, par l'introduction de l'art. 88 LCR, a entendu tenir en échec la jurisprudence touchant l'art. 100 LAMA. Il l'a fait dans le domaine spécial de la responsabilité civile pour les dommages causés par l'emploi d'un véhicule à moteur. Mais ses intentions dépassaient le domaine particulier qui faisait alors l'objet de ses délibérations; il avait aussi en vue les autres cas où la Caisse nationale est subrogée aux droits de son assuré ou de ses ayants droit contre le tiers responsable ou son assureur. Il a comblé dans un domaine particulier la lacune de l'art. 100 LAMA. La sécurité juridique exige que cette lacune soit comblée de la même façon dans tous les autres cas où cette disposition s'applique. Les auteurs qui se sont prononcés sur ce point l'ont fait unanimement dans le même sens (OFTINGER, Schweizerisches Haftpflichtrecht, 2e éd., t. II 2, p. 840; STARK, RDS 1967, p. 92; OSWALD, RDS 1967, p. 787; MAURER, Schweizerische Zeitschrift fùr Sozialversicherung, 1968, p. 201 lettre a).
Aussi bien, consciente des inconvénients que présenterait l'adoption de solutions différentes touchant la subrogation de la Caisse nationale dans les droits de l'assuré ou de ses ayants droit selon qu'il s'agirait d'accidents causés par l'emploi de véhicules à moteur (art. 88 LCR) ou d'autres accidents, la
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Caisse nationale a-t-elle, aux dires de MAURER (op. cit., p. 201), conclu, le 1er octobre 1968, avec les assureurs privés, une convention qui prévoit l'application par analogie de l'art. 88 LCR, tel que l'a interprété l'arrêt Caisse nationale c. Winterthur-accidents (RO 93 II 407), à tous les cas où elle a fourni des prestations et bénéficie de la subrogation de par l'art. 100 LAMA.Point n'est besoin de rechercher, en l'espèce, si le principe posé par l'art. 88 LCR devrait également s'appliquer par analogie au-delà du domaine que régit l'art. 100 LAMA.
5. Le résultat auquel parvient ainsi la cour entraîne la modification de la jurisprudence instituée par l'arrêt Berra c. Cirlini (RO 85 II 256). Cette jurisprudence avait été créée d'accord avec la IIe Cour civile. C'est pourquoi son abandon a été préalablement proposé à cette cour, qui y a consenti (art. 16 OJ).
1. La cour cantonale a calculé tout d'abord le manque à gagner de Genillard du jour de l'accident (28 novembre 1963) jusqu'au 1er janvier 1969; elle a fixé ce dommage à 30 565 fr., compte tenu de ce qu'a versé l'employeur; de même, elle a constaté que, pour la même période, la Caisse nationale a versé 26 075 fr. Ce sont donc 4490 fr. qui restent à percevoir pour que le dommage effectif soit entièrement couvert. Via SA est tenue en principe de supporter 60% du dommage, soit 18 339 fr. Elle devra donc payer entièrement la somme de 4490 fr. à Genillard, la Caisse nationale étant subrogée aux droits de celui-ci pour le surplus selon le principe que l'on vient de poser. L'intérêt moratoire à 5% l'an court dès le 1er mai 1966 (date moyenne). Les CFF sont obligés solidairement de la même manière, mais seulement jusqu'à concurrence de 15% du dommage. Genillard obtient donc en principe gain de cause sur ce point.
2. a) Sur le manque à gagner à partir du 1er janvier 1969, la cour cantonale a admis un taux d'invalidité moyen de 50%. Les parties ne contestent pas ce chiffre, pas plus que le chiffre moyen de 2135 fr., admis comme gain mensuel futur.
L'arrêt entrepris a capitalisé ce gain en appliquant le coefficient 1702 de la table I (table d'activité) de STAUFFER et SCHAETZLE (2e éd.). Ce coefficient s'applique à la capitalisation dans le cas d'un homme de 40 ans. Son application, en l'espèce, donne un capital de 218 026 fr.
Via SA objecte à ce calcul que, le 1er janvier 1969, Genillard, né le 4 février 1928, était alors âgé, non de 40 ans, mais de 40 ans et presque onze mois, soit, en réalité, de 41 ans. Cette critique est justifiée; dans son arrêt Küenzi et consorts, du 6 mars 1951 (RO 77 II 152), le Tribunal fédéral a jugé que, pour le calcul de la capitalisation, l'âge qui détermine le coefficient donné par les tables est celui qui correspond au plus proche anniversaire de la naissance. En l'espèce, du reste, comme le fait justement observer Via SA, si l'on adoptait le coefficient fixé pour un homme, non pas de 41, mais de 40 ans, Genillard serait indemnisé deux fois pour les onze mois écoulés depuis le quarantième anniversaire de sa naissance: une fois pour le dommage temporaire et une seconde fois sous forme de rente capitalisée.
On fondera donc le calcul sur le coefficient 1666, donné par la table no 1 de STAUFFER et SCHAETZLE (2e éd.). Ce calcul donne, pour une perte de gain de 2135 fr. par mois, un capital de 426 829 fr. 20 ou, pour une invalidité permanente de 50%, 213 415 fr. Via SA doit prendre à sa charge 60% de cette somme, soit 128 049 fr., dont les CFF répondent solidairement jusqu'à concurrence du quart (15% de 60%).
b) La même correction s'impose pour la capitalisation des prestations de la Caisse nationale. On en fera du reste une seconde, pour le même calcul, en utilisant la table d'activité et non pas celle de mortalité, conformément au principe qu'a posé la cour de céans dans son arrêt Lloyd's Underwriters c. Chaboudez, du 11 mars 1969 (RO 95 II 582). Pour une rente de 350 fr. par mois ou 4200 fr. par an et un coefficient de 1666, le calcul donne un capital de 69 972 fr. et non de 78 834 fr., comme l'avait admis la cour cantonale.
c) Le dommage effectif subi par Genillard se monte à 213 415 fr. Selon le principe que l'on a posé plus haut (application par analogie de l'art. 88 LCR dans le cas visé par l'art. 100 LAMA), il a droit, par préférence à la Caisse nationale, aux paiements cumulés de celle-ci et du tiers responsable ou de l'assureur de celui-ci jusqu'à concurrence du dommage effectif. Or le total des prestations dues par la Caisse nationale et par Via SA, soit 198 021 fr. (128 049 fr. + 69 972 fr.), n'atteint pas le montant de ce dommage. Il n'y a donc lieu à aucune réduction de par l'art. 100 LAMA.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
1. Rejette le recours des CFF.
2. Admet partiellement les recours du demandeur Genillard et de la défenderesse Via SA; modifie comme il suit le ch. I du dispositif de l'arrêt attaqué:
La défenderesse Via SA est la débitrice du demandeur Genillard pour les sommes suivantes:
4490 fr. avec intérêts à 5% l'an à compter du 1er mai 1966, 128 049 fr. avec intérêts à 5% l'an à compter du 1er janvier 1969.
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