101 II 142
Urteilskopf
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28. Arrêt de la Ire Cour civile du 11 mars 1975 dans la cause B.A.T. (Suisse) S.A. et consorts contre Rentchnick.
Regeste
Art. 66 Abs. 1 OG gilt auch für das Bundesgericht. Dieses darf ein neues Urteil nicht auf Entscheidungsgründe stützen, die es im Rückweisungsentscheid abgelehnt oder überhaupt nicht in Erwägung gezogen hat (Erw. 3 und 5).
Art. 4 KG. Nach dieser Vorschrift ist ein Preisunterschied, den ein Kartell bei Lieferungen an Grossisten einerseits und an Detaillisten anderseits anwendet, nicht unzulässig (Erw. 4, 5a und b, 6).
A.- Jacques Rentchnick, négociant en tabacs, exploite à Genève deux magasins de détail. Il vend notamment des cigarettes fabriquées par les Sociétés B.A.T. (Suisse) S.A. (anciennement Compagnie britannique et américaine de tabacs S.A.), Edouard Laurens "Le Khédive" S.A. et United Cigarettes Company Ltd, toutes trois membres de l'Association suisse des fabricants de cigarettes (ci-après: ASFC).
En 1958, cette association et celle des grossistes spécialistes de la branche du tabac sont convenues d'une nouvelle réglementation on du marché, répartissant la clientèle entre les fabricants les grossistes. Les premiers ne livraient plus qu'aux grossistes et aux centrales des sociétés d'achat, ainsi qu'aux "détaillants spécialistes" définis selon des critères précis arrêtés par l'ASFC d'entente avec les grossistes.
Refusant de se soumettre aux conditions requises des "détaillants spécialistes", Rentchnick n'a plus obtenu de livraisons directes des fabricants précités et a dû se procurer leurs cigarettes auprès des grossistes, à un prix plus élevé.
B.- Rentchnick a ouvert contre la Compagnie britannique et américaine de tabacs S.A., Edouard Laurens "Le Khédive" S.A., United Cigarettes Company Ltd et Tabatex S.A. (cette dernière société ayant été liquidée depuis lors) deux actions fondées, l'une sur la loi sur les cartels et l'autre sur les art. 28 CC et 41 CO, pour la période antérieure à l'entrée en vigueur de cette loi. Il demandait que le refus des défenderesses de le ravitailler directement fût déclaré illicite, les défenderesses étant condamnées à reprendre leurs livraisons et à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts et de réparation du tort moral.
Débouté de ses conclusions par jugements du 10 mai 1968 de la Cour de justice du canton de Genève, le demandeur a recouru en réforme au Tribunal fédéral.
Par arrêts du 5 novembre 1968, le Tribunal fédéral a admis les deux recours, annulé les décisions attaquées et renvoyé la cause à l'autorité cantonale pour nouveau jugement dans le sens des motifs.
Il a considéré, quant à l'action fondée sur la loi sur les cartels, que le refus de la livraison directe par les intimées était une mesure discriminatoire tombant sous le coup de l'art. 4 LCart. Les constatations du jugement déféré étant insuffisantes, la cause doit être renvoyée selon l'art. 64 OJ à l'autorité cantonale, qui examinera sur le vu de l'état de fait complété - une expertise étant utile sinon nécessaire - si cette mesure vise à entraver notablement le recourant dans l'exercice de la concurrence, au sens de l'art. 4 LCart. Dans l'affirmative, la cour cantonale dira si, exceptionnellement, les entraves à la concurrence imposées par les intimées au recourant sont licites parce que justifiées par des intérêts légitimes prépondérants au sens de l'art. 5 LCart., en appliquant le cas échéant les principes de subsidiarité et de proportionnalité que cette disposition commande d'observer (RO 94 II 334 ss).
Sous l'angle de l'art. 28 CC, le Tribunal fédéral a considéré qu'il fallait rechercher si la discrimination frappant le recourant était d'une intensité telle qu'elle restreignît effectivement sa liberté économique. Il a renvoyé la cause à l'autorité cantonale
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par les mêmes motifs que dans la cause jugée selon la loi sur les cartels.
C.- Après ces arrêts, les parties sont convenues de considérer le dommage comme étant soumis uniquement à la loi sur les cartels.
La Cour de justice a ordonné, à titre successif, une expertise comptable et une expertise économique.
Elle a constaté que le statut de "détaillant spécialiste" avait été aboli par un nouveau statut de "détaillant en tabacs" entré en vigueur le 1er janvier 1970, auquel Rentchnick n'avait pas adhéré non plus, ce qui lui avait valu d'être boycotté non seulement par les fabricants de cigarettes, mais aussi par ceux de cigares, les marchandises lui étant livrées avec une majoration d'environ 4%.
Par jugement du 15 février 1974, la Cour de justice du canton de Genève a constaté que le demandeur avait été victime d'un boycott illicite concerté notamment entre les défenderesses ou leurs prédécesseurs (ch. 1); leur a ordonné de "cesser cette mesure de contrainte et d'exécuter désormais, aux conditions les plus favorables consenties à tout autre acheteur direct ravitaillé par elles, toute commande qu'il leur passera", sous menace des peines prévues par l'art. 292 CP en cas d'insoumission (ch. 2); a condamné B.A.T. (Suisse) S.A., Edouard Laurens "Le Khédive" S.A. et United Cigarettes Company Ltd, solidairement, à payer au demandeur 113'520 fr. avec intérêt à 5% dès le 1er février 1966 (ch. 3).
D.- Les défenderesses ont formé une demande d'interprétation de ce jugement, en soutenant que le ch. 2 du dispositif contenait une ambiguïté qui pouvait être source de conflit futur et en proposant de remplacer les termes "tout autre acheteur direct ravitaillé par elles" par "tout autre détaillant spécialiste ravitaillé par elles". Elles proposaient en outre de mettre hors de cause dans l'action en interprétation la société United Cigarettes Company Ltd, qui avait été liquidée et radiée au registre du commerce avant même le jugement du 15 février 1974.
Les défenderesses ont également recouru en réforme au Tribunal fédéral contre ce jugement. Elles concluent à ce qu'il leur soit ordonné "d'exécuter désormais aux conditions les plus favorables consenties à tout autre détaillant spécialiste ravitaillé par elles toute commande que Sieur Rentchnick leur
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passera", s'accommodant pour le surplus du jugement déféré.L'intimé propose le rejet du recours.
Dans une lettre postérieure au dépôt du recours, l'avocat commun des défenderesses a déclaré que la société United Cigarettes Company Ltd avait été liquidée et radiée au registre du commerce et qu'il convenait dès lors de "mettre cette société hors de cause dans le recours en réforme et d'annuler le jugement de la Cour de justice la concernant".
Considérant que le jugement du 15 février 1974 ne renfermait aucune obscurité ni ambiguïté, la Cour de justice, statuant le 8 novembre 1974, a mis hors de cause la société United Cigarettes Company Ltd et débouté les deux autres défenderesses de leurs conclusions en interprétation.
Considérant en droit:
1. Il y a lieu de prendre acte de la déclaration de l'avocat commun des défenderesses selon laquelle la société United Cigarettes Company Ltd, qui a été dissoute et radiée au registre du commerce, n'est plus en cause en instance fédérale. On ne saurait en revanche entrer en matière sur la proposition de cet avocat, qui ne figure pas dans les conclusions du recours, tendant à l'annulation du jugement déféré dans la mesure où il concerne cette société. Le Tribunal fédéral admet d'ailleurs la réinscription d'une société radiée à la demande d'un créancier social qui rend sa créance vraisemblable et établit son intérêt à la réinscription (RO 87 I 303, 95 I 65 consid. 2).
2. Les recourantes ne remettent pas en cause les ch. 1 et 3 du dispositif du jugement déféré, qui est ainsi entré en force sur ces points. Elles ne critiquent que le ch. 2 du dispositif, admettant de fournir le demandeur "aux conditions faites à tout détaillant spécialiste", mais refusant de le faire "aux conditions les plus favorables consenties à tout autre acheteur direct ravitaillé par elles".
3. L'art. 66 al. 1 OJ prescrit à l'autorité cantonale à laquelle une affaire est renvoyée de fonder sa nouvelle décision sur les considérants de droit de l'arrêt du Tribunal fédéral. Cette règle vaut pour le Tribunal fédéral lui-même, qui ne saurait dès lors, dans le cas d'un nouveau recours en réforme, fonder son jugement sur des considérations qu'il avait écartées
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ou dont il avait fait totalement abstraction dans le premier arrêt (RO 90 II 308 s. consid. 2a).
4. La Cour de justice considère dans le jugement déféré que la politique finalement suivie par l'ASFC puis par la FIST (Fédération suisse de l'industrie du tabac) démontre qu'il n'était pas souhaitable, dans l'intérêt général, de perpétuer jusqu'à la fin de 1969 une structure justifiée en 1958 mais déjà critiquée et partiellement inappliquée, de l'aveu des défenderesses, dès le début de l'année 1967. Elle précise dans son prononcé du 8 novembre 1974 qu'elle a admis que la distinction entre les diverses catégories d'acheteurs ne se justifiait plus, ce qu'avaient bien compris les "demanderesses en interprétation".
Celles-ci font valoir que les fabricants ravitaillent directement non seulement les détaillants spécialistes, mais également les centrales des sociétés d'achat et les grossistes. Or ces deux dernières catégories bénéficient de conditions plus avantageuses que la première, puisqu'elles sont approvisionnées au prix de fabrique moins un rabais de 3,75%, alors que ce rabais n'est que de 2,75% pour les détaillants spécialistes. En se fondant sur les termes du jugement déféré, le demandeur pourrait exiger d'être fourni aux conditions consenties aux grossistes, alors qu'il n'a jamais postulé cette qualité, dont il ne remplit d'ailleurs pas les conditions, mais qu'il a toujours prétendu être un détaillant spécialiste.
5. a) Le jugement déféré oblige en effet les défenderesses à ravitailler le demandeur "aux conditions les plus favorables consenties à tout autre acheteur direct", c'est-à-dire aux conditions consenties même au grossiste le plus favorisé, alors que le demandeur n'est qu'un détaillant spécialisé dans le commerce des cigarettes et du tabac. Il ressort de cette rédaction, ainsi que du prononcé du 8 novembre 1974, que l'autorité cantonale tient pour illicite la distinction entre grossiste et détaillant. Une telle conception méconnaît la portée de la loi sur les cartels et les considérations du Tribunal fédéral à l'appui de son arrêt du 5 novembre 1968 renvoyant la cause à la Cour de justice (RO 94 II 334 ss). La loi sur les cartels ne tend pas à organiser la distribution des marchandises selon une structure déterminée, en tenant pour illicite a priori telle catégorie de distributeurs ou les mesures prises en sa faveur, tant qu'elles n'engendrent pas une discrimination entre les
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membres d'une autre catégorie. Elle reconnaît notamment aux fabricants le droit de ne livrer leurs produits qu'à certaines catégories d'acheteurs, par exemple aux grossistes (RO 94 II 334 consid. 2b). Les acheteurs d'autres catégories ne sauraient se prévaloir de l'art. 4 LCart. pour exiger d'être ravitaillés eux aussi, et aux mêmes conditions. Cette disposition subordonne l'illicéité des mesures cartellaires à la condition d'une entrave notable dans l'exercice par des tiers de la concurrence (RO 91 II 36 s. consid. 4b). En l'espèce, le demandeur ne peut prétendre être traité par les fabricants que comme ses concurrents, à savoir les autres détaillants en tabacs, en ce qui concerne les prix et les conditions d'achat (RO 98 II 372 consid. 3b). Il n'est pas un grossiste et n'a jamais prétendu l'être.Quant à l'ampleur de la différence entre les prix facturés aux grossistes d'une part, aux détaillants d'autre part, soit 1% du prix de fabrique, elle ne prête pas à discussion. Dans le même secteur commercial, le Tribunal fédéral a jugé licite une remise de 2% sur le prix de fabrique consentie aux seuls "grossistes conventionnels" (RO 91 II 38 ss consid. 5).
b) Le présent procès n'a d'ailleurs jamais tendu à la suppression des avantages accordés par les fabricants aux grossistes. C'est ainsi que la Cour de justice elle-même s'est attachée à déterminer, avec l'assistance des experts, "l'ampleur de la différence entre les prix que Rentchnick a dû payer comme détaillant ordinaire et ceux dont il aurait pu bénéficier si, conformément à l'organisation de ses deux points de vente, il avait été considéré comme un détaillant spécialiste". La somme de 113'520 fr. allouée au demandeur correspond à cette différence, pour la période du 1er mars 1963 au 31 décembre 1969.
c) Dans son arrêt du 5 novembre 1968, le Tribunal fédéral a réfuté d'emblée deux arguments du demandeur: il a considéré comme objectivement justifiée la discrimination à l'égard des centrales d'achat, celles-ci remplissant une fonction équivalente à celle du grossiste; quant aux grossistes qui exploitent un commerce de détail, dont il a constaté que le cas était exceptionnel, le Tribunal fédéral relève que la loi sur les cartels n'empêche pas un grossiste d'être aussi détaillant et que l'on ne voit pas en quoi le fait que tel grossiste vende une partie de sa marchandise dans un magasin de détail constitue
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une atteinte au principe de la libre concurrence (RO 94 II 341). Le demandeur ne peut reprendre maintenant, dans sa réponse au recours, ces arguments (consid. 3 ci-dessus). Au surplus, l'allégation selon laquelle "les grossistes sont le plus souvent détaillants" est nouvelle et partant irrecevable (art. 55 al. 1 litt. c OJ).
6. Le recours étant fondé en principe, il y a lieu de rédiger l'ordre signifié aux défenderesses d'exécuter les commandes du demandeur de manière à ne pas lier l'effet du jugement au sort d'un statut déterminé - sujet à modifications ainsi que l'a montré la présente procédure - et à éviter la réapparition, sous le couvert de désignations nouvelles, de mesures analogues à celles qui ont été reconnues illicites. A cet égard, on ne saurait s'en tenir aux conclusions des recourantes, puisque le statut de "détaillant spécialiste" a été aboli et remplacé par celui de "détaillant en tabacs", entré en vigueur le 1er janvier 1970. Il n'est pas non plus question de retenir cette dernière expression, puisque le demandeur se verrait alors contraint, pour bénéficier du "rabais de fonction", de se soumettre aux nouvelles mesures discriminatoires du statut de 1970, ce à quoi il s'est précisément refusé.
Le demandeur n'a le droit d'être ravitaillé par les défenderesses qu'aux mêmes conditions de prix - soit compte tenu des rabais accordés le cas échéant en fonction des quantités commandées - que ses concurrents, détaillants spécialisés dans le commerce des cigarettes et des tabacs, directement approvisionnés par les défenderesses. Le ch. 2 du dispositif du jugement déféré doit dès lors être réformé dans ce sens.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Admet le recours et réforme le chiffre 2 du dispositif du jugement de la Cour de justice du canton de Genève du 15 février 1974 en ce sens qu'il est ordonné aux défenderesses de cesser la mesure de contrainte constatée par le chiffre 1 dudit dispositif et d'exécuter désormais toute commande que le demandeur leur passera aux conditions de prix consenties à tout autre détaillant spécialisé dans le commerce des cigarettes et des tabacs directement approvisionné par elles, sous la menace pour leurs organes des peines d'arrêts ou d'amende prévues à l'art. 292 CP en cas d'insoumission.
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