98 II 265
Urteilskopf
98 II 265
38. Arrêt de la IIe Cour civile du 14 décembre 1972 dans la cause Mokry contre Baruzzo.
Regeste
Art. 314 Abs. 2 ZGB.
Ausschluss der Vaterschaft des Beklagten.
Beweiswert der anthropobiometrischen Expertise.
Die Anwendung einer Methode des wissenschaftlichen Abstammungsbeweises ist nur zulässig und darf vom Richter nur vorgeschrieben werden, wenn diese Methode von den Spezialisten des in Frage stehenden Faches als zuverlässig anerkannt wird.
Massgebend ist dabei die allgemeine Auffassung der Fachleute.
Die anthropobiometrische Expertise erfüllt diese Bedingungen nicht.
Eine solche Expertise vermag daher die Vermutung des Art. 314 Abs. 1 ZGB nicht zu entkräften.
Mirka Baruzzo et son enfant naturel Serge Daniel, né le 13 juillet 1966, tous deux de nationalité italienne et domiciliés à Lausanne, ont intenté, le 20 septembre 1966, une action en
BGE 98 II 265 S. 266
paternité tendant à des prestations pécuniaires à Eric Mokry, de nationalité autrichienne, domicilié à Bussigny. Par jugement du 2 mars 1972, le Tribunal du district de Lausanne a admis l'action. Il a condamné le défendeur à payer d'une part à l'enfant une pension alimentaire mensuelle d'un montant échelonné de 200 à 250 francs, d'autre part à la mère une indemnité de 2000 francs.Eric Mokry a formé recours contre ce jugement auprès du Tribunal cantonal vaudois. Le recours a été rejeté par arrêt du 31 mai 1972.
Le défendeur a recouru en réforme au Tribunal fédéral contre cet arrêt, concluant au rejet de l'action.
Selon l'arrêt du Tribunal cantonal, il est constant que Mirka Baruzzo et Eric Mokry ont entretenu une liaison pendant toute l'année 1965. Le défendeur ne conteste pas avoir entretenu des relations intimes avec la demanderesse pendant la période critique. Il n'est pas établi que, pendant cette même période, la demanderesse ait entretenu des relations intimes avec un tiers ou qu'elle ait vécu dans l'inconduite.
Les demandeurs bénéficient ainsi de la présomption de l'art. 314 al. 1 CC. Il a été procédé à une expertise des sangs, qui n'a pas exclu la paternité du défendeur. Une expertise anthropobiométrique effectuée par le Prof. Baumann a exclu la paternité du défendeur avec une probabilité confinant à la certitude (99, 776%). Une expertise anthropo-hérédobiologique (AEG), exécutée par le Prof. Sieg, a en revanche conclu à la paternité du défendeur avec une probabilité confinant à la certitude.
Appréciant l'ensemble de ces expertises, le Tribunal cantonal a estimé que le défendeur avait échoué dans la preuve, qui lui incombait, qu'il n'était pas le père de l'enfant.
Dans son recours, le défendeur procède à une étude critique des deux expertises; l'expertise du Prof. Sieg est, à ses yeux, "extrêmement suspecte" et entachée d'un esprit polémique; elle aurait donc dû être écartée. A tout le moins devrait-on, selon le recourant, admettre que l'expertise du Prof. Baumann constitue un doute sérieux au sens de l'art. 314 al. 2 CC, venant renverser la présomption de l'art. 314 al. 1 CC attachée à la cohabitation pendant la période critique.
Les intimés ont conclu au rejet du recours.
Considérant en droit:
I. En ce qui concerne la dette alimentaire du recourant envers l'enfant, la loi suisse est applicable, comme loi de la résidence habituelle de l'enfant, en vertu de l'art. 1er de la convention sur la loi applicable aux obligations alimentaires envers les enfants, du 24 octobre 1956, à laquelle la Suisse, l'Autriche et l'Italie ont adhéré (ROLF 1964 p. 1287). Quant à l'action de la mère, elle est régie par le droit suisse, loi du domicile de la demanderesse au moment de la naissance, en vertu des règles suisses de conflits (RO 84 II 605).
II.1. Selon la jurisprudence constante, la présomption de l'art. 314 al. 1 CC ne peut être détruite, en l'absence de preuve de cohabitation avec un tiers ou d'inconduite de la mère, que s'il est établi avec une vraisemblance confinant à la certitude que l'enfant n'est pas issu des oeuvres du défendeur (cf. notamment RO 94 II 79 consid. 2).
Cette jurisprudence condamne l'argument du recourant selon lequel l'expertise Baumann créerait un doute sérieux quant à sa paternité. Un tel doute est insuffisant pour renverser la présomption de l'art. 314 al. 1. Pour que cette présomption soit renversée, il faut que soit établi avec une vraisemblance confinant à la certitude que le défendeur n'est pas le père de l'enfant.
II.2. Le recours est irrecevable dans la mesure où il critique l'expertise Sieg, dont il discute certaines constatations et déductions.
L'appréciation in concreto de la valeur probante des expertises produites ressortit au fait. Elle ne peut être revue dans le cadre d'un recours en réforme.
Aucun des moyens invoqués dans l'acte de recours ne peut donc être retenu. Il reste à examiner si la valeur, appréciée in abstracto, des deux expertises anthropologiques contradictoires ne doit pas être revue, la décision attaquée étant essentiellement fondée sur une appréciation abstraite de la valeur des méthodes employées et non sur une discussion de la valeur probante des expertises appréciées concrètement. Ceci résulte implicitement du fait que la conclusion négative à laquelle aboutit le Tribunal
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cantonal, quant à la preuve de la non-paternité du défendeur, est basée essentiellement sur le caractère contradictoire des deux expertises anthropologiques.
III.1. Depuis une quarantaine d'années, le Tribunal fédéral a été amené à vérifier in abstracto la valeur des expertises scientifiques relatives à la preuve de la paternité. D'une part, cette question doit être préalablement résolue pour permettre de décider si, en vertu du droit à la preuve consacré par l'art. 8 CC, les parties ont le droit de proposer ces expertises, et à quelles conditions. D'autre part, l'application uniforme du droit matériel exige que le degré de certitude que présente une telle preuve soit le même pour toutes les juridictions.
Ainsi, lorsque le juge du fait a admis, en se fondant sur une expertise, que le degré de vraisemblance requis est atteint, la juridiction fédérale de réforme peut et doit examiner si cette appréciation est soutenable au vu des bases sur lesquelles elle repose ou si elle méconnaît la notion de vraisemblance confinant à la certitude (RO 86 II 320 et les précédents cités; 88 II 494). Le Tribunal fédéral a été amené de ce fait à proclamer le droit des parties à requérir l'administration de certaines preuves, en particulier des preuves scientifiques, à déterminer certaines modalités de ce droit, à apprécier le degré de probabilité qui doit en résulter pour qu'elles puissent constituer une preuve complète et à déterminer abstraitement la valeur respective de certaines d'entre elles.
Il a admis successivement l'existence d'une "vraisemblance confinant à la certitude" lorsque la paternité est exclue sur la base des groupes sanguins ABO (RO 61 II 72), des facteurs MN (RO 65 II 127), des facteurs Rhésus (RO 79 II 17, 80 II 13, 87 II 12), du facteur Kell (RO 86 II 129), du facteur S (RO 87 II 281), du facteur Duffya (RO 88 II 494), des gammaglobulines (RO 89 II 357). Il a posé comme règle que lorsque l'expertise des sangs exclut de façon certaine la paternité, le recours à une expertise anthropo-hérédobiologique est exclu (RO 91 II 159). Il a ensuite précisé à quel degré de vraisemblance doit aboutir l'expertise séro-statistique pour que la preuve anthropo-hérédobiologique puisse être refusée (RO 96 II 314; 97 II 193). Enfin, il a posé que l'expertise anthropo-hérédobiologique ne peut être exigée que si
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les autres preuves et notamment l'examen séro-statistique n'ont conduit à aucun résultat concluant (RO 97 II 297).Une hiérarchie entre certaines preuves scientifiques, soit l'expertise des sangs et les preuves anthropologiques, est ainsi instaurée d'après la force probatoire qui leur est reconnue in abstracto.
III.2. En l'espèce, le Tribunal cantonal s'est borné à déclarer qu'il est "exclu que l'on puisse considérer l'ensemble des expertises auxquelles il a été procédé comme une preuve directe, pleine et entière de la non-paternité du recourant". Il n'a donc pas procédé à une appréciation concrète des expertises qui lierait le Tribunal fédéral.
"L'ensemble des expertises", au sens de l'arrêt, ne peut concerner que les deux expertises anthropologiques, l'examen des sangs n'ayant donné aucun résultat. Il est vrai que l'examen statistique des sangs, qui, d'après la jurisprudence (RO 97 II 297), fait partie de l'expertise du sang, fait défaut dans la présente espèce. Il aurait convenu que la cour cantonale y procédât. Toutefois, le recourant ne s'en prévaut pas. Il n'est pas nécessaire de renvoyer d'office l'affaire au Tribunal cantonal pour compléter l'instruction sur ce point, car il est improbable, vu le résultat de l'expertise des sangs, que l'examen statistique exclue la paternité du défendeur. Le Tribunal fédéral serait donc de toute façon amené à apprécier la valeur probante des deux expertises anthropologiques.
III.3. Il est troublant de constater que deux méthodes scientifiques de détermination de la filiation aboutissent à des certitudes contradictoires. Si l'on en juge par l'espèce citée dans RSJ 1966 p. 78 no 39, il ne s'agit pas d'un cas isolé. Aussi convient-il d'examiner la valeur probante respective de ces preuves et de déterminer la mesure dans laquelle elles sont assez sûres pour que le refus de les ordonner viole l'art. 8 CC et pour assurer une détermination uniforme du degré de certitude auquel elles permettent d'aboutir.
Le recours à l'expertise anthropo-hérédobiologique est imposé, sous certaines réserves, d'une façon générale par la jurisprudence du Tribunal fédéral. La méthode anthropobiométrique (Keiter/Baumann), en revanche, si elle est acceptée par certaines cours cantonales romandes, n'a jamais été expressément admise par le Tribunal fédéral, qui n'a pas eu l'occasion de se prononcer jusqu'ici sur sa valeur probante. C'est donc sur la valeur probante
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de l'expertise anthropobiométrique qu'il convient de se prononcer, dès l'instant où elle se trouve en contradiction avec la méthode anthropo-hérédobiologique, admise par le Tribunal fédéral.
III.4. La méthode d'expertise anthropologique du Prof. Baumann, de l'Université de Genève, est celle préconisée par le Prof. P. Keiter, directeur du Laboratoire d'anthropologie légale de Hambourg, décédé en 1967. Elle est fondée sur la comparaison de certains caractères morphologiques de l'enfant, de la mère et du père présumé. Son originalité essentielle consiste dans la traduction en chiffres, puis en valeurs logarithmiques des trois groupes de constatations sur lesquelles elle repose: les indices anthropobiométriques, soit les rapports que présentent entre elles un certain nombre de mesures effectuées sur les personnes examinées, appréciés par rapport à une moyenne déterminée dans une population anthropologiquement homogène (pour chaque personne examinée, 30 à 40 indices), les caractéristiques anthropobiométriques, soit des traits morphologiques simples et définis, appréciés en fonction d'une forme "moyenne" (pour chaque personne examinée, environ 70 caractéristiques), et les empreintes digitales. Au terme de l'examen, chaque personne aura reçu, pour chacun de ses indices et caractéristiques, une "note". Les chiffres obtenus sont traduits en valeurs logarithmiques et celles-ci additionnées pour obtenir un "logarithme de paternité". Celui-ci indiquera la position du père présumé sur un graphique représentant les statistiques établies par Keiter sur la base de 2296 cas de paternité et non-paternité reconnus. Sur ce graphique, deux courbes permettent de déterminer la zone dans laquelle la paternité est certaine, celle dans laquelle elle est exclue et la zone limite. Celle-ci se situe entre une probabilité de 99'685% et 99'998%; au-delà, la paternité est certaine, en deçà, elle est exclue (BAUMANN-BAUMANN-GARCIA-LANG, La méthode anthropologique de recherche de paternité, Lyon 1972; BAUMANN-BAUMANN, La recherche en paternité par la méthode anthropobiométrique, Revue internationale de criminologie et de police technique 1963, p. 216; F. KEITER, Vaterschaftsgutachten mit Bilanzierungsrechnung, Neue Juristische Wochenschrift, München-Frankfurt/Main, 1953, p. 291. Das Beweisgewicht des anthropologisch-erbbiologischen Gutachtens, NJW 1965, p. 1995; Probleme der wissenschaftlichen und juristischen Anerkennung des AEG, NJW 1967, p. 1500).
A la connaissance de la Cour, cette méthode n'est appliquée en Suisse que par les Prof. Baumann à Genève et Thélin à Lausanne. Selon HEGNAUER, n. 183 ad art. 314, elle recevrait quelque application en Allemagne. Elle est cependant rejetée par la grande majorité des spécialistes (HEGNAUER, ibid., qui cite BAITSCH, in Ponsold, Lehrbuch, p. 566; SIEG, RSJ 1970, p. 214). SCHADE (Beitzke/Hosemann/Dahr/Schade, Vaterschaftsgutachten für die gerichtliche Praxis, 2e éd., Göttingen 1965, p. 170), se référant à l'autorité de trois spécialistes, rejette le principe même, en l'état actuel de la science, d'une expression mathématique de constatations reposant sur une appréciation. Le Tribunal civil de Bâle-Ville, se fondant sur l'opinion d'un expert, a refusé d'ordonner une telle expertise (BJM 1969, p. 279).
Il ressort également des publications précitées du Prof. Keiter que sa méthode se heurtait à une résistance générale des anthropologues. Keiter la défendait, invoquant principalement la difficulté qu'il y a pour l'expert à se faire une opinion claire sur la base d'un très grand nombre de constatations. Il estimait que seule la traduction en valeurs mathématiques des constatations permet leur exploitation rigoureuse. Sa méthode constituerait en ce sens une amélioration de l'expertise anthropobiologique traditionnelle, évitant en particulier la déperdition de la valeur informative de certaines constations (cf. notamment NJW 1967, p. 1500/1501). Néanmoins, en raison même du scepticisme dont elle était l'objet, Keiter ne l'appliquait pas isolément dans les expertises qu'il faisait pour les tribunaux. Il ajoutait, à une expertise anthropobiologique exécutée selon la méthode traditionnelle, un rapport complémentaire anthropobiométrique. Il estimait ainsi sauvegarder les avantages de l'une et l'autre méthodes, et considérait, semble-t-il, le concours comme justifié en soi.
III.5. Une preuve scientifique de la filiation ne peut être admise que si le juge a la conviction qu'elle donne un résultat certain ou tout au moins qu'elle conduit à une quasi-certitude. Aussi ne peut-on admettre une preuve scientifique que si elle s'impose à la généralité des spécialistes avec une évidence suffisante pour que, dans la branche considérée, elle soit reconnue comme sûre. Sans faire nécessairement l'unanimité, elle doit être admise par l'opinion générale des milieux scientifiques intéressés. Ce n'est qu'autant que cette condition première est réalisée que les tribunaux, après avoir éventuellement encore pris l'avis d'experts, pourront
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imposer cette preuve comme une méthode sûre, reconnue et éprouvée. Tant qu'une méthode demeure controversée, qu'elle n'est appliquée que par un nombre restreint de spécialistes, la plus grande retenue est de rigueur et les tribunaux ne peuvent l'imposer ni l'autoriser.La méthode en cause ne remplit manifestement pas ces conditions. Généralement contestée par les spécialistes de l'hérédoanthropologie, elle ne présente pas pour les tribunaux des garanties suffisantes. Partant, l'arrêt déféré doit être confirmé, le recourant n'ayant pas établi à satisfaction de droit qu'il ne saurait être le père de l'enfant demandeur.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué.