BGE 97 II 7
 
2. Arrêt de la IIe Cour civile du 17 juin 1971 dans la cause McLeod contre McLeod.
 
Regeste
Entschädigung im Falle der Ehescheidung. Art. 151 ZGB.
Folgen der kurzen Dauer des ehelichen Lebens (Erw. 4).
 
Sachverhalt


BGE 97 II 7 (8):

Les époux McLeod-Müller, "qui auraient contracté à Tijuana (Mexique), en 1963, une union qui n'était pas légalement valable", se sont mariés à Bâle le 17 mai 1966. Un enfant est né à Genève le 16 juin suivant. McLeod est ressortissant des Etats-Unis, sa femme a gardé sa nationalité suisse après son mariage.
Le mari a quitté sa femme, le jour même du mariage selon elle. Dame McLeod habite à Genève, chez sa mère, avec son enfant. A trois reprises depuis 1966, elle aurait vu son mari, qui a refusé de reprendre la vie commune. Depuis juin 1969, elle ne l'a plus revu et ignore ce qu'il est devenu.
McLeod ne se soucie absolument pas de sa femme ni de son enfant.
Par jugement du 29 octobre 1970, le Tribunal de première instance de Genève a prononcé le divorce sur demande de la femme, le mari ayant fait défaut. Il a attribué l'enfant à la mère et mis à la charge de McLeod une pension pour l'enfant et une rente mensuelle de 1000 fr. à payer à la demanderesse pendant cinq ans.
La demanderesse a appelé de ce jugement tant en ce qui concerne la pension pour l'enfant que l'indemnité pour elle-même. Sur ce dernier point, elle entend obtenir 1200 fr. sans limite de durée.
Par arrêt du 19 février 1971, la Cour de justice de Genève a modifié le jugement en ce qui concerne la pension pour l'enfant. Elle l'a confirmé pour le surplus, soit notamment en ce qui concerne l'indemnité.
Dame McLeod-Müller a formé un recours en réforme contre cet arrêt. Son recours tend uniquement à faire prononcer que la rente mensuelle de 1000 fr. est due sans limitation de durée. McLeod, invité par voie édictale à déposer une réponse, n'a pas procédé.
La recourante a obtenu le bénéfice de l'assistance judiciaire.
 
Considérant en droit:
1. Sur les indemnités, seul point demeurant en litige, le Tribunal de première instance constate que la demanderesse,

BGE 97 II 7 (9):

qui ne travaille que la moitié de la journée, gagne plus de 1000 fr. par mois et partant ne peut invoquer l'art. 152 CC. C'est sur la base de l'art. 151 CC qu'il alloue une rente de 1000 fr. par mois pendant cinq ans, sans motiver davantage sa décision.
La Cour de justice s'est bornée à deux considérants:
"que les circonstances du mariage, célébré pour légitimer l'enfant devant naître un mois plus tard, sont telles que la Cour ne saurait aller au-delà de ce que le premier juge a accordé en application de l'art. 151;
que le divorce qu'a sollicité dame McLeod lui rend une liberté qu'elle n'avait pas dans un mariage sans grande signification pour son avenir et qui n'a pas comporté de vie commune."
Mais ce sont là de simples affirmations qui sortent du cadre des faits de l'arrêt déféré, lequel n'a pas retenu qu'un mariage ait jamais été réellement célébré au Mexique. La recourante ne soutient pas que la cour cantonale aurait, par une inadvertance manifeste, omis de prendre en considération un document ni qu'une réquisition de preuve sur ce point aurait été rejetée au mépris de l'art. 8 CC.
Le Tribunal fédéral doit donc s'en tenir aux circonstances du mariage telles que les constate l'arrêt de la Cour (art. 63 OJ).
3. Le mariage est une institution dont le contenu est impérativement fixé par la loi. L'échange des consentements devant l'officier de l'état civil est générateur d'un statut du droit de la famille: il crée l'union conjugale (art. 159 al. 1 CC) avec tous les effets que la loi - et la loi seule - y attache, sans qu'il soit possible aux époux, même de leur consentement mutuel, de s'affranchir des devoirs et obligations qu'il comporte. Réservés les cas de nullité, limitativement énumérés, et dont il n'est pas question dans la présente cause, les "circonstances du mariage", quelles qu'elles soient, sont sans conséquence sur les effets du mariage. En particulier, les motifs, les mobiles respectifs des époux ne sauraient influer sur leurs obligations réciproques. La portée, la signification que les époux ont attachée à leur mariage n'affecte en rien leurs devoirs légaux.


BGE 97 II 7 (10):

Les deux considérants, reproduits ci-dessus, par lesquels la Cour de justice limite l'indemnité à cinq ans contredisent cette conception et partant violent le droit fédéral. Certes, l'indemnité due en vertu de l'art. 151 CC peut être limitée dans le temps. Mais cette limitation doit se justifier par des motifs tirés de la nature et de la durée du dommage, dommage qui doit lui-même être déterminé en comparant la situation de la femme divorcée avec celle que lui aurait procurée l'union conjugale, non pas telle que les parties pouvaient se la représenter ou même la vouloir effectivement lors du mariage, selon leurs conceptions propres, mais telle que l'organise la loi, avec les devoirs et les droits que comporte le statut Iégal.
Si le divorce rend à la demanderesse sa liberté, l'usage qu'elle en peut faire est restreint par l'obligation où elle est de gagner sa vie et par ses devoirs de mère. La recourante ne subit pas un préjudice passager, qu'une rente transitoire suffit à réparer.
Il n'y a dès lors pas de motifs de limiter la rente dans le temps. L'arrêt n'en articule d'ailleurs pas d'autre que celui tiré des "circonstances du mariage", lequel ne peut pas être retenu. La seule circonstance objective qui aurait pu être prise en considération, la courte durée de la vie conjugale, ne serait pertinente que si l'on pouvait en déduire que, par sa brièveté, le mariage n'avait pas été de nature à modifier réellement les habitudes de vie de la demanderesse. Mais tel n'est pas le cas. Au demeurant, la naissance de l'enfant, issu de cette union, change complètement les conditions de vie de la demanderesse.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Admet le recours et réforme l'arrêt déféré en ce sens que le défendeur servira à la demanderesse une rente viagère de 1000 fr. par mois en application de l'art. 151 CC;
Confirme l'arrêt déféré pour le surplus.